La responsabilite de l’autorite chargee de la gestion du port

LA RESPONSABILITE DE L’AUTORITE CHARGEE DE LA GESTION DU PORT

Les gestionnaires de port ne sont pas soumis à un régime spécifique de responsabilité. A première vue, les choses sont donc simples. La responsabilité de droit commun s’applique. Cependant, la responsabilité portuaire est complexe, car elle se décompose entre un régime de responsabilité de droit public, qui relève de la connaissance du juge administratif, et un régime de responsabilité civile, où le juge judiciaire devient compétent. Tout dépend des caractéristiques de l’activité portuaire mise en cause.

Dommages de travaux publics 

Le travail public se définit comme un travail immobilier, effectué dans un but d’intérêt général, réalisé par une personne publique ou pour son compte, ou effectué par une personne publique pour le compte d’une personne privée. Cependant, la jurisprudence donne un sens extensif à la notion. Elle applique, par exemple, la théorie du dommage de travaux publics aux préjudices résultant du fonctionnement d’un ouvrage public. Or, cette qualification d’ouvrage public a été reconnue aux installations fixes et mobiles exploitées par un port. Si à diverses reprises il a été jugé que l’exploitation des outillages publics des ports de commerce relevait d’une mission de SPIC, en revanche les ouvrages portuaires utilisés aux fins d’amarrage et de stationnement des navires sont bien liés à l’exercice d’une mission de SPA. Lorsqu’un navire subit un dommage du fait de travaux publics, c’est la responsabilité administrative du gestionnaire de port qui est mise en jeu, car la gestion des travaux et des ouvrages publics fait partie de ses missions administratives. Ce sont donc les tribunaux administratifs qui seront compétents pour régler le litige. Un usager, s’estimant victime d’un dommage de travaux publics, devra seulement apporter la preuve de son préjudice et le lien de causalité existant entre celui-ci et l’ouvrage qu’il met en cause, pour engager la responsabilité de l’administration. Le demandeur n’aura pas à établir la faute du gestionnaire de port. La loi part du principe qu’il y a une faute présumée de l’administration, selon la théorie de la responsabilité pour défaut d’entretien normal. S’il y a eu un accident du fait de l’ouvrage, c’était qu’il présentait un danger. Par conséquent, ce régime de responsabilité administrative est favorable à la victime. De fait, il serait très difficile pour la victime de prouver la faute de l’administration. Mais la présomption de faute du gestionnaire de port n’est pas irréfragable. Pour se dégager de sa responsabilité, il devra prouver qu’il n’a pas commis de faute, notamment en démontrant qu’il a correctement entretenu ledit ouvrage. Cette contrainte s’entend, bien sûr, à moins qu’il ne puisse prouver une cause exonératoire de droit commun, à savoir la force majeure ou la faute de la victime. Dans des cas exceptionnels, les usagers d’ouvrages publics considérés anormalement dangereux pourront bénéficier d’une responsabilité administrative pour risque. La situation des tiers est différente, en cas de dommages de travaux publics. En effet, à la différence des usagers qui sont censés jouir de l’ouvrage public, ils n’en profitent pas, et parfois même ils en subissent les désagréments. Aussi, un régime de responsabilité sans faute de principe s’applique alors. Le développement de ce chapitre se consacrera surtout à l’étude de cas concrets et d’arrêts de justice, qui ont fait jurisprudence, afin de montrer diverses situations où la responsabilité de l’Etat s’est trouvée engagée sur le fondement de la théorie du dommage de travaux publics. Bien entendu, cette liste n’est pas exhaustive, car les situations susceptibles d’engager la responsabilité du port vis-àvis du navire sont variées. Elles se rassemblent néanmoins autour de trois axes : Les dommages de travaux publics peuvent résulter de l’exécution de travaux, d’ouvrages inadaptés aux caractéristiques des navires , ou d’un défaut d’entretien des ouvrages publics .

Dommages en raison de l’exécution de travaux

L’exécution de travaux publics peut porter préjudice aux navires de diverses façons. Elle risque, au premier chef, d’entraîner un préjudice commercial. Par exemple, le Conseil d’Etat a dû se prononcer sur une requête de la société « Les vedettes blanches » . Cette entreprise de transport par bateaux avait vu son activité sensiblement diminuer par suite de l’ouverture d’une route nationale. Cependant, le Conseil d’Etat lui refuse toute indemnisation pour dommage résultant de travaux publics. En effet, les travaux publics visent à satisfaire l’ensemble de la communauté, à laquelle le plaignant appartient. Pour prétendre malgré tout à une indemnisation, il faut parvenir à prouver que les travaux ont engendré une nuisance particulière, en démontant notamment l’anormalité et la spécialité du préjudice subi. Mais le gestionnaire de port peut aussi voir sa responsabilité engagée en raison des caractéristiques mêmes des ouvrages.

Dommages en raison des caractéristiques des ouvrages

Le gestionnaire de port doit subordonner l’accueil des navires aux caractéristiques de ses ouvrages (A), assurer un fonctionnement normal des installations (B), et aménager l’espace portuaire de sorte qu’il ne présente pas de risques pour ses usagers (C).

Inadaptation des ouvrages aux caractéristiques des navires

L’autorité portuaire veille au libre accès des navires au port. Mais elle n’est pas tenue pour autant d’accueillir tous les navires, quelles que soient leurs caractéristiques. Le Règlement général de police dans les ports maritimes de commerce et de pêche s’exprime ainsi :

« L’autorité portuaire attribue le poste à quai que chaque navire ou bateau doit occuper en fonction notamment de sa longueur, de son tirant d’eau, de la nature de son chargement, des nécessités de l’exploitation et des usages et règlements particuliers ».

Commet donc une faute l’autorité portuaire qui accepte de recevoir un navire à quai, tout en sachant que le poste est inadapté. Voici ce qui se produisit pour les navires transbordeurs de la société British Railways Board. Ces bâtiments s’amarraient au poste n° 3 du port de Calais. Cependant, par suite de travaux, la forme du quai n’était plus adaptée à leur coque. L’administration, consciente du problème, avait prévenu les usagers de travaux à venir pour pallier ce défaut. Néanmoins, elle autorisa les navires à s’accoster et ils subirent des avaries dues aux chocs répétés de leur coque contre le quai en question.

En réponse aux doléances de l’armateur, le Conseil d’Etat statua que « le quai n° 3 de la gare maritime de Calais, affecté au service des navires transbordeurs, présentait un défaut d’aménagement de nature à engager la responsabilité de l’Etat».

Ce nonobstant, la responsabilité de l’autorité portuaire n’est pas systématique en cas d’ouvrages inadaptés. Ainsi, selon ce que rapporte une décision un peu plus ancienne du Conseil d’Etat, l’Officier de port avait-il autorisé l’accostage d’un navire, dont le tirant d’eau était supérieur à la profondeur du bassin, à la condition expresse que l’armateur mettrait en place des radeaux débordoirs pour le maintenir suffisamment éloigné. Moyennant quoi, le Conseil d’Etat jugea l’armateur seul responsable des avaries subies car « L’échouement du Pearl X (…) n’a eu d’autres causes que l’enlèvement des radeaux débordoirs » .

Il a même été jugé que l’impossibilité pour un navire d’utiliser certains bollards, d’un quai où il doit s’amarrer, constituait un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public. En l’occurrence, le navire « le Barfleur », amarré dans le port de Cherbourg, avait rompu ses amarres à la suite d’une tempête. La société BAI demanda réparation à l’Etat pour les avaries subies par son ferry. Elle estimait qu’elle n’avait pas pu renforcer l’amarrage du fait de la présence d’un train en attente de chargement. Stationné sur le quai, il l’empêchait d’utiliser les bollards internes. La  Cour d’appel administrative de Nantes statua effectivement « que les avaries (…) ont ainsi pour origine un défaut d’entretien normal de l’ouvrage public qui engage la responsabilité de l’Etat » . Mais ce cas se situe à la frontière du dysfonctionnement des ouvrages.

Dysfonctionnement des ouvrages 

Le gestionnaire de port peut également voir sa responsabilité engagée en cas de dysfonctionnement des ouvrages portuaires, comme les ponts, les écluses, ou les passerelles de transbordement. Selon ce principe le Conseil d’Etat condamne le Port autonome de Dunkerque à indemniser la société USINOR à la suite de l’immobilisation de ses navires en raison de la fermeture inopinée de l’écluse «Charles de Gaulle » .

Ici, la perturbation entraîne un préjudice commercial. Mais un dysfonctionnement d’ouvrages publics peut également provoquer des dommages matériels. Ainsi le Conseil d’Etat condamne-t-il l’Etat à indemniser l’armateur du chalutier « l’Hiver » des avaries subies par son navire qui s’était échoué dans le bassin « Duquesne » du port de Dieppe . Il avait été victime du blocage de l’un des vantaux de la porte-écluse, qui permettait d’assurer le maintien à flot du bassin à marée basse.

Le gestionnaire de port peut cependant mettre hors service des ouvrages portuaires pour des raisons techniques, économiques ou juridiques sans engager sa responsabilité. Cette mesure lui évite, au reste, d’encourir les reproches d’entretien insuffisant ou de défaut d’aménagement. Ce dernier point relève encore des caractéristiques des ouvrages.

Défaut d’aménagement

Le gestionnaire de port doit aménager les ouvrages du port en sorte qu’ils ne présentent pas un risque démesuré pour les usagers. Si elle maintient en exploitation un ouvrage portuaire dangereux elle en assume les risques. Dans un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes, les juges condamnent l’Etat à indemniser en partie la Compagnie Marocaine de Navigation des dommages subis par son navire « Midelt » lors du heurt du musoir du feu de la « Morgue », alors que le navire pénétrait dans l’avant-port de Dieppe avec un fort train de houle venant de l’arrière. La Cour considère en effet :

« qu’à l’endroit où il était implanté, ce musoir constituait un aménagement dangereux pour la navigation ; qu’il résulte également de l’instruction que les déchirures de la coque du « Midelt » ont été provoquées par l’appui du navire sur le sommet du rideau de palplanches du feu d’alignement , lequel n’était muni d’aucun dispositif de protection malgré les arêtes aiguës qu’il comportait ; que même si (…) le musoir du feu d’alignement n’est pas conçu pour recevoir des navires, son installation à proximité immédiate de l’entrée du port, réputée difficile en raison de son exposition aux vents dominants, aurait dû conduire l’administration à prendre des mesures destinées à éviter qu’un heurt involontaire de l’ouvrage puisse avoir de graves conséquences dommageables » .

Pareillement, par un arrêt ultérieur, la Cour administrative d’appel de Bordeaux condamne l’Etat à indemniser la Société navale de l’Ouest pour les dommages supportés par son navire, imputables aux chocs répétés de sa coque contre le quai. La juridiction motive sa décision en précisant :

« que les défenses flottantes disposées le long du quai (…) étaient en nombre insuffisant pour assurer la sécurité des navires dans des conditions de tempête comme celles rencontrées (…) que, dès lors, l’Etat qui est tenu de fournir aux usagers du port des installations conformes à leur destination, n’apporte pas la preuve de l’entretien normal de l’ouvrage public » .

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 – LA RESPONSABILITE DE L’AUTORITE CHARGEE DE LA GESTION DU PORT
Chapitre 1 – Dommages de travaux publics
Chapitre 2 – En raison de l’exercice des pouvoirs de police
Chapitre 3 – Le régime de responsabilité civile dans les ports maritimes
PARTIE 2 – PARTAGE ET EXONERATION DE RESPONSABILITE POUR L’AUTORITE GESTIONNAIRE D’UN PORT
Chapitre 1 – La faute du capitaine ou de l’équipage
Chapitre 2 – La force majeure
Chapitre 3 – Les actions contentieuses
CONCLUSION

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