LA CRISE POLITIQUE COMORIENNE DE 1975 À 2002
La vie politique des Comores de 1975 à 2002 a été marquée par une épreuve de nombreux troubles depuis la déclaration unilatérale de l’indépendance le 6 juillet 1975 à la disparition de la République Fédérale Islamique des Comores en 2001. En effet, cette période a été ponctuée par des institutions fragiles et complexes : coups d’État , dictature, administration territoriale et administrative insuffisamment compétente et souvent corrompue. Ces pratiques s’inscrivent sur trois registres couvrant cette période d’instabilité : de 1975 à 1978 correspondant à la révolution, celui de 1978 à 2001 reposant sur le fédéralisme et le dernier de 2001 est celui de l’Union des Comores. Cette dernière a été créée dans un contexte houleux en 2001 suite à la crise séparatiste des îles d’Anjouan et de Mohéli de juillet 1997 condamnant les pratiques contraires à la bonne gouvernance territoriale du pays à tous les échelons.
Cependant, dans ce nouvel ensemble Comorien, la « large autonomie » fondée sur une souveraineté constitutionnelle a été accordée aux îles comme les grands États fédéraux tels que : les USA ou le Canada. Cette « large autonomie » devient très vite une déception car les partages des prérogatives ont plongé le pays dans des conflits de compétences. Dans cette optique, notre analyse se limite à Anjouan où se focalise notre terrain de recherches en mesurant l’évolution de l’organisation territoriale depuis 1975 à 2004.
UNION DES COMORES COMME UNE NOUVELLE ENTITÉ POLITIQUE
De 1975 à 2004, trois périodes en différentes législatures consacrent chacune son mode de gouvernance territoriale. D’abord le premier concerne la période révolutionnaire de 1976 à 1978, ensuite le second la République Fédérale Islamique Comores de 1978 à 2001 et en fin le troisième, celle de l’Union des Comores depuis 2001 à nos jours. L’évolution chronologique nous a permis de bien comprendre les origines de l’échec de la gouvernance territoriale, si elle en résulte des institutions ou des hommes.
De l’État unitaire à la disparition de la République Fédérale Islamique des Comores de 1975 à 2001
Cette période marque deux phases opposées : celle de l’État unitaire fortement déconcentré d’Ali Soilihi dite révolutionnaire du 02 Janvier 1976 au 13 Mai 1978 et celle du Fédéralisme de 1978 à sa disparition en 2001. La première a modifié la structure administrative en plaçant des technocrates et en supprimant la hiérarchie au niveau socioculturel afin de progresser le pays vers le développement. Par contre, la deuxième s’est penchée sur une décentralisation effective, abandonnée dans sa phase embryonnaire provoquant de changements constitutionnels et institutionnels qui a désorganisé le pays. Cette situation a eu comme répercussion la crise séparatiste des îles d’Anjouan et de Mohéli en Juillet 1997, conduisant la disparition de la République Fédérale Islamique des Comores en 2001.
Des bonnes reformes d’organisation territoriale du 3 août 1975 brutalement interrompue par le coup d’État du 13 Mai 1978
Le 6 juillet 1975, Ahmed Abdallah, Président du Conseil de Gouvernement en exerce pendant la période de l’autonomie interne proclame l’indépendance unilatéralement. Dès le 3 Août, en espace d’un mois, il y eut un coup d’État dont Ali Soilihi est l’ instigateur. Ce dernier a mis en place des changements profonds dès la prise des fonctions du Président, le 02 Janvier 1976, visant à promouvoir la progression du pays vers le développement. Ces changements ont touché l’administration en mettant en place des technocrates aux commandes des structures administratives.
La réforme administrative
La mise en place de nouvelles institutions territoriales par la création de nouvelles structures d’administration s’explique par la nécessité pour le jeune État révolutionnaire comorien de se trouver représenté dans les collectivités organisées sur l’ensemble du territoire national sur des nouvelles bases pour assurer son développement. Sur ce principe, Ali Soilihi met en place une politique révolutionnaire dont le premier objectif est de reformer les institutions coloniales en disant : « La réforme fondamentale concerne 1’administration elle-même car l’archipel n’a pas eu la chance d’en avoir au sens propre de ce mot (…..). L’administration s’arrête aux dernières maisons des chefs-lieux (Moroni, Mutsamudu, Dzaoudzi, Fomboni) en dehors il n’y a rien. Face à cette situation d’un appareil administratif trop centralisé d’héritage colonial. (…..) . Le premier objectif c’est donc de faire en sorte que l’administré fasse le moins de distance possible pour la satisfaction de ses besoins administratifs. Il faut que l’État soit plus densément représenté dans la population de manière à ce que soit activée la préparation psychologique..» .
En traversant les îles de l’Union des Comores, la politique organisationnelle de ce régime se lit sur le paysage avec des constructions bien équilibrées sur l’espace. En effet, ces constructions ne privilégient pas des grandes villes ou des gros villages mais elles reposent sur la notion d’équilibre en tenant compte de la distance .
Des technocrates aux commandes des entités territoriales dans un État unitaire fortement déconcentré
Par définition, le principe d’un État unitaire et déconcentré repose sur une double détention de pouvoir de décision, d’une part, par les autorités administratives centrales et d’autre part, par les représentants de celles-ci répartis sur le territoire. Ces derniers sont les agents de la déconcentration. Tous les responsables détenant des pouvoirs à tous les échelons servent d’antennes de relais pour le Gouvernement central et appartiennent à la même personne morale. Le régime Soilihi, procédant à la déconcentration et à la nomination de technocrate dans les administrations s’explique par sa volonté d’avoir une administration compétente et efficace, à ses yeux différents de celle de la période coloniale. C’est, implicitement, la recherche d’une bonne gouvernance qui a motivé cet appel à ces ressources humaines qui sont les technocrates.
En effet, les dirigeants de la période révolutionnaire ont affirmé que le favoritisme a nui le pays. Ils ont souligné que des familles de nobles et de grands notables ont été promues à des postes clés, tandis que les cadres compétents n’ont eu que les tâches subalternes. Fort de ces convictions politiquement à gauche, le Président Ali Soilihi a dissout la fonction publique. Et il a exigé que l’on procède à un nouveau recrutement qui rejette le clientéliste du passé et qui se fonde sur la capacité technique et professionnelle des candidats. Dans ces circonstances, le régime a recruté un personnel qualifié capable de rassembler des données, d’effectuer de recherches sur les problèmes de manière à aboutir à une politique rationnelle, et une administration performante en mesure de répondre aux besoins du pays. Deux modes de nomination de responsable ont été utilisés : d’une part, les Mouhafidhs et les Liwalis ont été nommés par décret présidentiel ; d’autre part, les Moudirs et les chefs de Village ont été recrutés par voie de concours. Pour la Moudiria, le niveau de classe de 3ème a été requis. Par contre, pour les chefs de village, le concours a été basé sur une culture générale minimale. Le statut du village a été défini par un chiffre minimum de 100 habitants.
Il faut noter que ces mesures radicales ont été complétées par une redéfinition des compétences de chaque niveau territorial : Wilaya, Bavou et Moudiria. Elles sont préconisées principalement de l’ordonnance du 1er Janvier au 30 Juin 1976 et la constitution du 23 avril 1977. Ainsi, ce sage homme avait bien analysé la première prérogative à mettre en œuvre et de bien équilibrer l’espace. Sans lui, les milieux ruraux comoriens seraient quasi déserts. Car les écoles primaires, collèges, lycées ou postes de santé, qui existent actuellement, beaucoup remontent de cette période, malgré sa courte durée. Pour affirmer les tâches nobles du feu président Ali Soilhi, nous décrivons l’hommage dont Pascal Péri lui a rendu en disant : « un pouvoir plus Jacobin, Ali Soilihi fut incontestablement le premier élément à ce jour le dernier président Jacobin des Comores. Il fut à ce titre un Président républicain et révolutionnaire. Son héritage politique, quoi que l’on fort décrier à une époque et aujourd’hui réhabilitée on se prend même dans un certain cénacle à le regretter » . Malgré un homme soucieux de son peuple, le 13 mai 1978, un coup de force du père de l’indépendance, Ahmed Abdallah, dirigé par les mercenaires renverse ce régime. Cette chute va créer une nouvelle organisation politique reposant sur le fédéralisme.
Décentralisation abandonnée et iniquité du système fédéral pour les îles
Ce nouveau régime a mis en place un système fédéral prônant la décentralisation territoriale pour progresser le pays vers le développement en créant la République Fédérale Islamique des Comores. Cette décentralisation qui a retenu deux niveaux de collectivité territoriale chacune de trois îles d’une part et les communes à la base d’autre part a été garantie par trois constitutions successives. Malgré cette garantie constitutionnelle, la décentralisation a échoué. Car les dirigeants politiques qui se sont succédé n’ont pas appliqué équitablement ses principes. Cette iniquité dans la mise en œuvre de la décentralisation a provoqué des frustrations dont le paroxysme a été les mouvements séparatistes qui se sont déroulés à Anjouan et Mohéli en 1997.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : LA CRISE POLITIQUE COMORIENNE DE 19750 À 2002
CHAPITRE I : UNION DES COMORES COMME UNE NOUVELLE ENTITÉ POLITIQUE
1. De l’État unitaire à la disparition de la République Fédérale Islamique des Comores de 1975 à 2001
2. L’Union des Comores : une solution à la crise ?
CHAPITRE II : ANJOUAN : ESPACE D’INQUIETUDE DEPUIS 2002 à 2006
1. Conflits institutionnels au niveau des Comores
2. Incertitude et complexité de l’organisation territoriale
Conclusion de la première partie
DEUXIÈME PARTIE : LA DYNAMIQUE ACTUELLE EN COURS À ANJOUAN DEPUIS 2004 A 2006 : HANDICAP ET PROMESSE
CHAPITRE III : UN LOURD HANDICAP DE LA LARGE AUTONOMIE d’ANJOUAN DEPUIS JUSQU’À 2004
1. Des collectivités territoriales décentralisées à problèmes
2. UNE SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DÉSASTREUSES
CHAPITRE IV : LES BONNES PRÉMICES D’UNE NOUVELLE DYNAMIQUE
1- Gestion plus rigoureuse d’Anjouan
2. Meilleure réorganisation des collectivités territoriales décentralisées anjouanaises
Conclusion de la deuxième partie
CONCLUSION
REFERENCE BIBLIOGRAPHIQUE
ANNEXES