Univers des dieux
Cet univers est bien hiérarchisé et reparti en différents espaces où règnent les différentes divinités. Chez les grecs, on parle de l’olympe où règnent Zeus, le roi des dieux a l’image de l’Etre –Suprême dans Doguicimi, puis les divinités secondaires qui règnent dans les différentes espaces de la nature (mer, terre, montagne, enfers). Cette organisation et ce règne des dieux dans leurs milieux ainsi que leurs fonctions, nous les verrons plus bas dans le mythe. Pour l’instant, nous nous focalisons sur l’analyse des univers des dieux. Tout d’abord, il faut rappeler qu’il y’a des dieux de natures comme nous l’avons démontré, mais aussi des personnages divinisés. C’est-à-dire les mânes des ancêtres qui dorent sous les ombres de la mort. Dans Doguicimi, l’accent est mis sur les personnages divinisés et sur les dieux actifs et régnants sur les espaces de la nature dans l’Odyssée. L’analyse qu’on peut faire de ces divinités ainsi que leurs cadres de vie, est notre piste à suivre dans l’étude de cette partie. Ã l’opposé d’Homère, Hazoumé n’a pas pris le soin de nous décrire le monde des dieux. Par contre, il nous renseigne sur la manifestation des ancêtres qui se fait moyennant les sacrifices ou les libations ou par consultation de l’oracle. Dès le premier chapitre de Doguicimi « les projets de guerre », Guézo le roi, veut entreprendre une guerre contre Hounjroto pour venger la mémoire de ses amis blancs tués à kinglo. Et c’est dans les prises de décisions importantes lors des préparations de guerres et des fêtes de coutumes que l’on ressent et voit même l’intervention des personnages divinisés. Et voilà que dans les projets de faire la guerre, ces personnages interviennent et donnent conseil et avis pour la campagne projetée : « Le devin arriva bientôt à la suite d’Ajaho. Le destin consulté déconseilla la campagne projetée. Interrogé à plusieurs reprise, sur ce qu’il voyait, le destin répondait invariablement : les ancêtres s’opposent à la guerre et menacent de défaite si on les désobéit». Delà, il se rapproche de l’Odyssée ou quelques fois des sacrifices en l’honneur d’un dieu pour obtenir de lui grâce et bénédiction et qu’il répond favorablement à la demande des hommes. Ulysse, pour se rendre à l’Adèse (dans les enfers) consulter l’ombre du défunt Tirésias, le devin aveugle a fait des sacrifices sanglants. Et le personnage divinisé apparait et donne conseil à Ulysse dans des perspectives à suivre pour bien mener son navire en Ithaque sans grand problème : [ …]Aussitôt qu’échappés à la mer violette, ton solide vaisseau mettra sur les ports de l’ile du Trident, vous trouverez passant les vaches du soleil et ses grâces brebis : c’est le dieu qui voit tout qui tout entend !respectez ses troupeaux, ne songe qu’au retour et je croix qu’en Ithaque, à travers tous les maux, vous rentrerez encore ; mais je te garantis, si vous les maltraitez, que c’est fini de ton navire et de tes gens ;tu pourrais t’en tirer et revenir, mais quand ?…et dans quelle misère !tout tes hommes,, sur un vaisseaux d’emprunt La divination des personnages le plus souvent des rois, des ancêtres et des êtres chers qui nous ont quittés n’est pas sans grand intention chez les auteurs. Ce qu’ils veulent, c’est de les rendre immortel moyennant la littérature. Dans les œuvres du corpus, les auteurs l’ont réussi en les rendant actants, et les faits intervenir dans la vie de tous les jours. Dans Doguicimi, « ils s’opposent à la guerre et menace de défaite ». Pareillement dans l’Odyssée, le devin Tirésias invoqué dans l’empire des morts, intervient et donne conseil à Ulysse pour qu’il puisse rejoindre son Ithaque où il règne en lui défendant de toucher les vaches du soleil sous peine de rejoindre Ithaque qu’après avoir enduré beaucoup de maux et en perdant son équipage et tous ses compagnons. Rendre vivifiant et immortel nous l’avons dit était le souci de nos auteurs en faisant des morts des personnages divins. L’immortalisation des personnages, nous le reconnaissons chez d’autres auteurs dont l’exploitation de quelques extraits fortifiera notre analyse. Birago Diop dans Souffle à la même conception de l’immortalité et l’a bien démontré dans son poème :
Ecoute plus souvent
Les choses que les êtres
La voix du feu s’entend,
Entend la voix de l’eau Ecoute
le Buisson en sanglots :
C’est le souffle des ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’ombre qui s’épaissit.
Les morts ne sont pas sous la terre :
Ils sont dans l’arbre qui frémit
Ils sont dans le bois qui gémit,
Ils sont dans l’eau qui coule,
Ils sont dans l’eau qui dort,
Ils sont dans la case, ils sont dans la foule :
Les morts ne sont pas morts […]
Le titre même de l’extrait « Souffle », est une négation à la mort. Et tant qu’il y’a souffle, il y’a la vie. Donc dès l’intitulé, l’auteur rejette toute idée de mort définitive, c’est-à-dire, qui est enfermé dans les carcans du néant. L’impératif « écoute », attire notre attention sur deux éléments : « les choses »et « les êtres » qui sont les éléments constitutifs de la nature. La voix qu’il prête aux différents éléments de la nature « feu », « Eaux », « vent », « Buissons », «Ombre », « Bois », « Case » et « Foule », et une voix humaine puisqu’il le dit « c’est le Souffles des ancêtres ». C’est-à-dire que les morts ne sont pas disparus mais leurs âmes s’en volent et se confond dans les éléments de la nature d’où cette énumération anaphorique dans les vers 12,13, 14, 15, et 16. Le présent de l’indicatif transversal dans cet extrait immortalise les morts et leur redonne souffle et vie au lieu du passé qui leur jetterait dans la fin éternelle et dans l’oubli définitif. Bref, les morts ne sont pas disparus pour de bon, mais leur âmes restent parmi nous comme le dit le vers V8 : « ceux qui sont morts ne sont jamais partis. Cette conception biragorienne de la mort et également celle de Senghor dans ce qu’il appelle « l’âme négre » et dans sa fameuse citation qui lui a valu des critiques sans réserve : « l’émotion est négre, comme la raison et hellène», pour nous montrer tout simplement l’attitude du négre plutôt ému que rationnelle devant la nature, puisqu’il est conscient de cette transposition de l’âme du corps vers la nature que nous appelons la mort.
La satire des mœurs
Dans toutes les civilisations, occidentale ou africaine, les hommes sont regroupés en communauté autour d’un certain nombre de croyances ou de pratiques. Sur le plan croyance, l’existence de la pluralité des dieux, chez les Grecs et chez les Africains notamment, invite à voire les croyances primitives et le polythéisme singulièrement. Cette croyance traditionnelle est intrinsèquement liée avec un certain nombre de pratiques sociales telles que les coutumes et les mœurs ancestrales ; lesquelles pratiques qui font l’objet de notre analyse. Toutefois, d’autres se détachent de la relation avec la croyance pour être appliquer à la seule volonté des personnages ou parfois relatives à l’organisation politique et sociale. Il s’agit alors de voir de façon concomitante les différentes mœurs et coutumes et l’esthétique mise en place dans une perspective de comparaison. En les parcourant de fond en comble, l’on voit nettement le point de jonction sur un élément de pratique sociale entre L’Odyssée et Doguicimi : le sacrifice. Cet acte est assez fréquent dans les deux œuvres mai leurs natures, leurs objectifs ainsi que les circonstances dans lesquelles sont faites peuvent se ressembler et se dissembler de part et d’autre. Dans Doguicimi, il est fait périodiquement et quotidiennement en l’honneur des divinités et des ancêtres, et dans L’Odyssée pour implorer la grâce et pour réparer le crime et pour éviter la colère de dieux. Dans le premier, la nature du sacrifice est plus hostile et plus horrible car il n’est pas que d’ordre animal comme dans le deuxième cas, mais aussi d’ordre humain. Il s’agit d’abord de sacrifice animal ou des offrandes. Il se fait à des fins biens précis. Cette pratique est très régulière dans les deux œuvres. Pour la plupart, ils ont cette même fonction d’implorer la grâce divine ou de demander une faveur aux divinités. Ulysse, le héros de L’Odyssée et Ghézo de Doguicimi n’ont point cessé de faire des sacrifices et des offrandes pour implorer les dieux. A l’assemblée des dieux dans l’Olympe, Athéna plaint pour le sort d’Ulysse et rappelle à Zeus les offrandes que ce dernier leur offrait et lui demanda en revanche de donner l’ordre à la nymphe Calypso de laisser Ulysse partir : Ton cœur, roi de l’Olympe, est-il donc insensible ? Ne fut-il pas un temps qu’Ulysse et ses offrandes, dans la plaine de Troie, près des vaisseaux d’Argos, trouvaient grâce à tes yeux ? […] Eh ! Comment donc oublierais-je jamais cet Ulysse devin qui, sur tous les mortels, l’emporte et par l’esprit et par les sacrifices […] Mais allons ! Tous ici décrétons son retour ! Cherchons-en les moyens ! Posidon n’aura plus qu’à brider sa colère […] Envoyons sans tarder jusqu’à l’île Océane, Hermès, le rayonnant porteur des messages et qui en toute vitesse, il aile révéler à la nymphe bouclée le décret sans appel sur le retour d’Ulysse. Ce genre de sacrifice (animal ou offrandes) se trouve accepté dans toutes les religions et plus particulièrement dans les religions révélées. Ce sont des actes recommandés et qui portent leurs fruits à celui qui daigne les faire dans des situations où il a besoin du secours des divinités d’où les bénéfices d’Ulysse aux plaidoiries d’Athéna. L’importance de ces sacrifices, sa valeur dans la vie de l’homme et son apport positif sans compromis et prise en considération d’abord par le procédé de l’anamnèse ou de la réminiscence qui consiste à se souvenir « ne fut-il pas un temps » car l’homme dans des situations difficiles sans solution et sans espoirs, a tendance à appeler Dieu à son secours et à tout remettre entre ses mains. Et l’intertextualité qui rappelle la guerre de Troie à l’issue de laquelle sans l’intervention des dieux invoqués par les sacrifices, les Grecs ne pourraient jamais réduire au néant la ville de Troie. Mais il faut noter que le sacrifice ne met pas les dieux dans l’obligation de rendre favorable la demande. Si les résolutions sont déjà prises, les sacrifices deviennent inefficaces devant leur volonté. C’est ce qui a entraîné la défaite dahoméenne lors de la première guerre contre Hounjroto. Les dieux n’étaient pas d’avis pour cette campagne. Mais Ghézo tout de même déterminé à mener la campagne, s’est livré à des offrandes dans l’espoir que les dieux agréeront sa demande. Il en est de même pour Doguicimi qui après avoir perdu tout espoir du retour de son mari, retourne vers les dieux pour demander le retour de son ami. Elle se livre à des offrandes et à des sacrifices pour que les dieux puissent rendre favorable son retour. L’importance de ce sacrifice est aussi mise en valeur par le choix des personnages qui sont devant une situation qui fait appelle à une nécessité de faire des sacrifices. Dans L’Odyssée et dans Doguicimi ceux sont les personnages premiers de la haute aristocratie : Ulysse et Ghézo. Leurs actions sont toujours motivées par la demande de faveur chez les divinités. Même si les situations dans lesquelles ils se retrouvent sont différentes, mais toujours est-il que la nature des sacrifices reste les mêmes (animaux et offrandes) et sont indiqués par la voix d’une divinité secondaire dans l’Odyssée, et par la voix de l’oracle et des féticheurs dans Doguicimi. Voyons d’abord dans le premier cas : Quand je fais la prière et l’invocation aux peuples des défunts, je saisis les victimes ; je leur tranche la gorge sur la fosse, où le sang coule en sombre vapeur et du fond de l’Érèbe, je vois se rassembler les ombres des défunts qui dorment dans la mort : femmes et jeunes gens vieillards chargés d’épreuves, tendre vierge portant au cœur les premiers, deuil, les guerriers tombaient en foule sous le bronze des lances. Ces victimes d’Arès avaient encore leurs armes couvertes de leur sang. En foule accouraient à l’entour de la fosse, avec des cris horribles. Je verdissais de crainte. Mais je presse mes gens de dépouiller les bêtes. Ce type de sacrifice est accepté par tous du fait qu’il est relativement lié à une croyance religieuse marqué par les mots, « prières » et « invocations » et par le fait qu’il est typiquement animal et offrande et qui ne dénote aucun caractère réprimandable, mais plutôt vénérable. Ce dernier caractère, lui est conféré par les champs lexicaux du sacré : « prière », « invocation », « défunts », « deuil », « sang » et par la puissance même du sacrifice puisque susceptible de faire réagir ceux qui sont au-delà du monde des humains, et les merveilles ajoutées aux sacrifices qui permettent la réapparition des morts et qui seront interrogés par Ulysse un à un dans les lignes suivantes de cet extrait. L’énumération des catégories de personnes mortes, montre que les sacrifices peuvent faire réagir tous les morts sans exception et même les dieux de la haute hiérarchie sans exagération. Cette même lecture faite dans le premier cas peut être également celle dans le deuxième cas. Pour mieux asseoir l’idée de la nature et de la fonction identique des sacrifices animaux et offrandes dans les deux œuvres. Voyons dans ce deuxième cas : Cinq jours furent consacrés à procéder aux sacrifices indiqués par les devins et aux prix desquels la victoire était garantie aux Danhomênous. Tous les ancêtres reçurent des offrandes avec prière de protéger l’armée du Danhomê. Le roi offre des sacrifices à tous les fétiches d’Agbomê ; il envoya ensuite à Yévogan sept bœufs qui seraient immolés aux sept principaux fétiches protecteurs du Danhomê et adorés dans la province maritime. Ces sacrifices, il faut le redire sont faits dans des circonstances différentes. Mais leur nature et leur fonction restent toujours identiques, dont le seul but est d’obtenir la faveur ou le secours des dieux et qui par conséquent se sont soldés par des réponses parfois positives ou négatives. Toutefois, à côté des sacrifices animaux, existe des sacrifices humains. Dans les civilisations de l’Afrique traditionnelle, et chez les peuples helléniques, les sacrifices humains sont motivés respectivement et pour la plupart du temps par des événements rituels, et par la demande exigeante des dieux. Dans le premier cas, on le note dans Doguicimi de Paul Hazoumé. Il s’agit là, dans comme l’indique l’intitulé du chapitre IV « la grande fête des coutumes ». Et chez Homère, cela est exigé par le courroux d’un dieu que nous verrons plus tard. Dans le premier, c’est à l’occasion des grandes fêtes organisées pour célébrer la gloire des anciens rois défunts et lors des préparatifs même des fêtes. Chaque sacrifice humain a une fonction bien déterminée. S’agissant de ceux journaliers, ils consistent à implorer une journée paisible, clémente et heureuse à la divinité matinale « l’aurore ». Cette fonction se justifie à travers les propos de Migan, le justicier, le cimeterre de la cour chargé d’exécuter les victimes. Après avoir saisi sa victime et lui sépara la tête du corps, voilà ce qu’il dit pour justifier le sacrifice « la figure de l’aurore a été bien lavée ; elle ouvrira bientôt au soleil : l’abondance du sang fait augurer une heureuse journée. » Dans ces coutumes, chaque sacrifice humain a une fonction ou que la victime est chargée d’une mission au pays des morts. Rappelons que le Danhomê s’était investi à une campagne contre Hounjroto qui s’est sanctionnée par une défaite. Ce n’est que quelque temps après que se sont organisées les fêtes des coutumes. Sous peine d’être attaqué le jour même des fêtes, les féticheurs indiquèrent loin de la cour des sacrifices humains susceptibles d’immobiliser les ennemis lors des fêtes. Et la plupart des victimes sont des captifs de guerre. Voyant la scène de sacrifice qui consiste à faire taire la haine des ennemis durant les sept jours de fête : Débarrasser des liens qui ligotaient les bras sur le dos, le captif s’aplatit docilement dans la poussière sur les ordres du ministre, la tête vers le pays « Nago », les membres écartés. D’un coup de massue, le victimaire cacha un bras à la victime puis le second, une jambe ensuite, l’autre à la fin […] En disant : tous les Nagonous, ennemis du Danhomê, sont incapables de prendre des armes pour combattre le royaume d’Houégbadja durant nos fêtes. Les ancêtres du Danhomê qui sont sous la douceur de leur sommeil par de-là du monde sensible, ont une vénération et une considération totale au regard de tous les Danhomênous. Ils ont des relations avec les vivants et participer à la vie de tous les jours puisqu’ils sont incessamment invoqués et leurs points de vue dans les actions des hommes sont révélés par la voix de l’oracle. De ce point de vue, ils se doivent d’être au courant des activités des hommes et surtout ceux qui sont faites pour célébrer leurs gloires passées. C’est ainsi que lors des préparatifs des fêtes de coutume, le cimeterre décide d’envoyer un messager au pays des morts pour avertir les ancêtres sur la fête élevée en leur honneur et gloire qui ne mérite pas de tomber dans l’oubli : « redressé vis-à-vis du Mahinous agenouillé face à Ayizan, le victimaire lui saisit les cheveux et lui dit : Toi, vas porter cette nouvelle au pays des morts ! Le cimeterre passa rapide à gauche. La tête du Mahinou tranchée net éclaboussa de sang le fétiche au-dessus duquel Migan la tenait ». Doguicimi est un roman historique qui met en son centre, les mœurs, les coutumes, la tradition, et le système commercial du peuple dahoméen en un moment très éloigné de son histoire comme le montre déjà la partie avertissement : « cette œuvre qui traite les mœurs et coutumes de l’ancien royaume du Dahomey est une ébauche de peinture d’une race conquérante en un tournant de l’ histoire de ses guerres et de ses sacrifices humains qui lui avait fait dans le monde civilisé, une triste célébrité de barbarie. » Mais la période de publication (1938), le met au contact de la civilisation qui ne peut que lui porter un regard déprécié et un jugement féroce. C’est partant de ce point de vue que notre analyse sera orientée vers une écriture de la satire des mœurs. Dans les pratiques courantes du Danhomê, le sacrifice humain est l’objet de la satire. Pour mieux dénoncer, l’auteur met en scène cette fois-ci contrairement aux captifs exécutés directement sans ouvert la bouche pour protester, une scène d’adversité non pas au sens d’affrontement physique du terme, mais au sens verbal du terme. Le sacrifice humain consiste pour la plus part à porter un message au pays des morts. La scène met en dialogue un captif désigné pour ces délicatesses, le cimeterre Migan, et le roi Guézo, le plus vénéré de la cour. Et de la bouche du désespéré qui voit sa mort irrévocable que découlera toutes les remontrances sur les pratiques barbares à travers les procédés de la satire que l’auteur emploie pour tourner en dérision ce qui parait à ses yeux de véritable animosité. Analysons quelques extraits de cette scène de dialogue : Face au Mahinou qui se trouvait être maintenant le premier de la ranger, Migan, qui aller le charger de message, pour les ancêtres du roi, lui demanda de sa terrible voix : comment te nommes-tu ? […] il tourna vers Guézo, une face brillait, des yeux pleins de colère, et lui lança : je me nomme, étanche- ta soif- de- sang. Dans cette scène de dialogue, le plus important reste les mots du captif. Par la réplique insolente, et ironique du Mahinou, sans égard au roi, encore moins au cimeterre, est une insulte et une blasphème à cette pratique barbare de sacrifice humain, une insulte au roi, à la tradition et à la coutume elle-même. Ces insolences en présence du roi, le plus vénéré, et le cimeterre, la figure de la terreur même, est un mépris et une stigmatisation de la barbarie dans les mœurs du Danhomê. Elle est ironique au sens que ce qu’elle veut faire entendre, n’est vraiment pas son nom, mais ceci : satisfaites votre coutume de barbare par le sang humain.
Allégorie de la sagesse
La sagesse, cette vertu de la morale, est aussi un des éléments loué par les auteurs du corpus. Elle occupe une place prépondérante dans la représentation des deux sociétés et de la psychologie en générale. L’Odyssée est le reflet de la civilisation de le Grèce antique et Doguicimi, la civilisation africaine et traditionnelle, et celle du Danhomê en particulière. Or les civilisations depuis la Grèce antique jusqu’à l’Afrique traditionnel n’ont jamais cessé de servir de modèle de vie dans le domaine des arts et des sciences etc. c’est dire que ces sociétés ont une certaine notoriété lié à la sagesse. Par conséquence, cette vertu va intéresser les auteurs dans les deux œuvres. Ils l’ont loué et élevé à un niveau supérieur pour son honneur, sa gloire ainsi que pour sa conservation. Hazoumé propose d’abord la protection de tout individu à cette vertu reconnue quelle que soit son âge et son appartenance sociale. Ainsi, lors des sacrifices humains, pour l’honneur des ancêtres pendant les grandes fêtes de coutumes, un Mahinous dont la sagesse est très vite descellée, sera immédiatement épargner par le roi qui va conseiller pareil acte à son héritier : Respecte la sagesse quelle que soit la basse condition de la personne en qui elle se manifeste. Voudrait- on t’en blâmer ? Invoque l’exemple de ton auguste père : il a gracié le Mahinous qui nous avait rappelé, dans la chanson dite le première jour que la vie réserve des mésaventures à celui qui n’est pas mort dans l’enfance. « Il a dit vrai ce sage Adanzan et ses filles avaient-ils prévu leur sort ? Moi-même sais-je ce que le destin me réserve ? L’esthétique proposée par les auteurs, a su bien prendre en considération un travail élogieux réservé à cette vertu de la morale. Cette esthétique nous l’avons annoncé au titre, est la représentation concrète et imagé par les éléments descriptifs d’une idée abstraite. Suivant la logique de cette définition, l’image qui représente cette vertu dans les deux œuvres, est la figure de la personne elle-même. Il est vrai que ce n’est pas tous les personnages qui sont les figures allégoriques de cette vertu. Dans les œuvres du corpus, ceux sont d’abord les personnages de la haute distinction. Les deux auteurs se rejoignent en un point de vue commun que dans toutes les civilisations confondues, la personne du roi ou le père de la nation pour faire allusion à la modernité doit être le parangon et ou l’incarnation même de la sagesse. Ainsi, Ghézo et Ulysse sont respectivement dans Doguicimi et dans l’Odyssée les figures emblématiques de cette vertu. La sagesse se manifeste différemment chez les personnages. Ghézo est quelque fois présenté comme le précepteur qui enseigne à son futur successeur les leçons de bonne gouvernance. Son discours révèle toute sa psychologie et sa sagesse en particulière puisqu’il n’hésite pas de montrer à son héritier le tout sage qu’il est et qu’il doit transmettre : «Tu es appelé à gouverner ce peuple dont tu as vu, ces jours deniers tous les types d’assemblées par nos fêtes autour de mon trône. Ces fêtes ont été semées d’incidents regrettables pour le commun des mortels, mais riches d’enseignement pour les esprits supérieurs comme les nôtres. » Pour bien mettre en valeur le personnage du roi, comme la vrai figure allégorique de la sagesse, Hazoumé fait une inversion des rôles. Dans les sociétés traditionnelles et a l’exemple de Soundjata ou l’épopée manding, le griot est le précepteur, c’est lui qui connait l’histoire, la tradition, les coutumes, et mœurs, et les institutions etc. Donner tous ces attributs au roi, c’est de faire de lui, le dépositaire et le concept matériel de l’idée abstraite de la sagesse que nous révèle sa conscience dans son discours : Le Danhomê n’est qu’une connaissance approfondie de l’âme très complexe et mystérieux des Danhomênous. Cette connaissance n’est acquise par le prince qui a pénétré dans très fond du passé, des coutumes et des institutions de ce royaume. Je n’attendrais pas longtemps pour t’y promener […] Donc la connaissance de la nature humaine te guidera plus sûrement que l’oracle dans le gouvernement de ce pays, si tu peux y ajouter l’enseignement des traditions des ancêtres que tu es appelé à remplacer.
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Table des matières
NTRODUCTION
1ᵉͬ PARTIE : L’UNIVERS DE LA FICTION
Chapitre I : UN ESPACE DIVISE
1-1 L’UNIVERS DES DIEUX
1-2 LE MONDE DES HUMAINS
Chapitre II : ECRITURE DES PRACTIQUES SOCIALES
2-1 LA SATIRE DES MŒURS
2-2 LITTERALITE DE LA RUSE
2ᵉᵐᵉ PARTIE : L’ESTHETIQUE DE LA MORALE
Chapitre III : L’ELOGE LITTERAIRE DES VERTUS DE LA MORALE
3-1 ÉNONCIATION STYLISEE DE LE FIDELITE
3-2 ALLEGORIE DE LA SAGESSE
Chapitre IV : LA STIGMATISATION DES LIMITES DE LA MORALE
4-1 POETIQUE DE LA JALOUSIE
4-2 LA RHETORIQUE DE LA HAINE
3ᵉᵐᵉ Partie : LA POETIQUE ENONCIATIVE DES EVENEMENTS
Chapitre V : UNE NARRATION DEBRIDEE
5-1 LES ANACHRONISMES NARRATIVES
5-2 LA POLYPHONIE NARRATIVE
Chapitre VI : L’OMNIPRESENCE DE L’ORALITE
6-1 LES FORMES DE L’ORALITE
6-2 LA PART DU MYTHE
CONCLUSION
Bibliographie
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