La représentation de l’angoisse existentielle dans le roman contemporain

« L’aventure de l’écriture » chez Le Clézio c’est la mise en récit de l’écrivain luimême, c’est également l’occasion d’élucidation de son propre mystère. L’écrivain met en œuvre des techniques éprouvées qui font de lui un romancier moderne, maître de son art, mais aussi engagé doublement dans le combat social et dans la recherche de techniques novatrices. C’est ainsi que l’auteur aborde des thèmes sociaux comme la condition humaine en s’interrogeant sur les principes et les valeurs de cette société moderne.

Écrit au début des années soixante dans le contexte de la guerre d’Algérie où les jeunes étaient susceptibles d’être envoyés au contingent et vraisemblablement dans une idée de refus, Le procès-verbal esquisse un signe d’autonomie envers l’ordre établi et une révolte face à l’absurde de la vie humaine. L’œuvre serait le témoignage d’une époque qui expose le malaise existentiel et la contradiction de cet individu contemporain comblé par la beauté d’une nature indomptable et écrasé par une civilisation frustrante et contraignante.

Notre étude porte sur la représentation de l’angoisse existentielle dans Le procèsverbal. La notion d’angoisse est perçue dans son acception comme « sentiment d’inquiétude morale ou métaphysique lié à la réflexion sur la condition humaine » . Notons que le thème de l’angoisse n’est pas tout à fait nouveau dans la littérature, c’est un leitmotiv qui a fait couler beaucoup d’encre surtout chez les philosophes de l’existentialisme comme Sartre pour qui « c’est dans l’angoisse que l’homme prend conscience de sa liberté » . La question de la liberté est aussi présente dans Le procèsverbal. Mais c’est surtout une liberté très « anarchique », trop naturelle. Il est question de montrer comment l’œuvre expose un modèle de personnage névrosé de la société dans laquelle le héros est tiraillé entre les émois d’une crise identitaire et la quête de soi et d’un idéal de liberté. S’agit-il ici d’une liberté inconditionnée que le héros reçoit en héritage dès son arrivée au monde ? Sommes-nous en face d’un paradoxe où l’homme reste seul dans la masse sociale où il est impossible d’être soi-même ? Est-il impossible d’échapper à la réalité sociale?

Dans Le procès-verbal, il semblerait que l’angoisse engage l’individu dans une épreuve. Á vrai dire, si cette épreuve est celle de la liberté alors elle pousserait le héros à l’isolement. L’isolement pourrait être donc une sorte de retour aux sources, une quête de soi, une recherche d’apaisement. L’œuvre serait une exploration de l’espace intérieur du refus et des contradictions. En somme, elle serait la dénonciation d’une société qui marginalise l’individu n’adhérant pas à ses règles.

Un monde absurde 

Le procès-verbal s’interroge sur le monde moderne, sur les valeurs de l’individu victime de la guerre et de la révolution fulgurante du machinisme. Considéré comme un « écrivain de la rupture, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, l’explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante » , Le Clézio met en place un nouveau départ, une signification qui ne se manifeste plus seulement par le mot, mais qui donne même la parole au silence . En effet, par la construction d’un monde où évolue un être extravagant avec un nom significatif Adam Pollo, le style novateur du procès-verbal dérange.

L’individu, à proprement parler, tente d’exister par tous les moyens possibles dans l’univers social caractérisé par le bouillonnement d’activités de toute sorte. Au cœur de son imaginaire critique, Le Clézio place un homme qui, par son prénom Adam, «est ici à la fois le premier et le dernier homme, celui que la folie, ou encore la volonté obscure de tenter une expérience extrême, isole du reste des vivants, change en vivant survolté devant qui le monde cède à la féerie et au cauchemar » , par ses propos, par sa dimension singulière, balise l’aventure. Premier homme selon la tradition biblique, Adam reste le dernier des vivants à redevenir poussière. Cette singularité qui fonde dans le paradoxe l’absurdité du personnage, soulève la question existentielle et l’aliénation de la civilisation.

La question existentielle

Le procès-verbal expose un monde nuisible. Nous pouvons lire à la page 219 « Procès-verbal d’une catastrophe chez les fourmis » s’agit-il du titre complet ? Défini par Le Larousse 1959 comme une « pièce établie par un fonctionnaire, un agent assermenté, et constatant un fait, un délit», Le Procès-verbal semble résumer l’œuvre entière de Le Clézio. A cette société qui révère la connaissance et s’y enferme, à ces hommes qui aménagent volontairement leur propre univers formaté fonctionnaire, mécanique et télé, à cette existence vouée à la répétition et au futile, l’auteur est irrémédiablement étranger. Á l’évidence, ce microcosme caractérisé par un grouillement humain permet de parler d’un monde absurde. Ainsi, se pose avec acuité la question de l’existence autrement dit le sens de notre présence au monde. L’existence est caractérisée par le rapport entre l’individu et les autres, d’une part, et le rapport avec soi-même comme auto-détermination, de l’autre. Normalement, ce monde doit être un lieu de protection où l’individu s’épanouit au sein de la communauté. Son existence prend en compte la présence des autres, mais il peut aussi éprouver un sentiment d’abandon, de solitude face au monde qui l’entoure.

Dans Le procès-verbal, l’individu est dominé par un sentiment de déréalisation qui est une perception de la réalité altérée de l’intérieur. Le sujet a le sentiment de vivre dans un état de rêve, désorienté, avec perte de repères dans le temps et dans l’espace. Ceux qui sont victimes de dépersonnalisation se sentent à côté de la vie, à côté du monde dans lequel ils évoluent, et ne peuvent que constater leur non inscription dans l’ordre symbolique où chaque sujet cherche à tisser son histoire. Si l’insécurité envahit la demeure de l’individu ou s’il éprouve un besoin de liberté que le milieu dans lequel il évolue ne cautionne pas, il se différencie de la masse pour suivre sa propre voie. C’est dans ce sillage qu’on parle dans notre étude d’une société réprouvée. Nous allons d’abord tenter de cerner cet aspect justifiant que la société mérite d’être désapprouvée. Ensuite, nous examinerons la vie refusée, dont le paroxysme se lit dans l’isolement. La vie contemplée et caractérisée par l’imagination, sera enfin la dernière pièce du puzzle.

Une société réprouvée

Le mot société est dérivé du latin socius qui signifie le compagnon, l’allié. C’est une notion qui s’oppose à hostis c’est-à-dire l’autre, l’étranger et même l’ennemi. La société est une pluralité d’individus. Mais, si cette condition est nécessaire, elle est cependant insuffisante. Entre ces différents individus, il doit y avoir un ensemble de relations. Ces relations peuvent être conjugales, parentales, sentimentales, amicales, de voisinage etc.… La société est un système régi par des normes qui déterminent le domaine du permis et de l’interdit. Il peut arriver que l’insertion sociale connaisse un échec. Dans ce cas, l’individu produit des comportements jugés anormaux. C’est dans ce contexte que les années soixante, qui ont vu naître Le procèsverbal, sont essentiellement marquées par une crise sociale caractérisée par la désillusion. Cette métamorphose sociale subséquente crée des personnages qui se différencient par souci de liberté. Le procès-verbal donne à lire une société moderne dans laquelle la notion d’individualité semble inexistante. Les pérégrinations d’Adam Pollo dans l’univers social permettent de voir le traitement des individus qui adoptent une conduite différente de celle imposée par le groupe. Il est victime des préjugés de la foule, devant la populace « personne ne répondit, mais quelques-uns hochèrent la tète en riant » .

Dès lors, les rapports entre l’homme et la collectivité se détériorent. Faute de ne pouvoir pas se réaliser dans le dedans social, l’individu est obligé de se structurer au dehors en tournant vers sa propre conscience. « Dans « un monde où les rapports sociaux sont, littéralement, des choses » , la conscience ne peut que se tourner vers elle-même, tout attendre d’elle-même, y compris le sens à donner au monde » . Ces propos donnent l’idée d’une société comme institution qui enferme l’homme. Dans cette quête de soi, la conscience intervient pour pallier les déficits du système social. L’individu devient prisonnier de son être, se noie dans l’imagination et parfois même sombre dans la folie pour échapper à la réalité sociale. Nous sommes en face d’une société intolérante qui hait ce qu’elle ne comprend pas, une société boulonnée qui méprise le concept d’individualité comme étant une autonomie : une prise de conscience personnelle.

Néanmoins, Le Clézio prône une société desserrée dont chaque membre se heurte à des questions et n’attend la réponse que de lui-même. Adam est le prototype de cette forme sociale. Il incarne une liberté « trop naturelle » qui va au-delàs de l’univers social. Et cette liberté justement étant impossible devient en quelque sorte une réussite par le simple fait qu’elle donne des orientations sur ce qui pourrait être l’idéal d’une existence libre. Ce personnage, comme la plupart des personnages lecléziens, vit au sein de la nature. Adam préfère vivre en marge de la société et en dehors de tout ordre social et finit par fuir tout ce qui menace sa liberté pour atterrir dans un monde où il ne subirait aucune contrainte. Nous pouvons aussi noter le personnage de Lalla dans Désert qui s’inscrit dans ce sillage. Elle refuse toute forme de vie moderne, toute civilisation et vit en marge de la société, dans la nature. Pour Le Clézio, le monde moderne est synonyme de contrainte : tout y est machinal. Même la tendresse et l’affection deviennent machinales. Il faut donc chercher un refuge, un nouvel ordre. Les personnages entretiennent des relations privilégiées avec les éléments de la nature pour accéder à une solitude meilleure.

Malgré les progrès scientifiques, sociaux et culturels, la société moderne est submergée par la colère et la violence. De ce fait, elle constitue une entrave à la liberté et à l’épanouissement de l’individu. Dans L’inconnu sur la terre, il note que «la société [nous] enseigne tellement la ressemblance, la médiocrité, la faillibilité d’autrui. La société, c’est-à-dire l’argent, les jouissances, les passions et les paroles inutiles, la possession» . Le Clézio engage une véritable révolution culturelle qui dénonce une société jugée aliénante, répressive et étouffante. Comme l’a montré Arthur Schopenhauer, la société est bâtie sur la contrainte.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
1. PARTIE 1 – UN MONDE ABSURDE
1. 1 LA QUESTION EXISTENTIELLE
1.1.1 UNE SOCIETE REPROUVEE
1.1.2 LA VIE REFUSEE : L’ISOLEMENT
1.1.3 L’EXISTENCE CONTEMPLEE : L’IMAGINATION
1.2 UNE CIVILISATION ALIENANTE
1.2.1 LA CRITIQUE DE LA CIVILISATION OCCIDENTALE
1.2.2 L’ESPACE DESHUMANISE
2. PARTIE 2 – UN PERSONNAGE EN DERIVE : ADAM POLLO
2.1 UNE EXISTENCE MARGINALE
2.1.1 LA QUETE ANGOISSANTE ET ANGOISSEE DE SOI
3.1.2 L’ERRANCE
3.1.3 LA FOLIE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *