La topographie
ย ย Toute indication topographique ou toponymique a pour but de situer et de reprรฉsenter les endroits oรน se dรฉroulent les actions. Chez les romanciers, les espaces dans lesquels se dรฉroulent les actions sont des lieux rรฉels, รฉvoquรฉs par des noms prรฉcis ; certains sont urbains, dโautres ruraux. Mais il ne faut pas oublier que lโauteur ne dรฉcrit pas seulement des villes ou des campagnes. Il parle parfois des รฉlรฉments naturels, telles la terre ou la mer, des prรฉoccupations littรฉraires et idรฉologiques ร propos desquelles Henri Mitterand รฉcrit ยซ Le nom de lieu proclame lโauthenticitรฉ de lโaventure par une sorte de reflet mรฉtonymique qui court-circuite la suspicion du lecteur puisque le lieu est vrai, tout ce qui lui est contigu, associรฉ, est vrai ยป Lโanalyse topographique de ces deux romans nous mรจne ร une รฉtude plus approfondie des donnรฉes spatiales, qui selon le professeur Abdoulaye Berthรฉ : regroupent toutes les informations relatives ร lโespace, qui peut รชtre considรฉrรฉ comme tout ce qui est compris entre le ciel et la terre. En dehors des quatre รฉlรฉments de la nature (lโeau, lโair, le feu et la terre), la notion dโespace englobe les continents, les ocรฉans, les forรชts, les dรฉserts, les calottes glaciaires et tout ce qui y vit. A lโintรฉrieur des continents se situent les pays et ร lโintรฉrieur des pays, les villes et villages. Ajoutons ร cela tous les autres lieux oรน lโhomme vit et dรฉploie ses activitรฉs รฉconomiques (agricoles, halieutiques, pastorales, industrielles, commerciales, etc.) et ludiques (sportives, musicales, artistiques, etc.). Il faut prendre aussi en compte la flore (vรฉgรฉtation terrestre et aquatique) et la faune (animaux et oiseaux). Il sโagira de dรฉterminer les diffรฉrentes formes dโespaces relevรฉes dans ces rรฉcits et de montrer le procรฉdรฉ descriptif utilisรฉ pour leur reprรฉsentation. Comme beaucoup dโรฉcrivains, Sembรจne Ousmane privilรฉgie une esthรฉtique rรฉaliste. Il est un auteur qui a beaucoup fait recours aux donnรฉes spatio-temporelles, surtout lโespace, pour camper le dรฉcor de ses rรฉcits et leur donner de la contexture. On peut ainsi remarquer son enracinement dans le pays oรน il est nรฉ, puisque la majoritรฉ des actions de ses รฉcrits sโy dรฉroulent soit entiรจrement, soit en partie. Lโรฉcrivain affirme dans une interview ยซ Quand on crรฉe, on ne pense pas au monde en gรฉnรฉral, on pense ร son propre pays. ยป Sembรจne Ousmane privilรฉgie donc son cadre de vie en lโutilisant comme dรฉcor de ses รฉcrits. Cโest pourquoi, dans ses ลuvres, il fait de nombreuses rรฉfรฉrences ร lโespace vรฉritable en dรฉcrivant des sites et une topographie concrรจte dont on peut facilement trouver les noms sur une carte du Sรฉnรฉgal. Lโespace de ยซ OPMBP ยป se rapproche donc plus souvent de la rรฉalitรฉ de ces lieux quโil ne sโen รฉcarte, mรชme si la fiction est bien prรฉsente. Le roman dรฉroule toute son action en Afrique plus prรฉcisรฉment en Casamance. Aprรจs nous avoir prรฉsentรฉ le bateau, dans lequel se trouvait Oumar Faye en provenance de lโEurope, lโauteur nous fait la connaissance de la mรจre du hรฉros, Rokhaya qui sโindigne du fait que son unique fils รฉpouse une femme blanche du nom dโIsabelle. Sembรจne donne quelques dรฉtails gรฉographiques tels, la configuration de la maison, de la ville mais aussi des informations sur la vรฉgรฉtation, la fauneโฆIl prรฉsente aussi lโactivitรฉ principale de la famille qui demeure la pรชche. Des quartiers sont aussi รฉvoquรฉs, le port, les champs et le marchรฉ qui est leur centre commercial et le principal point de convergence des pรชcheurs, des commerรงants et des clients. A partir de cette topographie, le narrateur indique mais aussi informe sur la zone dโorigine de son hรฉros. Oumar รฉtait parti faire de la guerre en France comme beaucoup dโautres Africains. En donnant tous ces dรฉtails et ces indications prรฉcises dans la description des diffรฉrentes villes et quartiers, il essaie de maintenir lโillusion rรฉaliste qui consiste ร crรฉer un univers pareil ร celui dans lequel les individus รฉvoluent, faisant ainsi reflรฉter la rรฉalitรฉ dans ses ลuvres. TECCA est composรฉ de deux espaces : Dakar et Casamance. Il est vrai que ce qui nous intรฉresse cโest la Casamance, mais nous ne pouvons pas mettre ร cรดtรฉ Dakar car tout dรฉmarre ici. Le hรฉros anonyme y est prรฉsentรฉ comme un ratรฉ qui se lance dans beaucoup dโactivitรฉs (duplicateur de clรฉ, mendiant, voleur puis convoyeur dโarmes). Pour les donnรฉes gรฉographiques, le narrateur prรฉsente Ouakam, la Mรฉdina pour Dakar et ร Ziguinchor, il cite Boucott, Kagnobonโฆ Abdourahmane Ndiaye essaye de reprรฉsenter des villes, quartiers et villages qui se trouvent sur la carte du Sรฉnรฉgal, de mรชme que lโavait fait Ousmane Sembรจne. A travers les dรฉplacements ponctuels du hรฉros, lโauteur nous prรฉsente la population casamanรงaise, sa culture et sa tradition mais aussi leurs activitรฉs et tout son potentiel รฉconomique.
LโEspace physique intรฉrieur
ย ย Ce cadre relรจve parfois de la vie privรฉe des personnages du rรฉcit. Il sโagit des maisons, des concessions, des cases et chambres, des bureaux, de tout ce qui est clos. La description de cet endroit permet de mieux connaรฎtre les personnages dans leur intimitรฉ. En parlant de cet espace, nous pensons ร Michel Raimond qui dit que dรฉcrire une maison, une chambre ou un appartement, ยซ ce nโest pas seulement procรฉder ร un รฉtat des lieux avant que ne dรฉbute lโaction : cโest rendre le lecteur sensible ร la qualitรฉ dโune existence qui a modelรฉ ร son image lโespace dans lequel elle sโest accomplie. Il y a empreinte dโune vie dans lโatmosphรจre dโune maison, cโ est pourquoi les descriptions annoncent lโaction. ยปย Raimond nous fait comprendre que dans la description intรฉrieure dโune piรจce, il ne suffit pas de mentionner uniquement le matรฉriel mais il faut tenter en mรชme temps dโy poser lโempreinte des occupants. Ces lignes sont illustratives : ยซ A lโintรฉrieur, le bar servait ร la fois de salon et de fumoir pendant les averses. Le comptoir รฉtait fait de tiges de bambou, seule note ยซ exotique ยป de ce demi-palace tropical. Aux murs blancs et jaunes, รฉtaient accrochรฉs des panneaux publicitaires de syndicats dโinitiative, vantant les stations thermales et les villes touristiques de la mรฉtropole. A lโextrรฉmitรฉ du bar, un pick-up รฉtait posรฉ sur un tabouret et, pour complรฉter lโameublement, il y avait en outre un ping-pong et un billard russe. ยป OPMBP ; p.168. A travers un tel dรฉveloppement on pourrait identifier la catรฉgorie sociale ร laquelle appartient lโoccupant et connaitre plus intimement sa personnalitรฉ. Ce passage est aussi tรฉmoin car il nous montre clairement que les occupants de cette chambre sont des dรฉmunis : ยซ Cโรฉtait lร que demeurait la mรจre dโItylima. Une piรจce unique, qui servait de salle commune et de cuisine durant les heures de pluie. Une buche se consumait au centre, la fumรฉe piquait les yeux. Habituรฉ ร la demi-obscuritรฉ, Faye pouvait apercevoir des canaris de toutes dimensions, des calebasses en dรฉsordre encombrant la piรจce, une natte sur une petite รฉlรฉvation de terre battue paraissait servir de lit. Faye sโassit sur un cul de mortier, prรจs du lit. Le dรฉpรดt de fumรฉe sur les lattes de la toiture semblait une รฉpaisse couche de peintureโฆles parois au long desquelles รฉtaient accrochรฉes des grappes calcinรฉes de maรฏs, des cornes de tous gabarits, des queues dโanimaux ; le lit, composรฉ de lattes liรฉes par des laniรจres, รฉtait posรฉ sur quatre pieux fourchus, enfoncรฉs dans le sol. Des peaux sรฉchรฉes servaient de matelas et de couverturesโฆ ยปOPMBP ; pp.104- 105. ยซ Cette unique piรจce ยป sert ร la fois de chambre ร coucher et de cuisine, dโoรน les traces de ยซ fumรฉe sur les lattes de la toiture. ยป Les maisons oรน lโon remarque des taules de zinc, des pailles… ressemblent plus ร des abris de gens pauvres quโร des concessions. Nรฉanmoins le narrateur insiste sur lโexpression ยซ maison ยป comme pour signifier que malgrรฉ le dรฉnuement de ces lieux, ils demeurent quand mรชme des maisons. Comparรฉ au cercle europรฉen (des Blancs) qui est รฉpanoui et rayonnant, le quartier des Noirs est misรฉrable. Que ce soit ร Ziguinchor ou aux alentours, les maisons des indigรจnes sont semblables parce quโelles sont occupรฉes par les mรชmes individus qui partagent les mรชmes conditions de vie. La rรฉpartition des habitats dรฉpendait de la catรฉgorie socio-professionnelle ร laquelle appartenaient les personnages. Elle sโeffectue ainsi : les Blancs, les marabouts ou les nouveaux riches noirs occupent le quartier rรฉsidentiel, alors que les dรฉmunis occupent le quartier populaire. En effet, ce cadre est souvent rรฉvรฉlateur de certains aspects de la face cachรฉe des รชtres qui y รฉvoluent. Entre la description de lโespace physique extรฉrieur et celle de lโespace physique intรฉrieur, il peut y avoir une diffรฉrence. Lโespace physique intรฉrieur est reprรฉsentรฉ par les espaces de vie comme les maisons dont la cour est le lieu habituelย personnages travaillent. Dans OPMBP, lorsque Sembรจne mentionne un lieu, il prend soin de le dรฉpeindre dans les moindres dรฉtails. Cโest ainsi quโil procรจde pour la description de la nouvelle maison de Oumar Faye : Le nouveau foyer des Faye รฉtait entourรฉ de claies. Des arbres fruitiers puisaient leur substance dans le sol humide. Traversant une pelouse verte, une allรฉe centrale conduisait vers les cinq marches qui accรฉdaient ร la vรฉranda ceinturant le rez-dechaussรฉe. Celui-ci se composait de quatre grandes piรจces, largement aรฉrรฉs par des portes-fenรชtres. Des peaux de bรชtes couvraient le parquet et, tout autour de la salle de sรฉjour, des livres รฉtaient rangรฉs sur des รฉtagรจres. Un petit escalier, fait de troncs deย rรดnier, menait aux chambres du premier. Dans leur chambre ร coucher, un trรจs grand lit de bois verni se dissimilait sous une moustiquaire. La fenรชtre ouvrait sur le marigot et, dans le lointain, on apercevait la Casamance. OPMBP ; p.55. Si ces piรจces de la maison sont distinctes lโune de lโautre, elles sont aussiย pour les dรฉcorations intรฉrieure comme extรฉrieure de leurs maisons. Celles-ci reflรจtent la personnalitรฉ de leurs occupants dont elles tรฉmoignent du goรปt. Car il est ร noter que Sembรจne nous fait aussi savoir quโOumar sโest un peu mรฉtamorphosรฉ. Cโest le mรชme cas dans TECCA. Les intรฉrieurs ont les mรชmes caractรฉristiques que les locataires comme ce passage : ยซ Ass me regarde, nullement surpris. Il porte une chemise et un jean dรฉlavรฉ qui lui donnent lโaspect dโun รฉtudiant fauchรฉ. Il me conduit ร lโintรฉrieur de la maison qui parait videโฆAss ouvre la chambre et me dรฉsigne lโunique chaise en bois de teck placรฉe au coin. ยป TECCA ; p.45. Ce dรฉcor est vide dโornement, il nโy a pas de meuble. Comme si cโest pour souligner la pauvretรฉ des occupants. Lโintรฉrieur de la chambre ressemble aux occupants dans leur misรจre. Lโรฉtude de cet espace nรฉcessaire ร lโorientation du lecteur permet une meilleure comprรฉhension du texte. Dans sa tentative de reprรฉsenter le rรฉel, lโauteur procรจde ร lโanalyse de lโespace physique intรฉrieur qui donne accรจs ร lโespace privรฉe des personnages.
Le temps de lโhistoire
ย ย A la lecture des deux ลuvres du corpus, deux cadres temporels se dรฉgagent. OPMBP sโinscrit dans la pรฉriode coloniale, tandis que TECCA situe son action dans la pรฉriode postindรฉpendance. A travers le premier rรฉcit, deux camps antagonistes se dรฉgagent (colonisateurs et colonisรฉs) dรฉterminant et marquant ร la fois le champ de forces et de tensions au sein de la sociรฉtรฉ coloniale. La colonisation demeure trรจs importante dans lโรฉvolution de lโhistoire africaine. En effet, elle รฉtait un systรจme dโoccupation territoriale, de domination politique, culturelle et dโexploitation รฉconomique des colonisรฉs. Dโaprรจs Bernard Lecherbonnier elle ยซ est lโรฉquivalent au niveau des peuples de ce quโest lโesclavage au niveau de lโindividu. ยปDe ce point de vue, nous tenterons de dรฉgager les diffรฉrents รฉlรฉments qui montrent que lโon se situe soit ร lโรฉpoque de la colonisation soit dans la pรฉriode des indรฉpendances. Sembรจne Ousmane qui traite de la situation difficile de la population casamanรงaise durant la colonisation dans OPMBP met en exergue les dures conditions de vie de cette communautรฉ opprimรฉe et particuliรจrement celles du hรฉros Oumar Faye qui รฉtait parti faire la guerre en Europe. Son long sรฉjour lui a permis de dรฉcouvrir et dโapprendre beaucoup de choses. Oumar, aprรจs huit annรฉes dโexil dรฉcide de rejoindre son pays, plus particuliรจrement sa Casamance natale. Il trouvera son peuple sous une extrรชme domination coloniale. Lโespoir de vivre dans de meilleures conditions va lโamener ร combattre les Blancs. Il va entreprendre et mettre en place des plans pour pouvoir les faire partir. Cโest la raison pour laquelle on situe lโaction de cette ลuvre ยซ OPMBPยป durant la colonisation. Ce sont tout dโabord les diffรฉrentes allusions ร la prรฉsence des Blancs et leur administration. Les Blancs financent et fixe les prix des produits. Tout ce qui est bon leur appartient, par exemple au cinรฉma ยซ โฆIl yโ avait deux catรฉgories de places : des bancs pour les indigรจnes et des chaises pour les blancsโฆ ยป (OPMBP ; p.60.) Cโest une pรฉriode qui a รฉtรฉ teintรฉe dโhostilitรฉ, de discrimination raciale, dโexploitation et dโinjustices Cette exploitation nโest quโune des injustices subies par les Casamanรงais, ou les Africains de maniรจre gรฉnรฉrale. Ils รฉtaient aussi victimes dโexactions verbales et physiques. Ce sont ces pratiques horribles qui ont poussรฉ Oumar ร se rรฉvolter contre les Blancs ยซ cf. p 89ยป.Nous pouvons dire quโaprรจs ces rรฉvoltes contre lโexploitation capitaliste, lโAfrique est rendue aux Africains qui se chargรจrent de leur propre destin. Cโest lโรจre des indรฉpendances en Afrique noire, aussi bien francophone quโanglophone. Cโest cette pรฉriode des indรฉpendances quโAbdourahmane Ndiaye a tentรฉ de peindre dans TECCA. Lโauteur reprรฉsente lโensemble des couches sociales que constitue la Casamance. Il a voulu montrer le vrai visage de ce peuple qui se trouve dans une extrรชme crise, une guerre entre armรฉe et sรฉparatistes qui rรฉclament une indรฉpendance totale de leur zone, en faisant cette peinture des atrocitรฉs. Ce dialogue entre le hรฉros et une femme est illustratif :
-Pourquoi toutes ces tueries ? ne puis-je mโempรชcher de lui demander ?
-Tu as trรจs bien compris que nous sommes tous du FLS. Nous luttons pour lโindรฉpendance de notre pays.
-Mais votre pays est le nรดtre aussi, le Sรฉnรฉgal !
-รa cโest toi qui le dis. Nous avions รฉtรฉ liรฉs par les colonisateurs il y a plus de cent ans, par un bail entre Franรงais et Portugais en faveur des premiers. Un bail, que je sache, cโest quatrevingt-dix neuf ans. Au bout de ce temps, il est caduc sโil nโest pas renouvelรฉ. Et cโest le cas.
Nous ne vous demandons absolument rien dโautre que de nous rendre notre libertรฉ. En effet, il sโagit dโune sociรฉtรฉ postcoloniale qui se lance dans un avenir sombre. Lโauteur en profite pour montrer les diffรฉrentes facettes de la guerre tout en dรฉcriant le comportement des pays limitrophes qui pourrissent lโunivers social de ce rรฉcit. Dโoรน ces propos dโune femme rebelle. La seconde raison dรฉcoule directement des conflits avec les pays voisins. Certains de ces pays se basent sur le principe que ยซ lโennemi de mon ennemi est mon ami ยป. Du coup, des armes nous viennent ร moindres frais et nous bรฉnรฉficions de formidables conseillers tapis dans lโombre. Ce qui nous garantit une invisibilitรฉ ร lโรฉpreuve mรชme de la C.I.A ou du K.G.B. Dans TECCA, il sโagit des fils de la Casamance qui rรฉclament leur indรฉpendance ร lโรฉtat du Sรฉnรฉgal. Cโest la raison pour laquelle lโon ne doute plus du contexte de production de lโลuvre. Bref, lโhistoire dโOPMBP se situe durant la colonisation et celle de TECCA aprรจs les indรฉpendances.
Le temps de la fiction ou durรฉe de lโaction
ย ย Selon Jean Pierre Goldenstein lโรฉtude du temps de la fiction doit dรฉterminer la durรฉe du dรฉroulement de lโaction. Ce temps de fiction romanesque peut sโรฉtendre sur une pรฉriode de quelques jours, heures ou mois comme il peut couvrir plusieurs annรฉes, voire plusieurs siรจcles. Dans OPMBP comme dans TECCA la datation sโest effectuรฉe de maniรจre implicite par rapport ร un รฉvรฉnement mentionnรฉ. Sembรจne dans son ouvrage ne dit jamais de faรงon nette que lโaction de son roman se situe aprรจs la Seconde Guerre mondiale. Ce passage est tรฉmoin ยซ Faye Omar รฉtait casamancien, il retournait au domicile paternel aprรจs huit ans dโabsence, ayant quittรฉ le pays natal comme nombre de ses camarades, pour aller faire la guerre en Europe, il rentrait quatre ans aprรจs la victoire. ยป OPMBP ; p.14 Il est vrai que lโon peut se douter de quelle guerre sโagit-il, car il y a deux guerres mondiales. Mais cette discussion entre le pรจre dโOumar (Moussa) et son ami Mโboup semble nous guider ยซ Jโai fait la guerre de 1914-18. Moussa, prรฉsent lร , รฉtait venu me joindre en 15, je mโen souviens comme du couscous que jโai mangรฉ hier soirโฆ ยป OPMBP ; pp.19-20. Il sera incomprรฉhensible aprรจs ces deux passages que le pรจre fasse la mรชme guerre avec Oumar qui est de ses plus petits fils. Cโest ce qui nous a poussรฉ ร retenir la pรฉriode dโaprรจs, la seconde guerre mondiale. Lโaction de TECCA se situe dans les annรฉes 90. Il sโagit de la crise casamanรงaise. Ces รฉchanges de paroles entre le hรฉros et un des passagers du minibus nous guident tant soit peu : ยซDe la gauche, deux policiers apparaissent, armรฉs jusquโaux dents. Je demande ร mon voisin de derriรจreโฆ tu nโรฉcoutes pas les nouvelles, ร ce quโil parait, hein, mon petit gars ? โฆ Ce sont les sรฉparatistes qui sรจment la pagaille dans le sud, avec leurs attentats ร nโen plus finir โฆ ยป TEC ; pp. 39-40. Ce paragraphe nous plonge au cลur de la guerre casamanรงaise qui opposait la population et lโarmรฉe sรฉnรฉgalaise. Grace ร de tels recoupements les deux rรฉcits ont pu รชtre situรฉs dans leurs contextes historiques. De la mรชme maniรจre que le temps de la fiction, la durรฉe de lโaction peut รชtre dรฉterminรฉe approximativement. Pour cela relevons les diffรฉrents indices au cours de lecture qui nous permettront dโestimer la durรฉe. Dans TEC, au chapitre 1, des indications temporelles prรฉcises ont รฉtรฉ mentionnรฉes mais cela concerne le nombre dโannรฉe que le hรฉros a fait ร lโuniversitรฉ ยซ Je venais dโรชtre virรฉ de lโUniversitรฉ ; enfin, pas exactement parce que jโavais la possibilitรฉ de me rรฉinscrire dans une autre facultรฉ ; mais vous conviendrez avec moi que passer onze annรฉes ร courir derriรจre un inaccessible diplรดme nโencourage guรจre ร rester sur les bancs. ยป TECCA ; p.9. Ce nโest quโau deuxiรจme chapitre que les indicateurs temporels prรฉcis se font noter. Lโon va maintenant compter ร partir du deuxiรจme chapitre, ce qui sera trรจs difficile, qui commence par ยซ aprรจs deux jours dโerrance ร travers la capitale, jโatterris chez Ass ยป. Lโon dit quโaprรจs ces trois jours ยซ un matin ยป qui est un indicateur imprรฉcis, parce que cela peut รชtre le lendemain comme le surlendemain. Le hรฉros nous dit aussi ยซ Le jeudi, six heures du soir, (ou dix-huit heures, si vous prรฉfรฉrez) nous nous prรฉsentions devant le 127 de la nouvelle citรฉ ยป. Donc aprรจs la discussion entre le hรฉros et son ami Ass, ils sont partis le jeudi pour voir un Monsieur. Au chapitre IV, une autre indication claire nous dit que sommes ยซ le samedi, minuit et demie. Jโรฉtais assis sur le siรจge de la mort, ร cรดtรฉ de mon truculent ami qui pilotait avec dextรฉritรฉ sa grosse saviem bleue ยป TECCA ; p.25. Les informations temporelles continuent ยซ jโรฉtais allรฉ le dimanche matin parlementer avec le monsieur qui vendait des appareils du mรชme genre, au coin de la rue. ยป TECCA ; p.27. Donc cโest le lendemain. La veille, cโest-ร -dire le samedi, ils รฉtaient partis voler chez le Monsieur de la 127 de la nouvelle citรฉ. Et cโest le dimanche que le hรฉros est venu dans le but de vendre son appareil. Il sera cueilli par la police comme en tรฉmoigne cette phrase : ยซ Quand, en dรฉbut dโaprรจsmidi deux policiers me reรงurent avec des menottes, aprรจs mโavoir dรฉlestรฉ de ma lourde charge, alors, lร , je compris tout. ยป Le hรฉros sera arrรชtรฉ et pour six mois. ยซ Une arnaque combinรฉe par un ancien camarade de classe mโa valu six bon mois de taule. ยป A sa sortie, il travaille dans une boรฎte de sรฉcuritรฉ pendant vingt-deux jours comme le montre cette phraseยซ โฆpour avoir suivi et protรฉgรฉ un politicien dans une houleuse campagne oรน on devait sโattendre ร tous les coup fourrรฉs pendant vingt-deux jours, je suis simplement rรฉvoltรฉ. ยป Et le jour suivant ยซ dรจs le lendemain de la soirรฉe passรฉe dans le clando ยป, la dame est venue le voir lร oรน il logeait pour quโil puisse aller ร Ziguinchor, le matin ยซ Il ne me restait quโร me mettre en route, ce que je fis sans me faire prier dรจs le lendemain, de trรจs bonne heure. ยป Jusquโici les indications temporelles des actions sont claires et nettes. Lโaction continue avec le voyage du hรฉros sur Casamance. Il arrive ร destination le mรชme jour comme lโatteste ses propos : ยซ Au bout du pont โฆ et tourne ร gauche en direction de la gare routiรจre oรน il trouve un parking dans un dรฉsordre indescriptible ยปโฆAprรจs deux jours passรฉs ร Ziguinchor, il est appelรฉ ร aller vers la Gambie, mais, en route, il sera interceptรฉ par des rebelles. Il doit aller ร Kagnobon : ยซ Je dois aller, non pas ร Banjul, mais ร Kagnobon. ยป Le personnage principal arrive ร destination le mรชme jour. Il dรฉcide de retourner le lendemain aprรจs avoir reรงu le bagage. Le hรฉros va informer les militaires sur la situation qui prรฉvaut dans cette zone de turbulence. Il quitte le village pour Ziguinchor et arrive le mรชme jour. Le lendemain, Ass et Dior viendront lui rendre visite. Aprรจs une discussion, les visiteurs dรฉcident dโaller chercher la caisse de munition ร lโaide dโune moto. Le personnage principal, lui, ira avec les militaires dans le but dโinspecter la zone. Ils feront une descente sur les lieux et un affrontement les opposera aux rebelles jusquโร causer la blessure du hรฉros qui sera vite transfรฉrรฉ sur Dakar et la mort dโAss. Lโhospitalisation durera quarante-cinq jours. Ce passage en tรฉmoigne : ยซ jโai oubliรฉ de vous dire : je suis ici depuis bientรดt quarante joursโฆ ยปTECCA, p.157. Nous pourrions dire que la durรฉe de lโaction serait huit mois et vingt-deux jours. La durรฉe pourrait dรฉpasser cela, mais quoi quโil en soit, elle nโa pas atteint trois cent soixante-cinq jours, ร notre avis. Abdourahmane Ndiaye a prรฉfรฉrรฉ condenser son histoire, mรชme sโil y a des รฉpisodes dilatรฉs. Beaucoup de parties ont รฉtรฉ rรฉsumรฉes. Il est impossible de raconter cette guerre en cent-cinquante-sept pages. Mรชme en lisant le roman, lโon note beaucoup de non-dit. Lโhistoire est trรจs brรจve. Ces quelques indices temporels nous ont permis de dire que le rรฉcit de TECCA a une durรฉe de huit mois et vingt-deux jours. OPMBP a un temps de fiction moins. Le rรฉcit se dรฉroule pendant la saison sรจche, plus prรฉcisรฉment trois mois avant laย saison des pluies : ยซ Si tu veux โฆ la maison devra รชtre construite avant les pluies. Dans trois mois ?, et sโachรจvera au milieu de la saison des pluies ยป. Toute lโhistoire est condensรฉe dans cet intervalle. Nous prรฉcisons que dans TECCA comme dans OPMBP, les histoires ne sont pas longues. Les auteurs sont trรจs brefs de maniรจre gรฉnรฉrale. Mais nโempรชche que parfois ils font recours ร la technique de la dilatation qui est un procรฉdรฉ qui a permis aux deux auteurs de camper le dรฉcor, prรฉsentant ainsi lโessentiel des activitรฉs menรฉs par les diffรฉrents personnages. Ils occupent le temps en procรฉdant ร la reprรฉsentation et ร la description des rues, ruelles, des fleurs, des maisons, de la faune, des personnagesโฆ Parfois lโon voit tout un chapitre qui nโest consacrรฉ quโร la description ou ร des dรฉtails qui seraient inutiles. La description a รฉtรฉ un moyen que les deux auteurs ont utilisรฉ pour dilater leurs rรฉcits. Quelques indications temporelles nous permettront dโavoir une idรฉe sur la durรฉe de lโaction dans OPMBP. La mรชme dรฉmarche va รชtre appliquรฉe comme dans TECCA. Nous allons passer en revue le texte tout en comptant la durรฉe. Lโauteur commence par nous donner quelques informations sur le voyage dโOumar. Il est dans un bateau avec sa femme Isabelle. Des rรฉvรฉlations sont aussi faites sur la maniรจre dont les Blancs traitaient les Noirs comme ce passage ยซ โฆle blanc se mit ร distribuer des coups, des coups que le furieux donnait avec une chicotteโฆ.Cela fit une terrible bousculade dans lโรฉtroite coursive oรน certains tombรจrent. ยปOPMBP ; p.13. Le Blanc a toujours perรงu le Noir comme un animal. Mais il y a eu une riposte car le ยซ sauveur ยป Oumar va corriger le perturbateur ยซ soudain lโhomme, pris par un crochet au mentonโฆle sang qui coulait de sa bouche ยป. Dans ces premiรจres pages cโest le voyage et son parcours qui sont tracรฉs. Les indications temporelles commencent par ยซ ce jour-lร ยป. Cโest le jour oรน le tรฉlรฉgramme arrive chez les Fayรจnes pour les informer du retour dโOumar Faye de la France avec sa femme blanche. Donc on compte ร partir de ce jour car la durรฉe du voyage reste inconnue. Toute la famille est au courant de la nouvelle le mรชme jour. Le jour suivant sera consacrรฉ ร lโarrivรฉe du hรฉros et ร sa femme. Le troisiรจme jour est marquรฉ par les diffรฉrentes conversations avec les voisins. Le personnage principal et sa femme vont se balader au quatriรจme jour, ils prendront un bain dans un ruisseau. Cโest de cet endroit quโils construiront leur maison dans les jours ร venir. Parce que le pรจre dโOumar ne veut pas cohabiter avec sa bru prรฉtextant que le Blanc est mauvais. Oumar se sentant offenser, va dรฉmรฉnager au cinquiรจme jour. Il nโa fait donc que quatre jours chez son pรจre. Le hรฉros restera deux mois dans sa nouvelle demeure sans retourner ร sa grande famille : ยซ voilร deux mois quโelle nโavait pas revu son fils.ยป OPMBP ; p.50 Les cinquante et une pages nโauraient durรฉ que deux mois et six jours. Cโest que lโauteur prรฉfรจre dรฉvelopper certains points pour donner plus de dรฉtails. La premiรจre partie le rรฉcit durerait deux mois huit jours. La deuxiรจme partie commence par un รฉchange de lettres entre Isabelle et sa famille dโorigine. Cโest un jour de fรชte chez Oumar et avec ses amis. Cette journรฉe sera marquรฉe par une forte pluie. Cโest lโannonce de la saison des pluies. Vient le jour suivant oรน le docteur passera ร la palmeraie pour panser le hรฉros qui sโest blessรฉ, la veille au port lors dโun bagarre avec des Blancs qui torturaient des dockers. Oumar ira le troisiรจme jour chez Itylima. Il marchera toute une journรฉe pour y arriver. Le sรฉjour durera deux jours. A un moment donnรฉ lโauteur dรฉcide dโaller plus vite sans indiquer le temps. Le hรฉros sera malade pendant un mois et vingt jours : ยซ combien de temps suis-je restรฉ coucher ? demanda-t-il โ Un mois et vingt jours aujourdโhui ยป. Une fรชte de deux jours sera organisรฉe dans le village ยซ La fรชte devait durer les deux derniers jours. ยป Cette fรชte sera clรดturรฉe par la cรฉlรฉbration de lโindรฉpendance de la France (le quatorze fรฉvrier).
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Table des matiรจres
PREMIERE PARTIE/ LE FONCTIONNEMENT DE LโESPACE ET LA DISTRIBUTION DU TEMPS
Chapitre 1/ Le fonctionnement de lโespace : de lโespace ouvert ร lโespace fermรฉ
1-La topographie
2-Lโespace physique extรฉrieur
3-Lโespace physique intรฉrieur
4-Lโespace social
Chapitre2/ La distribution du temps
II-Les temps externes
1-Le temps de lโhistoire
2-Le temps de lโรฉcriture
II- Les temps internes
3-Le temps de la fiction ou durรฉe de lโaction
4-Le temps de la narration
DEUXIEME PARTIE/ LA TECHNIQUE NARRATIVE ET LA FONCTION DE LโECRITURE (LA PORTEE)
Chapitre1/ La technique narrative : les procรฉdรฉs narratifs
1-La narration
2-La description
3-Le dialogisme et le monologue intรฉrieur
Chapitre2/La fonction de lโรฉcriture : la portรฉe
1-La fonction dรฉnonciatrice
2-La fonction explicative
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