Généralités sur les biomarqueurs
La notion de BM est issue du domaine de l’épidémiologie moléculaire qui correspond à l’utilisation de la biologie moléculaire et de l’épidémiologie pour comprendre les causes de survenue de certaines maladies comme le cancer, et améliorer leur prévention (Perera and Weinstein, 2000).
Les biomarqueurs ont été définis par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme « toute substance, structure ou processus pouvant être mesuré dans le corps humain ou les matrices biologiques susceptibles d’influencer ou de prédire l’incidence ou l’apparition d’une maladie » (Toniolo et al., 1997).
Les BM peuvent donc être révélateurs d’expositions environnementales, de maladies, de troubles ou d’une prédisposition génétique.
La mesure de BM est le plus couramment effectuée à l’aide d’échantillons faciles à collecter utilisant des méthodes non invasives comme la collecte d’urine, de cheveux, de lait maternel, des fragments d’ongles ou encore d’air expulsé. Cependant, elle peut également être réalisée à partir de méthodes invasives comme les prélèvements de sang, des tissus lipidiques voire d’autres types de tissus.
Cependant, le développement de BM en biosurveillance reste un challenge. En effet, un BM doit être mesuré avec une précision et une reproductibilité suffisantes ce qui apporte de nombreuses contraintes pour la validation scientifique.
Atouts et limites des BM en biosurveillance
Idéalement, les BM permettent de suivre l’impact des substances sur les êtres humains en évaluant (Mistretta and Charlier, 2013) :
– La durée de l’exposition,
– l’absorption d’une substance par l’organisme en intégrant toutes les voies d’exposition (ingestion, inhalation ou cutanée),
– l’ensemble des sources d’exposition : professionnelle ou environnementale,
– la quantité de substance absorbée par un individu en tenant compte d e facteurs autres que l’exposition comme la susceptibilité individuelle (polymorphisme génétique, âge, …),
– l’efficacité des équipements de protection individuelle (port du masque, gants, …) dans le cas d’exposition professionnelle.
Cependant, il existe certaines limites notamment dans l’interprétation des résultats qui peut s’avérer particulièrement difficile puisque (Mistretta and Charlier, 2013) :
– les IBE peuvent varier d’un pays à l’autre,
– il existe un nombre réduit de valeurs de référence (VLB ou VBR),
– les liens existants d’une part entre ces valeurs de référence et les répercussions possibles sur la santé, et d’autre part entre le niveau et le temps d’exposition sont mal connus pour la plupart des substances exogènes,
– l’interprétation du taux de certains BM ne permet pas de distinguer une exposition récente, d’une exposition chronique.
Au-delà de ces limites concernant l’interprétation des résultats, il y a également plusieurs freins pour le développement de BM qui concernent des aspects éthiques et pratiques pour le prélèvement d’échantillons biologiques. De plus, la mise en place d’études au niveau des populations impose une logistique importante qui constitue un aspect lourd sur le plan financier et organisationnel.
Enfin, il est également important de noter que les BM sont étroitement liés aux données épidémiologiques et aux études toxicologiques. Or, il y a un manque important d’information sur les agents environnementaux à ces deux niveaux rendant le développement de BM d’autant plus complexe.
Les différents types de BM en biosurveillance
Malgré les limites que nous venons de citer, les BM sont les seuls outils qui permettent d’apporter des informations afin de mieux appréhender le risque sanitaire lié aux expositions environnementales. Ils représentent donc le chainon manquant entre l’environnement et les effets sanitaires afin d’établir un lien de causalité. Les BM sont divisés en trois types (Fréry et al., 2009; Manno et al., 2010; Orsière et al., 2008).
Les biomarqueurs d’exposition
Ils permettent de mettre en évidence une exposition actuelle ou passée en estimant la quantité de substances exogènes absorbées ou éventuellement accumulées dans l’organisme. Il peut s’agir du dosage de la substance elle-même ou de métabolites dans les différents échantillons biologiques.
On distingue deux types de BM d’exposition :
– Les BM d’exposition de dose interne c’est-à-dire des indicateurs de la présence d’une substance dans l’organisme (exemple : métabolites urinaires)
– Les BM d’exposition de dose biologique active (ou dose efficace) c’est-à-dire la dose de la substance exogène qui va entrer en contact avec une cible de l’organisme (exemple : adduits de l’ADN)
Ce sont les plus répandus et les mieux validés parmi les trois types de BM qui existent. Ce type de BM apparaît après l’exposition à un agent exogène.
Les biomarqueurs d’effet
Ils reflètent l’interaction entre l’agent exogène et l’individu ce qui se traduit par la mesure d’un changement biologique. Ils permettent d’aider à la compréhension des mécanismes qui mènent à l’apparition de cette modification. Contrairement aux BM d’exposition, ils sont peu ou pas spécifiques de l’exposition à une substance.
On distingue également dans ce type de BM deux catégories :
– BM d’effets précoces qui sont proches de l’exposition (exemples : lésions oxydatives, effets cytogénétiques, mutations)
– BM d’effets tardifs qui sont proches de la survenue de la maladie (exemple : activation ou inhibition de certains gènes)
Les biomarqueurs de susceptibilité
Ce type de BM est plus complexe puisqu’ils incluent un ensemble de paramètres (âge, genre, mode de vie, polymorphisme génétique, …) qui permet d’expliquer la variabilité des réponses entre les individus pour un niveau d’exposition semblable. Ils permettent d’estimer la capacité innée ou acquise d’un individu à répondre de façon spécifique à une exposition, et donc de la probabilité de la survenue de la maladie. On peut citer en exemples, la variation de réponse d’enzymes ou des mécanismes de réparation de l’ADN.
Ces BM sont disponibles avant, pendant et après l’exposition et permettent de prédire un risque accru des effets de l’exposition à un agent. Ce type de BM est encore exploratoire dans le domaine de l’environnement.
Place du cancer en biosurveillance
De par la fréquence des cancers et la sous-estimation des cancers liées aux expositions, le cancer a pris une place majeure en biosurveillance. En effet, parmi les 17 objectifs du plan cancer 2014-2019 présenté par le gouvernement, l’un d’eux est de « prévenir les cancers liés au travail ou àl’environnement ».
Le cancer est une des premières causes de mortalité en France et son incidence a augmenté de plus de 60% entre 1978 et 2000 (Remontet et al., 2003). Cette maladie est donc devenue un enjeu majeur de santé publique entrainant deux objectifs primordiaux dans les programmes de biosurveillance : d’une part, de s’intéresser au lien entre cancer et expositions professionnelles et d’autre part entre cancer et expositions environnementales.
Le lien entre cancer et facteurs environnementaux ou professionnels est difficile à établir dû :
– au caractère multifactoriel des cancers : susceptibilité génétique individuelle (polymorphisme de certains gènes qui peuvent moduler les effets de l’environnement), exposition à des agents cancérigènes, mode de vie, habitudes alimentaires, …
– à la complexité des processus de cancérogénèse qui fait de la prévention du risque cancérigène un véritable défi,
– à la diversité des expositions,
– à l’historique souvent incomplet des expositions au cours de la vie professionnelle ou personnelle,
– à une période de latence longue entre l’exposition et l’apparition de la maladie.
Le travail d’investigation est donc complexe et entraine une estimation de l’exposition des individus aux agents exogènes et cancérigènes qui s’avère difficile et délicate.
Cependant, suite à de multiples scandales sanitaires, de nombreux dispositifs ont pu être mis en place au cours des dernières années et ont permis d’établir des liens entre certaines expositions et certains types de cancers.
Concernant l’exposition professionnelle, il est estimé que 13.5% des salariés seraient exposés à un ou plusieurs agents cancérogènes au cours de leur activité professionnelle (Sandret and Guignon, 2005).
Parmi les cancers qui ont pu être associés à des expositions professionnelles, on peut citer l’exposition à l’amiante qui provoque des cancers du revêtement des poumons, du cœur et de la cavité abdominale (mésothéliome) ou encore les sarcomes qui sont corrélés à une exposition au chlorure de vinyle dont nous reparlerons plus en détail dans la dernière partie de ce chapitre.
En ce qui concerne les expositions environnementales, 5 à 10% des cancers seraient liés à des facteurs environnementaux selon le rapport de l’InVS publié en 2003 alors que l’OMS les estime à 19%. Ces chiffres varient dus aux difficultés que nous avons présentées précédemment pour établir une corrélation entre cancer et exposition environnementale. Cependant, il a été montré que le rayonnement solaire entraine un développement accru de cancers cutanés et que l’exposition au radon présent dans les régions à forte radioactivité naturelle conduit à des cancers du poumon.
Depuis la prise de conscience de l’ensemble des paramètres que nous venons de citer ainsi que la mise en place de différents dispositifs en biosurveillance, l’exposition est de mieux en mieux estimée pour les travailleurs et la population.
Les agents cancérigènes peuvent être classés selon différentes catégories. Ils peuvent notamment être répartis selon leur mode d’action principal en deux types (INSERM, 2005) :
– les agents non génotoxiques qui n’agissent pas directement sur les gènes, mais qui parti cipent au processus de cancérogenèse,
– les agents génotoxiques qui agissent directement sur les gènes par mutations dûs à leur capacité à interagir avec l’ADN et à entrainer la formation de dommages.
Ce projet s’intéresse à ce dernier type d’agents et nous allons maintenant détailler les différents types de lésions qui peuvent être formés dans l’ADN.
Lésions de l’ADN
Généralités
L’acide désoxyribonucléique ou communément appelé ADN est le support de l’information génétique permettant le développement et le fonctionnement des cellules ainsi que le vecteur de l’hérédité d’une génération de cellules à l’autre. Chez les eucaryotes, on le retrouve dans le noyau où ont lieu plusieurs évènements majeurs comme la transcription et la réplication. C’est également à cet emplacement qu’a lieu la réparation des dommages de l’ADN auquel nous nous intéresserons particulièrement dans ce projet de recherche. Dans ce compartiment cellulaire, l’ADN se trouve compacté grâce à des protéines, les histones, sous la forme de chromosome permettant ainsi un stockage ordonné et très dense de l’ADN. Chaque cellule possède 23 paires de chromosomes et si l’on mettait bout à bout l’ensemble des brins de l’ADN, la taille mesurerait deux mètres.
Diols de Thymine et de Cytosine
Les lésions 5,6-dihydroxy-5,6-dihydrothymine (diols de Thymine) et 5,6-dihydroxy-5,6 dihydrocytosine (diols de Cytosine) sont formées par une attaque du radical hydroxyle OH° en position C5 et C6 de la double liaison des bases pyrimidiques (Breen and Murphy, 1995) (Figure 9). Ces lésions peuvent également être produite par des facteurs exogènes suite à l’irradiation aux UV mais en quantité minoritaire comparé aux dimères de pyrimidines formés (Partie dommages photo induits ci-après) ou après IR.
Il a été estimé qu’environ 300 diols de Thymine sont formées dans la cellule par jour (Adelman et al., 1988).
La formation de diols de Cytosine a été détectée plus tardivement que les diols de Thymine car cette lésion est peu stable en solution aqueuse et se dégrade rapidement lorsqu’elle est en sous la forme d’un nucléoside. Cependant, elle s’avère être stable lorsqu’elle est formée dans l’ADN double brin (Tremblay et al., 1999; Wagner and Cadet, 2010).
Les bases alkylées
Les acides gras polyinsaturés des phopholipides des membranes plasmiques peuvent être dégradés à partir de ROS ou de RNS par un processus appelé peroxydation lipidique (Lipid peroxidation : LPO). Un excès de LPO peut être induit par divers mécanismes comme l’inflammation chronique, le déséquilibre alimentaire ou par des problèmes dans le transport des métaux. La LPO est une réaction d’oxydation qui opère en trois phases : l’initiation, la propagation et la terminaison (Winczura et al., 2012). Ce mécanisme en chaine de dégradation des acides gras conduit à la formation de produits de LPO (Figure 10). Trois principaux produits de type aldéhydique sont formés : 4-hydroxyhydroperoxy-2-nonenal (HPNE), malonaldéhyde (MDA) et 4-hydroxynonenal (4-HNE), les deux derniers composés étant majoritaires (Bartsch and Nair, 2004). Ces produits réagissent directement avec l’ADN pour conduire à la formation de diverses bases alkylées dont la longueur des chaînes alkyles peut varier formant des adduits plus ou moins volumineux. Par exemple, le composé MDA conduit à la formation de MDA Gua (M1G) et le composé HPNE forment des Ethénobases. Nous allons détailler la formation de ce dernier type de lésions.
GG-NER
La protéine XPC liée à hHR23B (ou hRAD23B) et CETN2 détecte la déformation de la structure de l’ADN qui a été engendrée par la lésion et forme un complexe. Certaines lésions comme les CPD qui ne déstabilisent pas significativement la double hélice de l’ADN sont d’abord reconnues par XPE (ou DDB2) formant un complexe avec DDB1. Ce complexe permet ainsi de créer une déformation plus importante qui va permettre à XPC de reconnaitre la zone lésée (Spivak, 2015). Il a été démontré que XPC se lie au brin opposé de la lésion expliquant ainsi sa capacité universelle à reconnaitre divers types de lésions (Lee et al., 2014). Le complexe XPC/hHR23B/CETN2 permet ensuite le recrutement du complexe TFIIH dont nous détaillerons la suite du mécanisme ensuite.
TC-NER
Cette sous-voie n’est pas aussi bien comprise d’un point de vue mécanistique que la sous-voie GG NER.
Elle est initiée par le blocage de l’ARN polymérase II sur le site endommagé lors de l’étape de transcription des gènes. Cela va entrainer le recrutement de CSB qui est un facteur d’élongation de la transcription qui va se fixer sur l’ARN polymérase. CSB va modifier la conformation de l’ADN en entourant l’ADN autour d’elle-même de manière ATP dépendante (Beerens et al., 2005). Elle va ensuite recruter la protéine CSA qui est nécessaire pour le recrutement de trois autres protéines XAB2 (XPA binding protein 2), le facteur de remodelage du nucléosome HMGN1 et le facteur de transcription TFIIS (Spivak, 2015). Ces trois protéines sont recrutées au niveau de l’ARN polymérase. Plus récemment, la protéine UVSSA et son partenaire USP7 ont été identifiés pour prévenir la dégradation de CSB. Eneffet, USP7 déubiquitine CSB pour permettre sa stabilisation (Schwertman et al., 2012).
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Table des matières
Liste des abréviations
Liste des Figures
Liste des Tableaux
Avant-propos
Chapitre 1 : Etude bibliographique
1. Les biomarqueurs en biosurveillance
1.1. La biosurveillance humaine
1.2. Généralités sur les biomarqueurs
1.3. Atouts et limites des BM en biosurveillance
1.4. Les différents types de BM en biosurveillance
1.5. Expositions environnementales et professionnelles
1.6. Place du cancer en biosurveillance
2. Lésions de l’ADN
2.1. Généralités
2.2. Lésions formées de façon endogène et présentes à l’état basal
2.3. Lésions formées suite à l’exposition à des agents génotoxiques (Facteurs exogènes)
3. Les voies de réparation de l’ADN
3.1. La réparation par excision de bases (BER)
3.2. La réparation par excision de nucléotides (NER)
3.3. La réparation directe (DR)
3.4. La réparation des mésappariements (MMR)
3.5. La réparation des cassures double brin
3.6. La réparation des pontages inter-brins (ICLR)
3.7. Les maladies liées à la réparation de l’ADN
4. La réponse aux dommages de l’ADN (DNA Damage Response ou DDR)
4.1. Organisation générale de la réponse aux dommages de l’ADN
4.2. Les Senseurs
4.3. Les Transducteurs
4.4. Les Médiateurs et les Effecteurs
4.5. Les réponses au niveau cellulaire
4.6. DDR et Cancer
5. Outils de mesure de la réparation de l’ADN
5.1. Méthodes indirectes basées sur la mesure des lésions
5.2. Méthodes de mesure directe des activités enzymatiques de réparation
6. Exposition des populations aux agents génotoxiques
6.1. Un exemple d’agent génotoxique de l’environnement et de l’industrie : le benzo[a]pyrène
6.2. Un exemple d’agent génotoxique de l’industrie chimique : le Chlorure de Vinyle
Objectifs
Chapitre 2 : Matériels et Méthodes
1. Traitement cellulaire et test de cytotoxicité
1.1. Culture cellulaire des lignées cellulaires A549 et HepG2
1.2. Test de cytotoxicité MTT
1.3. Traitement cellulaire avec les différents agents génotoxiques
1.4. Récolte cellulaire
2. Dosage des lésions par HPLC-MS/MS
2.1. Extraction de l’ADN cellulaire
2.2. Digestion enzymatique de l’ADN
2.3. Analyse HPLC-MS/MS
3. Test ExSy-SPOT
3.1. Préparation des substrats plasmidiques contenant une lésion spécifique
3.2. Fonctionnalisation de la lame
3.3. Mesure des activités de réparation par réaction in vitro d’excision/resynthèse
3.4. Normalisation des données
3.5. Interprétation des données
3.6. Contrôle qualité des puces fonctionnalisées
4. Analyse statistique
Chapitre 3 : Résultats
1. Introduction
2. Etude de la réponse cellulaire au CAA et son précurseur l’IFO
2.1. Optimisation de la formation des lésions Ethénobases dans le plasmide pour le test ExSySPOT
2.2. Test de viabilité cellulaire et traitement cellulaire avec le CAA et l’IFO
2.3. Caractérisation des activités de réparation de l’ADN en réponse au CAA et à l’IFO
3. Etude de la réponse cellulaire au BPDE et son précurseur le B[a]P
3.1. Optimisation de la formation des adduits du BPDE dans le plasmide pour le test ExSy-SPOT
3.2. Test de viabilité cellulaire et traitement cellulaire avec le BPDE et le B[a]P
3.3. Caractérisation des activités de réparation de l’ADN en réponse au BPDE et B[a]P
4. Conclusions
4.1. Optimisation du test de réparation pour des applications environnementales et professionnelles
4.2. Etude des conséquences de l’exposition au CAA et à l’IFO
4.3. Etude des conséquences de l’exposition au BPDE et au B[a]P
4.4. Résumé
Chapitre 4 : Discussion
1. Optimisation du test de réparation pour des applications environnementales et professionnelles
2. Impact des agents génotoxiques sur la formation des dommages et la réparation de l’ADN
2.1. Cas particulier du CAA
2.2. Variabilité de la réponse cellulaire
2.3. Seuil de la réponse cellulaire
2.4. Spécificité de la réponse cellulaire
Conclusion et Perspectives
Références Bibliographiques
Résumé/Abstract