La répercussion du coût des marées noires à travers le régime international

Le risque de marée noire 

« Amoco Cadiz », « Exxon Valdez », « Erika », « Prestige » sont des noms qui résonnent vivement dans les mémoires collectives. Plus que les navires qui les portaient, ils évoquent chacun un type particulier de pollution marine, qualifié de marée noire. Les marées noires désignent communément des pollutions majeures de l’environnement littoral et marin, consécutives à des rejets massifs d’hydrocarbures à partir de navires pétroliers. Les volumes déversés dépassent fréquemment la dizaine de milliers de tonnes et peuvent atteindre 287 000 tonnes de pétrole, comme à la suite du naufrage de l’Atlantic Empress (Anonyme 2005f). Leur étendue est souvent considérable. Les produits pétroliers non-raffinés rejetés en mer forment des nappes plus ou moins grandes qui dérivent au gré des courants et des vents. Leur dispersion rend très difficile toute prévision concernant la portion de littoral affectée, qui peut atteindre plusieurs centaines de kilomètres.

Au travers de leurs impacts physiques et biologiques sur l’environnement marin et côtier, les marées noires peuvent être la cause de perturbations considérables (Laubier 1991, Bastien Ventura et al. 2005). Leurs conséquences écologiques et économiques nombreuses, diversifiées et souvent complexes, sont des sources de bouleversements profonds pour les différents acteurs impliqués (Anonyme 1984a, Bonnieux et Rainelli 1991, Hay et Thébaud 2002, Thébaud et al. 2003). Outre les dégâts causés dans un premier temps aux biens (dont la perte du navire et celle de la marchandise) et aux ressources naturelles (qu’elles fassent ou non l’objet d’une exploitation humaine), les marées noires génèrent d’autres types de dommages. Ainsi, les activités dépendant fortement de la qualité du littoral (le secteur du tourisme ou le secteur des pêches par exemple) subissent des pertes financières du fait de la dégradation de l’environnement. De même, les activités de nettoyage consécutives à un déversement d’hydrocarbures mobilisent des moyens humains et matériels pendant une période relativement longue et empêchent leur affectation à d’autres emplois. Enfin, l’altération de l’environnement constitue une dégradation du cadre de vie pour les individus situés à proximité du littoral.

Les marées noires les plus emblématiques sont synonymes de préjudices économiques considérables (Anonyme 1984a, Bonnieux et Rainelli 1991, Carson et al. 1992, Bonnieux et Rainelli 2002, Hay et Thébaud 2002, Thébaud et al. 2003, Thébaud et al. 2004). Le coût social de la catastrophe de l’Amoco Cadiz, survenue en 1978, a été estimé à près d’1,75 milliards de francs de l’époque, soit un peu plus de 790 millions d’euro actuels (Hay et Thébaud 2002). Par ailleurs, plus de deux milliards de dollars ont été consacrés aux opérations de nettoyage et de remise en état de l’environnement entreprises à la suite de la marée noire de l’Exxon Valdez (McCammon 2004). Les pertes de valeurs de non-usage de l’environnement dues à cette même marée noire ont été évaluées entre 2,8 et 7,19 milliards de dollars 1990 (Carson et al. 2003). Enfin, au mois de septembre 2005, les victimes des marées noires de l’Erika et du Prestige avaient adressé des demandes d’indemnisation à hauteur respectivement de 541,5 et 935,3 millions d’euro (Anonyme 2005k, Anonyme 2005a).

Les marées noires : fruit d’une logique économique des acteurs du transport maritime

En apparence, les déversements massifs d’hydrocarbures dans le milieu marin sont exceptionnels et résultent d’événements fortuits en mer, comme un incendie à bord des navires, une explosion, une collision entre navires ou un naufrage (Anonyme 2005f). Cependant, les circonstances d’un grand nombre de marées noires prouvent que ces pollutions sont dues avant tout à un ensemble de déficiences techniques et humaines qui auraient pu être évitées en faisant davantage d’efforts de prévention (Bertrand 2000, Anonyme 2000b).

Les marées noires représentent la facette la plus médiatique de l’insécurité maritime. Elles sont associées à la présence au sein de la flotte pétrolière mondiale d’acteurs économiques dont la qualité des pratiques de navigation est insuffisante et qui font supporter un risque important à leurs équipages et à l’environnement.

L’état actuel de la sécurité du transport maritime d’hydrocarbures s’explique en partie par les modifications profondes des jeux d’acteurs observées dans la filière du transport maritime d’hydrocarbures ces 40 dernières années (Anonyme 1999f, Muller et al. 2000). Dans les années 50 et 60, la majeure partie de la flotte pétrolière mondiale était contrôlée par les principales compagnies pétrolières mondiales dans le cadre d’un système de logistique intégrée. Leur politique générale consistait à détenir assez de navires pour assurer entre un tiers et deux tiers de leurs besoins de transport de pétrole et à recourir à l’affrètement à long terme de navires pour couvrir la majeure partie de la différence, la part revenant à l’affrètement au voyage oscillant entre 5 et 10% (Stopford 1997).

A la suite du choc pétrolier de 1973, la volatilité inédite des échanges de pétrole se répercuta sur le volume de transport maritime d’hydrocarbures. Cette activité comportait dès lors un risque financier certain que les compagnies pétrolières cherchèrent à minimiser d’une part en se désengageant fortement de ce secteur, et d’autre part en recourant de moins en moins à l’affrètement à temps, au profit de l’affrètement au voyage. Depuis cette époque, le retrait des compagnies pétrolières a été largement compensé par l’apparition de multiples sociétés de transport pétrolier indépendantes, de petite taille et capables de plus de flexibilité (Anonyme 1999f).

La prévention des marées noires et le débat autour de la responsabilisation des acteurs du transport maritime

Le caractère catastrophique des marées noires et l’émotion profonde qu’elles suscitent ne sont pas restés sans réponses. Un ensemble de mesures a été progressivement mis en place à partir des années 1960 pour prévenir les marées noires et limiter leurs conséquences (Wu 1994, Muller et al. 2000, Scapel 2000, Anonyme 2000b, Anonyme 2000h).

Compte tenu de la dimension transnationale de l’activité de transport maritime, les questions de sécurité maritime et de protection de l’environnement marin ont été principalement traitées à l’échelle internationale, à travers l’adoption de règles communes de sécurité (Boisson 1998). Des normes techniques de construction et d’équipement des navires pétroliers ont été élaborées afin de prévenir le risque d’accidents pétroliers et de limiter l’ampleur des pollutions. Des contrôles obligatoires ont été instaurés afin d’apprécier la navigabilité des navires pétroliers et de vérifier le respect des normes internationales. Plusieurs dispositifs de séparation du trafic maritime ont été définis à travers le monde dans l’objectif de réduire les risques de collision et de naufrage, comme en Bretagne au large d’Ouessant. Enfin, des mesures ont été prises visant à interdire progressivement l’utilisation de certaines catégories de navires pétroliers considérées comme plus dangereuses, notamment les pétroliers simple-coque.

Différentes mesures ont également été prises à des échelons inférieurs, dans le respect de la législation internationale. L’Union Européenne, par exemple, interdit dans ses ports depuis le 21 octobre 2003 les pétroliers simple-coque transportant des pétroles lourds (Anonyme 2003m). A l’échelon des pays, des plans d’intervention ont été définis afin de mobiliser et coordonner des moyens de lutte préexistants en cas de pollutions accidentelles, à l’exemple des plans POLMAR Mer et POLMAR Terre en France. Des dispositifs ont également été mis en place afin de surveiller le trafic maritime et d’alerter les autorités compétentes en cas de risque de pollution, comme les différents centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS) installés le long du littoral hexagonal.

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Table des matières

Remerciements
Glossaire
Sommaire
Introduction générale
Contexte
Objet et méthode
Plan de la thèse
1 Théorie économique de la prévention des pollutions accidentelles au moyen des régimes de responsabilité
Introduction
1.1 La fonction préventive des régimes de responsabilité
1.2 Les règles de responsabilité comme instruments de politique environnementale
1.3 Discussion de l’efficacité des règles de responsabilité en matière de prévention des accidents environnementaux
Conclusion
2 Les instruments de prévention des marées noires
Introduction
2.1 Les instruments de type command and control et leurs limites
2.2 Les régimes de responsabilité
Conclusion
3 La répercussion du coût des marées noires à travers le régime international
Introduction
3.1 L’évaluation des dommages causés par les marées noires
3.2 L’indemnisation des dommages dans le cadre du régime international de 1992
3.3 Analyse de la présentation de demandes d’indemnisation par les victimes
Conclusion
4 L’influence de la responsabilité financière partagée
Introduction
4.1 Présentation de l’approche de modélisation retenue
4.2 Responsabilité partagée entre un propriétaire de navire et une compagnie pétrolière
4.3 Introduction de l’assurance responsabilité du propriétaire de navire
4.4 Introduction d’un fonds mutualisé à la charge des compagnies pétrolières
Conclusion
5 Le contrôle du risque des navires par l’assurance P&I
Introduction
5.1 Les mutuelles d’assurance P&I
5.2 L’action des clubs P&I en matière de prévention des risques
5.3 La difficulté d’apprécier le risque des navires
5.4 La corrélation insuffisante des primes d’assurance P&I aux risques des navires
5.5 Prévenir les risques et satisfaire les intérêts des propriétaires de navire : deux objectifs parfois divergents
5.6 L’impact financier limité des primes P&I
Conclusion
6 Acceptabilité internationale du régime CLC/FIPOL et prévention des accidents
Introduction
6.1 Le régime international de responsabilité et d’indemnisation : fruit d’un compromis entre Etats
6.2 Modélisation des relations entre les conditions d’existence d’un régime international et son efficacité en matière de prévention
Conclusion
Conclusion générale

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