La rencontre entre Orient et Occident
Jโai dรฉcidรฉ de commencer mon propos en analysant la rencontre entre Orient et Occident car celle-ci constitue le point de dรฉpart fondamental de lโhistoire des opรฉras choisis.
Cette rencontre, qui est physique, est possible car lโOrient et lโOccident sont deux mondes distincts et que les Occidentaux cherchent ร dรฉcouvrir cet autre monde. Sans cette rencontre il nโy aurait pas la crรฉation de reprรฉsentations stigmatisantes et stรฉrรฉotypรฉes de lโautre, en lโoccurrence de lโOrient. Ainsi, la notion de rencontre me permet de situer tout mon propos dans lโorientalisme dโEdward Saรฏd et รฉgalement dโaborder le concept gรฉographique de lieu (ยซ Portion dรฉterminรฉ de lโespace ยป selon le dictionnaire le Robert Plus de 2007).
En effet, ce sont dans les lieux que se dรฉroulent et se localisent des phรฉnomรจnes gรฉographiques. La notion de ยซ rencontre ยป (fait que deux personnes se trouvent รชtre en contact) se situant dans la gรฉographie sociale nous permet dโanalyser la rencontre ร partir du lieu, dโautant plus que ce lieu est dรฉterminant pour lโaction et permet de poser certaines questions.
Si lโhistoire de lโopรฉra se dรฉroulait en Occident, nous nโaurions, tout dโabord, pas la dรฉcouverte dโune culture รฉtrangรจre ร la nรดtre, mais surtout nous questionnerions sรปrement de maniรจre diffรฉrente lโissue de lโopรฉra. Les enjeux ne seraient pas les mรชmes et bien que certaines questions resteraient identiques (par exemple : les amants arriveront-ils ร sโenfuir ? etc.), le fait dโรชtre dans un lieu totalement รฉtranger au nรดtre ferait รฉvoluer les questions. Cโest dโailleurs ce que jโai pu constater : lโOccidental va-t-il dominer dans un pays qui nโest pas le sien ? Lโhomme oriental peut-il รชtre meilleur que lโoccidental ? La femme occidentale est-elle identique ร la femme orientale ? Ainsi, la question du lieu amรจne de nombreuses et nouvelles questions et, parce que le lieu se trouve รชtre diffรฉrent, lโHomme en vient ร interroger lโaltรฉritรฉ. Lโaltรฉritรฉ est un concept souvent utilisรฉ au sens philosophique pour dรฉsigner la dรฉcouverte dโun ยซ autre ยป qui se trouve รชtre totalement diffรฉrent de nous. Mais, pour approfondir cette question de lโaltรฉritรฉ, il faut comprendre que celle-ci vient dโune volontรฉ de comprendre lโautre, ce qui permet la relation entre les protagonistes. Si lโaltรฉritรฉ nโa pas lieu alors les deux mondes se trouvent รชtre en confrontation et ils ne peuvent par consรฉquent pas se comprendre.
Lโopรฉra รฉtant une culture de masse ร ses dรฉbuts (comme je lโai expliquรฉ dans lโintroduction), il constitue un excellent moyen de faire voyager les spectateurs et de leur faire dรฉcouvrir une culture diffรฉrente de la leur. Il permet รฉgalement de faire miroir ou รฉcho ร lโactualitรฉ.
Dans cette partie je cherche ร dรฉmontrer comment la rencontre est possible, cโest-ร dire quelles sont les modalitรฉs requises pour que la rencontre ait lieu. Cโest pourquoi la premiรจre partie visera ร problรฉmatiser les opรฉras afin de rendre compte du fait que lโhistoire est basรฉe sur la rencontre entre deux mondes et sโinscrit dans ce mouvement orientaliste.En ce qui concerne Les pรชcheurs de perles,jโexpliquerai quโil nโy a pas de rencontres physiques.
Son but est de faire dรฉcouvrir un peuple qui habite sur une รฎle, qui paraรฎt pourtant inhabitรฉe, mais dont on parle car lโethnologie se crรฉe.
Il sโagit de faire dรฉcouvrir aux spectateurs occidentaux des cultures diffรฉrentes. Ensuite, je rendrai compte des rรฉfรฉrences historiques et culturelles qui font que les opรฉras sont รฉcrits sur ces thรจmes prรฉcis. Enfin, jโanalyserai le concept dโaltรฉritรฉ ร travers la reprรฉsentation des lieux et la reprรฉsentation de la femme comme objet de dรฉsirs et de fantasmes.
Prรฉsentation des trois opรฉras : une histoire ยซ orientaliste ยป
Pour commencer mon travail dโanalyse, il me faut tout dโabord prรฉsenter les trois opรฉras que jโai sรฉlectionnรฉ car, en effet, leur histoire se trouve รชtre ยซ orientaliste ยป. Jโemploie ici le terme ยซ orientaliste ยป dans le sens oรน les opรฉras traitent de sujets dโinspirations orientales et quโils ont รฉtรฉ รฉcrits par des Occidentaux ayant une certaine reprรฉsentation de lโOrient. Lโutilisation de ce terme me permet รฉgalement dโรฉvoquer lโorientalisme dโEdward Saรฏd, ร ceci prรจs que jโestime que lโorientalisme ne dรฉbute pas avec la conquรชte de lโรgypte que lโauteur analyse ร travers les discours de Balfour. En effet, si lโon reprend cette citation disant que lโOrient ยซ a presque รฉtรฉ une invention de lโEurope ยป (Saรฏd, 2015, p.30) alors on peut lโutiliser pour dire que cette invention ne date pas seulement de la colonisation. Elle est, pour moi, bien plus ancienne, ร en juger par la date de composition de certains opรฉras vรฉhiculant des reprรฉsentations stรฉrรฉotypรฉes de lโOrient et traitant de la rencontre entre Orient et Occident. Jโajoute que ces trois opรฉras sont des moyens de donner ร voir lโOrient : ils participent ร la crรฉation, ร lโinvention de lโOrient, puisquโils cherchent ร reproduire sur scรจne un lieu รฉtranger et exotique, afin de montrer au public qui ne voyage pas que lโOrient vient ร eux pour รชtre dรฉcouverte.
Nous verrons รฉgalement ร travers ces rรฉsumรฉs dโopรฉras de quelle maniรจre nous nous trouvons dans la logique que Franรงois Hartog dรฉcrit dans son livre Le miroir dโHรฉrodote : Hรฉrodote, en voyageant et en dรฉcrivant ce quโil dรฉcouvrait dans les autres sociรฉtรฉs, se dรฉcrivait lui-mรชme par miroir. ร la diffรฉrence, dans les opรฉras prรฉsentรฉs, il est possible que le protagoniste parle de ce qui est bien/bon chez lui et sous-entende ainsi que ces valeursexemplaires dont il dispose nโexistent pas en Orient. Il sโagit de tout faire pour que le spectateur dรฉcouvre lโautre, lโรฉtranger, lโaltรฉritรฉ.
Un contexte d’รฉcriture marquant l’opรฉra
ยซ Au siรจcle de Louis XIV, on รฉtait hellรฉniste, maintenant, on est orientaliste. Il y a un pas de fait. Jamais tant dโintelligences nโont fouillรฉ ร la fois ce grand abรฎme de lโAsieโฆ Le statu quo europรฉen, dรฉjร vermoulu et lรฉzardรฉ, craque du cรดtรฉ de Constantinople. Tout le continent penche ร lโOrient. ยป
Victor Hugo, Les Orientales
Lโopรฉra prend appui sur son รฉpoque et son histoire qui constituent un arriรจre-plan riche sur lequel il est possible de sโappuyer pour รฉcrire les livrets. Comme le dit Hugo, le continent occidental a le regard tournรฉ vers lโOrient car cโest cet endroit quโils cherchent ร dรฉcouvrir. De fait, les compositeurs et librettistes sont influencรฉs par les รฉvรจnements historiques marquants quโils vivent. En tant quโartistes, ils sโen imprรจgnent forcรฉment, au point de le faire ressentir dans leur opรฉra. Certains opรฉras font lโobjet dโune commande pour un รฉvรจnement particulier (comme nous le verrons ci-dessous pour Lโenlรจvement au sรฉrail) ancrant ainsi lโopรฉra dans un contexte historique tout ร fait particulier. Cette seconde souspartie me permet par consรฉquent de continuer ma dรฉmonstration en appliquant une dimension plus rรฉelle en prenant en considรฉration le contexte historique de la crรฉation de lโopรฉra, qui dรฉpasse dรจs lors la simple histoire fictive. Cela renforce lโidรฉe quโil y a bien une rencontre, quโelle nโest pas que fiction mais au contraire rรฉelle. Il est intรฉressant de constater que cette rencontre nโest pas quโhistorique : elle est รฉgalement culturelle. En effet, la dรฉcouverte de cet autre monde a permis ร la culture de ce dernier de rayonner et de crรฉer certaines modes en fonction de lโรฉpoque dans certains pays.
Puisque lโopรฉra รฉtait une culture de masse, il sโagissait de plaire au maximum de personnes, ce qui explique pourquoi les compositeurs suivaient les modes et inscrivaient dans leurs travaux des ornementations rappelant lโOrient.
Ceci permettait รฉgalement de faire voyager les spectateurs et de leur donner un aperรงu musical dโun monde qui leur รฉtait รฉtranger.
Des rรฉfรฉrences historiques : crรฉations de ยซย plusieursย ยป Orients
Jโรฉvoque ici lโidรฉe quโil y a plusieurs Orients, tout simplement parce quโร lโรฉpoque oรน ont รฉtรฉ รฉcrits ces opรฉras, lโOrient est entendu comme le monde nโรฉtant pas occidental. De fait, ร partir du moment oรน lโon sโรฉloigne de lโOccident et que lโon trouve des peuples aux religions diffรฉrentes et aux langues diffรฉrentes, alors on est en Orient.
Dans les opรฉras que jโรฉtudie, cette idรฉe des Orients multiples est vraiment marquante car chaque opรฉra รฉvoque un Orient diffรฉrent. Comme je lโai mentionnรฉ dans lโintroduction, je me trouve en prรฉsence de LโEmpire Ottoman, de lโIle de Ceylan et du Japon. Tous sont des Orients. LโOrient viennois est donc particulier par exemple. Pour eux, lโOrient est lร oรน lโon parle turc, arabe ou perse.
ยซ A cela rรฉpond encore une incertitude spatiale, qui est propre aussi ร lโorientalisme. Gรฉographiquement parlant, lโOrient est fluctuant et incertain.ยป
LโOrient est lร oรน on en parle. Il rรฉpond plus ร des codes esthรฉtiques et moraux quโร une localisation formelle et dรฉfinitive.
Finalement le terme Orient devient en quelque sorte un terme un peu ยซ fourre-tout ยป oรน lโon peut insรฉrer chaque destination qui reprรฉsente une altรฉritรฉ, cโest-ร -dire un monde รฉtranger au monde occidental. Le contexte historique peut avoir un impact significatif sur la crรฉation de lโopรฉra puisque certaines parties du monde รฉvoquent plus tardivement un intรฉrรชt pour lโOccident.
Bien que le livret de lโopรฉra puisse รชtre tirรฉ dโune histoire ancienne ou non, il reflรจte une vision actuelle de la sociรฉtรฉ. Dans la mesure oรน il sโagit de plaire aux spectateurs afin de connaรฎtre le succรจs, lโopรฉra se doit de ยซ coller ยป aux รฉvรจnements qui ont lieu au moment de sa crรฉation tout en confortant les gens dans leurs opinions. Cโest en ce sens que lโanalyse gรฉopolitique est importante car elle permet de comprendre que lโopรฉra est aussi un instrument politique, cโest-ร -dire que lโopรฉra donne ร voir sa position et sa dรฉcision dans certaines situations.
Lโenlรจvement au sรฉrail
Cette histoire est รฉcrite en 1782 par Johan Gottlieb Stephanie et mis en musique par W.A. Mozart. Cet opรฉra est รฉcrit, au dรฉpart, pour rรฉpondre ร une commande de lโEmpereur Joseph II dโAutriche qui souhaite honorer la venue du duc Paul de Russie, futur tsar, ร Vienne. Lโopรฉra reflรจte donc une certaine rรฉalitรฉ puisque, cette annรฉe-lร , Catherine II de Russie propose ร Joseph II de sโallier contre lโEmpire Ottoman afin de gagner la guerre contre eux et de se partager ensuite, le territoire sโil y a victoire. Joseph, qui veut reprendre les hostilitรฉs envers les Turcs, sโallie ร lโimpรฉratrice de Russie et dรฉclare la guerre ร lโEmpire Ottoman. Cโest dโailleurs en 1782 que Catherine II envoie sa flotte en mer รgรฉe et sโempare de la Crimรฉe : lโEmpire Ottoman subit donc de cuisantes dรฉfaites.
Lโopรฉra aura รฉtรฉ un bon moyen pour montrer son engagement dans cette alliance ainsi que son ressentiment face aux Turcs. Il faut rappeler que lโopรฉra fait partie de ce que lโon appelle le soft power. Bien que ce concept soit dรฉveloppรฉ bien plus tard (XX รจme siรจcle) par Joseph Nye, il traduit tout ร fait lโutilisation que fait Joseph II de lโopรฉra en Allemagne puisque Joseph II va se servir de lโopรฉra pour faire rayonner la culture allemande et renforcer son identitรฉ nationale.
Finalement, cet opรฉra de Mozart nโest pas crรฉรฉ pour cette occasion prรฉcise, mais un peu plus tard, tout en gardant ร lโesprit que lโEmpire Ottoman est lโennemi de lโรฉpoque. Mozart et son librettiste prennent le partie dโรฉvoquer la rencontre entre Espagnols et Turcssans parler de lโEmpire Ottoman.
Historiquement, les vassaux Ottomans, les Turcs, mรจnent tout au long du XVIรจme siรจcle des pillages contre les comptoirs espagnols : ils pillent en gรฉnรฉral les villes du littoral, enlรจvent certains habitants pour en faire des esclaves et repartent rapidement dans leurs pays.
Mais ils attaquent aussi des bateaux, cโest dโailleurs ร cause de cette rรฉfรฉrence historique que lโhistoire de Lโenlรจvement au sรฉrail peut avoir lieu puisque Constance, Blonde et Pรฉdrillo sont enlevรฉs et enfermรฉs dans le palais du Pacha Selim.Nom qui nโest pas inconnu puisquโil rรฉfรจre ร Selim II qui rรฉgna sur lโEmpire Ottoman du temps oรน de grandes expรฉditions sur mer et terre ont eu lieu contre les Russes et les Autrichiens, ces derniers ont รฉtรฉ assiรฉgรฉs ร Vienne en 1683. Sโajoute aussi la rivalitรฉ religieuse traditionnelle entre les chrรฉtiens et les musulmans. Tout ceci permet de montrer que lโopรฉra traite de cette rencontre et sโen sert pour en faire une histoire, celle-ci sโinspirant de faits historiques. รgalement, cet opรฉra est lโun des premiers de son genre puisque cโest un Singspiel, cโest-ร -dire un opรฉra caractรฉrisรฉ par une alternance de passages chantรฉs et parlรฉs.
En effet, Joseph II, couronnรฉ en 1776, veut favoriser lโรฉmergence dโun opรฉra allemand au Burgtheater de Vienne. Il veut รฉgalement promouvoir la langue allemande dans lโopรฉra lors de la crรฉation du Nationaltheater en 1776, cโest pour cela que lโopรฉra nโest pas composรฉ sur un livret italien (langue qui domine pourtant lโopรฉra ร cette รฉpoque), mais sur un livret en allemand. Joseph a dรฉjร la conviction quโil faut รฉveiller la conscience nationale.
Malheureusement, ce sera un รฉchec puisque le Nationaltheater sera remplacรฉ par une troupe dโopรฉra bouffe italien. La mode รฉtant ร lโitalien, il est difficile dโaller ร contre-courant bien que cette ambition sโinscrive dans une optique de dรฉveloppement et de rayonnement culturel.
Madame Butterfly
Cet opรฉra a รฉtรฉ composรฉ en 1903 ร partir de plusieurs sources littรฉraires : le livre Madame Chrysanthรจmede Pierre Loti paru en 1887, puis le feuilleton Madame Butterflyen 1989 de John Luther Long donnant par la suite la piรจce de thรฉรขtre de David Belasco. Cโest donc une histoire qui a รฉtรฉ revisitรฉe plusieurs fois. Comme je lโai dit auparavant, cโest lโhistoire dโun Amรฉricain qui arrive au Japon, se marie avec une Japonaise et dรฉcouvre sa culture avant de lโabandonner, estimant que sa vรฉritable รฉpouse sera amรฉricaine. Du point de vue du contexte historique, il est intรฉressant de constater que les auteurs de cette histoire ce sont inspirรฉs du contexte historique pour รฉvoquer les relations entre le Japon et les รtats-Unis qui dรฉbutent en 1853 avec lโarrivรฉe du commodore Perry dans lโEmpire japonais.
Le Japon รฉtait un pays trรจs fermรฉ aux รฉtrangers malgrรฉ les tentatives pour accรฉder ร ce pays exotique. Aprรจs un certain temps de nรฉgociations, les Amรฉricains parviennent ร contraindre les Japonais ร sโouvrir sur le monde extรฉrieur et ร les accueillir chez eux.
Dโun point de vue historique, il y a dรฉjร une certaine domination amรฉricaine, occidentale, sur le Japon qui reprรฉsente un Orient. En 1854, le gouvernement autorise les bateaux amรฉricains ร se rรฉapprovisionner dans les ports japonais et un consul amรฉricain est mรชme autorisรฉ ร sโรฉtablir sur le sol japonais. Par la suite les relations entre les รtats-Unis et le Japon sโamรฉliorent avec la signature de divers traitรฉs. Le Japon apprend des Amรฉricains et dรฉcide de copier les modรจles occidentaux, cโest pour cela que ce pays se lance dans lโindustrialisation et la colonisation.
Il est possible de retrouver ces รฉlรฉments dans lโopรฉra puisque lโhistoire se dรฉroule ร Nagasaki qui est une ville portuaire oรน les navires amรฉricains peuvent sโarrรชter pour se rรฉapprovisionner. Pinkerton y rencontre le consul amรฉricain Sharpless ; la prรฉsence de ce dernier montre bien quโil y a des relations diplomatiques entre les deux pays. On mentionne รฉgalement dans le livret la prรฉsence de ยซ la mission ยป, cโest-ร -dire la mission chrรฉtienne pour ceux qui souhaiteraient se convertir au christianisme. Les Amรฉricains importent donc leur mode de vie au Japon.
De plus, ร ce moment, en Italie, nous sommes en plein courant Vรฉrisme qui est un terme provenant de lโitalien verismo formรฉ de vero qui veut dire ยซ vrai ยป. Cโest un mouvement littรฉraire nรฉ en 1890 qui est proche du naturalisme franรงais. Son principe fondamental est dโancrer ses sujets dans la rรฉalitรฉ sociale du XIX รจme siรจcle.
Les opรฉras vรฉristes se dรฉroulent donc dans un cadre rรฉaliste avec des situations issues de la vie quotidienne. On fait place ร lโhomme du peuple qui, auparavant, nโavait pas sa place sur scรจne et nโรฉtait que trรจs rarement citรฉ. Dans le vรฉrisme, cet homme du peuple est dรฉsignรฉ comme รฉtant le vรฉritable hรฉros de lโรฉpoque. Cโest le cas du personnage de Madame Butterfly. Cโest ce courant vรฉriste qui permet ร Puccini, dans son opรฉra, de montrer une Geisha รฉpousant un homme amรฉricain plutรดt riche ; Geisha qui devient rapidement lโhรฉroรฏne de lโopรฉra. Puccini nous montre le quotidien et cherche ร รชtre le plus fidรจle possible lorsquโil รฉvoque la culture japonaise, dโoรน les dรฉtails qui nous sont donnรฉs sur la maison japonaise, sur les croyances et mรชme sur la signification du nom des gens. Puccini sโappuie donc sur le contexte historique de lโรฉpoque et sur un contexte culturel particulier pour exploiter lโhistoire et le monde รฉtranger quโil offre ร dรฉcouvrir ร travers son ลuvre.
Les pรชcheurs de perles
En ce qui concerne cet opรฉra, le contexte historique peut se retrouver dans certains aspects mais de maniรจre beaucoup moins frappante. En effet, Les pรชcheurs de perles est en quelque sorte lโopรฉra qui me permet de nuancer mon propos, en disant que tous les opรฉras ne reposent pas toujours complรฉtement sur le contexte historique. Contrairement ร Lโenlรจvement au sรฉrail qui fut une commande avant de devenir un opรฉra crรฉรฉ dans un but de faire rayonner la culture allemande ou ร Madame Butterfly qui reposait exclusivement sur une premiรจre histoire prenant appui sur la rencontre entre Amรฉrique et Japon, Les pรชcheurs de perle ne traite en rien dโun sujet rรฉellement actuel pour lโรฉpoque. En revanche, certains aspects de lโopรฉra rendent compte de la sociรฉtรฉ dans laquelle il a รฉtรฉ รฉcrit. En effet, la prรฉsence de la religion comme รฉtant un instrument de pouvoir reflรจte bien une sociรฉtรฉ, ร lโรฉpoque de Bizet, oรน la religion รฉtait liรฉe au pouvoir du dirigeant. ร tel point dโailleurs que la religion avait tendance ร primer sur le pouvoir du dirigeant puisque le peuple craignait dโavantage son/ses dieu(x).
Le XIXรจme siรจcle commence ร รฉtudier lโOrient ร travers la naissance de lโethnologie qui est une science humaine et sociale qui apparaรฎt fin XVIII รจme et qui prend de lโimportance tout au long du XIX รจme . Au dรฉpart, cette science relevait souvent de la ยซ classification des races ยป, cโest-ร -dire quโelle cherchait ร รฉtudier, ร travers des documents pouvant รชtre rapportรฉs par des explorateurs les peuples รฉtrangers pour les classer. Nous nous trouvons donc dans une รฉpoque qui cherche ร accentuer son identitรฉ par le biais de la dรฉcouverte dโautres peuples, ce qui offre un arriรจre-plan permettant de nourrir cet opรฉra.
Comme je lโai dit auparavant en rรฉsumant Les pรชcheurs de perles, nous avons dans cette ลuvre un peuple nomade, sauvage, qui se retrouve sur un littoral de lโIle de Ceylan, qui, en 1863, รฉvoque une Ile colonisรฉe par lโEmpire britannique. Cette colonisation nous permet de dรฉcouvrir ce peuple qui est diffรฉrent du nรดtre, et qui paraรฎt รชtre, en tous points, opposรฉ ร nos valeurs et ร ce que nous sommes. Nรฉanmoins, dans leur sociรฉtรฉ, ils doivent รฉlire un roi et se soumettre ร leur religion, ce qui se rapproche รฉnormรฉment de nos sociรฉtรฉs de lโรฉpoque.
LโIle de Ceylan est historiquement connue pour la culture de ses perles, on comprend donc pourquoi Bizet en a fait le titre de son opรฉra. La culture de la perle รฉtant ce qui fonde la diffรฉrence entre eux et nous. La culture de la perle les oblige ร รชtre nomade et cโest justement parce quโils sont nomades, lโethnologue de lโรฉpoque classe ce peuple comme รฉtant un peuple de bons sauvages un peu barbares, ayant une religion polythรฉiste et de nombreuses craintes face aux รฉlรฉments naturels.
Le contexte ou du moins les rรฉfรฉrences historiques impliquent รฉgalement quelques rรฉfรฉrences culturelles car lโhistoire est marquรฉe par les courants artistiques qui se dรฉploient en Occident, notamment grรขce ร la dรฉcouverte de lโOrient. Il sโagit ร prรฉsent dโรฉvoquer les deux courants principaux sur lesquels vont sโappuyer les opรฉras que jโai choisi dโanalyser.
Des rรฉfรฉrences culturelles musicales : l’orientalisme dans l’opรฉra
Lโorientalisme en musique nโest pas prรฉsent seulement grรขce ร la pรฉriode historique dans laquelle il a รฉtรฉ รฉcrit.Ce nโest pas un courant ni une technique artistique, mais plutรดt un thรจme ou mรชme une mode qui se rรฉpand en Europe entre le XVIIe et le tout dรฉbut du XXe siรจcle. Cโest pourquoi il est aussi prรฉsent ร travers le fait que, culturellement, on dรฉcouvre par exemple des sonoritรฉs diffรฉrentes, que lโon va chercher ร transmettre. รgalement, on sโintรฉresse aux instruments orientaux qui ne ressemblent pas, ou parfois ressemblent รฉtrangement ร ceux que nous connaissons.
Dans la mesure oรน lโorientalisme est un courant qui se base sur ce quโil dรฉcouvre de lโOrient pour renforcer sa culture occidentale, alors les courants artistiques se dรฉveloppant autour des dรฉcouvertes permettent de montrer les diffรฉrences entre les deux mondes, tout en cherchant dรฉmontrer que la culture occidentale reste la meilleure.
Le fait de nommer ces courants ยซ japonisme ยป ou ยซ turqueries ยป montre bien quโils nโont rien ร voir avec la culture occidentale, quโils sont le propre dโune culture bien prรฉcise et quโils suscitent nรฉanmoins un intรฉrรชt important.
En ce qui concerne Les pรชcheurs de perles, il nโy a pas de courant artistique prรฉcis sur lequel sโest appuyรฉ Bizet. Je pense que ceci vient du fait que la culture indienne nโavait pas encore rayonnรฉ suffisamment jusquโen Occident pour quโelle ait son propre courant. Et tout comme pour les rรฉfรฉrences historiques, cet opรฉra me permet de nuancer mon propos et de montrer que chaque opรฉra ne relรจve pas dโun courant particulier. Il est le fruit dโun dรฉsir de faire dรฉcouvrir ร un public un peuple diffรฉrent, รฉtranger, une altรฉritรฉ que lโon cherche ร comprendre. Jโai trouvรฉ dans les didascalies du livret, le nom dโun instrument illyrien (peuple indo-europรฉen) quโest la guzla (sorte de violon possรฉdant une seule corde qui se frotte) permettant dโaccompagner le cรฉlรจbre chant de Nadir ยซ Je crois encore entendreโฆ ยป. รgalement Bizet va signifier musicalement, par lโutilisation des percussions, le fait que cโest un peuple tribal et sauvage.
Ainsi, bien que la musique reste pourtant trรจs occidentale, certains passages sont orientalisรฉs afin de donner ร รฉcouter ce ร quoi peut ressembler la musique orientale.
Le japonisme
Le japonisme est, comme son nom lโindique, un courant artistique se crรฉant grรขce ร laย dรฉcouverte du Japon, mais ce terme de japonisme reprรฉsente surtout lโengouement de lโOccident pour le Japon. Ce terme ne fait pas rรฉfรฉrence ร la culture du Japon au Japon, mais bien la culture du Japon telle quโelle est rรฉceptionnรฉe Occident ainsi que son influence sur les artistes et รฉcrivains. Lโart rรฉsultant de cette influence est appelรฉ ยซ japonesque ยป.
En effet, ยซ lโextraordinaire vogue en faveur du Japon qui se propage [โฆ] dans le dernier tiers du XIXรจme siรจcle apparaรฎt comme un phรฉnomรจne ร rattacher sans aucun doute ร un large orientalisme, [โฆ]. Mais elle doit aussi se concevoir comme une nouvelle donne, dans la mesure oรน lโexotisme des annรฉes 1800-1850 sโรฉtait surtout portรฉ sur le Maghreb, la Palestine ou la Turquie au dรฉtriment des cultures chinoises indonรฉsiennes ou japonaises, moins sollicitรฉes parce que dโun accรจs encore malaisรฉ.ยป (Sabatier, in Miroirs de la musique, p.313, T.II).
Dans cette citation, Sabatier dit bien que si la ferveur envers la dรฉcouverte de la culture japonaise est si intense cโest bien parce que ce pays sโest ouvert au reste du monde, cette ouverture sโรฉtablissant grรขce aux traitรฉs รฉtablis avec les Amรฉricains. Sans certains รฉvรจnements historiques, le japonisme ne se serait peut-รชtre pas crรฉรฉ ou du moins il ne serait apparu que bien plus tard.
Ce courant transmet รฉgalement lโidรฉe que les artistes europรฉens qui sont influencรฉs par lโart japonais tentent de le retransmettre ร travers leurs ลuvres. Cโest en cela que Puccini est un exemple parfait avec Madame Butterfly, puisquโil a cherchรฉ ร retransmettre cette culture japonaise dans son opรฉra. Puisquโil se situe dans un mouvement de vรฉrisme, comme nous lโavons dit plus haut, il tente de prรฉsenter avec le plus de rรฉalitรฉ possible la culture japonaise, ร travers les personnages de la Geisha et de la servante Suzuki, mais surtout ร travers la maison qui est dรฉcrite lors du premier dialogue qui dรฉbute lโopรฉra.
De ce fait, pour รฉcrire cet opรฉra, Puccini se renseigne sur les caractรฉristiques de la musique traditionnelle japonaise. Il รฉtudie cette derniรจre afin dโapporter des touches japonaises dans sa musique et se sert alors dโairs japonais existants ou utilise par exemple la gamme pentatonique (gamme composรฉe de cinq sons) qui est ร lโorigine des musiques asiatiques et grรขce ร laquelle il va crรฉer toute une รฉcriture musicale reprenant des sonoritรฉs et des caractรจres asiatiques et, de ce fait, exotiques.
Ainsi, ร chacune des interventions mรฉlodiques japonaises de lโopรฉra, Puccini associe le timbre des bois (surtout le hautbois) ainsi que des cloches japonaises ou bien encore le gong afin de soutenir lโatmosphรจre japonaise qui doit rรฉgner dans cette histoire รฉmouvante.
De plus, les notes sont รฉgrainรฉes de maniรจre piquรฉe pour se rapprocher des sonoritรฉs de l musique japonaise. Grรขce ร la musique, Puccini marque la diffรฉrence en crรฉant un thรจme occidental et militaire pour Pinkerton, lโhomme amรฉricain, et un thรจme doux et japonisant pour Madame Butterfly.
Cโest aussi cette musique qui entoure le personnage de Cio-Cio-San dans quelque chose de trรจs doux et de fรฉminin : la femme japonaise est trรจs jeune, elle nโa que 15 ans et la musique lโaccompagnant la rend encore plus frรชle et douce. Le public ressent bien quโil nโy a aucune violence en elle, cโest dโailleurs ce qui la perdra puisquโelle ne se rรฉvoltera jamais contre Pinkerton qui la voue dรจs le dรฉpart ร la mort. La musique montre cette soumission de lafemme face ร lโhomme conquรฉrant quโest lโAmรฉricain.
Les turqueries
La mode des turqueries marque toute lโEurope du XVIIIรจme siรจcle. En effet, ร cette รฉpoque, ยซ la Turquie incarne dans lโimaginaire de lโOccident chrรฉtien la figure dโun islam destructeur, violent et stรฉrileยป. Ces valeurs nรฉgatives quโil incarne sont bien ancrรฉes, ainsi les reprรฉsentations et idรฉes qui sont vรฉhiculรฉes par les personnes qui voyagent dans ce pays sont directement assimilรฉes comme รฉtant une vรฉritรฉ immuable. Il y a donc de vรฉritables reprรฉsentations de lโOrient qui ont รฉtรฉ vรฉhiculรฉes par des rรฉcits et que lโon a ancrรฉ dans notre vision comme si elles incarnaient la stricte vรฉritรฉ. Cโest pour cela que dans lโopรฉra, le texte insiste sur toutes ces reprรฉsentations puisque dans lโimaginaire du public de lโรฉpoque elles sont rรฉelles : le compositeur a tendance ร les conforter en les montrant dans son ลuvre car il offre une histoire plausible qui prouve que les Turcs se comportent bien comme on le prรฉtend.
Les turqueries sont donc des ลuvres dโinspiration orientalisme qui cherchent ร rendre compte de cette culture et notamment de lโEmpire Ottoman ร lโรฉpoque, bien que les ลuvres soient souvent plus soumises ร lโimaginaire europรฉen quโร la rรฉalitรฉ. Si Mozart parle de lโEmpire Ottoman, cโest ร la fois car la mode des turqueries est importante mais aussi parce que cet Empire est bien connu des Autrichiens puisquโil a รฉtรฉ leur ennemi et quโil a marquรฉ la culture viennoise (les fameux croissants).
Lโopรฉra LโEnlรจvement au sรฉra il donne quelques reprรฉsentations erronรฉes de lโOrient ; mais il sโagit de respecter avant tout les pensรฉes, fantasmes et reprรฉsentations des occidentaux. Cependant, je dois nuancer mon propos en rappelant que bien que Mozart et ses librettistes estiment lโOccident supรฉrieur ร lโOrient, et que la religion chrรฉtienne est mise en avant par rapport ร lโislam, ils restent nรฉanmoins prudents sur certains points et ne montrent pas un monde manichรฉen dans lequel il y aurait dโun cรดtรฉ les bons Occidentaux et de lโautre les mauvais Orientaux. Par ailleurs lโon sent une certaine ironie dans lโopรฉra car certains personnages sont beaucoup trop caricaturรฉs, notamment Osmin dont nous avons parlรฉ auparavant.
De plus, ยซ la turquerie demeure รฉtroitement liรฉe au registre comique, propice aux caricatures, et lโauthenticitรฉ nโest pas de mise.ยป (Le Nabour, in Dossier pรฉdagogique sur LโEnlรจvement au sรฉrail). Les turqueries rimeraient donc avec ยซ moquerie ยป ? Je pense que dans son opรฉra, Mozart cherche aussi ร dรฉmystifier les Turcs. Ils sont cruels mais font rire car tout est exagรฉrรฉ. Osmin est un personnage grotesque qui nโa aucune influence et nโest finalement pas effrayant puisquโil se fait avoir par son pire ennemi dont il disait ouvertement se mรฉfier ร chaque instant. Dans les turqueries, on ne joue pas de la musique turque, puisque nous nโavons ni les instruments ni les musiques venant de Turquie, on parle alors dโune musique dite alla turca,cโest-ร -dire une musique qui se conforme ร lโidรฉe que le public a de la musique turque.
Ainsi, dโun point de vue musical dans lโopรฉra, on entend bien que lโลuvre prรฉsente des รฉlรฉments รฉvocateurs de lโOrient, notamment durant lโouverture qui offre de nombreux contrastes grรขce aux percussions qui entrent ร un moment donnรฉ et qui donnent une impression dโexotisme et qui รฉvoquent lโunivers militaire des janissaires grรขce aux tambours, cymbales et au triangle. Elles ponctuent une mรฉlodie triomphante que lโon retrouve dans le chลur final de lโopรฉra. Lโutilisation des percussions est vraiment importante car elle dรฉnote dโun certain exotisme et elles signalent la violence et la barbarie de lโOriental, cโest pourquoi elles annoncent lโarrivรฉe des janissaires ou du Pacha Selim qui est censรฉ รชtre un homme cruel.
La deuxiรจme partie de lโouverture contraste car elle est moins rapide et les tonalitรฉs changent. ยซ Ces contrastes plus la prรฉsence des percussions contribuent ร crรฉer une atmosphรจre orientale typique des turqueries musicales de la fin du XVIIIรจme siรจcle.ยป (Le Nabour, in
Dossier pรฉdagogique sur LโEnlรจvement au sรฉrail). La prouesse musicale principale de LโEnlรจvement au sรฉrail rรฉside dans la possibilitรฉ de jouer une musique ร lโorientale avec des instruments occidentaux. Mozart travaille donc sur les sonoritรฉs afin de montrer au public que cโest un monde diffรฉrent du leur en tout point. Cette mode des turqueries permet donc ร Mozart dโรฉcrire une musique diffรฉrente qui plaรฎt ร son public et de signifier lโOrient ร travers la musique, en plus des personnages, et des dรฉcors et costumes.
Ces rรฉfรฉrences historiques et culturelles sont donc un apport riche pour lโopรฉra qui sโen nourrit et en profite pour attirer toujours plus de public souhaitant dรฉcouvrir et rรชver dโun monde รฉtranger. Les modes culturelles permettent รฉgalement dโinscrire lโopรฉra dans un mouvement artistique se tournant vers lโOrient et cherchant ร le transmettre en le reprรฉsentant de diverses faรงons.
Enfin, si cet apport culturel est possible cโest parce que lโรฉtranger a souvent rapport avec un exotisme qui attire et sรฉduit รฉnormรฉment. Cโest dโailleurs pour cela que lโon cherche ร fantasmer cet Orient, afin de faire voyager le spectateur qui a plaisir ร dรฉcouvrir des lieux exotiques aux multiples facettes ainsi que cet รฉrotisme intense que lโon retrouve seulement chez la femme dont le corps devient objet de fantasmes.
Lโexotisme de lโaltรฉritรฉ ou lโOrient fantasmรฉ
La crรฉation de lโidentitรฉ passe par une altรฉritรฉ que lโon dรฉcouvre et qui, parce quโelle est diffรฉrente, nous permet dโasseoir notre propre culture. Cโest ce que Saรฏd critique quand il dit que les orientalistes offrent des reprรฉsentations de lโOrient nรฉgatives pour permettre ร lโOccident de crรฉer son identitรฉ. Cette altรฉritรฉ est donc primordiale. Cela peut รฉgalement fonctionner dans les deux sens : les Orientaux peuvent trรจs bien crรฉer leur identitรฉ par opposition ร lโidentitรฉ occidentale. Nรฉanmoins, Saรฏd se place du cรดtรฉ de lโOrient victime, cโest pourquoi il estime que ce processus de crรฉation dโidentitรฉ par opposition ร autrui, ร lโautre monde nโest possible que dans un sens. Je ne peux malheureusement pas plus dรฉvelopper cette question dโidentitรฉ car cโest un sujet extrรชmement vaste qui demande des recherches et des analyses beaucoup plus complรจtes. La faรงon dont je traite des reprรฉsentations tout au long de mon mรฉmoire me permet dโaborder un unique point de la construction identitaire. ยซ Lโexpรฉrience de lโAutre, ou encore le problรจme du moi dโautrui et des humanitรฉs qui nous sont รฉtrangรจres a, presque toujours, posรฉ des difficultรฉs quasi insurmontables ร la tradition politique et philosophique occidentale. ยป (Mbembe, 2000). Cette citation rรฉsume plutรดt bien la pensรฉe que je retrouve dans lโopรฉra, cโest parce que lโautre, lโaltรฉritรฉ exotique pose des difficultรฉs de comprรฉhension que lโHomme occidental cherche ร ce point ร le saisir et ร le reprรฉsenter. Le fait de reprรฉsenter permet dโapporter une certaine comprรฉhension de lโautre tout en rรฉconfortant lโidentitรฉ occidentale dans son opposition ร lโidentitรฉ orientale. Malheureusement, cette reprรฉsentation est souvent exagรฉrรฉe au point de devenir caricatural et de montrer un Orient erronรฉe relevant plus du fantasme que de la rรฉalitรฉ.
Cette partie me permet par consรฉquent de dรฉvelopper ๏ญ aprรจs avoir analysรฉ les rรฉfรฉrences historiques et culturelles et expliquรฉ en quoi lโopรฉra se trouve problรฉmatisรฉ de maniรจre orientaliste ๏ญla question de lโaltรฉritรฉ. Cette notion est fondamentale dans la question de la rencontre, car si rencontre il y a, cโest parce que lโaltรฉritรฉ attire et fait rรชver.
Lโaltรฉritรฉ, qui est ร la base une notion philosophique, est au fond un concept assez gรฉographique (gรฉographie sociale notamment) car elle exprime la diffรฉrence et montre de ce fait une binaritรฉ, non pas que le monde se trouve รชtre manichรฉen, mais parce que lโaltรฉritรฉ dรฉmontre ici ๏ญdans le cadre de la rencontre entre Orient et Occident ๏ญquโil y a une personne Occidentale et que son autre est Oriental, cโest-ร -dire diffรฉrent, celle-ci devenant dรจs lors son altรฉritรฉ. Cela implique la dรฉcouverte dโun lieu exotique. Ici, le terme ยซ exotique ยป est ร entendre dans le sens oรน ce sont des lieux ยซ qui (dans une perception, notamment la perception occidentale) est perรงu comme รฉtrange et lointain et stimule l’imaginationยป (selon Le Robert Plus de 2007).
Dans un premier temps, je commencerai par dรฉvelopper lโaltรฉritรฉ du lieu et la perception exotique quโil offre. Le lieu est ร la base de tout commencement car pour que lโhistoire puisse se dรฉrouler il faut un lieu ; cโest seulement aprรจs que la dรฉcouverte du lieu que lโon peut avoir des protagonistes.
Dans un second temps, jโaborderai le fait que lโaltรฉritรฉ de la femme dans lโopรฉra se situe entre exotisme et รฉrotisme en prรฉcisant que si elle incarne une altรฉritรฉ fiรฉvreuse et fantasmรฉe cโest bien parce que ce sont les hommes, ร lโรฉpoque comme aujourdโhui dโailleurs, qui crรฉent en gรฉnรฉral les fantasmes, dโautant plus quand nous nous trouvons dans une sociรฉtรฉ soumise ร lโhomme.
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Table des matiรจres
1. La rencontre entre Orient et Occident
1.1 Prรฉsentation des trois opรฉras : une histoire ยซ orientaliste ยป
1.2 Un contexte d’รฉcriture marquant l’opรฉra
1.3 Lโexotisme de lโaltรฉritรฉ ou lโOrient fantasmรฉ
2. La reprรฉsentation de la sociรฉtรฉ grรขce ร la rencontre entre deux mondes รฉtrangers
2.1 La reprรฉsentation du pouvoir : quelle est sa place dans lโopรฉra ?
2.2 Les reprรฉsentations stigmatisantes et stรฉrรฉotypรฉes de lโautre