LA RELATIVISATION EN FRANÇAIS ET EN ARABE
La langue arabe
Nous inaugurons cette partie sur l’analyse constative de la relativisation en arabe en français par une rapide présentation de la langue arabe et de ses caractéristiques.
Brève caractérisation géographique et historique de la langue arabe
L’arabe est une langue parlée par plus de 220 millions de personnes et est la langue officielle d’au moins 24 pays :
1. Péninsule arabique : l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats Arabes Unis, Oman, le Qatar, le Yémen ;
2. Moyen-Orient : l’Irak, la Jordanie, le Koweït, le Liban, la Palestine, la Syrie ;
3. Afrique : l’Algérie, l’Égypte, les Comores, Djibouti, la Libye, le Maroc, la Mauritanie, la Tunisie, la Somalie, le Soudan, le Tchad et l’Érythrée.
C’est aussi la langue de référence pour plus d’un milliard de musulmans.
L’arabe est une langue sémitique (comme l’hébreu, l’araméen et le syriaque) appartenant à la famille des langues afro-asiatiques qui sont parlées en Afrique septentrionale et saharienne ainsi qu’au Proche et Moyen-Orient. Au sein de cet ensemble, elle appartient au sous-groupe du sémitique méridional.
Si l’origine de cette langue remonte au IIe siècle de notre ère, les premières traces de l’écriture arabe, telle qu’on la connait actuellement, ne sont attestées qu’au VIe siècle. Originaire de la péninsule Arabique, où elle devient, au VIIe siècle, la langue du Coran et la langue liturgique de l’islam, la langue arabe – à cause de l’expansion territoriale de l’Empire arabe, au Moyen Âge, et de la diffusion de l’islam – s’est répandue dans toute l’Afrique du Nord et en Asie Mineure et s’est imposée, « en tant que langue religieuse, mais également en tant que langue d’administration, langue de culture et de pensée, d’ouvrages historiques, de dictionnaires, de traités de sciences et de techniques, de récits de voyages et d’aventures » (El Kassas, 2005 : 42). Ce développement s’est accompagné d’une rapide et profonde évolution, en particulier en ce qui concerne la syntaxe et l’enrichissement lexical. C’est au IXe siècle qu’apparaissent les premières recherches linguistiques et les premières écoles de philologie et de grammaire, en Irak principalement.
Précisons d’ores et déjà que parler de la langue arabe et présenter une vision uniforme d’une réalité multiple est impossible. Dès l’époque préislamique, différentes variétés d’arabe coexistaient. Il en va de même de nos jours où le monde arabe est caractérisé par une situation de diglossie (Ferguson, 1959). La diglossie se caractérise, selon C. Ferguson (1959), par la coexistence, dans une même communauté, de deux formes linguistiques, une « variété haute » (ou langue véhiculaire, langue commune, langue officielle, langue normalisée) et une « variété basse » (ou langue vernaculaire). Il s’appuie, pour illustrer cette situation linguistique, sur quatre exemples, la Grèce (démotique/katharévousa), Haïti (créole/français), la partie germanophone de la Suisse (suisse allemand/hochdeutsch) et la situation arabophone (dialecte arabe/arabe classique).
Ce concept de diglossie est aujourd’hui utilisé pour rendre compte d’une situation de bilinguisme social, concernant en général une communauté tout entière, et du fait que deux systèmes linguistiques, relativement divergents et ayant leur grammaire propre, coexistent sur un territoire donné. Une situation sociolinguistique caractérisée par une répartition fonctionnelle des usages, l’un des systèmes – acquis à l’école et fortement standardisé – jouissant d’un prestige socioculturel et d’un statut sociopolitique supérieur, l’autre – acquis «naturellement» – étant réservé aux interactions quotidiennes, à la littérature populaire et aux séries télévisuelles. Tel est le cas des différentes communautés arabes, où coexistent deux systèmes linguistiques, distincts et irréductibles, que sont d’une part l’arabe moderne « standard » et d’autre part le parler local, langue maternelle au sens strict, utilisé dans la vie courante.
La tradition grammaticale arabe
La grammaire de l’arabe standard moderne est jugée difficile d’accès. Et force est de reconnaitre que même les diplômés ne sont pas toujours, voire rarement, capables d’écrire l’arabe standard moderne correctement, ni même de soutenir une conversation dans cette langue. Quant aux manuels scolaires actuels, ils enseignent la grammaire classique telle qu’elle a été élaborée il y a des siècles bien que, dès le XIXe siècle, « il y ait eu un appel à la simplification de l’enseignement du système grammatical » (El Kassas, 2005 : 45). Si l’on ajoute à ces constats celui d’une « aversion générale pour la grammaire » (El Kassas, 2005 : 45), on comprend que le problème de la description grammaticale de l’arabe standard moderne et celui de l’enseignement de la grammaire demeurent des questions d’actualité. Il existe un certain nombre de grammaires de référence. Dina El Kassas (2005 : 45) mentionne notamment :
Pour l’arabe classique, la grammaire de Sibawayh , al-kitaab fii alnahw, est la première grammaire de référence complète de l’arabe classique et sur laquelle se basent tous les grammairiens, elle date du VIIIe siècle. La grammaire est riche d’exemples tirés des poésies, des proses, des proverbes ainsi que du Coran. Parmi les références plus récentes, citons Wright (1859), Blachère et Gaudefroy Démombynes (1937), Winder et Ziadeh (1957), Al-Chartouni (1986) et Fischer (2002).
Pour l’ASM [arabe moderne standard], il n’y a presque aucune grammaire de référence, la plus importante est celle de Cantarino (1974-1975) composée de trois volumes rassemblant un corpus principalement littéraire. D’autres manuels ont tenté d’expliquer les mécanismes de l’ASM et son fonctionnement en se basant sur des exemples plus récents, comme Kouloughli (1994 et 1995) ; Neyreneuf et Al-Hakkak (1996), Haywood et Nahmad (1998), Badawi et al. (2003) et Holes (2004).
Mais ces grammaires demeurent très influencées par la grammaire traditionnelle et « les tentatives de renouvellement se limitent à emprunter la terminologie employée dans les langues indo-européennes sans appuyer le raisonnement par des tests linguistiques. » (El Kassas, 2005 : 46). Or, la grammaire traditionnelle arabe est avant tout une science des règles de la langue arabe, qawaaidu alluati alarabijati ( قواعد اللغة العربية ) . L’angle adopté est prescriptif et non descriptif, l’enjeu étant de fournir des règles à appliquer afin d’élaborer des phrases « correctes ».
Propriétés linguistiques de l’arabe standard moderne
Selon Dina El Kassas (2005 : 50-53), dont l’étude a été menée dans une perspective de génération automatique multilingue, la langue arabe présente les cinq propriétés suivantes :
a. C’est une langue flexionnelle
b. C’est une langue cliticisante
c. C’est une langue à ordre des mots mixte
d. C’est une langue pro-drop
e. C’est une langue parataxique .
❖ L’arabe standard moderne peut être classé dans les langues de type flexionnel, à morphologie extrêmement riche, d’une part, par son système dérivationnel et, d’autre part, par son système flexionnel. L’arabe possède trois cas nominaux : le nominatif (NOMF), dont le signifiant (la déclinaison dite fermée – u) qui est le cas par défaut, l’accusatif (ACCF , la déclinaison dite ouverte – a) pour les compléments verbaux quels qu’ils soient et le génitif (GENF ) pour le dépendant d’une préposition.
❖ L’arabe se caractérise, par ailleurs, par une forte tendance à la cliticisation. Des conjonctions de subordination, des conjonctions de coordination et des prépositions sont procliticisées, et le pronom complément d’objet 3ème personne du féminin singulier haa est encliticisé .
❖ L’arabe peut, en outre, être défini comme une langue à ordre mixte : ni fixe, ni entièrement libre :
Cette contribution est donc importante pour la génération automatique de l’ASM [arabe standard moderne] ; elle nous a obligée à poser plusieurs questions et à jeter un regard nouveau sur des phénomènes centraux de la grammaire arabe comme la répartition phrase verbale vs phrase nominale […]. À la place de cette répartition, nous proposons une analyse unificatrice où le verbe est toujours la tête de la proposition. […]. Nous avons montré que l’arabe est une langue à ordre mixte. Seuls trois ordres sont possibles : VSO, VOS et OVS, chacun répondant à une visée communicative particulière. Mais l’arabe ne répond pas qu’à des contraintes communicatives, il subit des contraintes syntaxiques qu’un modèle de gestion de l’ordre des mots doit prendre en considération. Nous avons ainsi montré que les actants du verbe témoignent d’une rigidité d’ordre relative : ils ne sont pas toujours interchangeables. (El Kassas, 2005 : 399-400).
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE
1. LA RELATIVISATION EN FRANÇAIS ET EN ARABE
1.1. La langue arabe
1.1.1. Brève caractérisation géographique et historique de la langue arabe
1.1.2. Les variétés de l’arabe
1.1.3. La tradition grammaticale arabe
1.1.4. Propriétés linguistiques de l’arabe standard moderne
1.2. Approche contrastive de la relativisation en arabe et en français
1.2.1. Les questions de l’analyse typologique et contrastive
1.2.2. Qu’en est-il de l’arabe et du français ?
1.2.2.1. (Q1) Un référent commun
1.2.2.2. (Q2) Des propositions subordonnées
1.2.2.3. (Q3) Des propositions enchâssées
1.2.2.4. (Q4) Des relatives à nom tête externe
1.2.2.5. (Q5) Des relatives postnominales
1.2.2.6. (Q6) Des relatives souvent restrictives
1.2.2.7. (Q7) Avec ou sans marquage externe
1.2.2.8. (Q8) Avec ou sans pronom relatif
1.2.2.9. (Q9) Des relativiseurs à géométrie variable
1.2.2.10. (Q10) Des paramètres de choix plus ou moins nombreux
1.2.2.11. (Q11) Différents marquages internes
1.2.2.12. (Q12) Des rôles syntaxiques accessibles, ou non, à la relativisation
1.2.2.13. (Q13) Des relativiseurs associés, ou non, à des prépositions
1.2.2.14. (Q14) Des prépositions extraites de la relative ou situées à l’intérieur de la relative
1.2.3. Synthèse
1.2.4. Conclusion
2. L’ANALYSE DES ERREURS
2.1. Analyse contrastive et interférences
2.2. Analyse d’erreurs et Interlangue
2.3. Stratégies adoptées par le non-natif
2.4. Première ébauche d’une classification des erreurs
2.5. Une matrice linguistique
2.6. Omission, addition, substitution et déplacement
2.7. Localisation de l’erreur, classe, position syntaxique relativisée et définitude
2.8. Récapitulatif des critères retenus et questionnements envisageables
DEUXIÈME PARTIE : RECUEIL ET ANALYSE DES DONNÉES
1. DESCRIPTION DU DISPOSITIF DE COLLECTE
1.1. Précisions sur le contexte de la recherche
1.2. L’obtention des données
1.2.1. La démarche adoptée
1.2.2. Évaluation initiale et finale
1.2.3. Le questionnaire
1.2.4. Une phase préalable de mobilisation et de structuration des connaissances
1.2.5. Le corpus « dirigé »
1.2.6. Le corpus « spontané »
1.3. Conclusion
2. RÉSULTATS QUANTITATIFS ET ANALYSE DES ERREURS
2.1. Les erreurs situées dans la phrase matrice
2.1.1. L’inachèvement de la phrase matrice
2.1.2. Les erreurs portant sur la tête nominale
2.1.3. Conclusion
2.2. Les erreurs situées dans la proposition relative
2.2.1. Les erreurs de type orthographique
2.2.2. L’ajout d’un pronom résomptif
2.2.3. Conclusion
2.3. Les erreurs situées à la marge de la relative
2.3.1. Remarques concernant la méthode utilisée
2.3.2. Analyse des résultats quantitatifs
2.3.2.1. Hétérogénéité du corpus
a) Remarques générales
b) Le Corpus « spontané »
2.3.2.2. Résultats globaux
2.3.2.3. Les exercices de relativisation
2.3.2.4. Toutes les formes ne présentent pas les mêmes difficultés
a) qui, qu’, que
b) où
c) dont
d) Les formes composées
2.3.3. Synthèse
2.4. Conclusion
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES