Chaque médecin généraliste est confronté dans sa pratique quotidienne à l’annonce d’une maladie grave à un patient. Pour un médecin, « ça fait partie du métier »(1). C’est un temps intime de la relation médecin-patient et un moment douloureux et anxiogène aussi bien pour le patient que pour le soignant. En effet, le médecin annonceur a la responsabilité d’informer son patient d’une nouvelle qui restera ancrée dans la mémoire de ce dernier car elle engendrera des changements parfois importants de sa vie. L’annonce d’un tel diagnostic ne peut être réduite à un acte technique où le patient ne serait pas pris en compte dans sa globalité. La place du médecin généraliste est donc primordiale dans ce processus d’annonce d’une maladie grave car il est le seul soignant à connaître parfaitement le patient et son contexte socioprofessionnel et familial.
La relation médecin-patient
La relation entre un médecin et son patient est singulière. Elle a beaucoup évolué depuis ces 30 dernières années en lien avec les avancées des connaissances médicales, les différentes lois relatives à l’information des malades mais aussi l’accessibilité du savoir médical à la population générale. Antérieurement, il existait deux modèles décrits dans la littérature : les modèles paternaliste et autonomiste .
Le modèle paternaliste
Il a longtemps été le seul modèle présent en France. Dans ce modèle, le malade est considéré en état de faiblesse et de souffrance. Le médecin propose la solution la mieux adaptée à la maladie de son patient. Le médecin est considéré comme un décideur. Le malade se retrouve dans une position d’ « enfant » et sa satisfaction n’est pas ou peu prise en compte. Le paternalisme des médecins pouvait se justifier à une époque où ils étaient les seuls à détenir le savoir médical.
Le modèle autonomiste
Ce modèle repose sur 3 concepts : l’autonomie, l’identité personnelle et le rapport au corps. Chaque individu est indépendant et détermine lui-même ce qui est bon pour lui. Dans le domaine médical, on doit donc respecter la liberté du patient. L’homme est propriétaire de son corps. Il faut recueillir le consentement du patient et même établir « un contrat » entre le médecin et le patient.
Le pacte de soins
Initialement, il existe une asymétrie de la relation entre le médecin et son patient. En 1996, le philosophe Paul RICOEUR décrit un autre modèle : « Le pacte de soins » basé sur la confiance(3). Seule la confiance établie entre les deux protagonistes permet un rééquilibrage de la relation de soins. Ce pacte de confiance est basé sur trois principes :
– la vision partagée par le médecin et le malade que ce dernier est un être unique et non un simple exemplaire pris au sein d’une patientèle ;
– l’indivisibilité du malade. On soigne un être dans sa globalité et non un organe ;
– « l’estime de soi » du malade est respectée et mise en avant, quel que soit son état physique ou psychique.
Concept d’approche centrée sur le patient (ACP)
L’ACP est une démarche clinique pragmatique qui tient compte à la fois des perspectives du médecin (raisonnement clinique, diagnostique et thérapeutique) mais aussi de celles du patient (vécu de la maladie). Elle comprend 4 dimensions :
-L’exploration de la maladie et l’expérience qu’elle fait vivre au patient ;
-La compréhension de la personne dans sa globalité médicale, socio psychologique et son contexte ;
-Trouver un compromis, une compréhension commune sur le problème de santé et les solutions afin d’obtenir à une décision partagée. Promouvoir la santé et la prévention en éduquant le patient ;
-La création d’une alliance thérapeutique par un savoir-faire communicationnel et des attitudes thérapeutiques adaptées. S’adapter à chaque situation et tenir compte de ses propres limites, de ses contraintes professionnelles et personnelles.
En se basant sur cinq questions proposées par Stewart (3) ci-dessous, le médecin sera plus à même de comprendre et de s’adapter à son patient :
-Qui est le patient ?
-Quelles sont ses attentes à l’égard de la médecine ?
-Quelle est l’influence de la maladie dans sa vie ?
-Quelles est sa compréhension (représentation) de la maladie ?
-Comment vit-il sa maladie ?
Le patient n’est plus dans une position passive vis-à-vis de sa santé. Il devient un acteur à part entière et coresponsable des décisions thérapeutiques . Ainsi, la prise en charge se personnalise ; les compétences du patient sont valorisées et renforcées . Dans cette approche, il paraît important de bien connaître le patient dans sa globalité, d’où l’intérêt du médecin généraliste en tant que médecin de famille. En s’efforçant de connaître et de comprendre sa propre personnalité et celle de ses patients, le médecin sera en mesure de construire une relation de confiance et d’empathie avec son patient, ce qui favorisera une meilleure communication entre eux.
La maladie grave
Selon R. BUCKMAN(7), une mauvaise nouvelle est « une nouvelle qui modifie radicalement et négativement l’idée que se fait le patient de son avenir ». Une maladie grave est en soi une mauvaise nouvelle mais elle reste difficile à définir et il n’existe pas dans la littérature de définition précise du terme maladie grave. En effet, la difficulté de définir cette notion réside principalement dans le fait qu’il existe une différence de perception interindividuelle sur la notion de gravité. Ce qui est grave pour une personne peut ne pas être grave pour quelqu’un d’autre. Pour la majorité des gens, certaines maladies vont être d’emblée considérées graves comme le cancer puisque celui-ci renvoie encore pour beaucoup d’entre nous à l’idée de mort. Mais pouvons-nous limiter les maladies graves au cancer et à la mort ?
L’information médicale
Informer, c’est communiquer un savoir. En médecine, l’information est fondée sur une communication au cours de laquelle le médecin fait connaître au patient son état de santé, les traitements envisageables, les risques et les effets secondaires pouvant survenir, ainsi que les résultats auxquels le patient peut s’attendre. En France, plusieurs lois ont ainsi défini l’information à donner. Selon l’article 35 du Code de déontologie médicale de 1995 (8), « le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information claire, loyale et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose ». Selon la loi du 4 mars 2002 relative à l’information des usagers du système de santé et expression de leur volonté : « Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information concerne le diagnostic, le pronostic, l’évolution possible de la maladie et les propositions de choix thérapeutiques »(9). Cette loi autorise aussi l’accès au dossier médical et prône une meilleure transparence dans l’information donnée au malade. Cependant, depuis 2004, elle autorise que le patient soit tenu dans l’ignorance d’un diagnostic grave , dans son intérêt, sauf en cas de risque de contamination d’un tiers. En cela, elle s’inscrit dans une perspective d’éthique. Dans le cas d’annonce de maladie grave, l’information s’avère plus difficile à donner car elle est chargée en émotions et en connotations négatives. Comme le dit Nicole Alby, psychologue, « l’information en cancérologie est ce qu’un médecin n’a pas envie de dire à un patient qui n’a pas envie d’entendre » . On peut distinguer plusieurs formes d’information :
-l’information verbale dite directement ou indirectement au malade ;
-l’information non verbale, qui peut être transmise par l’intonation de la voix, l’attitude du corps et du visage du soignant, ou bien des informations écrites non volontaires concernant soit le motif d’une demande d’examen complémentaire « éliminer lésion maligne » ou « suspicion de… », soit un compte rendu d’examen donné directement et sans explication au patient, comme cela arrive encore régulièrement.
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Table des matières
Introduction
1. La relation médecin-malade
1.1. Le modèle paternaliste
1.2. Le modèle autonomiste
1.3. Le pacte de soins
1.4. Concept d’approche centrée sur le patient
2. La maladie grave
3. L’information médicale
4. La consultation d’annonce
4.1. Le protocole d’annonce de BUCKMAN
4.1.1. Première étape : les préliminaires
4.1.2. Que sait le patient ?
4.1.3. Que veut savoir le patient ?
4.1.4. Communication d’information
4.1.5. Réponse aux sentiments du patient
4.1.6. Propositions et suivi
4.2. Le dispositif d’annonce du plan cancer
5. Le cheminement du patient
Population et méthode
1. Choix de la méthode
2. Choix de la population
3. Guide thématique
4. Recueil de données
5. Analyse
Résultats
1. Déroulement des entretiens
2. Caractéristiques de la population
3. Livre des thèmes
4. Résultats des verbatims
4.1. La notion de maladie grave
4.1.1. Notion de changement, d’épreuve
4.1.2. Altération de la qualité de vie (tous les médecins)
4.1.3. La réduction de l’espérance de vie
4.1.4. Différence de perception entre médecin et patient
4.1.5. Quelles maladies graves ?
4.2. L’annonce d’une maladie grave : comment s’y prennent-ils ?
4.2.1. Adaptation de l’annonce au patient
4.2.2. Communication non verbale
4.2.3. Communication verbale
4.2.4. Gestion du temps
4.2.5. Consultation dédiée ?
4.2.6. Préparation de l’annonce
4.3. Difficultés ressenties par le médecin
4.4. Craintes des médecins
4.5. Impact de l’annonce d’une maladie grave sur la relation médecin-malade
4.6. Modification de la pratique de l’annonce en fonction des difficultés ressenties
4.6.1. Accompagner le patient à son rythme
4.6.2. Apprendre l’écoute active
4.6.3. Apprendre à dire les choses
4.6.4. Laisser une porte ouverte
4.6.5. Prise de recul
4.7. Limiter les difficultés de l’annonce d’une maladie grave
4.7.1. L’expérience professionnelle
4.7.2. L’expérience personnelle
4.7.3. Les formations
4.7.4. L’échange avec d’autres professionnels de santé
Analyse et discussion
1. Sur la méthode
1.1. Points forts de l’étude
1.2. Limites de l’étude
1.2.1. Conditions de réalisation des entretiens
1.2.2. Biais d’intervention liés à l’enquêteur
1.2.3. Biais de mémoire
1.2.4. Biais de retranscription
1.2.5. Biais d’analyse
2. Sur les résultats
2.1. La notion de maladie grave
2.1.1. L’altération de la qualité de vie
2.1.2. La réduction de l’espérance de vie
2.1.3. La notion de changement
2.1.4. La perception de la gravité d’une maladie
2.1.5. Exemples de maladies graves
2.2. L’annonce : comment s’y prennent-ils ?
2.2.1. Adaptation au patient
2.2.1.1. S’adapter au rythme du patient
2.2.1.2. S’adapter aux caractéristiques du patient
2.2.2. La communication verbale
2.2.2.1. Le choix des mots
2.2.2.2. Dire la vérité
2.2.3. Communication non verbale
2.2.4. Préparation de l’annonce
2.2.5. La gestion du temps
2.3. Les difficultés des médecins
2.3.1. Le déni du patient
2.3.2. L’identification projective
2.3.3. Autres difficultés
2.4. Le vécu des médecins
2.5. Les craintes des médecins
2.6. Impact de l’annonce sur la relation médecin-malade
2.6.1. Une relation plus empathique, plus humaine
2.6.2. Rester professionnel
2.6.3. Notion de dépendance
2.6.4. Impact négatif
2.6.5. La relation avec l’entourage du patient
2.7. L’évolution de la pratique de l’annonce
2.7.1. Accompagner le patient à son rythme
2.7.2. Apprendre à dire les choses
2.7.3. Laisser une porte ouverte
2.7.4. Prise de recul
2.8. Limiter les difficultés
2.8.1. L’expérience professionnelle
2.8.2. L’expérience personnelle
2.8.3. Les formations
2.8.4. L’échange avec d’autres professionnels de santé
Conclusion
Bibliographie
Annexes