La relation de la société kanak à l’espace, du contexte pré-colonial à la ville contemporaine
Les premières recherches effectuées sur la société kanak ont rapidement contredit les hypothèses établies lors du choix du sujet. En effet, la faible connaissance des territoires d’outre-mer en métropole et une prise de conscience tardive de l’intérêt de la NouvelleCalédonie portaient à croire qu’il existait peu de documents relatifs à la société kanak. De même, il m’apparaissait probable que les rares études réalisées auraient été entreprises par des chercheurs calédoniens et seraient donc accessibles uniquement sur place. Par ailleurs, une première approche du sujet orienta mes recherches sur une comparaison entre la société traditionnelle kanak et un mode de vie métropolitain. Le seul sujet du mode de vie kanak m’apparaissait trop faible pour un travail de mémoire d’une année. Toutefois, le rapport entre le sujet et l’architecture restait un point important à déterminer dans le développement du mémoire. Possédant peu de connaissances sur les points forts de la Nouvelle-Calédonie dans le domaine de l’architecture, le rapport de cette discipline avec la société Kanak me semblait, au début, trop superficiel.
Cette opinion évolua lors de la lecture de l’ouvrage de Roger Boulay, La Maison Kanak, emprunté à la bibliothèque de l’école d’architecture de Nantes. Ce livre fut, en quelque sorte, une révélation dans l’évolution du sujet de mémoire. D’une part, il expliquait les particularités de la société Kanak mais il me renseigna aussi sur le contexte politique et historique de la Nouvelle-Calédonie qui m’était jusqu’alors presque inconnu. Ainsi, une grande partie du travail de recherches fut dédiée à une connaissance préalable de l’histoire de l’archipel et de la société Kanak. En parallèle à cette reconnaissance historique les recherches s’orientèrent vers l’influence des usages et des coutumes traditionnelles sur le projet architectural afin que le sujet allie architecture et pratiques sociales Kanak. Cette nouvelle orientation fut encouragée par une phrase de R. Boulay : «Un certain nombre d’habitudes vont régler la manière dont chacun devra se déplacer dans l’espace de façon à respecter la bienséance. Toutes ces pratiques ne posent aucun problème particulier au village. En revanche tout cela devient difficile dans les appartements, souvent petits, occupés par les familles à Nouméa.» Ainsi l’auteur met en évidence l’importance du mode de vie dans l’organisation spatiale des habitations, il apparaissait donc essentiel de définir tous les usages susceptibles d’avoir une influence directe sur l’architecture.
Toutefois, menant un double travail de recherches d’une part historiques et d’autre part centrées sur le mode de vie Kanak, il en résultait une séparation entre les deux parties. Ainsi, le sujet fut déplacé vers La relation de la société kanak avec l’espace, du contexte pré-colonial à la ville contemporaine, celui-ci prenant alors en compte autant la lutte historique des Kanak pour la récupération des terres spoliées que la situation actuelle de cette société. La première partie du développement du mémoire a alors l’objectif de rappeler les moments clés de l’histoire ayant eu une répercussion sur l’évolution de la société kanak .
Par ailleurs, le mémoire aborde le sujet de la société Kanak par le biais de trois réflexions différentes: la recherche, la tradition, et la ville contemporaine. Celles-ci permettront ainsi de comprendre les évolutions et l’adaptation de la société kanak sous l’influence de « l’autre » notamment celle des européens en période coloniale. L’intention de ce mémoire est d’engager, à travers l’exemple du peuple kanak, un questionnement plus général sur l’identité partagée de la société calédonienne. D’autre part, malgré une distance manifeste entres les trois domaines de réflexions ceux-ci sont, au contraire, fortement liés entre-eux car ils ont des prolongements dans chaque partie. Il était, en effet, impossible d’aborder le sujet du peuple kanak sans faire référence à ces aspects de la société. Ainsi, la question de la recherche ayant pris pour objet la société kanak permet de saisir l’importance du point de vue de l’auteur lors de la définition de l’altérité. La compréhension de la tradition est indispensable pour saisir le rapport des Kanak avec l’espace. Enfin, cette société qui est en perpétuelle évolution ne peut être abordée en la sortant de son contexte actuel, celui de la ville mondialisée. Les évolutions de la société sont, en effet, liées à son interaction avec l’espace urbain. La dernière partie de mes recherches permet ainsi de rapprocher les réflexions sur la société kanak à la notion d’identité commune que la société calédonienne désire construire.
L’histoire de la Nouvelle-Calédonie : une lutte pour la terre
« Dans l’ensemble de la Mélanésie, les mouvements nationalistes et micro nationalistes se sont unifiés autour des problèmes de la terre, de la liberté, de l’identité et de la conscience qu’ils avaient d’avoir été dépossédés » .
L’occupation pré-européenne
L’archipel de la Nouvelle-Calédonie fait état d’une occupation par l’homme depuis le deuxième millénaire environ. Cette implantation était cependant plus importante sur la cote ouest de la GrandeTerre. Le déséquilibre entre les régions et les relations inter-insulaires ont entraîné une différenciation culturelle entre les deux côtes de la Grande-Terre favorisant notamment l’émergence de plusieurs langues régionales en Nouvelle-Calédonie.
La colonisation Française: du bagne à la colonie de peuplement
La Nouvelle-Calédonie fut découverte en 1774 par l’explorateur britannique James Cook. A l’époque celle-ci ne fait cependant pas l’objet d’attentions particulières de la part de l’Europe. L’entreprise de colonisation ne débute ainsi qu’en 1843 avec l’arrivée des premiers missionnaires catholiques. La Nouvelle-Calédonie est finalement proclamée colonie française le 24 septembre 1853 par l’amiral Febvrier des Pointes au nom de l’empereur Napoléon III. Un an plus tard les militaires français fondent Port-de-France qui sera le chef-lieu de la colonie. De 1855 à 1894, le territoire est le lieu de déportation de la France, devenant ainsi la destination de nombreux bagnards français. A la fin de leur peine, les forçats les plus méritants accédaient à la «suprême récompense», leur donnant alors le droit à une concession de terre lors de leur libération. A partir de 1895, le nouveau gouverneur Paul Feillet met fin à la colonisation pénale et instaure une colonisation de peuplement.Le territoire devient ainsi la destination de nombreux colons libres. Durant cette période, l’État se proclame, par les déclarations de 1855 et 1862, propriétaire de toutes les terres «non occupées» par les mélanésiens. Toutefois, cette apparente «inoccupation» ne prenait en compte que la conception européenne de l’utilisation d’un territoire. Ainsi, les terres liées à une horticulture mobile telles que les terres de jachères tournantes, de brulis et de lieux de sépulture n’étaient pas considérées comme une occupation du sol mais comme un gaspillage de l’espace.
Les révoltes autochtones
La forte immigration entraîna une conquête des terres rurales dans le but de dégager des parcelles gratuites destinées aux nouveaux arrivants français. Toute concession gratuite de terres avait cependant, pour condition, la mise en valeur de celles-ci. Cette colonisation rurale massive entraîna de nombreuses révoltes, entre 1858 et 1917, de la part de la population autochtone qui se sentit dépossédée de ses terres. Les révoltes furent immédiatement réprimées par la France et suivies de sanctions envers les mélanésiens. La France instaura alors, à la suite des révoltes, le code de l’Indigénat qui régit le territoire jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
La mise en place du code de l’Indigénat
A partir de 1897, le code de l’Indigénat aboutit au cantonnement de la population autochtone dans des réserves par le gouvernement français. Ces réserves étaient alors situées sur les terres les moins fertiles telles que la chaîne de montagnes et la côte Est du pays. Ainsi les mélanésiens, privés des terrains nécessaires aux cultures et de certains territoires aux aspects symboliques, sont placés dans une situation d’exclusion par le système colonial.
La création des réserves
En 1867, l’administration française met en place le règlement des tribus s’appliquant à toutes les réserves du territoire : «Chaque tribu est une agrégation légale ayant des attributs de propriété, elles sont représentées par un chef» . Le 22 janvier 1868 un arrêté définit la propriété indigène, celleci étant protégée par le principe de l’inaléniabilité. Une moyenne de six hectares par personne est ainsi officiellement fixée par l’administration lors de la détermination des tribus. Toutefois, celle-ci est rarement respectée, le gouverneur se réservant le droit de nommer ou destituer les chefs et les tribus à son grès. En 1931, une centaine de mélanésiens sont envoyés en métropole pour l’exposition coloniale de Paris. La fin de la seconde guerre mondiale marque la fin du statut de colonie de la Nouvelle Calédonie et du code de l’Indigénat. Lors de l’abolition du régime de l’Indigénat les mélanésiens réclamèrent un agrandissement des réserves. Cependant, à partir des années 1970 la question de la récupération de l’ensemble des terres spoliées devient centrale dans les revendications indépendantistes.
Le réveil Kanak et la tentative de minorisation
Plusieurs partis politiques indépendantistes virent le jour à cette période faisant valoir leur antériorité sur le sol calédonien. Les revendications foncières s’amplifièrent pour contrer la poursuite de l’accaparement des terres par une nouvelle génération de colons. En réponse à cette prise de conscience le premier ministre Messmer incite les métropolitains à l’immigration massive vers la Nouvelle-Calédonie dans une optique de minorisation de la population autochtone. En 1978, la France ne pouvant plus ignorer les revendications, répondit par la mise en place du «Plan Dijou», celui-ci ayant pour but de désamorcer les tensions alors à leur paroxysme. Cependent, ce procédé de ré-attribution des terres spoliées par une institution territoriale s’enlisa, ne rencontrant pas d’écho favorable de la part des Kanak mais aussi fortement controversé par les Européens. Le peuple Kanak était alors opposé à la condition de mise en valeur économique des terres lors de la ré-attribution foncière.
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Table des matières
Introduction
I. L’histoire de la Nouvelle-Calédonie : Une lutte pour la terre
1. Une occupation pré-européenne
2. Une colonie de la France, lieu de bagne puis colonie de peuplement
3. Les révoltes de la population autochtone
4. Instauration du code de l’Indigénat
5.Les revendications indépendantistes suivies des « événements »
6. Les accords de Matignon – Oudinot puis les accords de Nouméa
7. La création de réserves pour les autochtones
8. Le réveil Kanak et la tentative de minorisation
9. Les évolutions induites par les accords
II. Le peuple Kanak comme sujet d’étude: d’une vision euro-centré au discours partagé
1. Les récits d’exploration
2. Maurice Leenhardt: de la mission à la Société des Océanistes
3. La période coloniale :de la pratique d’une ethnologie académique à la prise de position
4. L’historicité Kanak
5. Le retour sur passé colonial de la Nouvelle-Calédonie
6. Diffusion de la culture Kanak après l’accord de Matignon
7. L’influence des post-colonial studies en Nouvelle-Calédonie
8. Une identité propre mais commune
III. La société traditionnelle Kanak et l’espace.
1. La relation entre identité et espace
L’espace du mythe
Une identité spatiale
Une hiérarchie sociale dans le territoire
2. L’espace comme réservoir symbolique
La cosmologie du monde kanak
La manifestation des ancêtres
Les lieux sacrés
3. La coutume, structure de la société
La parole sacrée
Le devoir de l’accueil
Le droit de l’endroit
4. L’habitat, une hiérarchie spatiale
Une organisation en hameaux
Relation entre typologie et mode de construction
Une esthétique fonctionnelle
Évolution morphologique des cases
Organisation de l’habitat
La pratique de l’horticulture
IV. L’influence de la société kanak dans l’espace du Grand Nouméa
1. Nouméa, une histoire de pouvoir.
L’aire urbaine actuelle du Grand Nouméa
Nouméa, la « ville blanche »
La croissance liée au boom du nickel
Le clivage de la société
2. Héritage de la colonisation, un urbanisme de secteurs
Un développement de l’urgence
Les accords de Matignon favorisent la sectorisation
3. Les squats, une vision océanienne de la ville.
Les motivations de l’installation
Une continuité entre le monde rural et la ville
La perception des squats
Les motifs de l’installation dans les squats
Conditions d’apparition du squat
L’organisation interne du squat
Les cabanes d’habitation
4. Le Grand Nouméa aujourd’hui
Le Grand Nouméa à la période actuelle
Le phénomène de péri-urbanisation
5. L’architecture métissée du « destin commun »
Le début du planification de l’agglomération
L’atout du métissage
Un type d’habitat océanien
Du secteur à la cohésion urbaine
Le projet de le ZAC de Dumbéa-sur-Mer
Conclusion
Glossaire
Bibliographie