La question de la relation: une quête de compréhension
Il m ‘est alors apparu évident que ce qui était au cœur de la voie du monde dans la vie quotidienne, c ‘était la relation, et que la pratique consistait à faire de cette relation un travail constant. C’est ce que j’ai appelé la pratique de la «relation consciente». ‘ Yvan Arnar, 2005 .
Pour apprendre à faire de la question relationnelle un ouvrage permanent dans ma vie quotidienne, il m’a fallu entre autre stratégie d’apprentissage faire un travail de clarification conceptuelle autour de cette notion de relation, dans un souci de mieux la comprendre. Il m’a été nécessaire de me référer aux différents chercheurs qui ont réfléchi sur la relation en contexte d’accompagnement formateur et/ou soignant. Comme je l’ai déjà mentionné, si tout au long de ma formation et de ma vie professionnelle j’avais développé une véritable expertise en ce qui concerne le rapport au corps et à ce qui l’anime, je ne me sentais pas pour autant particulièrement douée sur la question des enjeux qui se jouent au cœur de la relation à l’autre.
L’apprentissage de mon métier m’avait permis de devenir une spécialiste du rapport subjectif au corps et à l’être, mais je ne soupçonnais pas, au début de ma maîtrise, la complexité des enjeux biographiques, psychoaffectifs et psychosociaux qui logent au sein de toute relation, y compris dans la relation d’accompagnement sensible. Ainsi, au début de cette recherche, je n’avais pas encore pris la mesure de l’urgence, autant dans ma vie personnelle que dans ma vie professionnelle, de questionner les enjeux relationnels tels qu’ils se révèlent au sein de mon expérience d’accompagnée et de mon métier d’accompagnatrice par la médiation du corps en mouvement.
Je me sentais ainsi tout à fait novice. C’est pour cette raison que je me suis jointe à une équipe de professionnels spécialisés en relations humaines. Mon objectif consistait à les voir à l’œuvre et à tenter de comprendre de quelles manières ils pensent les enjeux de leur profession d’accompagnateurs du changement en vue non seulement de m’ en inspirer, mais aussi de pouvoir examiner ce qui dans leurs théories et pratiques pourrait inspirer de façon cohérente ma propre pratique d’accompagnatrice sensible. Mon défi ici consistait à tenter un instant de suspendre ce que je connaissais déjà en vue de m’ ouvrir à d’ autres perspectives, dans l’espoir de pouvoir m’éveiller à des manières différentes de penser la question de la formation et du soin en accompagnement. l’espérais ainsi pouvoir naître à une compréhension renouvelée de mon propre métier et à une nouvelle manière d’incarner l’ accompagnement sensible de façon encore plus consciente et plus cohérente.
La relation d’accompagnement: une question d’ouverture à l’altérité
La relation d’accompagnement comme le mentionne plus loin la même auteure (Maëla Paul, 2007, p. 308-309), ne vise pas la résolution d’un problème ou encore le traitement d’un dossier. C’est une relation profonde, impliquante et intersubjective qui exige de la part de l’accompagnateur de rester conscient du fait que l’ autre est toujours semblable à lui, tout comme il est toujours radicalement différent. Au sein d’une telle relation, prendre conscience que la structure de la relation est forcément non symétrique et tenir compte de cet état de chose est essentiel et indispensable. L’accompagnateur et l’accompagné n’ont pas du tout les mêmes rôles, la même position ni les mêmes responsabilités. Il faut donc les clarifier si on veut que chacun des partenaires puisse assumer la responsabilité qui lui revient.
La situation d’accompagnement exige de La part des accompagnateurs, une attention ouverte aux différentes positions disponibles au sein de la relation. Ces positions fort différentes vont, par La force des choses, engendrer des complémentarités dans la relation. Tout est interdépendant et Les deux pôles de la relation sont tous les deux concernés par ce qui se passe. Ils interagissent et s’interinfluencent. (Paré, 1993, p. 35)
Ce type de relation est généralement instauré à l’occasion d’une crise transitionnelle, ce n’est donc pas une forme de compagnonnage, elle n’a pas comme fonction de s’inscrire forcément dans la durée. La fonction d’ accompagnateur est soutenue par une attention consciente de l’ altérité. Le principe d’altérité exige de prendre en considération en permanence que l’autre est toujours mon semblable mais qu’ il est aussi toujours radicalement différent de moi. La prise en compte de l’altérité permet également de ne jamais oublier que l’ autre est toujours un sujet socio-historiquement et contextuellement inscrit au sein de multiples systèmes qui s’inter influencent et l’influencent constamment.
Même si autrui n’est jamais réductible à son histoire ou encore aux influences de son contexte, il est essentiel de ne jamais oublier les différentes dimensions de sa vie dans des processus d’accompagnement. La relation d’ accompagnement permet par ailleurs de considérer la représentation du temps comme une occasion de maturation ou de mûrissement inscrit dans une philosophie de l’inachèvement plutôt qu’une optimisation de soi ou encore une réalisation de performance. Je tiens à ajouter ici que dans un contexte d’ accompagnement au contact du sensible, la relation d’accompagnement devrait permettre également de pouvoir discerner le potentiel émergeant au sein d’une situation afin de le saisir et d’en faire profiter tous les acteurs de la relation. En conséquence, il est recommandé de s’entraîner par la médiation du corps en mouvement pour apprendre progressivement à accueillir ce qu’on ne pouvait pas concevoir.
Posture épistémologique: vers un paradigme compréhensif
Nous vivons dans un monde singulièrement signifiant et la recherche en sciences humaines et sociales doit se réaliser dans et à propos de ce monde plutôt que de le dépasser ou le nier. Paillé, 1997.
Parler de posture épistémologique nous invite à affirmer avec un bon nombre d’épistémologues qu’une posture est une position et non une attitude ou encore une disposition. Paillé et Mucchielli (2005, p. 48-49) avancent qu’une posture épistémologique tient lieu de toile de fond de l’interprétation et, à ce titre, elle constitue un élément essentiel de la recherche. Ainsi, la posture de recherche tient une place majeure dans la constitution du chercheur lui-même et de la dynamique de son investigation. Plus précisément, ces deux auteurs mentionnent que la posture renvoie à la construction de repères théoriques alors que l’attitude relève de la nature du regard posé sur le réel ainsi que du statut accordé aux données de la recherche. La posture et l’attitude ne sont pas liées par un contrat tacite. On peut détenir une posture relativement bien structurée tout en entretenant en contrepartie une attitude de complète ouverture face aux données de la recherche. Dans un paradigme compréhensif, le sujet chercheur est invité à demeurer vigilant pour ne pas manquer de sens critique. Comme le soulignent Paillé et Mucchielli (2005, p. 17), cette critique ne pourra être faite que si le chercheur : investit entièrement le point de vue épistémologique qu’il veut prendre comme référence pour sa recherche. Il doit donc être conscient des éléments importants de sa posture, sinon il retombe dans ce que tous les épistémologues ont dénoncé, il reste prisonnier de ses schémas mentaux inconscients.
En effet, la validité de toute recherche réside dans la cohérence entre le sujet chercheur et son objet de recherche. La question de recherche ainsi que ses objectifs doivent être dans la même logique que celle qui régit l’épistémologie du chercheur, ses repères référentiels ainsi que ses pistes méthodologiques. Faire de la recherche sur son expérience agie ou vécue ne peut donc pas s’inscrire dans une perspective de recherche hypothético-déductive comme on fait en sciences de la nature. En effet, la démarche compréhensive de sens en sciences humaines et sociales stipule que les phénomènes humains ne s’appréhendent pas de la même manière que les objets inanimés. Déjà, en 1947, Dilthey avertissait la communauté des chercheurs en sciences humaines qu’il n’est pas cohérent d’ approcher de la même manière l’étude de la nature et celle de l’être humain.
L’approche de recherche de type heuristique et d’inspiration phénoménologique
Le sens du concept d’heuristique peut être saisi grâce à son étymologie de racine grecque heurikos. Ce concept vient de cet événement qu’on attribue à Archimède qui aurait crié toute la joie de sa découverte, en s’élançant nu dans les rues de Syracuse, tout en s’exclamant au comble de son enchantement: «Eurêka! Eurêka! Eurêka!» Les chercheurs à l’origine de la recherche heuristique tels que Polanyi (1959), Moustakas (1990), Craig (1978) ou encore plus près de nous Condamin (1995), témoignent qu’ils n’ ont pas eu à choisir de s’engager dans une démarche de recherche de type heuristique car c’ est la démarche elle-même qui s’est imposée à eux, grâce à la manière dont la question qui les occupait avec insistance ne leur donnait aucun répit. Dès le début de mon processus d’aspirante praticienne-chercheur, la recherche heuristique m’a été présentée comme une avenue prometteuse où ma soif profonde de répondre à ma quête pouvait accomplir avec passion la manifestation de mon vœu total de vivre. Je vivais un appel d’exister sans concession, c’est cet appel qui a été dans ma biographie éducative le moteur principal qui m’a poussée à m’engager dans un processus de recherche centré sur mon expérience humaine et professionnelle.
Claude Carrier (1997) précise avec justesse que la recherche heuristique est une méthode de recherche totalement impliquée et d’inspiration phénoménologique. Une telle recherche exige que le sujet chercheur ait vécu lui-même l’expérience qu’il cherche à mieux comprendre et à connaître, alors que la recherche phénoménologique est une tentative d’appréhender la nature d’un phénomène que laisse apparaître une expérience déterminée. Il importe de préciser que dans la recherche heuristique le sujet chercheur s’intéresse principalement à la personne qui vit cette expérience. La recherche heuristique implique de la part du chercheur de s’engager dans une démarche souple et créative. Elle est loin des prototypes méthodologiques structurés et indéfiniment reproductibles auxquels renvoie, plus souvent qu’autrement, l’idée que se font la plupart des apprentis chercheurs à propos de ce que peut être une méthode de recherche dite scientifique.
Quand la psychosociologie questionne la somato-psychopédagogue
Alors que pour la somato-psychopédagogue que j’étais, la question du rapport au corps, à l’intériorité et à la totalité était première, je constatais, en arrivant à Rimouski, que les pratiques d’accompagnement en vigueur en intervention psycho sociologique priorisaient sans concession la question de la relation à l’autre, à soi et au monde. Ici, la dimension de l’altérité et du dialogue constituait une voie fiable pour accéder à soi. Cette constatation m’a mise en travail et en questionnement. Plus souvent qu’autrement, je me sentais en choc culturel. J’étais à la fois fascinée par les résultats de ce travail tout en trouvant que se priver du rapport au corps dans la quête d’un lien renouvelé avec soi était en quelque sorte utopique. Je me suis rendu compte au bout d’un moment que la perception de la différence qui caractérisait ces deux pratiques me mettait dans un lieu intérieur de tension et de conflit, fait de comparaisons et d’oppositions, comme si il me fallait déterminer qui des deux avait raison. J’ai réalisé après coup que je cherchais fondamentalement à relier plutôt qu’à séparer. Je ne voulais plus choisir. Je voulais trouver une manière de faire de ma vie et de ma pratique un lieu d’incarnation de la rencontre de nos deux approches de l’accompagnement.
En effet, si le rapport au corps me semblait incontournable, j’apprenais, au contact des psycho sociologues, qu’il y avait aussi moyen de développer des protocoles de travail spécifiques, de type dialogique, susceptibles de permettre aux apprenants de se relier aux autres et à leur expérience. J’étais d’accord avec Jeanne-Marie Rugira qui plaidait déjà en 2002 pour: «une approche somato-sensorielle de l’accompagnement. Le choix consiste alors à permettre à la personne accompagnée d’entrer en relation avec son corps et ses invariants, afin de trouver une voie de passage pour se rejoindre elle-même, et de trouver sa voix pour nous parler d’elle. » (Rugira, 2002, p. 192) Je voulais ainsi m’ associer à ces efforts pour déployer des manières novatrices d’ accompagner ce processus d’apprentissage de la prise en compte de l’altérité et du dialogue dans la formation, le soin et autres démarches d’accompagnement sans pour autant sortir de la cohérence du Sensible.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 :LA PROBLÉMATIQUE
1.1 Pertinence personnelle: de la genèse de ce projet de recherche, un séjour révélateur à Rimouski
1.2 Pertinence professionnelle: retour à Rimouski, pour un retour aux études, à soi et aux autres
1.3 Pertinence sociale et scientifique: la place de la relation dans l’ existence humaine et dans l’accompagnement
1.4 Le problème de recherche
1.5 Question de recherche
1.6 Les objectifs de recherches
CHAPITRE II :JALONS POUR UN UNIVERS DE RÉFÉRENCES
2.1 Prolégomènes à un univers relationnel
2.1.1 La genèse de ma quête relationnelle
2.2 La question de la relation: une quête de compréhension
2.2.1 La relation: une notion au cœur des processus d’accompagnement du changement des personnes et des communautés
2.2.2 La question du transfert et du contre-transfert en relation d’accompagnement
2.2.3 Une puissance créatrice, soignante et transformatrice au cœur de la relation
2.3 La notion de relation d’accompagnement: essai d’éclaircissement
2.3.1 La relation d’accompagnement: une question d’ouverture à l’altérité
2.3.2 La relation d’accompagnement: une question de contrat
2.3.3 La relation d’accompagnement: une question de structure relationnelle
2.4 La relation d’accompagnement sensible
2.4.1 De la relation au corps à la relation au Sensible
2.4.2 De la relation au Sensible à la relation aux autres et au monde: la réciprocité actuante comme mode de relation sensible
CHAPITRE III :CHOIX ÉPISTÉMOLOGIQUES ET PISTES MÉTHODOLOGIQUES
3.1 Du praticien au praticien chercheur: une voie épistémologique
3.2 Posture épistémologique: vers un paradigme compréhensif
3.3 Une démarche de recherche qualitative
3.4 L’ approche de recherche de type heuristique et d’inspiration phénoménologique
3.4.1 Les étapes de la démarche heuristique
3.5 L’approche biographique dans une démarche de recherche-formation
3.6 Terrain de recherche: un espace-temps pour recueillir les données qualitatives de recherche
3.6.1 Les outils de recueil de données qualitatives
3.7 Méthode d’analyse qualitative
3.7.1 L’analyse en mode écriture
CHAPITRE IV :RÉCIT AUTOBIOGRAPHIQUE
4.1 Une aventure biographique
4.1.1 L’entrée sur le territoire autobiographique
4.1.2 De la solitude au dialogique: un chemin à l’épreuve du biographique
4.2 Parcours relationnel: Une histoire de vie
4.2.1 Une jeunesse sous le signe de l’insuffisance relationnelle
CHAPITRE V :RÉCIT DE FORMATION
5.1 Préambule
5.2 Invitée à la croisée de la somato-psychopédagogie et de la psychosociologie à Rimouski
5.3 De la kinésithérapie à la somato-psychopédagogie: un revirement paradigmatique
5.4 Quand la psychosociologie questionne la somato-psychopédagogue
5.5 De la rencontre avec la psychosociologie à l’articulation d’un projet de recherche
5.6 Du statut de praticien-chercheur à celui de praxéologue
5.7 Le renouvellement du sujet sensible: un itinéraire de recherche-formation
5.8 Cheminer vers le renouvellement de soi et de sa pratique relationnelle : l’émergence d’une praxéologue
5.8.1 Récit de pratique n01 : essai d’explicitation d’un moment intense
5.8.2 Récit de pratique n02 : essai d’explicitation d’ un moment éprouvant
5.9 Conclusion
CHAPITRE VI :SUR LES TRACES DE MA PRATIQUE D’ ACCOMPAGNEMENT: Un chemin éthique de trans-formation, de renouvelement de pratique et de connaissance
6.1 La question de la trans-formation en relation d’accompagnement sensible
6.1.1 Le somato-pédagogue : un accompagnateur des processus de trans-formation
6.2 La question de l’éthique en relation d’accompagnement sensible
6.2.1 La question de la résistance en relation d’accompagnement sensible: un enjeu éthique
6.3 Aborder le trouble de stress post-traumatique en approche somato-pédagogique de l’accompagnement: le cas de Kaëla
6.3.1 Un contrat d’accompagnement: un projet de re-sensorialisation
6.3.2 Sur les traces de notre chemin d’accompagnement somatique
6.3.3 De l’exil de soi à la présence à soi: un chemin éducable
6.3.4 Du morcellement à la globalité: une évolutivité perceptive en accompagnement somatique
6.3.5 La constance: une condition de confiance en accompagnement
6.3.6 De la globalité à la résonance: une voie évolutive en éducation somatique
6.3.7 De l’implication à l’autonomie: un projet de formation
6.3.8 De l’accompagnement manuel à l’accompagnement gestuel pour se rencontrer autrement
6.3.9 À ma vie bienveillante, à mon accompagnatrice et à mon immense courage: ma gratitude infinie
6.4 Quelques conditions éthiques et pratiques de l’accompagnement sensible
6.4.1 L’ accordage somato-psychique
6.4.2 La directivité informative
6.5 La cohérence au cœur de l’accompagnement sensible: un chemin vers une éthique de l’immanence
6.5.1 L’accompagnement sensible: un projet éthique et autopoïétique
6.5.2 L’accompagnement sensible: une quête éthique et dialogique
6.5.3 La pratique d’accompagnement sensible: une maïeutique
CONCLUSION
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