La réinvention perpétuelle des figures du barbare et du sauvage haute Antiquité

La réinvention perpétuelle des figures du barbare et du sauvage Haute Antiquité

Le paradis perdu de Gilgamesh : le face à face du héros civilisé avec son alter ego sauvage 

L’idée d’un retour à un état antérieur, d’un dépassement de la condition humaine et de la recherche d’un paradis est très clairement identifiable dans les premiers écrits connus de l’humanité. L’un des plus anciens, celui de Gilgamesh, vise, à travers l’histoire d’un roi parti à la recherche de lui-même, à décrypter le sens profond de la condition humaine et s’organise autour des grandes caractéristiques mythologiques qui façonneront l’imaginaire des millénaires suivants. Mais si ce texte est fondateur, notamment aux yeux des lecteurs contemporains puisqu’il est l’un des plus anciens textes connus, il n’est pas sorti du néant. Si tous les aspects ou presque des mythes de la condition humaine s’y trouvent condensés, c’est parce que ce texte se nourrit de la tradition sumérienne antérieure, des traditions orales contemporaines au texte et héritées d’un passé proche, mais aussi de tout l’héritage imaginaire des époques précédentes.

Tout d’abord, le héros n’est pas un homme ordinaire. Quel serait l’intérêt du mythe, et surtout quelle serait sa valeur d’exemple? Gilgamesh est ainsi un homme avec une parcelle de divin.4 Cette vision de l’homme, détenteur d’un peu du monde des dieux, est révélatrice d’une conception partagée sans doute par toutes les sociétés depuis les origines : l’être humain est plus que sa nature terrestre, il participe d’un monde autre, c’est-à-dire relevant d’un niveau de réalité différent du quotidien, avec lequel s’établissent des correspondances. Comment, avec une telle conception de l’être humain, ne pas vouloir connaître cet autre monde? Comment ne pas s’imaginer, puisqu’il n’est pas possible d’y accéder totalement que l’accès n’est plus autorisé, que l’homme en a été chassé ou s’en est coupé? Comment ne pas en avoir la nostalgie? Car si seul le héros est détenteur dans ses chairs d’une part des dieux, le commun des mortels communique avec eux et se permet même de leur demander des comptes.

En effet, le roi est au-dessus mais il doit mériter sa place. Sa nature divine ne l’affranchit pas du jugement de sa population. Puisque cet être parfait en apparence est un tyran dont le peuple se plaint, les dieux réagissent. Tout exceptionnel qu’il soit, Gilgamesh a pour devoir d’être un bon roi et non pas un faiseur de troubles. Pour l’empêcher de nuire, les dieux préparent son anéantissement en créant une créature dont la force lui serait équivalente, à moins qu’il ne s’agisse plus simplement que d’un stratagème pour détourner Gilgamesh de la cité en lui imposant un combat sans fin avec un double. Renverser la force par la force, déjouer la violence en lui opposant une autre violence : telle est la réponse des dieux. Mais c’est une réponse propre au monde naturel : la loi du plus fort, celle de la domination brute. Le but poursuivi est bien d’arrêter les excès de violence, mais la seule solution envisagée est celle de l’affrontement, de l’anéantissement obtenu grâce à l’affrontement des contraires. L’équilibre recherché repose ainsi sur une sorte de neutralisation des forces en puissance: il ne s’agit nullement de les dépasser pour envisager une autre voie. Pourtant, la stratégie des dieux échoue et cette autre voie, qui n’était pas envisagée, est inventée par le héros.

L’histoire de Gilgamesh montre ainsi, du moins dans cette version, que les contraires n’ont pas vocation à toujours s’affronter et se contredire, mais bien à se compléter, à s’enrichir mutuellement et à ouvrir de nouvelles perspectives. Elle illustre également à quel point la nature de l’homme ne se résume pas à subir la fatalité. Le chemin humain est un chemin de création et de découverte. Il appartient à l’homme de s’arracher au niveau purement terrestre que constitue la loi du talion. Ce travail de l’intelligence n’est pas inné: il demande un apprentissage et une confrontation avec un autre radicalement différent. Car s’il y a bien création d’un double, il ne s’agit pas de créer du même, mais bien un reflet inversé de Gilgamesh. Face à la créature magnifique, solaire, au sommet de sa gloire, apparaît une créature de l’ombre, tout aussi puissante, mais consacrée au monde de la nuit. L’éveil du héros est ainsi provoqué par une rencontre avec un être totalement différent : hors du monde des hommes, en communion avec le monde sauvage, la nature à l’état brut. Cette proximité avec les animaux lors d’un temps primordial se retrouve dans la plupart des récits des origines.

Antiquité et Antiquité tardive 

Les barbares de Tacite : la fascination du « civilisé » pour les peuples « proches de la nature » 

Sortir de soi pour se découvrir et découvrir le monde : voilà l’injonction faite à la plupart des héros de la mythologie. Cette injonction se retrouve au cœur des premiers récits, notamment en Grèce ancienne. HERODOTE et HESIODE ont contribué à façonner un esprit scientifique qui faisait de l’inconnu un objet d’études tout autant que de croyances. Ce mélange de tentative de description du réel, voire d’inventaire, et de recréation du monde à partir de croyances profondes et d’une certaine fascination pour l’inconnu est particulièrement visible chez l’auteur plus tardif qu’est TACITE. Parmi tous ses écrits, celui consacré aux Germains est l’un des plus connus du fait de son influence considérable sur les nationalismes européens au XIXe siècle. Redécouvert à la fin du Moyen Age, ce texte offrait une tradition à un mouvement général de recherche d’identité. Mais au-delà de son utilisation politique, La Germanie met en scène la rencontre avec l’autre perçu à la fois comme un repoussoir et comme un modèle. L’oscillation entre admiration et rejet, si caractéristique de l’attitude occidentale face à la figure du barbare-sauvage, construite peu à peu, sans doute au moins depuis la fracture néolithique, constitue ainsi l’un des ressorts fondamentaux du texte. Avec La Germanie, TACITE apporte sa contribution au fantasme de retour à la nature en participant à la diffusion de la figure du barbare  dans l’univers symbolique de la pensée occidentale. En effet, le fantasme de retour à la nature va souvent prendre les traits d’un autre ensauvagé, sorte d’humanité alternative, parfois au-delà de l’humanité, plus souvent en-deçà.

Les récits structurant la figure du barbare depuis l’Antiquité vont lui donner la force du mythe, c’està-dire en faire une figure porteuse d’explication quant à la place de l’être humain sur la terre. Ainsi incarné, le mythe offre au fantasme un terrain d’expression privilégié où il peut être un tant soit peu approché et contenu. En effet, au moins depuis l’Antiquité, le barbare – ou le sauvage – va constituer une sorte de miroir tendu à l’humanité. Grâce à la comparaison avec un être considéré comme très différent, plus proche de la nature, sauvage, moins policé, il s’agit de se rassurer sur son appartenance à la société tout en rêvant d’un monde où l’homme serait affranchi des contraintes de la vie en groupe et vivrait en communion directe avec les forces d’une nature perçue comme matrice première, source de vie, à la fois sacrée et désirable, mais aussi habitée par les forces les plus brutales du monde et donc impropre à la vie humaine. La figure du barbare et celle de l’homme sauvage, sans se confondre complètement, partagent cependant une certaine proximité avec le monde naturel, à la fois monde sauvage et monde sacré. Ce mythe, en étant l’expression consciente, travaillée, rendue socialement acceptable du fantasme de retour à la nature permet de canaliser les aspirations et de souder le groupe. Il semble ainsi que la figure du barbare-sauvage, soit, avec la recherche d’un paradis terrestre ou d’une fusion avec un grand tout, l’une des formulations les plus récurrentes dans les imaginaires du fantasme premier de retour à la nature ; retour ambivalent par excellence vers une nature divine souvent confondue avec la nature sauvage.

Atomisation des structures sociales et « réensauvagement » du monde 

Les débuts du long Moyen Age de Jacques LE GOFF peuvent être identifiés comme une période d’Antiquité tardive allant du IIIe au VIIIe siècle environ. Jacques LE GOFF lui-même souscrit à cette appellation pour qualifier les débuts du Moyen Age. Toutefois, ces débuts ne sont pas aussi apocalyptiques que ce que veut y voir la mémoire collective contemporaine. Les grandes invasions barbares accusées d’être à l’origine de la fin de l’Empire romain sont en effet désormais considérées par la majeure partie des historiens comme relevant de la légende. La vision traditionnelle de la chute de l’Empire romain, celle d’une période troublée faite de destructions massives et de massacres sans précédent marquant une rupture brutale, est héritée de la Renaissance – période de regret de l’Antiquité. Cette vision sera entérinée au XIXe siècle, en particulier par Michelet. Il n’est d’ailleurs pas étonnant que les lamentations des historiens sur la fin de Rome ne soient inscrites dans une période de frénésie coloniale pendant laquelle chaque pays européen, ou presque, se rêvait en empire. Il ne faut bien sûr pas nier l’ampleur des mouvements de population qui se produisirent sur plusieurs siècles. Toutefois, il convient de rappeler que l’Empire romain était, de lui-même, arrivé au terme de son aventure. La fin de l’Empire romain trouve ainsi avant tout son origine dans des désordres internes plus que dans les assauts de supposées hordes barbares hors de tout contrôle .

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE I : QUELQUES MANIFESTATIONS DU FANTASME DE RETOUR A LA NATURE (DES ORIGINES A LA REDECOUVERTE DES AMERIQUES)
Chapitre 1 La réinvention perpétuelle des figures du barbare et du sauvage
haute Antiquité
Le paradis perdu de Gilgamesh : le face à face du héros civilisé avec son alter ego sauvage
Antiquité et Antiquité tardive
Les barbares de Tacite : la fascination du  »civilisé » pour les peuples  »proches de la nature »
Atomisation des structures sociales et  »réensauvagement » du monde
Du Moyen Age à la redécouverte des Amériques
Infidèles, hérétiques, païens : la diabolisation du barbare
L’horizon asiatique, entre réel et reconstruction imaginaire : des invasions mongoles
aux peuples de Gog et Magog, mystifications autour de la figure de Gengis Khan
et du supposé royaume chrétien d’Asie
Les bons sauvages du premier voyage de Christophe COLOMB
Synthèse
Esquisse de définitions
Intérêt des figures du barbare et du sauvage
Chapitre 2 Millénarismes chrétiens et âge d’or
Ressort des millénarismes chrétiens
Mythes de l’âge d’or et pays d’abondance
Le royaume de Prêtre Jean
Le pays de Cocagne
La quête du paradis terrestre dans l’Occident chrétien
Géographie du paradis : le glissement vers l’ouest
La multiplication des centres du monde : quête du paradis et millénarisme
chez Christophe COLOMB
L’abandon progressif du paradis de la Genèse : de la nostalgie de l’âge d’or au « programme politique »
Synthèse
Chapitre 3 – Avant l’histoire : signes permettant d’entrevoir le caractère
fondamental du fantasme de retour à la nature
L’apparition de la pensée symbolique au Paléolithique
Travail de la pierre et premiers mythes du paradis perdu
La fracture néolithique
Aggravation du fantasme et élaboration de l’idée d’une suprématie de l’homme sur la nature
Quelques figures néolithiques
Ascension et descente sur l’axe cosmique
La montagne : figure de l’ascension et porte ouverte sur le centre de la terre
L’arbre : axe et support du monde, symbole de l’homme
Synthèse
PARTIE II – IDENTITE ET FONCTIONNEMENT DU FANTASME DE RETOUR A LA NATURE
Chapitre 4 Nature du fantasme
Les différentes catégories de fantasmes
Le retour à la nature
Point de contact de tous les fantasmes originaires
Universalité du paradis et spécificité occidentale
Chapitre 5 Immortalité, facilité et perfection : le triptyque fondamental
du paradis occidental
La quête d’immortalité
Le fantasme d’une perpétuelle jeunesse
La fuite de la réalité
De la quête de sens au dépassement de soi
Le fantasme de la vie facile
L’illusion de la liberté
Le fantasme de la vie parfaite
Le fantasme d’une vie supra-humaine
Résoudre les oppositions
Chapitre 6 Réalité de la nature
Identité
Fonction
Fonction pour l’imaginaire
Un bain d’imaginaire primordial
PARTIE III – ORIGINE EVOLUTIVE DU FANTASME DE RETOUR A LA NATURE
Chapitre 7 Un sentiment d’étrangeté
Un cerveau pour échapper aux lois de la nature
Vivre sain et sauf
Une différence revendiquée
« Homo spiritualis »
Expérience de l’ailleurs et émotion esthétique
Origine possible de la pensée symbolique
Chapitre 8 Transformation et maîtrise du monde
La curiosité comme stratégie évolutive
Exploration du milieu et accroissement des capacités cognitives
Connaissance de soi et du monde : entre angoisse et plaisir
Expérimentation et techniques
Un gain de l’évolution
Entre amélioration du quotidien et transgression
La maîtrise du monde
La toute puissance et l’hyper-responsabilité
L’homme érigé en but ultime de l’évolution : une interprétation déviante de l’histoire du vivant
Chapitre 9 Le prix de la liberté
L’obligation d’être libre
L’angoisse et l’illusion de l’invention permanente
Le sens de la liberté
Liberté et sens moral
Origine évolutive de la morale : la nécessité de l’entraide
Le sens moral : gouvernail de la liberté
Liberté et histoire
La redécouverte des structures archaïques de la pensée
Le renoncement et la stratégie du bouc-émissaire
L’origine évolutive de la liberté
CONCLUSION

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