L’ensemble des conduites d’un individu vis-à-vis de sa consommation d’aliments est finement régulé de façon à assurer un apport adéquat d’énergie pour le bon fonctionnement de son organisme, et donc assurer une situation d’homéostasie énergétique. Mais dans certaines situations pathologiques, on oberve un dysfonctionnement de cette régulation qui mène aux Troubles du Comportement Alimentaires (TCA) et à l’obésité. Les TCA touchent un nombre toujours croissant d’individus en France et dans le monde. Ils sont devenus un problème de santé publique majeur. Multifactoriels, leurs mécanismes en cause demeurent encore vagues et font l’objet de nombreuses recherches. Récemment, des études démontrent qu’à côté du système nerveux central, des hormones gastrointestinales et du système nerveux entérique, le microbiote intestinal joue un rôle dans la régulation du comportement alimentaire. La notion de « 2ème cerveau» appliquée au tube digestif s’étend donc maintenant en intégrant le microbiote, dans un axe microbiote-intestin-cerveau impliquée dans la physiopathologie du comportement alimentaire et donc dans ses dérèglements.
La régulation homéostasique du comportement alimentaire
Le comportement alimentaire a pour finalité de couvrir l’ensemble des besoins nutritionnels en apportant les composés biochimiques nécessaires au fonctionnement optimal de l’organisme et au maintien de l’homéostasie globale et énergétique. Sa régulation dépend d’un réseau complexe reliant des signaux périphériques à des structures centrales et intriquant des facteurs exogènes.
Les centres de régulation
La prise alimentaire est l’objet de systèmes de régulations inconscientes extrêmement précis dont l’hypothalamus du diencéphale est l’élément centralisateur et le système nerveux végétatif ou autonome, l’amplificateur [1].
L’hypothalamus est situé à la face ventrale de l’encéphale, sous le thalamus et au-dessus du tronc cérébral. Sa localisation circumventriculaire de part et d’autre du 3ème ventricule lui confère une moindre protection par la barrière hémato-encéphalique (BHE) et de ce fait, en fait un élément stratégique pour recevoir des signaux venant de la périphérie. Plusieurs noyaux hypothalamiques constituent les centres de régulation majeurs du comportement alimentaire .
Plus particulièrement, le noyau arqué est un site fondamental pour la détection des signaux hormonaux et métaboliques circulants, en raison de sa situation anatomique particulière. Il constitue donc un véritable relai métabolique où coexistent à la fois des populations neuronales libérant des neuropeptides orexigènes: neuropeptide Y (NPY) & agouti related protein (AGRP) dans la région ventro-médiane et des populations neuronales des régions latérales libérant des neuropeptides anorexigènes: pro-opiomélanocortine (POMC) et cocaine and amphetamine regulated transcript (CART) [2]. Interviennent aussi le noyau suprachiasmatique participant à la coordination du rythme circadien entre la prise alimentaire et la dépense énergétique, le noyau dorsomédian et les noyaux paraventriculaires indispensables où sont relayés les signaux du noyau arqué et où est libérée la principale hormone de stress, l’hormone corticotrope (CRH). C’est également dans cette zone que sont situés les récepteurs à la mélanocortine de type 4 (MC4-R) dont le principal ligand satiétogène est l’alpha-mélanotropine (αMSH), issue du clivage de la proopiomélanocortine.
Juste en dessous de l’hypothalamus, le tronc cérébral et son noyau du tractus solitaire (NTS) vont être un relai viscérosensitif [3]. En effet, ils reçoivent de façon directe les afférences vagales activées dans la sphère intestinale par différents stimuli mécaniques (distension) ou hormonaux contribuant à signaler la satiété. Le NTS intègre aussi les informations sur les propriétés organoleptiques des nutriments (gout et texture) collectés au sein de la cavité orale et acheminés par les nerfs crâniens. Les projections neuronales du NTS relayent ensuite l’information au noyau arqué. Au-dessus de l’hypothalamus, le thalamus joue un rôle dans la perception hédonique qui influence aussi la prise alimentaire. En outre, les aires associatives du cortex ainsi que l’hippocampe et l’amygdale du système limbique sont impliqués dans le processus de conditionnement et d’apprentissage dont le rôle est loin d’être négligeable dans la régulation du comportement alimentaire.
Les signaux périphériques
Le système nerveux central reçoit des signaux afférents en provenance de la périphérie et notamment, du système digestif. Par exemple, la CCK est sécrétée lors de l’arrivée des lipides et des protéines dans la lumière duodénale et va signaler le rassasiement par voie vagale mais aussi par voie hormonale [4]. De même, le polypeptide intestinal tyrosine-tyrosine (PYY) sécrété par les cellules L de l’intestin grêle et du colon, proportionnellement à la charge calorique, possède une action anorexigène vagale et hypothalamique. Le peptide pancréatique (PP) structurellement comparable au PYY entraîne lui aussi une diminution de la prise alimentaire [5]. Les cellules L de l’intestin synthétisent également l’incrétine glucagon-like peptide 1 (GLP-1) qui favorise la sécrétion d’insuline anorexigène. La leptine sécrétée par le tissu adipeux inhibe la prise alimentaire et accroît la dépense énergétique. Seule la ghréline sécrétée par le fundus gastrique est orexigène et vient par voie sanguine activant les neurones à NPY/AGRP du noyau arqué, et antagonisant l’effet de la leptine [6]. À côté de ces signaux digestifs, le signal métabolique de la variation de la glycémie au cours du nycthémère et les signaux mécaniques transitoires de la mastication et la distension gastrique générés par des mécanorécepteurs, vont aussi participer à la régulation du comportement alimentaire. Les signaux directement liés à la prise alimentaire (ex : la glycémie), non proportionnels à la masse adipeuse, vont être des signaux de régulation à court terme ; ils interviennent sur le volume et la durée de la prise alimentaire. Tandis que les signaux liés à l’adiposité (ex : la leptine) ont une action retardée par rapport à la prise alimentaire et vont être des signaux de régulation à long terme. La finalité de ces derniers va être de contrôler la balance énergétique pour maintenir un poids stable.
Facteurs exogènes
À ces voies centrales et périphériques de régulation du comportement alimentaire viennent s’ajouter des facteurs psychosociaux : la culture et les traditions, le savoir et les attitudes, l’hédonisme, l’humeur, le rythme alimentaire, les aspects économiques et enfin, des facteurs environnementaux : la présentation des mets, leur structure, la taille des portions et des contenants, l’ambiance, et surtout la disponibilité des aliments [7].
Le microbiote intestinal et le comportement alimentaire de son hôte
La littérature actuelle complète ce modèle de régulation homéostasique du comportement alimentaire en ajoutant un nouvel acteur, le microbiote intestinal. En effet, en quelques années, les connaissances scientifiques sur le microbiote se sont considérablement développées, non seulement dans sa description que permettent désormais de nombreux outils moléculaires, mais aussi dans la compréhension de son implication dans les fonctions physiologiques.
Un écosystème en équilibre
Le microbiote intestinal désigne l’ensemble des microorganismes colonisant le tractus digestif d’un individu, soit 100 000 milliards ou 10¹⁴ bactéries environ, dont le métagénome contient 100 à 1000 fois plus de gènes que le génome humain [8]. Bien que la composante bactérienne du microbiote soit la plus importante quantitativement et la mieux caractérisée, il ne faut pas négliger la présence dans le microbiote de virus, champignons, phages et parasites dont l’étude n’est encore qu’émergente. La colonisation bactérienne des nouveau-nés commence dès la rupture des membranes placentaires et même, selon des études récentes, in utero [9]. La petite enfance (allaitement, diversification alimentaire) joue alors un rôle majeur dans l’écologie intestinale qui va acquérir au fil du temps une grande biodiversité. Cette biodiversité est un facteur d’équilibre important pour le microbiote intestinal puisqu’elle lui confère deux propriétés majeures de résistance et de résilience. Cet écosystème est donc en mesure de récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi un stress. Aussi, sa biodiversité lui permet une redondance des effets biologiques et donc une meilleure protection de l’hôte. On peut classifier les bactéries retrouvées dans le tube digestif de l’homme en trois grands groupes «phylogénétiques»: Firmicutes, Bacteroidetes et Actinobactéries et en 6 genres bactériens : Eubacterium, Lactobacillus, Enterococcus, Clostridium, Bacteroides, Bifidobacterium, qui rassemblent jusqu’à 90% des espèces bactériennes chez tous les individus. On note une forte homogénéité dans les activités globales du microbiote intestinal des individus sains. Ainsi, sa diversité taxonomique est bien supérieure à sa diversité fonctionnelle. Cette redondance des fonctions entre différentes espèces permet d’assurer le maintien des activités essentielles.
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Table des matières
1. Introduction
2. La régulation homéostasique du comportement alimentaire
2.1. Les centres de la régulation
2.2. Les signaux périphériques
2.3. Facteurs exogènes
3. Le microbiote intestinal et le comportement alimentaire de son hôte
3.1. Un écosystème un équilibre
3.2. Rôles
3.3. Dysbiose
3.4. Lien avec l’obésité et le comportement alimentaire
4. Les mécanismes
4.1. Axe intestin-cerveau
4.2. Les voies dépendantes des composants bactériens
4.3. Les voies dépendantes des métabolites bactériens
4.4. La pression sélective
4.5. Immunité, production d’antigènes et d’auto-anticorps
4.6. Biotransformation et modulation de molécules
4.7. La « dysmétabolose » des acides biliaires
4.8. La perméabilité de la barrière intestinale
5. Les perspectives
5.1. Biomarqueurs
5.2. Thérapeutique
6. Conclusion
Références bibliographiques
Annexes
Serment de Galien