« Pour moi je tiens que, hors de Paris, il n’y a pas de salut pour les honnêtes gens. » Mascarille, dans « Les précieuses ridicules », Scène IX Molière, 1659 .
« Y a-t-il chez tous les hommes un bien plus grand que la santé ? » . A l’antique question – certes, rhétorique – posée par Platon dans le Gorgias, il convient encore aujourd’hui de répondre par la négative. En effet, à l’heure où les réformes politiques marchent d’un même pas vers la réduction de la dette et la diminution des dépenses publiques et sociales, les Français n’en restent pas moins persuadés que si la santé a bien entendu un coût, ils restent prêts à l’assumer. C’est en tout cas l’avis exprimé par 94% des répondants à un sondage Odoxa d’octobre 2017 , considérant que la santé doit constituer une priorité de financement et d’investissement. A l’exception notable des états généraux de la santé, organisés dans le cadre de la révision des lois de bioéthique , la santé, sujet a priori cher aux Français, apparaît pourtant comme relativement absente du débat public. Ainsi, un autre sondage indiquait que 76 % des questionnés regrettaient que cette thématique ne soit que trop rarement évoquée dans les débats politiques et électoraux . Ce résultat semble d’ailleurs s’inscrire en cohérence avec les résultats du sondage Odoxa de 2017, dans lequel les répondants étaient 67% à penser que la question de la santé était mal prise en compte par les pouvoirs publics .
Ce sentiment est par ailleurs renforcé par l’impression, exprimée dans un sondage Harris Interactive de 2017, « qu’en termes de santé, toutes les régions françaises ne se valent pas » : d’une région à l’autre, 82% estimaient que les délais d’attente étaient différents pour obtenir un rendez-vous avec un professionnel de santé, 77% que les proportions de professionnels de santé pratiquant le dépassement d’honoraires variaient, 66% que les tarifs liés aux soins dentaires différaient, et 62% en pensaient de même au sujet des soins optiques.
S’il est possible de relativiser la pertinence scientifique de ces différents sondages, il n’en demeure pas moins qu’au-delà de la répétition de résultats peu ou prou identiques, ils semblent détenir une part de vérité. A tel point que la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022 – ou SNS –, document de cadrage de la politique de santé produit par le Gouvernement, indique sans détours que « notre pays reste marqué par de fortes inégalités sociales et territoriales de santé » .
Dès lors, il convient de se demander qui pilote aujourd’hui notre système de santé. En fonction de la réponse qui sera apportée à cette première interrogation, il sera ensuite temps de s’interroger sur les questions suivantes : qui devrait le piloter ? Pour lutter contre les inégalités territoriales et renforcer le débat public et politique autour des questions de santé, les territoires eux-mêmes occupent-ils – ou devraient-ils occuper – une place renforcée dans ce pilotage ? A ce sujet, le sondage Odoxa d’octobre 2017 nous précise que 77 % des répondants considèrent que les Régions devraient jouer un rôle plus important dans la gouvernance du système de santé . Et alors que le président de la République Emmanuel Macron appelait au Sénat, en juillet 2017, à faire accepter la « différenciation de l’action publique dans les territoires » comme « prix de [l’] égalité des chances » , pour que la France puisse « avec pragmatisme revisiter [certaines] politiques publiques afin d’y injecter davantage de liberté pour les territoires », les questions du pilotage de la régulation sanitaire régionale, et de sa place dans le débat public, apparaissent comme des sujets d’une brûlante actualité.
Délimitation du sujet
S’intéresser à la question de la régulation sanitaire régionale impose d’opérer un léger retour en arrière. Ce rapide voyage dans le temps nous conduira dans un premier temps à l’année 2009. Après examen de mille neuf cent soixante-douze amendements, un passage en commission mixte paritaire, et une décision du conseil constitutionnel en date du 16 juillet 2009, la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, sera finalement promulguée le 21 juillet 2009 . Ce « texte de tous les records » , adopté « après un très long processus législatif » qui conduira à gonfler considérablement le projet de loi originel éponyme, déposé le 22 octobre 2008, « constitue un bouleversement majeur au sein du paysage sanitaire français » et entend marquer l’aboutissement annoncé d’un processus de régionalisation du pilotage du système de santé engagé au milieu des années 1990.
L’un des éléments central de ce texte, constituant « sûrement la plus grande innovation de ce projet de loi » , réside dans la création des agences régionales de santé, ou ARS. Pour la ministre en charge de la réforme, ces nouvelles entités doivent répondre à une « triple ambition de simplification, de territorialisation et de responsabilisation » . Envisagée comme la « clé de voûte » du pilotage sanitaire régional, dans toutes ses composantes, la création de l’ARS, « loin de ne constituer qu’une simple réforme administrative » se veut être une véritable « révolution culturelle » , jugée nécessaire pour mettre en œuvre « l’indispensable modernisation» du système de santé français.
Le premier élément de cette « révolution culturelle » réside dans une approche rénovée des questions relatives à la santé et à leur pilotage. L’objectif est de rompre avec une gestion en tuyaux d’orgues, conduisant à séparer les différentes composantes chromatiques du spectre sanitaire : soins ambulatoires et hospitaliers, prévention, médico-social… Il s’agit, avec les ARS, de « refonder le pilotage territorial du système de santé », afin de pallier une gouvernance reposant sur une organisation considérée comme « à bout de souffle », tout en « passant d’une logique de soins à une logique de santé ». Produit de la fusion d’organismes régionaux déconcentrés et des unions régionales des caisses d’assurance maladie – URCAM –, l’ARS se veut être un « guichet unique » régional chargé de décliner « dans un cadre territorial les objectifs du projet de loi : faciliter l’accès aux soins et l’accès à l’information, décloisonner les soins de ville et ceux dispensés à l’hôpital afin de simplifier le parcours de santé des patients, et développer la qualité et la sécurité du système de santé » . La volonté du législateur a donc été d’établir un « pilotage unifié au niveau régional » des questions sanitaires, en confiant à un acteur unique l’ensemble des leviers nécessaires à l’amélioration de l’état de santé de la population et à la rationalisation du système.
En réalité, l’inspiration est également à chercher du côté de la définition de la santé proposée par l’Organisation Mondiale de la Santé – OMS – en 1948, et désormais bien connue : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité». Pour la ministre de la santé de l’époque, « cette définition, loin de réduire la santé à la seule absence de maladie », qui « met en avant la nécessité d’adopter une approche globale et multifactorielle de la santé […] correspond fondamentalement au projet qui a inspiré les ARS : organiser une administration de la santé capable de définir et de conduire une politique globale de santé dans les régions ».
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PARTIE 1. LES COLLECTIVITES TERRITORIALES FACE A LA REGIONALISATION DE L’ADMINISTRATION SANITAIRE
TITRE 1. LA REGIONALISATION DE L’ADMINISTRATION SANITAIRE : UN ABOUTISSEMENT LOGIQUE POUR UN SECTEUR ORIGINAL
Chapitre 1. La région : cadre naturel d’une action publique rénovée
Chapitre 2. La régionalisation de l’administration sanitaire
TITRE 2. LA PLACE DES COLLECTIVITES TERRITORIALES DANS LA REGIONALISATION DE LA SANTE : UNE OPPORTUNITE DE PASSER DU STRAPONTIN AUX LOGES ?
Chapitre 1. Des collectivités partenaires des politiques de santé, mais dépourvues de réelles compétences
Chapitre 2. L’action sanitaire de la Région NPDC : les prémisses d’une décentralisation de la santé ?
PARTIE 2. LA REGIONALISATION SANITAIRE FACE A LA DECENTRALISATION
TITRE 1. LA DECENTRALISATION : UNE PERSPECTIVE POUR LA SANTE ?
Chapitre 1. La décentralisation : une perspective pour la République française ?
Chapitre 2. A la recherche d’une légitimité supérieure de l’Etat à l’égard de l’administration de la santé
TITRE 2. ANALYSE PROSPECTIVE POUR UNE DECENTRALISATION SANITAIRE
Chapitre 1. Décentralisation et santé : éclairages internationaux
Chapitre 2. Pour une décentralisation incrémentale de la régulation sanitaire régionale
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
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