La région de kayes, ses émigrés et leur mobilisation associative 

Problématique et méthodologie pour aborder les transferts idéels

Une étude de cas pour appréhender les transferts idéels : le projet des lettres vidéo de prévention santé

Le choix d’une monographie

Le projet de recherche que nous présentons ici est une monographie : l’étude de cas d’un projet de réalisation et de diffusion de lettres vidéo par des associations de migrants maliens en France à destination de leurs villages d’origine ; et les lettres vidéo « réponses » élaborées par les associations des communautés villageoises en question et adressées à ses ressortissants, en France.
Le choix de l’étude de cas se justifie ici par la volonté, non pas de tirer des conclusions sur la nature et la transmissibilité des transferts idéels en général, mais de s’attarder sur un cas particulier pour apporter des éléments de réponse sur la façon d’appréhender les transferts idéels.
Une démarche comparative aurait été possible puisqu’il existe une multitude d’autres projets (individuels et collectifs) initiés par des migrants vers leur entourage non-migrant. D’autres supports sont utilisés pour communiquer ces transferts idéels tels que les lettres manuscrites (Charpy et Hassane, 2004), les cassettes audio, ou aujourd’hui les nouvelles technologies de l’information et de la communication comme la téléphonie mobile, les sites web et forums associés (Diminescu, 2005). Il nous a néanmoins semblé pertinent de nous concentrer sur une étude de cas, de manière à pouvoir approfondir, dans le temps qui nous est imparti pour la réalisation de ce mémoire, la compréhension d’une population particulière et d’un thème particulier. En effet, en raison de la complexité des contextes propres à chaque ensemble de transferts idéels, un processus d’analyse comparatiste se ferait au détriment d’une réelle prise en compte des représentations sociales des acteurs.
Ainsi, le choix des Maliens de la région de Kayes immigrés en France nous apparaît comme pertinent en raison de l’importance de cette population (environ 120000 maliens vivent en France en 2009 dont une très large majorité originaire de cette région) , mais aussi car cette communauté se situe dans un espace social transfrontalier à la fois bien établi et relativement restreint par rapport, par exemple, à l’échelle nationale Mali/France. En effet, la population concernée ici se situe plutôt dans le « glocal » , mettant en relation la région parisienne et celle de Kayes.
A travers ces lettres vidéos, il nous est également offert de travailler sur le thème de la santé (qui sera développé dans le 2.1). En effet, l’action se concentre ici sur la prévention de maladies transmissibles, un domaine qui touche aux représentations sociales de la maladie, mais également du corps (Sayad, 1999), du couple, de la médecine et de la mort (Ziegler, 1975).
Quant au cadre particulier du projet de lettres vidéo, il offre plusieurs avantages.
D’abord, parce que contrairement à l’étude de la communication interpersonnelle, le cadre collectif et organisationnel des associations, nousinvite à travailler sur des transferts idéels qui sont le fruit d’un compromis entre les différentes stratégies et représentations individuelles. Celles-ci ont dû être conjuguées pour mettre en place le projet. D’abord par le choix des thèmes abordés par chaque association, ainsi que bien sûr, dans l’élaboration du scénario, le choix des acteurs, etc. Au-delà du message lui-même, ce sont ces discussions et arbitrages à l’intérieur de l’organisation qui ont conduit à la formulation finale du message.
Ce contexte collectif nous permet donc de nous placer à une échelle particulière, celle de la communauté villageoise (ou communale). Cette échelle collective nous permet d’atténuer les risques liés à l’interprétation de messages qui seraient personnels, et dont le sens nouséchapperait en raison des particularismes individuels.
Le fait également que nous soyons ici face à une « campagne » est un avantage non négligeable. En effet, le cas particulier des campagnes d’information, de sensibilisation et de prévention, offre la garantie d’une volonté manifeste, de la part des migrants, de transmettre un message à leur village d’origine. Dans ce cas précis, un message préventif, cherchant donc à modifier, si ce n’est directement les représentations sociales, tout au moins les pratiques relatives à la santé. Contrairement au cadre des relations interindividuelles, nous sommes plus systématiquement face à des tentatives d’influence profonde, et donc à la mise en place, par les créateurs/diffuseurs des messages, de mécanismes de persuasion et d’arbitrage entre le message préventif brut, et la manière dontil doit être formulé et diffusé pour être validé par les non-migrants.
Le choix d’une monographie portant sur ce projet particulier tient aussi à des raisons plus pragmatiques. Une question d’accessibilité desdonnées et des acteurs tout d’abord, qui est due aux liens privilégiés existant entre le laboratoire MIGRINTER et l’association GRDR qui a encadré le projet de lettres vidéo. De la même manière, l’expertise particulière qu’a développé le laboratoire à propos des populations du bassin du fleuve Sénégal et de ses ressortissants en France, permet d’accéder à des données et des études qui n’auraient sûrement pas été disponibles à propos d’autres populations.

Le tournage et le montage

Suite à leur formation vidéo, les animateurs filment eux-mêmes les débats qui ont lieu entre les membres des associations de ressortissants en France, ou entre les villageois au Mali. Ils sont à la fois réalisateur, cameraman et preneur de sons. En France, les lieux de tournage privilégiés sont les Foyers de Travailleurs Migrants (FTM) ou résident la majorité des membres de l’association de ressortissants en question et, au Mali, les locaux des CSCOM. En général, l’ensemble du tournage se fait en une journée ou une demi-journée, ce qui représente donc 4 à 6h de rushes. Le but fixé étant d’aboutir à des films de 30 minutes à 1h, le montage se révèle une étape décisive. En effet, celui-ci doit être validé par les participants. Le même responsable du GRDR, Pascal Revault, nous explique ainsi que « il nous semblait important, à partir du moment ou il s’agissait d’une lettre collective, qu’il y ait validation par la collectivité, de cette lettre unifiée». Cette étape est donc à nouveau l’objet de discussions entre les membres des associations. En parallèle, un important et fastidieux processus de sous-titrage par Avenir Vivable et certains animateurs est mis en œuvre.

La diffusion

Au Mali, lorsque cela est possible, les lettres vidéo en provenance de Paris, sont visionnées dans chacun des villages membres de l’association villageoise. Dans le cas d’un territoire trop étendu, comme c’est le cas de l’arrondissement de Sadiola qui comprend 46 villages, des représentants de chaque village sont informés à l’avance, et conviés à l’une des trois ou quatre projections qui ont lieu dans différents villages membres de l’association.
Quant à la diffusion de ces réponses en France, elle se fera tout d’abord lors d’une réunion des membres de l’association de ressortissants concernée, puis dans la plupart des foyers où résident des ressortissants.
Au-delà de l’échange de lettres vidéo proprement dit, le projet aura des échos grâce à divers événements. Tout d’abord, à la fin de l’année 1997, c’est-à-dire au milieu du projet, le GRDR a réalisé un film documentaire d’une trentaine de minutes intitulé « Lettres vidéo pour la prévention », sorte de synthèse des six premières lettres vidéo échangées, c’est-à-dire celles pilotées par le GRDR. Le film décrit la naissance et la réalisation du projet. Composé d’extraits des lettres vidéo et des débats qui ont précédé leur réalisation, ce documentaire est commenté par une voix off qui remet le projet dans son contexte et décrit les différentes phases du processus. Ce film synthèse, réalisé en cours de route après un certain désengagement du GRDR au profit de la Charte Santé, permet de communiquer sur les réalisations du projet. De plus, le concept de lettres vidéo sera diffusé par le GRDR auprès de ses partenaires européens. Ainsi, les participants seront invités à venir présenter les lettres vidéo de prévention santé lors d’un colloque à Londres. De plus, des associations, belges en particulier, reprendront par la suite le principe des lettres vidéo pour établir une autre communication entre les ressortissants d’Afrique centrale vivant en Belgique et leur médecin traitant par exemple. Ainsi, si ce n’est directementauprès des organisations pionnières de ceconcept, les lettres vidéo recevront un écho positif, seront diffusées à la télévision publique Malienne, feront naître diverses initiatives à travers l’espace européen, et Africain, mais également, plus immédiatement, au Mali. En effet, de manière complètement indépendante de leurs ressortissants en France, deux villages de la région de Kayes, Gagny et Séro réaliseront chacun une lettre vidéo de prévention santé en 1998, Gagny sur le paludisme, et Séro sur la bilharziose.

Les résultats

Les résultats du projet en termes de retombées sanitaires ou de changements dans les pratiques liées à la santé, n’ont pas été évalués. En effet, l’importance de l’évaluation des résultats et de l’impact des projets de développement ne sera instituée que plus tard. Ainsi, il est très difficile de dire quels résultats concrets le projet a eu sur les conditions de santé.
Parce qu’elles forment un dialogue, un échange, entre les migrants et leur entourage non-migrant, ces lettres vidéo forment un corpus particulièrement pertinent pour appréhender les transferts idéels, et les réactionsqu’ils soulèvent chez les non-migrants. La section suivante aura pour but de problématiser notre recherche en mettant en parallèle cette expérience particulière et les interrogations que soulèvent les transferts idéels de manière générale.

La prevention des maladies transmissibles

La prévention

Puisque notre sujet concerne la prévention des maladies transmissibles, il nous faut relever quelques-unes des difficultés auxquelles doit faire face tout programme dont le but est de prévenir la maladie et donc, entre autres, de changer certaines pratiques à risque.
Tout d’abord, bien sûr, d’importants moyens financiers et humains sont nécessaires. Or, comme nous l’avons vu, les moyens budgétaires ne sont pas toujours en accord avec les urgences épidémiques, et la formation des professionnels de la santé, pas toujours adaptée aux particularités propres à telle ou telle maladie.De même, l’organisation institutionnelle et administrative de la prévention peut être un frein si elle est imposée de l’extérieur sans appropriation par les acteurs locaux (comme ce fut le cas des Programmes Nationaux de Lutte contre le Sida créés par l’OMS). En effet, comme l’explique Barbara Bertini, les messages construits par et pour la population majoritaire, peuvent se révéler inadaptés auprès de certains publics, parce que les conceptions (du sujet, de la maladie, de la contagion) sur lesquels elles se basent ne sont pas toujours en adéquation avec celles des populations auxquelles elles s’adressent. Il faut donc dépasser la simple adaptation des campagnes aux contextes culturels pour aller vers un véritable ancrage dans les processus cognitifs et le tissu communautaire.
Pour faire face à ces difficultés, « la prévention ne doit pas être entendue seulement comme l’apport de connaissances par des experts à des personnes « ne sachant rien » ou ayant de « fausses croyances »»(Bertini, 2004). En effet, sans relais parmi la société civile, la prévention s’avère rarement efficace, d’où l’importance, par exemple, des associations de malades pour la sensibilisation d’un public plus large. Car, il faut nécessairement que la population ciblée se sente concernée par la maladie, qu’elle soit consciente de l’urgence de la situation, mais aussi qu’elle soit disponible pour assister à la « séance » de prévention quelle qu’en soit la forme.
L’accès de la population aux soins et à la prévention est également un facteur à prendre en compte. L’éparpillement des habitants, en particulier dans les zones rurales, complique le travail de prévention. Dans le cas particulier d’une prévention censée se faire dans les pays du Sud, un fort taux d’analphabétisme peut aussi représenter une difficulté importante puisqu’il élimine la possibilité de recourir à un certain nombre de supports, faisant de l’image et de l’oralité les seuls modes adaptés de transmission de l’information. Se pose alors également le problème de la langue, surtout lorsque l’on ambitionne d’intervenir dans une zone multilingue, comme c’est le cas du Mali où près de cinquante langues différentes sont quotidiennement parlées.
Enfin, une dernière difficulté, qui s’est particulièrement illustrée dans la prévention du VIH/Sida, est la construction de « groupes à risque ». Si elle peut avoir une certaine justification épidémiologique, cette catégorisation a également pu constituer un frein important à la prévention auprès d’une population plus large. Ainsi, pendant des années, malgré des programmes de prévention soutenus, le public occidental a longtemps considéré le VIH/Sida comme une maladie réservée aux homosexuels et aux toxicomanes. En plus de stigmatiser et de marginaliser ces populations plus encore qu’elles ne l’étaient déjà, cette construction de « groupes à risque » a retardé la prise de conscience par l’ensemble de la population que le virus VIH/Sida peut toucher tout le monde.
Toutes ces difficultés, propres aux campagnes de prévention, les acteurs du projet de lettres vidéo ont dû les contourner pour lui assurer une certaine efficacité. Il nous faudra voir comment ces difficultés ont été levées, car les stratégies mises en œuvre sont plus largementcelles qui permettent la transmission des transferts idéels.

Analyse des résultats

Avant de présenter les résultats de l’analyse des lettres vidéo en fonction de ce qu’elles nous apprennent sur les transferts idéels,il convient de remettre le projet dans ses divers contextes.

Contexte historique, sanitaire et politique du projet

Il y a plus de douze ans que le projet des lettres vidéo a été amorcé. Pour avoir une bonne compréhension de ses enjeux, il faut donc le replacer dans le contexte de son époque, celui du milieu des années 1990.

Contexte sanitaire du milieu des années 1990

Le 12 septembre 1978, une première conférence internationale à Alma-Ata au Kazakhstan, incite les gouvernements du monde entier à tout mettre en œuvre pour assurerl’accès de tous à la santé pour l’an 2000. Dans ce but, les soins de santé primaires (SSP) sontdéfinis, de manière très large puisqu’ils incluent l’alimentation, l’eau, ainsi que l’éducation et la prévention. Mais les financements ne suivent pas. Une décennie plus tard, l’Initiative de Bamako (1987), dont le Mali est l’un des premiers signataires, réunit les ministres africains de la santé sous l’égide de l’UNICEF et de l’OMS. Le but de cette initiative est de relancer et revitaliser le système des soins de santé primairesdessiné à Alma-Ata en en limitant la portée aux soins médicaux et en décentralisant le pouvoir décisionnel de l’échelon national vers celui des districts, en initiant le processus de participation communautaire (c’est-à-dire le financement et le contrôle de la gestion desdispensaires par la communauté elle-même), et en prônant le développement des médicaments essentiels génériques (MEG).
Quels sont, au milieu des années 1990, les résultats de ces politiques sur la situation sanitaire au Mali? Prenons l’exemple de deux des maladies transmissibles abordées par les lettres vidéo pour illustrer cette situation. La rougeole, d’abord. Le VIH/Sida, ensuite.
Avant l’arrivée de la vaccination, au début des années 1960, la rougeole était la première cause mondiale de mortalité par infection (135 millions de cas annuels entraînant 6 millions de décès). La mortalité en a été divisée par trois à la fin des années 1980, après près de dix ans d’une politique de vaccination de masse. Néanmoins, à l’époque des lettres vidéo, environ un million de personnes meurent encore chaque année dans le monde de cette maladie, en raison d’une couverture vaccinale imparfaite mais aussi en raison de l’échec de la vaccination dans près de 15 % des cas. Depuis, entre 2000 et 2007, le nombre de décès a chuté de 750.000 à 197.000, soit une baisse de 74%,selon l’Organisation mondiale de la Santé, entre autres grâce à la mise en place de système destockage réfrigéré pour les vaccins et à la création d’un maillage de dispensaires.
En ce qui concerne le VIH/Sida, à l’époque la mobilisation populaire n’a que quelques années. Par exemple, le ruban rouge, symbole de la solidarité avec les victimes du VIH/Sida et les personnes touchées, ne fait son apparition qu’en 1991. ONUSIDA et l’OMS estiment qu’au Mali, en 1996, le taux de prévalence du VIH/Sida (taux des 15-49 ans affectés, sur l’ensemble de la population) était d’environ 1%. En2005, il est de 1,9% en Région de Kayes, soit légèrement supérieur à la moyenne nationale de1,7%.
La « trithérapie », qui sauve jusqu’à 80% des personnes qui suivent ce traitement, a été découverte puis commercialisée en 1996, soit unan avant la réalisation des lettres vidéo. Ce traitement fait passer le VIH/Sida du statut de maladie mortelle à celui de maladie chronique, ce qui conduit à une évolution des représentations collectives de cette maladie dans la société française. En parallèle, dès 1995, des données épidémiologiques préoccupantes sur la séroprévalence et sur l’accès au dépistage et aux soins de la population étrangère résidant en France, circulent dans les milieux des associations de lutte contre le Sida et parmi les chercheurs (Bertini, 2004). Ce n’est qu’avec la publication d’un rapport public en 1999, que, dit Didier Fassin, le sujet est devenu « dicible » et « pensable ». Les migrants deviennent « victimes » et non plus « coupables », et de nouveaux acteurs investissent le paysage de la prévention. En effet,avec les antirétroviraux (ARV) le Sida n’est plus un « fléau » sans recours, et les associationsse tournent vers de nouveaux objectifs : le dépistage précoce, l’accès à l’information, et aux soins. Mais ce n’est qu’au bout de longues années de négociations entre les ONG et les laboratoires pharmaceutiques, au sein des organisations internationales dont l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), que les médicaments génériques de la trithérapie sont autorisés en 2001. « C’est donc une démarche originale d’arriver à parler du Sida, tout en sachant qu’en face, on n’a pas vraiment de choses concrètes à proposer, […] alors que la trithérapie est accessible en France, mais pas au Mali » explique Barbara Bertini. En effet, à l’époque du projet des lettres vidéo, les ARV ne sont donc pas encore disponibles au Mali. Ils ne le seront, gratuitement, à l’Hôpital Régional de Kayes qu’en 2004. « On peut faire toute la prévention qu’on veut, si les gens n’ont pas accès aux soins, ce n’est plus de la prévention, ça devient de la propagande et ça pose de grosses questions éthiques» explique un des responsables du département santédu GRDR (Pascal Revault, 13/03/2009).

Conclusion et mise en perspective

Le projet des lettres vidéo de prévention santé, en instaurant un dialogue entre Maliens d’ici et de là-bas, nous offre un cadre privilégié pour l’étude des transferts idéels.
L’étude des discours contenus dans les films a en effet révélé la présence de nombreux débats portant sur des normes, des principes, ou des représentations sociales, c’est-à-dire une grande densité de transferts idéels.
L’analyse de ces transferts nous a permis de dégager plusieurs thèmes sur lesquels le débat est récurrent. Ainsi, les messages communiqués par le migrant à son entourage nonmigrant dans les lettres vidéo sont à la fois marqués par la nécessité de la perpétuation du projet migratoire et par celle de son évolution. Toujours plein d’attentions et de déférence, en prônant l’autofinancement des centres de santé, le migrant cherche en effet à se désengager, en poussant le non-migrant à ne plus être aussi dépendant des revenus de la migration. En valorisant la participation de tous, et en particulier des groupes habituellement minorisés que sont les femmes et les jeunes, le migrant ajoute d’autres poids dans la balance des pouvoirs, et remet ainsi en cause la distribution des rôles et des responsabilités au sein de la société.
De plus, parce qu’en construisant des centres de santé, les migrants proposent une certaine conception des soins, qui n’est pas celles existant dans la région, le message préventif sert surtout à convaincre les non-migrants de l’efficacité de la médecine occidentale. Car c’est par l’acceptation de ce système de soins par la population que passe aussi le succès et la légitimité de leurs propres projets. Les migrants cherchent à introduire un changement dans les pratiques et dans les représentations liées aux soins pour que ses proches fréquentent le CSCOM, car ils pensent sincèrement que cela va améliorer les conditions de santé de leurs entourages restés au village, mais aussi parce que la reconnaissance des bienfaits du système de soins à l’occidentale leur permet de valoriser leurs propres initiatives et investissements pour l’amélioration des conditions de vie dans le village.
Les transferts idéels portés par le migrant entraînent toutes sortes de réactions parmi les non-migrants. De l’appropriation au déni, en passant par l’acceptation, la confirmation et la réfutation par l’évitement ou l’opposition. Il est donc difficile de savoir si les messages diffusés par les migrants et les débat qu’ils suscitent, ont eu des répercutions, à court ou à moyen terme, sur les pratiques ou sur les conceptions de la maladie et des moyens de s’en prévenir, qui prévalent au village.
Néanmoins, cette étude nous permet d’en savoir plus sur la nature des transferts idéels, et démontre la faisabilité de travaux portant sur les effets potentiels de ces transferts sur les transformations de l’environnement social des non-migrants. L’espace socia transnational entre les Maliens résidant en région parisienne et leur entourage non migrant est bel et bien constitué de débats qui remettent en cause des pratiques, mais aussi des jugements, des principes et des représentations sociales. Prudemment, les migrants tentent d’introduire certains changements. Mais ceux-ci ne peuvent être acceptés qu’à la condition que les principes qu’ils sous-tendent n’entrent pas trop directement en contradiction avec ceux préexistants.
Les pistes d’ouvertures pour un approfondissement de ce thème de recherche sont nombreuses. Il pourrait s’agir tout d’abord de travailler sur des projets de prévention santé plus récents. Depuis la réalisation des lettres vidéo, l’espace social transnational entre Maliens d’ici et de là-bas a en effet beaucoup évolué, ne serait-ce qu’en raison du développement des politiques migratoires européennes (pour rappel, l’agence européenne FRONTEX fut créée en 2004). Analyser des projets plus récents nous permettrait donc d’être moins en décalage avec les réalités contemporaines.
En outre, si ce mémoire nous a permis d’identifier des transferts idéels touchant à de nombreuses thématiques, il pourrait être intéressant d’approfondir l’une ou l’autre d’entre elles, en particulier celles touchant aux représentations de la santé et des soins d’une part, et à la politique de santé publique du pays de départ, d’autre part. Les représentations des soins, et du traitement de la maladie dans des payscomme le Mali juxtaposent et confondent aujourd’hui des pratiques et des systèmes de santé différents (« traditionnel/local/naturel » et « moderne/occidental/officiel », la terminologiedevra être déterminée). En participant à la mise en place de CSCOM dans leurs villages d’origine, les migrants sont des acteurs primordiaux de l’évolution des représentations touchant à chacun de ces systèmes. Les migrants mettent aussi en débat les politiques de santé publique des pays de départ, puisque leurs actions, qui comblaient les vides laissés pardes services publics quasi inexistants, sont ensuite entrées en concurrence avec eux.

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Table des matières
LISTE DES ACRONYMES
INTRODUCTION 
1. CHOIX DU SUJET 
2. CONTEXTE D’ÉMERGENCE DU SUJET 
1. PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE POUR ABORDER LES TRANSFERTS IDÉELS
1.1 UNE ÉTUDE DE CAS POUR APPRÉHENDER LES TRANSFERTS IDÉELS: LE PROJET
DES LETTRES VIDÉO DE PRÉVENTION SANTÉ
1.1.1 Le choix d’une monographie
1.1.2 La mise en place du projet des lettres video de prévention santé
Les acteurs et les raisons d’être du projet
Le processus de réalisation
1.2 PROBLÉMATISATION ET OBJET DE L’ÉTUDE: LES TRANSFERTS IDÉELS
1.2.1 Le contexte des transferts idéels : les espaces sociaux transnationaux
1.2.2 La transmission des transferts ideels : la communication des idées
1.2.3 Les éléments constitutifs des transferts idéels
1.2.4 Les effets des transferts idéels
1.3 MÉTHODOLOGIE
1.3.1 Les entretiens
1.3.2 L’analyse des vidéos
2. ELÉMENTS DE COMPRÉHENSION DE L’ANALYSE DE CAS: SANTÉ ET MIGRANTS MALIENS DE LA RÉGION DE KAYES
2.1 LA SANTÉ COMME UN ÉLÉMENT MOBILISATEUR DES TRANSFERTS IDÉELS
2.1.1 Les enjeux de la santé
Des définitions plus ou moins larges
Enjeux globaux de la santé
Enjeux locaux
Enjeux de la santé publique
2.1.2 La situation sanitaire au Mali, ses déterminants et ses conséquences
Une politique de santé publique contrainte
Des conditions sanitaires inégales
2.1.3 La prevention des maladies transmissibles
La prévention
Les maladies abordées par les lettres vidéo
Les représentations de la maladie et de la contagion chez les populations de la Région de Kayes
2.2 LA RÉGION DE KAYES, SES ÉMIGRÉS ET LEUR MOBILISATION ASSOCIATIVE
2.2.1 Histoire de l’émigration depuis la vallée du fleuve Sénégal
2.2.2 Projet migratoire, santé et lieu de vie des migrants
Projet migratoire
La santé des migrants en France
Les Foyers de Travailleurs Migrants (FTM)
LES TRANSFERTS IDEELS ENTRE LE MIGRANT ET SON ENTOURAGE NON-MIGRANT
2.2.3 Mobilisation associative des émigrés de la Région de Kayes
Histoire des associations de ressortissants maliensen France et de leurs projets au Mali
Les associations de migrants participantes aux lettres vidéos
3. ANALYSE DES RÉSULTATS 
3.1 CONTEXTE HISTORIQUE, SANITAIRE ET POLITIQUE DU PROJET
3.1.1 Contexte sanitaire du milieu des années 1990
3.1.2 Contexte politique du milieu des années 1990, en France et au Mali
3.2 DESCRIPTION DU CONTENU DES LETTRES
3.2.1 Commentaires généraux : l’établissement du dialogue
3.2.2 Comparaison entre les séries de lettres vidéo :le contenu du dialogue
La première série de lettres (Lettres Vidéo 1), unehétérogénéité fructueuse
La deuxième série de lettres (Lettres Vidéo 2), réponses et initiatives
La troisième série de lettres, les « Lettres Vidéo 3 », une homogénéisation au détriment
de la qualité du message préventif
3.2.3 Les réactions face au moyens de prévention préconisés
Un projet apprécié, des éléments de prévention appropriés
Des affirmations réfutées par le déni, l’oppositionou l’évitement
Critiques de l’applicabilité des moyens préventifs prescrits par les migrants
3.3 CE QUI PASSE AU TRAVERS DU MESSAGE DE PRÉVENTION, LA NATURE DES TRANSFERTS IDÉELS
3.3.1 Du rapport entre le migrant et son entourage non-migrant
La perpétuation du projet migratoire
… mais la nécessaire participation de tous à l’amélioration de la santé
3.3.2 Du rapport entre la médecine locale et la médecine occidentale
Appel à la fréquentation du centre de santé
Les nécessités sanitaires d’un changement de certaines pratiques et représentations
sociales
Place des savoirs anciens et complémentarité des deux systèmes de soins
CONCLUSION ET MISE EN PERSPECTIVE
BIBLIOGRAPHIE 
ANNEXES 
I. TABLEAU DES ENTRETIENS
II. RETRANSCRIPTIONS DES LETTRES VIDÉO
a. Diboli 1
b. Diboli 2
c. Diboli 3
d. Sadiola 1
e. Sadiola 2
f. Sadiola 3
g. Gory Gopela 1
h. Gory Gopela 2
i. Gory Gopela 3

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