La recherche en pédagogie au service de l’autonomie des élèves
Si le modèle transmissif a longtemps dominé les pratiques de la discipline scolaire histoire-géographie, la recherche a progressivement mis au premier plan le rôle central des élèves dans leurs apprentissages. Ainsi la place de l’enseignant s’est muée, de transmetteur des savoirs à guide ou accompagnateur des élèves, pour permettre à l’apprenant de se construire ses propres connaissances. Tout d’abord, une première partie permettra de définir les apports de la théorie constructiviste dans la didactique de l’histoire-géographie pour ensuite développer, dans une seconde partie, les apports de la pédagogie de l’intégration développée par Xavier Roegiers et conclure, dans une troisième partie, sur les ressources, évoquées par cet auteur, qui permettent aux élèves d’être compétents.
Une théorie constructiviste pour rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages
Les théories constructivistes du XXe siècle à nos jours s’appuient sur les travaux de psychologues comme Jean Piaget ou Lev Vigotsky . Cette approche modifie dans les classes, à tous les niveaux scolaires, la manière d’appréhender le savoir, ses modes de construction et d’appropriation : la connaissance ne se transmet plus, elle se construit.
L’élève au cœur des apprentissages
La finalité des théories constructivistes est de replacer au centre des apprentissages l’acteur principal : l’apprenant. En effet « apprendre » correspond à un processus d’appropriation individuel. C’est-à-dire qu’on ne peut pas apprendre à la place d’une autre personne, mais aussi que l’intégration des acquis est propre à chacun. le dossier de synthèse du Cnesco pour la différenciation pédagogique rappelle que « chaque élève est différent, dans ses attitudes, capacités, motivations… De ce fait, comment faire apprendre les mêmes contenus, faire acquérir les mêmes connaissances et les mêmes compétences à tous les élèves» . En effet, l’appropriation s’opère de manières différentes selon les individus, un outil ou une méthode peut fonctionner pour certains et non pour d’autres. Ainsi, il doit être proposé aux élèves un ensemble d’outils leur permettant de sélectionner le plus efficace dans leur processus individuel d’appropriation des savoirs, savoir faire et savoir-être. Ce mouvement a donc mis en avant l’intérêt de la construction des savoirs par l’élève. Marcel Giry écrit, au sujet des pédagogies nouvelles dont le principe de base est la construction des savoirs par l’apprenant, : « l’enjeu de ces méthodes n’est pas l’apprentissage de connaissances. Ces méthodes visent principalement l’apprentissage d’activités intellectuelles comme penser, réfléchir, imaginer, inventer, ou comme expliquer, argumenter, catégoriser. L’important pour ces méthodes, c’est l’élève, plus précisément ce sont : – les tâches auxquelles l’élève est confronté dans une situation d’apprentissage.[…] – les opérations mentales que l’élève met en œuvre pour mémoriser des informations, les traiter , les transformer en solution, en action, etc. » . Ainsi ce qui est mis en avant, dans les méthodes constructivistes, ce sont les actes cognitifs des élèves qui se traduisent par la démonstration de compétences lors de mise en situation complexe. En effet Laurent Talbot précise que « l’approche par compétence est une approche socioconstructiviste, ce qui signifie que l’activité de l’élève est comprise comme essentielle pour l’apprentissage » . Ainsi les méthodes constructivistes optent pour un outillage pédagogique complexe afin de mettre en valeurs les compétences construites par les apprenants, on parle alors d’activité de « Haute tension intellectuelle ». Cependant, Nicole Allieu-Mary et Nicole Lautier relève la dichotomie entre les compétences auxquelles se réfèrent les enseignants d’histoire-géographie et les pratiques de classe . Elles relèvent ainsi, dans des études précédentes, un nombre significatif : « 70% [des élèves] associent à la discipline des activités de « basse tension » intellectuelle : il ne s’agit absolument pas de comparer, mettre en relation, sélectionner et classer. Ce n’est pas non plus rédiger, qu’il s’agisse d’un texte court ou argumenté » . Cette recherche sur l’autonomie des élèves dans l’analyse critiques de documents s’intéresse bien aux pratiques d’élèves face à la tâche complexe et donc quels sont les actes cognitifs opérant dans le cas d’une activité de « haute tension intellectuelle ».
Cette approche constructiviste favorise alors une pédagogie active qui impacte indéniablement les pratiques enseignantes en classe .
Le rôle de l’enseignant
Dans les pédagogies constructivistes, le rôle principal de l’enseignant n’est plus de transmettre les connaissances mais de mener les élèves à se les construire. Ainsi la posture de l’enseignant en classe a changé : d’une posture de contrôle, il doit adopter une posture plutôt de « lâcher-prise », même si dans les faits l’enseignant jongle entre les différentes postures . Ainsi l’enseignant devient un guide dans les apprentissages de l’élève, il se doit de mettre à la portée de l’apprenant ce qui lui est nécessaire pour réaliser des tâches complexes, l’encourager, l’aider à comprendre ses erreurs sans jamais réaliser l’exercice à sa place. Jérôme Bruner évoque, dans ses théories sur la médiation, le rôle de l’adulte comme guide auprès des apprenants : pour permettre à l’enfant d’acquérir des connaissances, l’adulte doit valoriser l’autonomie de ce dernier en portant son attention sur ce qu’il fait, en l’encourageant et en donnant du sens à son action .
En effet, pour Laurent Talbot « enseigner, c’est mettre en place des conditions qui sont susceptibles, qui devraient permettre aux élèves de construire des compétences. Ce sont les élèves eux-mêmes, individuellement, qui construisent leurs compétences » , C’est donc à l’enseignant de mettre en place des dispositifs de classe dans le but de valoriser l’autonomie des élèves. C’est dans cette lignée que se situe, l’article de Dominique Bucheton et d’Yves Soulé sur « les gestes professionnels et le jeu des postures de l’enseignant dans la classe » puisque dans cette article ils proposent un modèle d’analyse de l’agir enseignant , appelé le multi-agenda. « L’agir enseignant » est complexe, il repose sur cinq éléments centraux: « 1) piloter et organiser l’avancée de la leçon, 2) maintenir un espace de travail et de collaboration langagière et cognitive, 3) tisser le sens de ce qui se passe, 4) étayer le travail en cours, 5) tout cela avec pour cible un apprentissage de quelconque nature qu’il soit » (Annexe 2). Ces piliers de l’agir enseignant renvoient à comment l’enseignant peut œuvrer pour favoriser l’autonomie des élèves, ils sont donc en interactions, adaptables et dynamiques. Le premier point concerne notamment, l’accompagnement des élèves et les activités proposées. La prise en compte des élèves dans le pilotage de la leçon est fondamentale : pour qu’ils s’approprient les connaissances, ils doivent participer et construire l’enseignement avec le professeur. Le second point insiste sur la portée de l’atmosphère de classe dans la construction des savoirs. Pour Dominique Bucheton et Yves Soulé, elle relève de « l’éthique professionnelle », ainsi l’instauration d’une atmosphère propice à l’enseignement doit permettre aux apprenants de se confronter à des situations d’apprentissage où leurs interactions, leurs activités cognitives et leurs formulations de leurs pensées permettent la construction des apprentissages sans crainte d’une note-sanction. La bienveillance du professeur permet l’institution en classe d’un climat de confiance où l’élève peut expérimenter et construire . Ensuite, le troisième pilier de « l’agir enseignant » concerne le tissage du cours, c’est-à-dire l’importance de créer du lien dans les apprentissages et de leurs donner du sens. Les bons élèves établissent des liens sans que l’enseignant ne les explicite mais une majorité de la classe ne le fait pas. Puis le quatrième point de « l’agir enseignant » : l’étayage caractérise, selon les auteurs : « toutes les formes d’aides que le maitre s’efforce d’apporter aux élèves pour les aider à faire, à penser, à comprendre, à apprendre et à se développer sur tous les plans » . Ce sont donc des outils, des aides qui permettent aux élèves de développer, outre le savoir disciplinaire, des compétences et des méthodes qui les rendent compétents. Mais, comme le rappelle Alexia Forget : « Le vrai défi consiste, pensons-nous, à développer chez tous les élèves les compétences qui autoriseront le retrait des aides initialement fournies » , ainsi l’étayage doit être une aide ponctuelle de manière à ce que les élèves intègrent les ressources nécessaires à la compétence.
L’enseignant apparait donc, dans ces pratiques constructivistes, comme un guide proposant un cadre, des ressources et des aides individuelles dans le but de permettre aux élèves d’être autonomes dans les compétences visées.
Xavier Roegiers et la pédagogie de l’intégration, une pédagogie qui vise l’autonomie des élèves
La pédagogie de l’intégration s’est développée dans les années 2000 en puisant dans les travaux de pédagogie de la seconde moitié du XXe siècle, c’està dire dans des recherches qui s’inscrivent dans le mouvement constructiviste et les courants qui en découlent. Elle s’inspire alors des réflexions sur : « la prise en compte de l’action de l’apprenant sur son environnement, et le concept de tâche complexe et significative qui en découle ; l’implication de l’apprenant dans les apprentissages ; la notion de conflit cognitif, et surtout de conflit sociocognitif ; le rôle de l’adulte pour enclencher et encadrer un processus d’apprentissage ; l’acquisition par l’apprenant des ressources cognitives mobilisables en situation ; le traitement de l’information face à une tâche complexe ; le développement progressif d’une compétence ».
La pédagogie de l’intégration, un projet de société légitime
Les travaux menés par Xavier Roegiers cherchent à faire le lien entre la demande sociale et l’enseignement. Il précise qu’au cours de l’histoire l’orientation des curricula dépend de la place qu’accorde la société à la connaissance et aux savoirs: d’abord connaissances des textes fondateurs, puis adaptation des recherches scientifiques et technologiques, et ensuite une pédagogie par objectifs qui renforce les contenus disciplinaires pour enfin laisser la place à la pédagogie par compétence. Ce lien entre les connaissances et la demande sociétale est également évoqué par les recherches didactiques en histoire-géographie. Par exemple Nicole Allieu-Mary, François Audigier et Nicole Tutiaux-Guillon écrivent : « Il [Le concept de discipline scolaire] permet d’inverser le point de vue courant qui fait de l’histoire scolaire la fille de l’histoire-science et de la considérer d’abord comme une construction particulière faite à l’école pour répondre aux finalités que la société attribue à celle-ci » et François Audigier érige cette demande de la société comme un des pôles de légitimité d’une discipline scolaire (Annexe 3). Dans les années 2000, une réforme des systèmes éducatifs est engagée et la compétence, qui est au cœur de la pédagogie de l’intégration, est alors interprétée de manières diverses et mise en œuvre différemment selon les systèmes éducatifs. Pour la pédagogie de l’intégration, la compétence est ce qui permet de donner une finalité aux apprentissages davantage orientés vers l’insertion dans la vie en société et professionnelle. Vincent Carette écrit : « l’approche par compétences pourrait redonner du sens au savoir […], remettre au travail des élèves pour qui « l’école ne sert à rien » et diminuer le retard scolaire » .
|
Table des matières
Introduction
I. La recherche en pédagogie au service de l’autonomie des élèves
I.1. Une théorie constructiviste pour rendre les élèves acteurs de leurs apprentissages
I.2. Xavier Roegiers et la pédagogie de l’intégration, une pédagogie qui vise l’autonomie des élèves
I.3. Appliquer la pédagogie de l’intégration en classe
II. Méthodologie de recherche sur l’intégration de la méthodologie de l’analyse de documents en classe de seconde
II.1.Le cadre de la recherche
II.2.Le corpus de données collectée
II.3. Les outils d’analyse
III. Vers l’autonomie des élèves dans l’exercice de l’analyse de documents en classe de seconde ?
III.1. Des outils qui permettent aux élèves d’être autonomes dans l’exercice de l’analyse de documents ?
III.2. L’entrainement et la répétition de l’exercice pour intégrer les savoirs-faire
III.3. L’impact de la pédagogie de l’intégration dans la pratique enseignante
Conclusion
Bibliographie
Annexes