La recherche d’un équilibre dans la tension entre sensible et conscience intellectuelle

La Causalité impure

Nabert pense le moi, (c’est-à-dire la conscience empirique), dans son rapport nécessairement instable à son être pur, rapport qui engendre des possibles à l’origine du mal : telle est la racine de sa propre déchéance.
En effet le moi est nécessairement attaché à une conscience, c’est-à-dire une singularité, qui ne peut se tendre sans fin vers son principe (l’esprit pur), mais qui doit se ressaisir elle-même afin de pouvoir choisir d’agir. C’est dans ce caractère nécessairement (car constitutivement) fermé de la conscience sur elle-même, (puisque toute conscience est conscience singulière), que sa cache la racine de la déchéance du moi. Le moi a un rapport à son être pur (son principe), mais il est prisonnier d’une conscience et avec elle « de ses désirs et du monde » . Il ne peut donc durablement se tenir auprès de son principe. Aussi Nabert peut-il écrire : Dire que nous ne sommes pas (réellement ou effectivement) ce que nous sommes (absolument) c’est rassembler la signification d’une expérience émotionnelle à laquelle nul homme ne peut se flatter d’échapper Ainsi pour évoquer cette impossibilité que nous avons de tendre durablement vers notre principe, Nabert met en évidence ce qui enest la conséquence : le sentiment de l’impossibilité absolue de nous égaler à nousmême, qui se retrouve sous la forme d’un sentiment d’insécurité , d’autant plus fort que les actes du moi correspondent aux impératifs de la moralité ; il s’agit là, « d’un sentiment d’un autre ordre, [que celui représenté par les catégories morales], correspondant à celui que peut avoir de soi une causalité se connaissant comme inégale à l’aspiration qui la travaille. » . Nabert se moque donc des philosophies de la finitude qui pensent un progrès toujours possible, un rapprochement toujours plus grand de l’être avec lui même . Pour lui, nous vivons une rupture sans remède, d’avec nous même, indépassable : c’est le mal originaire qui se manifeste dans la causalité impure du moi.
Pour comprendre ce qu’est cette causalité impure du moi, il nous faut distinguer deux concepts qui déploient la causalité des actes du moi (c’est-à-dire qui sont à la source du comportement du moi) : celui de causalité spirituelle et celui de causalité psychique (ou causalité du moi à proprement parlé).
La causalité spirituelle est celle de l’au-delà spirituel, c’est-à-dire du principe, de l’être pur du moi, c’est pourquoi cette causalitéest dite pure. Inaccessible directement par la conscience, elle est ce que nous ressaisissons à travers sa trahison, c’est-à-dire au travers de sentiment comme le remord, la culpabilité que nous éprouvons même lorsque nous nions par nos actes le moi pur… C’est l’acte de l’au-delà spirituel qui génère les possibles dans la conscience, que le moi saisit et qu’il déploie dans la pratique, dans ses actes, mais qu’il ne peut connaître qu’au travers des motifs de ces derniers.
C’est dans ce second moment que se joue la causalité psychique, qui n’est autre que la causalité spirituelle devenue impure, car elle s’est enracinée dans le moi, dans la conscience humaine (on peut donc aussi parler de causalité du moi). Elle est impure, c’est-à-dire radicalement autre par rapport à lacausalité spirituelle, etce, pour deux raisons, (elle est, en ce sens, d’une certaine façon doublement impure). Il y a, en effet, deux formes que peut prendre cette déchéance du moi (par rapport à son être) : la première est celle qui marque la constitution des idées; la deuxième est le rehaussement de cette marque, causée par sa réactualisation par le moi (du fait d’une “faiblesse” de la volonté).
Ainsi de l’au-delà spirituel, l’acte pur sedégrade sous l’effet de son appropriation par la conscience du moi en idées qui sont, par définition, objectives dans le sens où elles sont assignées aux finalités de l’esprit (et doncaux catégories de la connaissance et de l’action), et c’est seulement sous ces formes fixes que les perçoit notre conscience. Cette dégradation est donc inévitable, sans elle la conscience ne serait jamais conscience d’ellemême, elle serait toujours ouverte tendue versl’au-delà spirituel, puisque c’est seulement par l’objectivisation des actes purs en idées que ceux-ci prennent une forme que la conscience peut penser. Ainsi seule cette opération nous donnent « les conditions d’une vérification » de ces actes « et de [leur] valeur » car s’ils restaient actes purs notre impossibilité à les appréhender, à les connaître nous rendrait impossible tout jugement à leur égard. (Cependant l’entendement en inscrivant l’acte dans un devenir objectif, est susceptible de nous faire oublier la nécessité pour le moi de toujours renouveler son mouvement vers l’au-delà spirituel, afin que les idées qui lui viennent ne se voient pas complètement déchues du sens pur dont elles sont issues.)
Cette appropriation par la conscience d’elle-même est la première marque de sa déchéance, car elle est le corollaire du jaillissement des possibles : c’est la causalité originaire. Or, si certains de nos actes sont mauvais, c’est nécessairement que dans le jaillissement des possibles qui les a engendrés auniveau de la conscience, se trouvait déjà cette impureté, qui est une conséquence decette objectivisation nécessaire à leur surgissement dans la conscience (puisque par définition l’acte pur est exempt d’impureté).
De cette impureté dans le jaillissement même des possibles nous ne sommes pas responsables à première vue, et pourtant elle est inévitable, car constitutive de la conscience et de son caractère singulier, de sa fermeture sur elle-même. Cependant, dans un second mouvement, la conscience choisit de seresserrer autour de certains de ses différents possibles qu’elle surprend en elle, c’est-à-dire d’en faire des agir effectif du moi (ou des tentatives d’agir). Qu’elle choisisse ce qui pour les catégories morales de la raison constitue de mauvaises actions/pensées ou des actes pleinement inspirés par l’au-delà spirituel, elle accepte, elle redouble en l’actualisant, cette fracture par rapport à l’acte pur. Cette rupture est engendrée avec le jaillissement des possibles, du fait d’une préférence du soi co-substantielle à la causalité du moi qui la dissimule (par rapport au regard de la conscience -entendu ici dans son sens restreint, c’est-à-dire comme faculté de présence à son objet-) dans les intentions qui sous-tendent les motifs des actions.

Le mal de sécession

Ce mal naît dans la distance que choisit sans cesse de prendre dans le secret de lui même le moi, par rapport à autrui, dans la relation qui les unit.
Ce faisant le moi suit un mouvement spontané, mais accentué par le consentement de la conscience, ainsi le mal de sécession naît, dans et par le redoublement par la conscience de cette tendance du moi, quand se décide le désengagement du moi vis à vis de sa relation à autrui, ce qui l’amène à chosifier l’autre (en niant l’existence de la causalité propre à ce dernier). Autrui devient alors absolument autre (c’est-à-dire inconnus et incompréhensible car inaccessible à première vueau travers de la communication), de là, le moi se laisse aller à « consentir » à l’acte mauvais. Ce terme de « consentir » , indique que le moi sait qu’il nie le principe d’unité inhérent à toute relation à autrui, c’est-à-dire l’idée qu’il y a entre les hommes suffisamment en commun pour qu’il y ait un sens à communiquer entre eux, qu’ils peuvent en effet se comprendre,que la relation permettra à chacun d’avoir des droits pour communiquer et qu’elle enrichira spirituellement réellement les deux individus : C’est le sens d’un principe qui porte une « réciprocité » entre les consciences, celle-ci constitue leurs seuls « rapports vrais » . Aussi en faisant d’autrui, un autre absolu, « l’autre impénétrable », la conscience sait qu’elle nie ce principe essentiel d’elle-même, que par là elle setrahit, au profit de ce qu’elle croit être un gain pour une autre dimension d’elle-même. C’est en effet par amour de soi que le moi trahit son principe. Nabert donne l’exemple du menteur,dont il nous dit qu’en « [rompant] à [son] profit une relation de réciprocité » (entre les consciences), il « [rompt] le lien avec le principe qu’ [il] saisissait au travers de cette relation et par elle » . C’est donc à la négation partielle de son être que la conscience donne son accord, lorsqu’elle rompt la possibilité même d’une relation à autrui, et c’est cela que Nabert appelle « mal », détachant semble t-il ce concept de la volonté de faire souffrir l’autre. Il apparaît, en effet, à la lecture de l’Essai sur le mal, que cela n’est qu’une conséquence secondaire, et non nécessaire, du basculement qui s’opère dans la conscience lorsqu’elle fait de l’autre une chose, c’est-à dire, pour reprendre des termes de la philosophie kantienne, dans le sillon duquel Nabert pense, que l’autre devient pour le moi, au mieux un « moyen », au pire un obstacle, mais plus jamais une « fin ».
Le mal (et plus précisément le mal de sécession) naît donc avec cette distinction opérée par le moi entre lui même et autrui. Nabert pense que rien dans notre expérience intérieure de la relation à autrui ne nous permet de connaître l’existence d’une séparation entre notre conscience et celles des autres, seule la spatialité (qui est elle, extérieure au moi) le permet. En effet, si le rapport du moi à l’autre s’intensifie, il enrichit le moi par la façon dont il fait dialoguer les différences des deux êtres, l’« accroissement spirituel réciproque »
qui en résulte, rapproche les deux êtres (par les liens crées, fussent ils ceux de la comparaison qui maintient les différences réciproques) et ne laisse pas de place pour la dualité numérique. Si au contraire le moi sent sa relation à autrui se désagréger, alors un sentiment de perte intime, perte de quelque chose auquel le moi pensait jusque-là, comme à lui-même, atteste de l’absence d’une dualité entre les âmes. Par conséquent, il nous faut imaginer une multiplicité de consciences, de laquelle le moi (la conscience particulière) ne se différencie que postérieurement par et dans l’expérience du mal.
C’est pourquoi on parle de mal de sécession, autrement dit, celui de la sécession des consciences. Cette multiplicité d’où le moi émerge, est plus précisément l’ensemble des consciences s’ordonnant autour d’un principe d’unité immanent à toutes « relation[s] de réciprocité ». Ainsi ces relations sont réglées par ce principe, qui a pour « fonction [non] point d’abolir les différences entre les consciences ou de susciter comme une assimilation de ces dernières, mais bien plutôt de les maintenir » (car elles permettent la communication et sa fécondité), « et de promouvoir tout ensemble les raisons de leur opposition ou de leur hostilité » (il s’agit en effet d’actualiser un réel et profond « combat » spirituel).
En approfondissant cette pensée, il s’avère que ce principe d’unité fonde la possibilité même de la relation aux autres consciences, car l’unité entre les consciences dont il témoigne est le seul support de la « réciprocité entre les consciences ». Aussi ce principe est il également la racine de l’avènement du soi en chaque conscience (par distinction de la multiplicité), car cet avènement qui passe par le mal de sécession, n’est pas en définitive autre chose que la négation de ce principe d’unité (et donc de relation possible) entre les consciences. Nabert nous dit que : « C’est [là] l’origine de ce que Kant appelle les vices de civilisation, l’hypocrisie, lavanité et aussi des vices « diaboliques », dont il estime, par un reste d’optimisme, qu’ils passentce dont est capable l’humanité : la joie provenant du mal d’autrui, l’envie, l’ingratitude, le fanatisme qui est la contrefaçon du combat [spirituel] », (par lequel les relations de réciprocité s’approfondissent). Ainsi Nabert démasque ici une illusion de la conscience de soi quant à son origine : La conscience n’est pas tout d’abord seule, avant de tenter de se mettre en relation avec les autres par la communication.

Le péché (et le sentiment du péché)

Remarques préalables : Ces deux notions ne sont pas thématisées séparément dans l’Essai sur le mal, (où notamment au chapitre III intitulé « le péché », J. Nabert passe sans cesse de l’une à l’autre) cependant la distinction entre elles transparaît dans tout son discours, de telle façon qu’expliciter cette différence nous paraît nécessaire si l’on veut comprendre ce concept dans sa complexité.
Tout comme le mal de sécession, le péché est fondamentalement la marque d’une fracture interne au moi. En effet le sentiment du péché reflète au niveau de la conscience individuelle une rupture opérée par le moi et constituée par la négation de la loi spirituelle qui est essentielle à l’être du moi (c’est la rupture spirituelle).
Ainsi pour Nabert, la notion depéché est l’effet d’un acte de la pensée réflexive, qui crée par le même mouvement la loi spirituelle, pour rendre compte du sentiment de culpabilité que nous éprouvons, même lorsque nosactes sont conformes à la morale. Cette loi est donc un des aspects de cet au-delà spirituel qui est l’être (ou l’âme) du moi empirique : le sentiment de péché atteste qu’elle est trahie par ce dernier à travers certains de ses actes.
La rupture spirituelle ainsi conçue, n’est en fait que le résultat du devenir effectif du mal originaire, c’est-à-dire l’infléchissement, le redoublement du sens spontané de ce mal, opéré par et dans la conscience; et c’est de ce redoublement que naissent les actes du péché.
Ainsi le sentiment de péché recouvre aussi bien cette présence de la causalité originaire dans le moi, avec ce que cela engendre de possibles, que sa coopération effective et discontinue avec notre liberté, c’est-à-dire avec notre causalitépsychique dans sa totalité.
Autrement dit, ce sentiment est lié tout à la fois à l’acte du péché en lui même (qui est la faute), et à ce qui en est la source secrète et indéracinable (la causalité originaire) : il naît de l’espace qui sépare les deux.
Ainsi il se différencie, encore que de façon superficielle, du sentiment de faute qui est celui de la dualité qu’éprouvele sujet agissant. Cette dualité est due à la transgression de la règle morale qui est une norme rationnelle, et que Nabert appelle aussi le « devoir faire » . Le sentiment de péché, lui, n’est pas orienté vers cette obligation de moralité (qui en tant que telle, apparaît à première vuecomme un commandement de la raison, un peu extérieur au moi dans sa totalité, comme en atteste le fait qu’il crée en nous une tension entre la tentation de transgresser et le devoir de respecter). A travers la règle morale, se joue la question de la gravité du mal effectivement commis, tandis que le péché lui n’est jamais lié à cette question, car il est entièrement tourné vers le moi (dans toute son intériorité) ayant trahit la règle. Ainsi, alors que la transgression de la règle morale est ce qu’affronte le sentiment de faute, dans celui du péché (qui n’est que l’autre versant de la même expérience du mal), cette transgression de la règle devient trahison de la loi spirituelle (c’est à-dire non pas d’un principe extérieur au moi, mais tout au contraire de l’être du moi : l’esprit pur). C’est pourquoi, le sentiment de péché se manifeste par une diminution de l’être du moi. Ce qui naît de la rupture spirituelle, c’est donc la tension entre le choix originaire et l’esprit pur, aussi Nabert dit il que le péché : « est l’écho d’une opposition enveloppée dans toute conscience » puisqu’il est vrai « qu’originairement et de tout temps nous ne sommes pas ce que nous devrions être.
En effet, enfreindre la loi, c’est se trahir soi-même, c’est séparer le moi de son être, et par conséquent faire nécessairement l’expérience intime et douloureuse de cette diminution de l’être du moi. Car Nabert reconnaît la souffrance du méchant, qui se manifeste dans le sentiment de péché, bien plus que dans celui de faute. En effet, « la transgression d’une obligation […] souvent, ne froisse que bien peu la nature », puisqu’elle n’implique qu’une réponse rationnelle permettant de savoir ce qui aurait dû avoir lieu et qui n’est pas advenu (et éventuellement la pratique conforme à la norme ainsi mise à jour). Le péché au contraire, parce qu’il se manifeste par le sentiment d’une « blessure que le moi s’est faite à lui-même » , est la véritable « épreuve » qui invite le moi à s’interroger sur l’origine de sa souffrance,(c’est-à-dire sur l’origine de son sentiment de péché).
Cette épreuve passe donc par la réflexion, qui amène chacun à s’interroger sur sa propre causalité et ainsi sur lerapport entre sa volonté et laloi morale. Ce que le moi découvre alors, c’est l’existence d’un rapport « intime », « caché», « du moi voulant à l’âme de son vouloir»: C’est-à-dire qu’à travers ses volitions particulières, le moi s’aperçoit que transparaît une volonté, une causalité souterraine, qui conditionne ces volitions ; sans pour autant, qu’il ne pense immédiatement cette causalité. Il ne la ressaisit qu’au travers de ses différents choix : c’est la causalité psychique. Ainsi, c’est l’être dans sa totalité, mais notamment dans sa causalité la plus intime, que le sentiment de péché remet en question, (là où, au contraire, l’expérience de la faute ne considère qu’un acte isolé, réalisé parce que la conscience se croit être totalement libre).

Introduction : limites des deux critères de l’efficacité

Puisque la question de l’effectivité des concepts mythiques s’appréhende sous deux critères généraux, il nous faut à présent tenter, dans un premier temps, de mieux délimiter ces deux concepts dans leurs applications possibles concernant ces critères. En effet il s’agit avant de les étudier plus en détails, de comprendre en quoi ces critères posent des difficultés à la théorie de Nabert, et par conséquent quel type de réponse l’on peut en attendre.

Le critère de l’objectivité

Il s’agit ici de nous demander comment on peut prétendre, comme le fait Nabert, que des concepts, qui ne correspondent à aucun critère empirique intellectuellement déterminable, sont objectifs. Il y’a là, en effet, semble t-il, quelque paradoxe puisque Nabert revendique l’universalité de sa conception du mal. En réalité Nabert fonde cette universalité sur l’expérience commune à tous selon lui de l’expérience du mal : Puisque tout homme a nécessairement une conscience singulière, il semble en effet raisonnable de penser qu’il connaît intimement l’expérience de rupture avec la pensée d’autrui, le sentiment désagréable de fossé d’avec la conscience de l’autre (c’est-à-dire le mal de sécession). Il semble en revanche qu’il soit plus discutable, de dire que tout le monde connaît un sentiment de culpabilité solitaire par rapport à son propre acte mauvais du fait de l’enfermement sur elle-même de la conscience, ce qui constitue chez Nabert le péché (à travers lequel nous ressaisissons la présence en nous du mal originaire). En effet, ce qui nous gène ici, c’est que la terminologie, et les conceptions qui les sous-tendent semblent, se rapporter à la doctrine chrétienne ou tout du moins à la culture plus ou moins consciente véhiculée par la religion : si Nabert n’était pas né dans l’Europe judéo-chrétienne du XX e siècle aurait il conçu ainsi le mal ? Ainsi il nous semble que pour prouver que les concepts de Nabert ont une certaine efficacité, il nous faut prouver que le concept du péché chez Nabert n’est pas lié nécessairement au contexte culturel, de la civilisation chrétienne et même plus généralement des religions monothéistes. Ce sera le premier moment de notre réflexion.

Le critère de la fécondité

Le second moment consistera à nous interroger sur la fécondité des conceptions de Nabert. Certes  elles nous permettent semble t-il de rendre compte de notre expérience de certains sentiments désagréables, mais son rôle n’est il que l’explication ? Ne serait-il pas contradictoire pour une pensée qui se veut être proche du problème intime de l’expérience, de n’apporter que des réponses gnoséologiques, des concepts qui ne nous permettent de découvrir dans le réel des voies pratiques pour dépasser les problèmes rencontrés? Il est vrai que Nabert nous parle d’un mal impossible à dépasser,mais il parle aussi de tentatives, il parle de la nécessité de nous rapporter toujours à l’esprit pur, de toujours tenter de tendre vers lui pourque notre contact avec lui se dégrade le moins possible dans sa matérialisation à travers notre expérience. Si le mal est constitutif du moi, il n’est pas d’expérience du mal qui ne soit sa réactualisation, nous pouvons donc tenter non pas d’en finir définitivement avec le mal, nous vivrons toujours la rupture, mais nous pouvons essayer de tendre (par exemple dans notre rapport au nous) à notre délivrance, ne fut elle jamais que provisoire et précaire. Le problème est que si nous pouvons parvenir individuellement « par des reprises discontinues, [à] maintenir l’inspiration originaire » pour être au plus prés de notre principe et vivre le plus moralement possible, en revanche il semble que cela soit plus difficilement envisageable dans l’ordre du collectif. [Ce] que fait pour soi, dans une certaine mesure, et non sans effort, une conscience individuelle, ne peut être demandé à la multiplicité des consciences recevant un message dont elles ont à retrouver et à interpréter la signification profonde.
Ainsi ici Nabert pointe du doigt une des difficultés auxquelles il se sait confronté, et celles ci semblent aussi apparente dans le cadre du péché, que dans celui du mal de sécession parce que ces deux formes du mal mettent en jeux un effort intime et intense de déprise de soi pour se défaire, au mieux provisoirement, du mal. La question de la fécondité de la grille d’analyse de Nabert sepose donc réelle mentnon à l’échelle de l’individu mais dans le cadre de la collectivité. Il s’agit donc pour rendre vraimentcompte de degré de fécondité des concepts de Nabert, de nous demander si une fois sortis de la théorie d’éthique individuelle qui nous est proposée dans l’Essai sur le mal, ils peuvent être appliqués par d’autres pensées que celle de notre auteur, et dans d’autres cadres. Nous nous proposons donc, d’essayer de penser ses concepts à l’échelle de la collectivité.

Conclusion

Nous allons donc à présent nous intéresser successivement à ces deux problèmes que nous avons mis en évidence dans la pensée des critères de l’efficacité des conceptions (mythiques) de Nabert.

Le « péché » chez Nabert : la question du cadre religieux

Concernant cette notion de péché il semble que l’objection la plus fondamentale vis-à-vis de la théorie de l’auteur soit de remettre en cause sa prétendue universalité. En effet c’est dans le cadre des religions monothéistes que cette notion a pris (et prend encore) son sens en apparaissant comme la « transgression consciente et volontaire de la loi de Dieu » : Dès lors, il apparaît que le terme mène directement à douter que l’objectivité de la morale de Nabert soit possible. Aussi, nous pourrions à première vue, reprocher à cet auteur un certain anthropocentrisme, un aveuglement dû à sa méthode réflexive qui paraît l’amener à généraliser une expérience personnelle et particulière à l’humanité entière. Nous pourrions même aller jusqu’à suspecter chez lui une volonté d’imposer des concepts religieux (et par conséquent les doctrines qui se cachent derrière) du fait de cette prétendue objectivité et universalité. Dans tous les cas, on peut au moins penser une critique de la théorie de cet auteur visant son objectivité.
Nous allons tenter de répondre à cette objection en plusieurs moments. D’abord nous examinerons la pertinence de l’idée selon laquelle le concept de péché tel qu’il est pensé par J. Nabert serait fondamentalement lié à la religion (judaïsme, christianisme, …).
Puis nous nous intéresserons au rapport que propose l’Essai sur le mal entre la morale dessinée ici par Nabert et Dieu, afin de savoir s’il n’y a pas de volonté (plus ou moins larvée) de l’auteur, de rassembler l’humanité dans la foi, sous prétexte de morale.

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Table des matières
INTRODUCTION 
PARTIE 1 LA THÉORIE DUMAL CHEZ NABERT 
INTRODUCTION
1) LA CAUSALITÉ IMPURE
2) LE MAL DE SÉCESSION
3) LE PÉCHÉ (ET LE SENTIMENT DU PÉCHÉ)
CONCLUSION
PARTIE 2 L’EFFICACITÉ DES CONCEPTS MYTHIQUES 
INTRODUCTION:LIMITES DES DEUX CRITÈRES DE L’EFFICACITÉ
A) Le critère del’objectivité
B) Le critère dela fécondité
Conclusion
1) LE « PÉCHÉ»CHEZ NABERT:LA QUESTION DU CADRE RELIGIEUX
A) Les limites d’une critique de l’objectivité de la pensée de Nabert
B) Le cas des Grecs
C) Conclusion
2) LA PENSÉE DE NABERT APPLIQUÉE À UNE ÉCHELLE SUPRA INDIVIDUELLE,C’EST-À DIRE À LA COLLECTIVITÉ?
A) Le concept de corruption chez Nabert
B) Un élargissement possible du concept de corruption à une dimension politique?
C) Conclusion
CONCLUSION
PARTIE 3 LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE DANS LA TENSION ENTRE SENSIBLE ET CONSCIENCE INTELLECTUELLE
I) L’INJUSTIFIABLE COMME CENTRE D’UNE RELATION TRIANGULAIRE DANS L’ESPRIT: ENTRE CONSCIENCE INTELLECTUELLE,OPÉRATION RÉFLEXIVE ET SENSIBILITÉ
A) Une tension entre sensibilité et pensée
B) Critère de la méthode réflexive de Nabert (et des concepts mythes qui en sont issus)
C) Conclusion
2) LE CONCEPT MYTHE:STATUT ET VISÉE
A) Le mythe
B) La fonction mythique
CONCLUSION
CONCLUSION 
BIBLIOGRAPHIE

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