L’influence des normes sociétales sur les comportements alimentaires a souvent été documentée, particulièrement chez les femmes qui ont été les premières à être victimes de l’influence des médias (e.g., Grabe, Ward, & Hyde, 2008). Les images de mannequins très minces sont connues pour aboutir, dans la population féminine, à de l’insatisfaction corporelle, et au développement de troubles du comportement alimentaire (TCA) (e.g., Grabe et al., 2008). Néanmoins, les normes de la société actuelle véhiculent aussi des images de physiques idéaux masculins que les hommes intègrent et souhaitent atteindre (e.g., Dryer, Farr, Hiramatsu, & Quinton, 2016 ; Hoffmann & Warschburger, 2019). Aujourd’hui, le physique dit « mésomorphe» est le plus recherché, c’est-à-dire, un physique où le torse est en triangle inversé, avec des muscles pectoraux bien développés, des bras et des épaules volumineux, ainsi qu’une taille étroite (e.g., Furnham, Badmin, & Sneade, 2002). En effet, les hommes souhaitent avoir une masse musculaire très importante, tout en ayant les muscles saillants (e.g., Araujo, Franco, & Mendes, 2016 ; Griffiths, Murray, & Touyz, 2015). Ces images de physiques parfaits, parfois irréalistes et inatteignables sans l’utilisation de substances illicites, ont un réel impact négatif sur la santé de la population masculine (e.g., Pope, Olivardia, Gruber, & Borowiecki, 1999).
Ainsi, la différence entre le physique souhaité et le physique réel pourrait induire de l’insatisfaction corporelle menant au développement d’une détresse psychologique (e.g., Martin & Govender, 2013). Cette dernière aboutirait à une envie, et à un besoin, de se transformer physiquement grâce à l’adoption de comportements alimentaires déviants et d’un entraînement physique excessif (e.g., McLean, Paxton, & Wertheim, 2016 ; Selvi & Bozo, 2019). En effet, les hommes qui souhaitent augmenter leur masse musculaire passent beaucoup de temps en salle de musculation, et deviennent souvent dépendants de cette pratique sportive (e.g., Corazza et al., 2019 ; Di Lodovico, Poulnais, & Gorwood, 2019). Ce comportement addictif est généralement couplé à l’adoption de diètes hyperprotéinées (e.g., Mitchell, Hackett, Gifford, Estermann, & O’connor, 2017 ; Phillips & Van Loon, 2011), ainsi qu’à la prise de compléments alimentaires (e.g., Delai, Dos Santos, De Souza, & Obayashi, 2018 ; Elgharabway, Ahmed, & Alawad, 2018) pouvant aboutir à l’utilisation de produits dopants (e.g., Greenway & Price, 2018 ; Hildebrandt, Harty, & Langenbucher, 2012).
De nombreuses études ont relié la recherche de prise de masse musculaire chez les hommes au développement des TCA (e.g., Dakanalis & Riva, 2013 ; Grossbard, Atkins, Geisner, & Larimer, 2013), et également à la dysmorphie musculaire (DM) (e.g., Bégin, Turcotte, & Rodrigue, 2019 ; Hernández-Martínez, González-Martí, & Jordán, 2017 ; PalazónBru et al., 2018). La DM est une préoccupation excessive envers sa masse musculaire, perçue, de manière erronée, comme étant trop petite (e.g., Pope, Katz, & Hudson, 1993). La DM a longtemps été considérée comme un TCA (DSM-IV, APA, 2000), avant d’être catégorisée comme un Trouble Obsessionnel Compulsif (TOC) (DSM-5, APA, 2013). Néanmoins, sa classification actuelle reste controversée par de nombreux auteurs qui persistent à définir la DM comme un TCA (e.g., Murray et al., 2012 ; Nieuwoudt, Zhou, Coutts, & Booker, 2015).
Les troubles du comportement alimentaire et la dysmorphie musculaire chez les sportifs masculins
Les troubles du comportement alimentaire
Les TCA sont des « perturbations persistantes de l’alimentation ou du comportement alimentaire entraînant un mode de consommation pathologique ou une absorption de nourriture délétère pour la santé physique, ou le fonctionnement social. » (DSM-5-TR, APA, 2015, p.837). La classification des TCA a évolué au cours du temps (cf. Figure 1). A ce jour, la référence est celle du DSM-5-TR (APA, 2015). Dans cette version, on retrouve plusieurs TCA qui sont caractérisés : anorexie nerveuse (typique), restriction ou évitement de l’ingestion d’aliments, boulimie nerveuse (typique), accès hyperphagiques, autres troubles de l’alimentation ou de l’ingestion d’aliments spécifiés (Atypique AN, BN et accès hyperphagiques, purge et syndrome d’alimentation nocturne), mérycisme, et troubles de l’alimentation ou de l’ingestion d’aliments non spécifiés .
L’étiologie des TCA semble être d’origine multifactorielle, en lien avec des facteurs de vulnérabilité (e.g., génétique, anomalies biologiques préexistantes), des facteurs déclenchants (e.g., régimes alimentaires stricts, événements de vie majeurs, puberté), et des facteurs d’entretien (e.g., déséquilibres biologiques, bénéfices relationnels sur l’environnement) (e.g., Jeammet, 2013). Les TCA apparaissent lorsque, conjugués à des facteurs de vulnérabilité, une impasse a lieu (e.g., conflit psychique) et s’offre la « possibilité » du TCA comme solution à cette impasse, telle une tentative de reprise du contrôle (e.g., Jeammet, 2013). De par ce comportement, le sujet a l’impression de contrôler sa vie, mais très vite il se retrouve enchaîné à sa conduite, de par les caractéristiques propres du TCA (e.g., Jeammet, 2013). Le piège du TCA se referme rapidement, puisque restrictions et perte de poids créent les conditions physiologiques favorables à l’apparition de fringales et de compulsions, suivies de comportements compensatoires (e.g., Vust & Ambresin, 2015).
Les troubles de l’image du corps et les TCA ont été bien documentés dans la littérature clinique depuis plusieurs décennies, car ils touchent une partie de plus en plus importante de la population (e.g., Al-sheyab, Gharaibeh, & Kheirallah, 2018). Une récente revue de littérature réalisée par Galmiche et al. (2019) a montré que les taux de prévalence des TCA avaient considérablement augmentée au cours de ces dernières années. Une revue de littérature réalisée en 2014 a montré que les TCA touchaient entre 2,7 et 13,0% de la population (Valls & Chabrol, 2014), alors qu’une étude de 2015 a relaté que 20,5% des étudiants français, masculins et féminins, étaient atteints de TCA (Tavolacci et al., 2015). De plus, de récentes études ont trouvé des taux de prévalence plus élevés : 31,6% des adolescents jordaniens étaient atteints de TCA (Al-sheyab et al., 2018) ; 34,1% des étudiants indiens en médecine étaient à haut risque de souffrir de TCA (Vijayalakshmi, Thimmaiah, Gandhi, & BadaMath, 2018) ; 49,9% des adultes brésiliens ont révélé des TCA (França-Botelho, Silva, & Mesquita, 2018). Plus précisément, la prévalence au cours de la vie de l’anorexie mentale était estimée entre 0,3 et 0,9%, celle de la boulimie nerveuse entre 0,5 et 1,5%, et celle des accès hyperphagiques entre 0,8 et 3,5% (e.g., Hudson, Hiripi, Pope, & Kessler, 2007 ; Kessler et al., 2013 ; Preti et al., 2009).
Une étude réalisée sur des sportifs, masculins et féminins, a montré que la prévalence de TCA était de 18,9% (Zeulner et al., 2016). Selon une récente revue de littérature, la prévalence de la DM fluctuait entre 5,9 et 44,0%, en fonction des populations sportives ou nonsportives, jeunes ou adultes (Cuadrado et al., 2018). Plus précisément, une étude réalisée sur des bodybuilders, masculins et féminins, amateurs a montré que 53,6% d’entre eux étaient atteints de DM (Hitzeroth, Wessels, Zungu‐Dirwayi, Oosthuizen, & Stein, 2001).
Anorexie mentale
D’après le DSM-5-TR (APA, 2015), l’anorexie mentale est la pathologie appartenant aux TCA « spécifiés » les plus courants. Elle se caractérise par la restriction de l’apport énergétique par rapport aux exigences menant à un poids corporel relativement faible par rapport à l’âge, au sexe, à la courbe de développement, et à la santé physique de l’individu. Une personne atteinte d’anorexie mentale a une peur extrême de prendre en masse corporelle, alors que son poids est inférieur à la normale. Les anorexiques ont une altération de la perception du poids ou de la forme de leur corps, qui influence, de manière excessive, l’estime de soi. Cette maladie est associée au plus grand nombre de suicides si aucun traitement n’est appliqué ; un patient sur cinq atteint d’anorexie nerveuse décède suite à un suicide (e.g., Arcelus, Mitchell, Wales, & Nielsen, 2011).
Boulimie nerveuse
La boulimie nerveuse est le fait d’avoir des « crises de gloutonnerie » récurrentes. Des facteurs tels que la dépression, les régimes amaigrissants, les perturbations émotionnelles, les produits chimiques neurologiques, et même les gènes peuvent contribuer à l’apparition de crises de gloutonnerie (e.g., Amianto, Ottone, Daga, & Fassino, 2015). Ces crises se caractérisent par l’ingestion d’une quantité de nourriture nettement supérieure à ce que la plupart des personnes absorberaient en une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances (c’est-à-dire, en moins de deux heures). Ce comportement apparaît suite à une perte de contrôle alimentaire (DSM-5-TR, APA, 2015). Une personne est dite boulimique lorsque ces crises sont suivies de méthodes de compensations limitant la prise de poids telle que les vomissements provoqués, l’emploi abusif de laxatifs ou diurétiques, le jeûne, l’exercice intensif, etc., au moins une fois par semaine pendant trois mois. D’après le DSM-5-TR (APA, 2015), les boulimiques ont généralement un IMC normal.
|
Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 – Les troubles du comportement alimentaire et la dysmorphie musculaire chez les sportifs masculins
1.1. Les troubles du comportement alimentaire
1.1.1. Anorexie mentale
1.1.2. Boulimie nerveuse
1.1.3. Accès hyperphagiques
1.1.4. Autres troubles de l’alimentation ou de l’ingestion d’aliments, spécifiés
1.1.5. Troubles de l’alimentation ou de l’ingestion d’aliments, non spécifiés
1.2. La dysmorphie musculaire ou « anorexie inversée »
1.3. Les conséquences des troubles du comportement alimentaire, et des pathologies associées
1.4. Synthèse
CHAPITRE 2 – La recherche de prise de masse musculaire chez les sportifs masculins
2.1. La caractérisation du concept de la recherche de prise de masse musculaire (McCreary & Sasse, 2000)
2.2. Les mesures de la recherche de prise de masse musculaire
2.3. Les comportements associés à la recherche de prise de masse musculaire
2.3.1. Dépendance à la musculation et aux miroirs
2.3.2. Isolement social
2.3.3. Alimentation hyperprotéinée
2.3.4. Compléments alimentaires
2.3.5. Dopage
2.4. Synthèse
CHAPITRE 3 – Les facteurs explicatifs de la recherche de prise de masse musculaire et des troubles du comportement alimentaire chez les sportifs masculins
3.1. Les facteurs sociodémographiques
3.1.1. Genre
3.1.2. Âge
3.1.3. Origine ethnique
3.2. Les facteurs sociaux
3.2.1. Normes sociétales
3.2.2. Influences sociales
3.3. Les facteurs psychologiques
3.3.1. Insatisfaction corporelle
3.3.2. Traits de personnalité
3.4. Les facteurs liés aux disciplines sportives
3.4.1. Type de sport
3.4.2. Engagement compétitif
3.5. Synthèse
CHAPITRE 4 – Le modèle trans-contextuel de la motivation (Hagger & Chatzisarantis, 2009)
4.1. La théorie de l’auto-détermination
4.1.1. Présentation de la théorie de l’auto-détermination
4.1.2. Applications de la théorie de l’auto-détermination
4.2. La théorie du comportement planifié
4.2.1. Présentation de la théorie du comportement planifié
4.2.2. Applications de la théorie du comportement planifié
4.3. Le modèle trans-contextuel de la motivation : l’intégration de la théorie de l’autodétermination et de la théorie du comportement planifié
4.3.1. Complémentarité des théories
4.3.2. Applications du modèle trans-contextuel de la motivation à différents contextes
4.4. Synthèse
CONCLUSION GÉNÉRALE
Télécharger le rapport complet