La réalité virtuelle, un dispositif encore marginal
Alors que nous avons constaté que la réalité virtuelle nourrissait des discours médiatiques à la fois prometteurs et incertains, il est temps de nous poser la question suivante : pourquoi, alors que ses perspectives présagent un succès univoque, la réalité virtuelle a-t-elle été laissée de côté, à la fois par les médias et par la musique? Car entre prévisions et réalité, la différence est quant à elle certaine : si les casques de réalité virtuelle deviennent un peu plus accessibles financièrement, ils peinent à trouver d’autres horizons que ceux du gaming. Comment convaincre les amateurs de musique live ? Comment s’imposer sur le marché, malgré leur complexité technique et de leur prix encore élevé ? C’est une dimension que peu d’articles abordent, notamment par mesure de cohérence avec les propos que nous avons discutés précédemment. En effet, seuls cinq articles sur les dix étudiés prennent en compte cette dimension, parfois en admettant simplement la part de doute qui émane de notre objet d’étude, allant à l’encontre des espoirs soulevés, parfois sous un prisme visant directement le manque d’accessibilité et de praticité de la réalité virtuelle.
Si notre objet d’étude est devenu un éminent symbole d’innovation à travers les propos tenus par les médias (presse, télévision, blogs spécialisés, fiction…), cette mise en scène de la réalité virtuelle est pourtant critiquable, puisque celle-ci devient objet de curiosité dès lors que les discours s’y rapportant le suggèrent. Ainsi, ce sont les médias qui créent cette tension autour de ce dispositif puisqu’ils sont souvent considérés comme étant détenteurs de l’information. On constate cependant que certains médias, véhiculant le message inverse, parviennent à prendre du recul, non seulement en renonçant aux discours déchaînés autour de la réalité virtuelle, mais aussi en allant jusqu’à les remettre en question dans leurs articles. On peut par exemple retenir un article de Libération qui évoque la réalité virtuelle : « Ce terme est devenu ces derniers temps un symbole de l’innovation utilisé un peu à tort et à travers » . Son auteur remet en question tous les propos désignant ce procédé comme étant un symbole d’innovation, mais critique en outre l’engouement des médias pour lui. Quant au terme de « révolution », il est lui aussi remis en cause dans un article de Trax paru à la fin de l’année 2016 : « Au rayon artistique, on attendra aussi un peu avant de parler de révolution. » . A travers cet exemple, le traitement médiatique de la réalité virtuelle est reconsidéré du tout au tout : la citation pointe en effet directement l’élément de langage privilégié pour parler de notre objet d’étude. Quant à l’usage du modalisateur « un peu », marque-t-il une modération du propos vaguement polémique, signe de prudence, ou plutôt la volonté de l’auteur d’enfoncer le clou avec ironie ?
Plus directement, d’autres articles de presse et blogs spécialisés pointent le manque d’éléments avérés relatifs à la réalité virtuelle au sein de la musique, remettant en question son accessibilité, sa praticité technique et son succès auprès du public. Il s’agit non seulement de nommer ce pourquoi la réalité virtuelle est encore un dispositif marginal mais également d’estimer son effet sur les utilisateurs, sans nécessairement en déduire la cause. On retrouve ici le fruit d’une prise de recul par rapport à notre objet d’étude tout en instaurant toujours cette impression de flou qui défausse les médias de toute responsabilité par rapport au manque d’informations. Si la citation « Certains sont déjà proposés sur le marché à des prix peu accessibles» exprime clairement les raisons de la difficulté du dispositif à gagner le coeur des utilisateurs, il s’agit bien de la seule explication tangible donnée par les articles étudiés. La réalité virtuelle reste en effet marginale car les dispositifs 3D comme 360° demeurent coûteux pour le spectateur comme pour le producteur événementiel, ce qui la rend difficile à mettre en oeuvre dans le cadre de concerts live. La mise en place de ce type de procédé fait face à un cercle vicieux : son développement vaudrait le coup s’il y avait plus d’utilisateurs consommateurs de musique mais ceux-ci peinent à y adhérer car il y a globalement peu d’offres.
Si cette explication reste peu évoquée par les médias, qui se refusent à émettre les raisons probables par voeu de neutralité, ses conséquences sont cependant observées : « Peu de gens ont accès à la réalité virtuelle. » , « il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. » ou encore « aucun contenu vraiment marquant n’a été développé » . Le lexique employé est lui-même révélateur du souhait encore tangible de ne pas apporter de précision par manque d’informations : les constructions « peu de gens » « pas grand chose » et « aucun contenu vraiment marquant » démontrent une nouvelle forme d’incertitude quant aux propos exposés, qui ne font référence à aucune donnée exacte. Les marqueurs de la négation expriment un manque de perspectives mais les mots « gens », « grand chose » et « vraiment » ne se rapportent à aucun groupe identifiable : leur utilisation n’est pas le fait du hasard. Il s’agit encore une fois d’émettre un propos nuancé, sans faire défaut aux promesses de révolution qui suscitent l’intérêt du lectorat, à travers un procédé de modération. Celui-ci permet ainsi de donner l’espoir d’un changement, d’une révolution, qui pourraient avoir lieu dans un futur certain sans mettre le doigt sur une information précise : quoi de mieux pour se détacher de la culpabilité possible d’avoir émis un discours erroné ?
C’est une tendance que l’on remarque également lorsque les médias qualifient l’effet de la réalité virtuelle sur la musique et ses publics : « Malheureusement, alors que de nombreux experts prévoyaient que l’année 2016 serait dominée par les clips vidéo en VR, l’industrie musicale s’est montrée plutôt lente à adopter cette technologie nouvelle. » et « Mais malgré internet, la VR n’a pas encore atteint le grand public. » en sont de bons exemples. D’une part, via l’adverbe « plutôt » qui adoucit le trait du propos exprimé, d’autre part, via l’adverbe “encore” qui suggère un possible développement de la réalité virtuelle laissée de côté jusque là. A travers ces deux citations, on observe également l’utilisation d’un procédé courant pour remettre le monopole de l’information entre les mains d’une entité tierce et ainsi se décharger de la responsabilité d’un propos qui ne s’est pas réalisé contre toute attente, ou ne se réalisera hypothétiquement pas. A travers la formulation « Malheureusement, alors que de nombreux experts prévoyaient que l’année 2016 serait dominée par les clips vidéo en VR » , les médias remettent la responsabilité de leurs écrits sur les experts, qui par définition sont censés avoir un regard éclairé et fiable sur notre objet d’étude. Recourir aux experts facilite grandement une forme classique de justification : si même les experts se sont trompés, il est alors normal que le traitement médiatique de la réalité virtuelle dans la musique soit aussi biaisé. Dans la citation « Mais malgré internet » , c’est une entité universelle qui est remise en question : lui aussi symbole d’innovation, internet devrait avoir trouvé la solution pour permettre l’avancée du dispositif auprès du grand public ! Et si tel n’est pas le cas, ce n’est donc plus la faute des médias, qui anticipent avec trop de promesses, mais bien celle de la technologie qui met l’opinion publique dans une zone d’ombre.
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Table des matières
Introduction
Développement
I. Live musical et réalité virtuelle : les promesses d’une révolution portées par les médias, une réalité plus incertaine
1.1. Typologie de la révolution, du grand tournant : un discours sensationnaliste émis par la presse
1.2. De la promesse à l’exécution : la grande incertitude
1.3. La réalité virtuelle, un dispositif encore marginal
II. Vers une mutation et une déterritorialisation du live musical : focus sur le livestream
2.1. La notion de « présence à distance » à l’orée d’une mutation des interactions
2.2. De la fosse au canapé, une déterritorialisation du live musical
2.3. Multiplicité des mises en scène du livestream : des tentatives de reproduction du live musical habituel au choix de retour à l’authenticité
III. Nouveaux dispositifs, nouvelles expériences des publics
3.1. Un bouleversement de l’expérience du live musical sous le prisme de l’inédit
3.2. Un véritable atout pour les publics : expérience plus intime et personnalisée de la musique, accessibilité(s)
3.3. Une perte de l’expérience originale du live musical ?
Conclusion
Bibliographie
Annexes