La réaction sulfatique interne
L’attaque sulfatique interne se produit lorsque le béton est au contact d’une source interne de sulfates et se traduit par une dégradation du matériau par formation d’ettringite ou de thaumasite. Ces sulfates peuvent avoir plusieurs provenances : l’eau de gâchage, les adjuvants utilisés, le ciment lui-même ou encore les granulats dans lesquels les sulfates se trouvent sous forme de gypse, d’anhydrite et/ou de pyrite. La perméabilité du milieu est un critère important pour la vitesse de dégradation qui est dépendante des échanges ioniques : un béton, même riche en sulfates, ne réagira pas s’il n’est pas soumis à un environnement humide [Divet, 1996]. La qualité du béton (type de ciment, cure, état d’endommagement avant l’attaque…) mais également le type de sulfates et leur concentration définissent l’intensité de l’attaque sulfatique. Il faut toutefois noter que peu de désordres sont actuellement connus compte tenu des normes limitant la teneur en sulfates des composés entrant dans la fabrication du béton.
Les causes de l’attaque sulfatique interne
Les mécanismes de l’attaque sulfatique ne sont pas toujours bien connus et les recherches continuent. Cette attaque conduit à la formation de produits sulfatés secondaires, l’ettringite et la thaumasite étant les plus connus, susceptibles de provoquer l’expansion du béton et de détériorer ses propriétés chimiques et mécaniques. La modification de la porosité ou la création des fissures par exemple peuvent être des conséquences de cette détérioration. Suivant l’attaque sulfatique, en fonction du ciment utilisé, ces modifications peuvent conduire à la ruine du béton.
Dans un béton « pollué » par les sulfates, deux mécanismes, entrant en jeu simultanément, induisent des dégradations du matériau [Divet, 2001 ; GranDuBé, 2007] :
● Formation de gypse « tardif »
Cette réaction met en jeu un sel sulfaté et la portlandite, mais également le calcium des silicates de calcium hydratés (C-S-H) :
Ca2+ + 2OH- + 2Na+ + SO4 2- + 2H2O → CaSO4.2H2O + 2NaOH
Le gypse nouvellement formé est nommé gypse « tardif » afin de pas le confondre avec le gypse servant de régulateur de prise lors de l’hydratation.
● Formation d’ettringite et/ou de thaumasite
Cette réaction met en jeu le gypse dit « tardif » et les aluminates de calcium anhydres ou hydratés du ciment (4CaO.Al2O3.13H2O) ou également le monosulfoaluminate de calcium hydraté (3CaO.Al2O3.CaSO4.12H2O) pour former de l’ettringite dans la pâte de ciment durcie et donc susceptible de provoquer des dommages dans le matériau par création de fissures.
L’attaque sulfatique interne, appelée couramment RSI (Réaction Sulfatique Interne), peut également avoir lieu malgré le respect des normes lorsque certaines conditions particulières sont réunies. A cela s’ajoutent divers facteurs non nécessaires à sa formation mais accélérant et amplifiant les réactions d’expansion, comme la préexistence de fissures [Petrov & Tagnit-Hamou, 2004 ; Escadeillas & al., 2007]. Les dégradations du béton ont alors lieu plusieurs années après la fabrication. Dans ce cas, la cause de la détérioration du matériau provient de la formation différée d’ettringite, appelé DEF (Delayed Formation Ettringite). Il s’agit d’une pathologie relativement récente mise en évidence dans des bétons ayant subi un échauffement pendant la prise. Lors de la fabrication du béton, une élévation de la température du matériau peut provenir soit de l’exothermie des réactions d’hydratation, rencontrée dans les pièces massives, soit d’un cycle thermique, technique couramment utilisée en préfabrication. Les premiers cas sont apparus à partir de 1987 sur des traverses de chemins de fer préfabriquées ayant subi un traitement thermique inadapté à la formulation et à l’exposition du béton en Finlande [Tepponen & Erikson, 1987], en Allemagne [Heinz & al., 1989], en Australie [Shayan & Quick, 1992], en Afrique du Sud [Oberholster & al., 1992], ou encore en Suède [Sahu & Thaulow, 2004].
Structure de l’ettringite
L’ettringite, ou sel de Candlot, est un trisulfoaluminate de calcium hydraté, composé de calcium, d’aluminium, de sulfate et d’eau, ayant comme formule chimique 3CaO.Al2O3.3CaSO4.32H2O. Trente deux molécules d’eau lui sont généralement attribuées mais ce nombre dépend de la température et de l’hygrométrie. L’ettringite a été découverte par Lehmann en 1874 dans la localité allemande d’Ettringen, d’où son nom. En mélangeant des solutions saturées d’aluminates et de sulfates de calcium, Candlot la synthétisa sous forme impure en 1890 (il lui attribua une formule déficitaire en CaSO4). C’est en 1892 que Michaelis l’obtient à l’état pur en faisant réagir du sulfate d’alumine avec de l’eau de chaux. Pour évoquer la forme et la dimension poches de bacilles, il l’appela « bacille du ciment ».
Les cristaux aciculaires d’ettringite se développent le plus souvent en rayonnant autour d’un germe central et ont l’aspect de pelotes d’épingles ou d’oursins. La structure cristalline de l’ettringite a dans un premier temps été décrite par Bannister en 1936 avant d’être rectifiée par Moore et Taylor en 1968 [Moore & Taylor, 1968] (Figure I-6). Elle cristallise dans le système rhomboédrique et a pour formule structurale Ca6[Al(OH)6]2.24H2O.[SO4]3.2H2O. Cette formule nous renseigne sur la façon dont sont agencés les différents atomes dans le cristal. L’ettringite est composée de quatre colonnes, chargées positivement {Ca6.[Al(OH)6]2.24H2O}6+, orientées suivant l’axe c. Ces colonnes, quasi cylindriques, sont en fait constituées d’octaèdres d’hydroxyde d’aluminium {Al(OH)6 3- } liés par des groupes de calcium {3Ca2+}, chaque calcium étant octacoordonné par quatre molécules d’eau et quatre ions hydroxyle. Les « chenaux intra-ettringite », situés entre les colonnes, sont constitués de {[SO4]3.2H2O}6- afin que la structure soit électriquement neutre. L’isolement des colonnes, dont l’arrangement constitue l’essentiel de la charpente cristalline, explique la croissance préférentielle suivant l’axe c [Dron & Brivot, 1985 ; Orsetti, 1997 ; Divet, 2001].
Les différents types d’ettringite
Dans un béton, trois types d’ettringite, de compositions chimique et minéralogique identiques, peuvent coexister. Leurs différences résident dans le moment où le minéral se forme et dans le processus de formation, ce qui produit des effets différents sur le matériau cimentaire. Suivant les définitions adoptées par le groupe de travail AFGC-RGCU « grandeurs associées à la durabilité du béton », la nomenclature des trois types d’ettringite est la suivante :
♦ Ettringite primaire
♦ Ettringite secondaire
♦ Ettringite de formation différée ou DEF (Delayed Ettringite Formation) .
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I. Etude bibliographique
Introduction
I.1. Revue des teneurs en sulfates
I.1.1. Sources externes
I.1.2. Sources internes
I.2. Les sulfates de calcium
I.2.1. Le gypse
I.2.2. L’anhydrite
I.2.3. Solubilité des sulfates de calcium
I.2.3.1. Solubilité des sulfates de calcium dans l’eau
I.2.3.2. Solubilité des sulfates de calcium en milieu basique
I.3. La réaction sulfatique interne
I.3.1. Les causes de l’attaque sulfatique interne
I.3.2. Structure de l’ettringite
I.3.3. Les différents types d’ettringite
I.3.3.1. L’ettringite primaire
I.3.3.2. L’ettringite secondaire
I.3.3.3. L’ettringite de formation différée ou DEF
I.3.4. Le gonflement ettringitique
I.3.4.1. La théorie de la pression osmotique et/ou d’absorption d’eau par l’ettringite colloïdale
I.3.4.2. La théorie de la double couche électrique
I.3.4.3. La théorie des pressions de cristallisation
I.3.5. Les facteurs influents la réaction sulfatique interne
I.3.6. Le cas particulier de la thaumasite
I.4. Analyse des études sur les granulats à forte teneur en sulfates
I.4.1. Généralité sur les granulats
I.4.2. Les granulats recyclés
I.4.3. Les granulats à haute teneur en sulfates
I.5. Les essais accélérés
Conclusion
Chapitre II. Matériaux et techniques expérimentales
II.1. Caractérisation des matériaux excavés sulfatés
II.2. Etude des matériaux excavés en solution aqueuse
II.3. Etude sur mortiers et MBE (Mortier de Béton Equivalent)
II.3.1. Matériaux utilisés pour les mortiers
II.3.1.1. Ciments
II.3.1.1. Sables
II.3.1.2. Gypse et anhydrite
II.3.2. Matériaux utilisés pour les MBE
II.3.3. Formulation des éprouvettes de mortier et de MBE
II.3.3.1. Eprouvettes de mortier
II.3.3.2. Eprouvettes de MBE
II.3.4. Fabrication des éprouvettes
II.3.4.1. Fabrication des éprouvettes de mortier
II.3.4.2. Fabrication des éprouvettes de MBE
II.3.5. Conservation des éprouvettes
II.4. Méthode de suivi des éprouvettes de mortier et de MEB
II.4.1. Suivi de masse
II.4.2. Suivi de l’expansion
II.4.3. Suivi du module dynamique
II.4.4. Mesures ponctuelles
II.4.4.1. Mesure d’étalement
II.4.4.2. Résistance à la compression
II.4.4.3. Examen au microscope électronique à balayage
II.4.5. Caractérisation chimique des matériaux
II.4.5.1. Préparation des échantillons
II.4.5.2. Analyses chimiques
II.4.5.3. Appareils utilisés
II.4.5.3.1. Diffraction des rayons X
II.4.5.3.2. Analyses thermiques
II.4.5.3.3. Spectrométrie d’émission atomique à source plasma
Chapitre III. Lixiviation des sulfates
Introduction
III.1. Mise au point d’un essai de lixiviation
III.1.1. Choix des fractions granulaires
III.1.2. Choix de la vitesse d’agitation
III.1.3. Choix des solutions aqueuses
III.1.4. Choix des températures
III.1.5. Choix de la prise d’essai
III.1.6. Choix de la durée de l’essai
III.2. Lixiviation des sulfates de calcium
III.2.1. Conformité des prises d’essai
III.2.2. Influence de la solution aqueuse
III.2.2.1. Résultats expérimentaux
III.2.2.2. Discussion sur l’influence de la solution aqueuse
III.2.3. Influence de la température
III.2.3.1. Résultats expérimentaux
III.2.3.2. Discussion sur l’influence de la température
III.3. Examen au microscope électronique à balayage
III.4. Modélisation de la dissolution des sulfates
Conclusion générale