L’époque d’al-Ghazâlî
1) Paysage politique : La plupart des biographes de Ghazali sont unanimes sur le fait qu’il est né au cinquième siècle de l’hégire, date qui correspond, d’après Farid Jabre, à celle de l’époque de la dynastie Abbaside, plus précisément à son déclin. Elle commence par le règne de Mûtawakkil et prend fin avec l’assaut sanglant, à Bagdad, menés par les tyrans mongols en 1258, nous apprend-on.Affaiblie, l’autorité califale en place, finit par faire appel à des milices étrangères notamment des turques et des persans, pour sauvegarder son pouvoir. Ces derniers, vont finir par exercer une grande influence sur le pouvoir califal. Ainsi, une branche turque, du nom de seldjoukide, sous la houlette de Toghrul Beg, fut reconnue par le calife abbaside, al-Qâ’im, en 1055.Pendant un siècle, les seldjoukides allaient ainsi maintenir l’unité de l’Asie musulmane depuis la frontière ouest de l’Afghanistan jusqu’à la mer méditerranée, nous informe Farid Jabre. En principe, le pouvoir est détenu par les califes abbasides, mais, en réalité, son exercice effectif, est assuré par la dynastie seldjoukide. L’histoire glorieuse de cette dynastie a retenu trois noms : son fondateur, Togrul Beg successeur Alp Arsalan et son fils Malik shâh. Ils ont combattu non seulement contre les dynasties locales pour la sauvegarde du pouvoir califale abbâside et du sunnisme mais aussi contre une autorité politico-religieuse, le ba’tinisme, qui voulait évincer le pouvoir en place pour étendre alors sa domination dans le monde musulman. Il s’agit de la dynastie fâtimide d’Egypte, supposée être les descendants de Ali et de Fátima, fille du prophète Muhammad (P.S.L), donc chi’ite, frère ennemi juré du sunnisme. Ces derniers ont déjà conquis tout l’Afrique nord et se sont installés en Egypte où ils instaurent leur capitale : le Caire. Ils cherchaient alors, par des propagandes, à étendre leur domination sur l’Irak, la Syrie, le Khorasan (qui est devenue leur citadelle).C’est ainsi que Hasan Ibn Sabah, un célèbre vicaire et propagandiste de cette secte, s’empara de la citadelle D’Alamût ; De là, il envoyait ses mercenaires « jusqu’aux confins les plus éloignés de l’empire abbasside ». Intrépides, ces derniers, n’hésitent pas à écarter de leur chemin tous ceux qui veulent compromettre leur mission. Leurs victimes sont, en général, les sultanats de l’empire abbasside, donc les autorités sunnites. Parmi eux, on peut citer, le célèbre vizir seldjoukide, Abû Ali Hasan Ibn Ishaq, très connu sous le nom de Nizâmûl Mûlk. Ce dernier est réputé pour être le mécène des savants, théologiens, philosophes et juristes. Féru du sunnisme et du chafiisme, il fonda plusieurs écoles, un peu partout, qui portèrent son nom, dans le but de contrecarrer l’idéologie fâtimide, chi’ite, menaçante.La plus renommée de ces écoles est, sans doute, celle de Baghdâd, où, il désigna al-Ghazâlî comme directeur après le décès de son éminent maître Juwaynî. Sur le plan politique, on peut dire que l’époque d’al-Ghazâlî est caractérisée par le tiraillement entre l’autorité sunnite abbâside et celle fâtimide chi’ite ; chacune d’elles, semble vouloir dominer l’autre.
2) Aspect intellectuel : Dans l’introduction de son Munqidh, al-Ghazâlî, nous semble donner un aperçu sur son environnement intellectuel. Il nous parle d’une prolifération et une floraison des écoles de pensées et des courants politico-religieux ainsi qu’une lutte acerbe entre elles. Il s’agit des écoles théologiques (acharisme, Mutazilisme), la falsafa (philosophie), le ba’tinisme, et le soufisme. Tous ces courants, nous explique-t-il, sont à la quête de la vérité. Chacun de ces groupes pensent qu’ils sont les mieux guidés. A ce propos, al-Ghazali écrit « tu me demande de te révéler le but et le secret des sciences, le mal et les abîmes des écoles de pensée. Tu voudrais que je te dise ce que j’ai enduré pour dégager du vrai de la confusion des tendances, malgré les différences chemins et des voies »10.Il écrit encore : «sache que les religions et les croyances des hommes sont diverses ; que les tendances de la communauté sont différentes, entre les groupes et les voies : océan profond où la majorité a sombré et dont une minorité s’est tirée. Chaque groupe, pourtant se croit sauvé ».Ici, al-Ghazâlî brosse un tableau de l’environnement dans lequel il a évolué. Ces groupes et ces tendances décrits à travers ce passage, sont les théologiens, les philosophes, les ba’tinistes et les soufis. Il faut aussi noter que Baghdâd était « l’Athènes »de la civilisation islamique, surtout, sous l’ère de la dynastie abbasside, avant l’arrivée des barbares moghols en 1258. Donc, elle est marquée par le foisonnement des idées, une rude lutte sectaire et tendancieuse entre les savants musulmans. C’est une époque intellectuellement très riche. N’es ce pas, seulement, dans ce cadre de vie intellectuelle, que peut évoluer un esprit aussi fécond ?
La reprise de l’enseignement et la direction spirituelle
C’est dans son Munqidh que nous retrouvons les raisons de son retour à l’enseignement, après dix ans d’absence. D’après une célèbre tradition prophétique, Dieu, enverra au début de chaque siècle un homme qui rénovera l’islâm. Al-Ghazâlî se voyait comme cet homme providentiel, ce rénovateur tant attendu de ce siècle. En plus, lui, qui avait quitté sa famille, ses amis, et sa patrie depuis dix ans ne souffre-t-il pas du mal du pays. Il dit, à ce propos : « plus tard, certaines préoccupations des affaires de familles me rappelèrent dans ma patrie » ; « les circonstances, les soucis domestiques, les obligations matérielles, avaient faussé, le sens de ma décision et troublé le meilleur ma solitude »25.Par ailleurs, al-Ghazali, considère que les prophètes sont les médecins des « cœurs »et les soufis suivent leurs voies ; par conséquent, ils sont aussi des médecins. Ainsi, il se sentît investi d’une mission divine pour « remettre ces contemporains dans le droit chemin » car, se demande-t-il « à quoi bon la solitude et la retraite quand le mal est universel (partout) que les médecins sont malades et les hommes sur le point de périr »26.Lui, seul, était disposé à « démasquer ces gens-là(les philosophes, les partisans de l’enseignement, les mystiques, et des prétendus savants ».Finalement, après avoir reçu le conseil de quelques amis et même certaines visions ainsi que la demande incessante des autorités, al-Ghazâlî, décida de sortir de sa retraite. Il partît pour Nichapour le « onzième mois de 499 de l’hégire » (Juillet-Août 1106), après dix ans de retraite. Il reprît donc, l’enseignement à la Nizamiyya de Nichapour, à la demande, de Fakhrul Mulk, vizir du sultan Sanjar; mais celui-ci sera de courte durée. Profondément converti au soufisme, al-Ghazâlî, enseigne désormais la doctrine des gens de la vérité (ahl al-haqiqa) et commente son livre, Iḥyâ ‘Ulûm ad-dîn. Il n’enseigne plus pour obtenir les honneurs comme auparavant, mais il invite à « renoncer aux honneurs ». Aussi, il continue de composer des œuvres notamment, son Munqidh, considérée souvent comme une œuvre autobiographique et comparée aux Confessions de Saint Augustin. Il écrivît aussi, Muçtasfâ fil-I’lm al-Usûl, une œuvre devenue classique dans l’étude des fondements du Fiqh, Il fut achevé le 06 Muharram 503/5 Août 1109, d’après Maurice Bouygues. Il rédigea aussi deux œuvres, l’une en persan et l’autre, en arabe : Naçîhât al-mulûk, et Miskât al-anwâr. Cependant, peu après la mort de Fakhrul Mulk, assassiné par un mercenaire ba’tinite, en 1106/500 de l’hégire, al-Ghazâlî, retourna définitivement dans sa ville natale. Il y construit une école et ermitage soufi (Khanega), près de sa maison, pour enseigner le fiqh et initier ses disciples au soufisme. Il consacra ses dernières heures de sa vie, aux pratiques cultuelles, à l’étude des hadiths prophétiques authentiques (sahîhaynî), à la lecture du saintcoran et à la composition des ouvrages. C’est dans les dernières années de sa vie, que la composition de Durratul al-fâkhira se situe nous apprend M. Bouygues. Par ailleurs, certains de ses biographes soutiennent que son dernier ouvrage, fût, Iljâm al-a’wâm, terminée dans les premiers jours de Jûmad II, de l’année 505 de l’hégire/Décembre 1111, quelques jours avant sa mort.29En revanche, d’autres pensent que le dernier de ses écrits, est Minhâj al-A’bidîn (Itinéraire des Adorateurs de Dieu) dont l’authenticité est souvent remise en cause. Al-Ghazâlî, mourût le lundi14 Jumâd II 505 de l’hégire/18 décembre 1111, à Tûs. Nous pouvons affirmer sans doute que sa vie, était courte (Cinquante-cinq ans), eu égard à l’ampleur, la richesse et l’influence de son œuvre. Il est permis de dire qu’il a été un des plus célèbres penseurs musulmans de tous les siècles, méritant, ainsi, le surnom de Hujjatul Islam (la Preuve de l’Islam) et de « rénovateur du cinquième siècle de l’hégire ».En bref, nous avons retracer la vie de l’Imâm al-Ghâzâli, point par point, en commençant par sa formation, dans sa ville natale, en passant par ses séjours à Jurjân, Nichapour, puis à Baghdâd, où il fait fonction de professeur à la Nizâmiyya, à la mort de son maître. Après une crise intellectuelle et morale, il quitta Baghdâd, renonçant ainsi, son enseignement, sa gloire, aux honneurs, sa famille et ses amis. Il séjourna, vêtu de l’habit soufi, à Damas, au Jérusalem, aux lieux-saints de l’Islam. Dix ans après, il reprît l’enseignement à Nichapour, puis retourna définitivement dans sa ville natale pour enseigner et pratiquer le soufisme jusqu’à son dernier souffle. Voici, en résumé, la vie d’al-Ghazalî, nous allons, à présent, ouvrir un nouveau chapitre consacré à son œuvre.
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Table des matières
Introduction
Première partie : Vie et Œuvre d’al-Ghazâlî
Chapitre 1 : Vie d’al-Ghazâlî
I. L’époque d’al-Ghazâlî
1) Paysage politique
2) Aspect intellectuel
II. Les étapes de sa vie
1. Son personnage
2. Période de la formation et de l’enseignement
a. Formation
b. La période de l’enseignement
3. Al-Ghazâlî, après son conversion au soufisme
a. La retraire spirituelle
b. La reprise de l’enseignement et la direction spirituelle
Chapitre 2 : l’œuvre d’al-Ghazâlî
I. Ses écrits
1. Ses principaux œuvres de Fiqh et d’Usûl
2. Ses principaux œuvres polémiques (kalâm, falsafa et Ba’tinisme)
II. Ihyâ et ses principaux ouvrages en soufisme
1. Présentation d’Ihyâ Ulûm ad-dîn
2. Ses autres œuvres mystiques
Deuxième partie : La raison et la foi chez al-Ghazâlî
Chapitre 1 : La raison chez al-Ghazâlî
I. Sa nature
1) Définitions
a) Première définition : l’instinct (gharîza)
b) La raison : savoir axiomatique ou connaissance apriorique
c) La raison : savoir empirique
d) La raison : la conscience
2) La noblesse (sharaf) de la raison
II. Al-Ghazâlî, doute et critique
1. Le doute ghazalien
2. La critique ghazalienne
a. Critique du kalâm
b. Critique de la « philosophie » (falsafa)
c. Critique du ba’tinisme et du ta’limisme
d. Critique du soufisme
Chapitre 2 : la foi chez al-Ghazâlî
I. Sens de la foi chez al-Ghazâlî
1. La foi : ensemble de vérités
2. La foi : jugement de véridicité (taṣdiq)
3. Catégories de la foi chez al-Ghazâlî
a. La foi traditionnelle ou nominale (imân taqlîdî)
b. La foi par dévoilement ou illuminative (imân kashfî)
II. Les piliers (arkân) de la foi et les degrés de la foi
1) Les principes de la foi
a. La connaissance de l’essence divine
b. Les attributs divins
c. Les actes divins
d. Les traditions
2) Les degrés de la foi
Chapitre 3 : Rapport entre la raison et la foi chez al-Ghazâlî
I. Primauté de la foi sur la raison
1. Limites de la raison
2. Prééminence de la foi (illuminative) sur la raison pure
II. Interaction entre la raison et la foi
1. Accord entre la raison et la foi
2. Complémentarité entre la raison et la foi
Conclusion
Bibliographie
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