La question du réchauffement climatique et de ses conséquences fait partie des préoccupations politiques internationales depuis la fin des années 1980. L’influence des émissions anthropiques de CO2 sur ce phénomène est scientifiquement avérée (IPCC 2007, p. 5). En 1988 un Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat (GIEC) a été crée sous l’égide du programme environnemental de l’ONU et de l’organisation météorologique mondiale. L’objectif de cette organisation est de fournir aux instances politiques mondiales, un panorama clair et précis de l’état des connaissances sur le changement climatique et ses impacts environnementaux et socio-économiques . Le GIEC produit donc à une temporalité régulière des rapports de synthèses sur l’évolution du climat, mais aussi sur les technologies permettant d’atténuer ce changement climatique. Bien que variable au cours de cette période , l’attention accordée au réchauffement climatique a néanmoins abouti à des engagements relatifs au contrôle des émissions de CO2 .
Au regard des travaux du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du Climat) un seuil limite de 400 ppm (partie par million) de CO2 dans l’atmosphère a été défini afin de ne pas dépasser un réchauffement du climat supérieur à deux degrés Celsius . Pour tenir ces engagements réglementaires, des solutions techniques mais également des changements dans les pratiques sociales ont donc été envisagés. Ainsi aux recherches relatives aux dimensions techniques s’ajoutent des recherches sur la mise en place des technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Citons notamment des recherches relatives à l’adaptation des réglementations à ces technologies, aux incitations financières nécessaires à leur diffusion ou encore, à l’acceptabilité sociale de ces technologies. Cette recherche s’inscrit dans le contexte rappelé ici. Toutefois, dans ce travail nous ne nous interrogerons pas sur l’ensemble de ces technologies de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni sur le changement des pratiques sociales à proprement parler. Mener une telle réflexion serait bien ambitieux et une thèse n’y suffirait pas. Nous centrerons donc notre réflexion sur un dispositif technique particulier : le captage, transport et stockage du CO2 (CTSC). Ces technologies ont émergé dans les années 1990 mais sont encore peu diffusées. Par conséquent, tant sur le plan technique que sur les dimensions économiques, sociales ou réglementaires, des recherches restent à mener. Dans cette réflexion, le dispositif technique sera envisagé en interaction avec des environnements sociaux.
L’acceptabilité sociale des technologies de CTSC, une commande à questionner
Cette recherche a été financée pendant trois ans par une chaire industrielle, la chaire CTSC qui associe l’Ecole des Mines de Paris et l’Université du Havre, ainsi que certains de leurs laboratoires respectifs. Cette chaire finance à la fois des recherches issues des laboratoires, mais aussi des thèses de doctorat dans de multiples disciplines autour des problématiques posées par la mise en place du CTSC. Citons notamment la géologie, la chimie, la mécanique, la gestion, le droit ou encore les mathématiques appliquées. Le sujet-commande proposé par cette chaire était intitulé de la façon suivante :
L’acceptabilité sociale des technologies de captage, transport et stockage du CO2 le long de l’Axe-Seine.
À la lecture de ce sujet, nous étions confrontés aussi bien au choix du positionnement à adopter pour travailler sur les technologies de captage, transport et stockage du CO2 , qu’à la délimitation de l’espace géographique sur lequel l’acceptabilité sociale de ces technologies devait être étudiée. Avant de revenir sur les différentes implications d’un tel sujet, rappelons également que dans les attendus du commanditaire, une enquête quantitative auprès d’un échantillon représentatif de la population de l’Axe-Seine était souhaitée. Pour mener à bien cette recherche nous devions donc lever les implicites de ce sujet. Que signifie l’acceptabilité sociale des technologies de captage, transport et stockage du CO2 ? Pour quelles raisons s’intéresser à l’acceptabilité sociale de ces technologies dans l’espace de l’Axe-Seine ? Et comment définit-on cet espace ? Revenons donc sur les présupposés d’un tel sujet de recherche et précisons notre posture théorique et méthodologique.
La notion d’acceptabilité sociale : quelques éléments de définition
Pour lever les implicites de notre sujet de recherche et ainsi comprendre ce que signifie l’acceptabilité sociale des technologies de CTSC dans l’Axe-Seine, définissons la notion « d’acceptabilité sociale ». Nous rappellerons dans un premier temps des exemples d’utilisation de cette notion dans les travaux en psychologie sociale et dans ceux qui ont trait aux énergies renouvelables. Enfin, nous examinerons l’utilisation qui est faite de cette notion pour le captage, transport et stockage du CO2 .
L’acceptabilité sociale dans une perspective psychosociologique
Pour le psychosociologue Somat (L’acceptabilité sociale des technologies 2009), L’acceptabilité sociale est l’étude des attitudes et des contraintes sociales et normatives conduisant les usagers à recourir effectivement à une technologie donnée. Cette première définition de la notion d’acceptabilité sociale cadre bien à première vue, avec l’objet de notre recherche. Cependant, elle ne semble pas correspondre à l’usage qu’en fait notre commanditaire. Ce dernier s’intéresse à l’acceptabilité sociale du captage, transport et stockage du CO2 par les populations de l’Axe-Seine. Dans cette perspective, le cadre d’analyse psychosociologique (ici illustré par la définition de Somat) se révèle peu adapté. Une référence au modèle d’acceptation de la technique de Davis (Davis 1987), ou encore au modèle d’acceptabilité des systèmes de Nielsen (Nielsen 1993), montre que ces cadres d’analyse se focalisent sur les utilisateurs. Recourir à ce type de cadre analytique ne nous permettrait pas de déterminer l’acceptabilité sociale des technologies de CTSC par les populations de l’Axe-Seine.
L’acceptabilité sociale dans la littérature relative aux énergies renouvelables
La littérature relative à l’acceptabilité sociale des technologies d’énergie renouvelable précise toutefois la définition de cette notion. Wüstenhagen, Wolsink, et al. (Wustenhagen, Wolsink et Burer 2007) dans leur article intitulé Social acceptance of renewable energy innovation : an introduction to the concept tentent de définir le concept d’acceptabilité sociale pour le domaine des énergies renouvelables, par l’analyse de différentes recherches. Ces chercheurs parviennent à définir trois dimensions interdépendantes de l’acceptabilité sociale des énergies renouvelables : l’acceptabilité socio-politique d’une technologie, l’acceptabilité de cette technologie par une communauté d’habitants donnée et l’acceptabilité de cette technologie par le marché.
Selon ces chercheurs, l’acceptabilité socio-politique correspondrait à l’acceptabilité sociale au sens large. Il s’agit par exemple de l’acceptabilité des politiques environnementales menées par un gouvernement (ex : les taxes écologiques). Ces politiques doivent être acceptées par les populations, mais aussi par les parties prenantes clés susceptibles de freiner leur mise en place. Par exemple, ces chercheurs soulignent que, dans un premier temps, le soutien général aux technologies énergétiques vertes a conduit les décideurs à négliger le facteur d’acceptabilité sociale comme un facteur décisif pour la réussite de l’implantation de ces infrastructures dans un territoire donné.
La deuxième dimension de l’acceptabilité sociale définie dans cet article est l’acceptabilité de la communauté locale. Selon ces auteurs, cette notion est liée aux négociations et aux débats relatifs à l’installation des infrastructures d’énergie renouvelable dans un territoire donné. Ils s’intéressent ici à l’équité dans les procédures d’installation de ces infrastructures, ainsi qu’à l’équité par rapport aux inconvénients et aux avantages que subissent les populations habitant à proximité de ces installations. En effet, les populations accueillant les infrastructures d’énergie renouvelable ne doivent pas avoir le sentiment d’être lésées par rapport à d’autres populations. Cette dimension renvoie également à la notion de confiance envers les instances de contrôle, ainsi qu’à la notion de risque perçu. Ces deux questions ont notamment été abordées par Huijts (Huijts 2003, Huijts 2007) au sujet du stockage géologique de CO2 sous un quartier résidentiel aux Pays-Bas. Dans son enquête, cette chercheuse montrent notamment une défiance des populations vis-à-vis des intentions des industriels, mais aussi un manque de confiance dans l’expertise des acteurs associatifs. Les acteurs politiques semblent donc les plus compétents au regard de cette recherche pour implanter les technologies de CTSC.
Enfin, la question de l’acceptabilité par le marché concerne l’adoption de ces innovations techniques particulières par les consommateurs, par les investisseurs, et enfin à l’intérieur même d’une entreprise. Les chercheurs s’inspirent ici des travaux de recherche relatifs à la diffusion de l’innovation (Rogers 2003), tout en signalant que ces innovations restent des types particuliers d’innovations technique. Dans une telle perspective, l’existence d’un marché des énergies vertes pourrait avoir des conséquences sur l’acceptabilité sociale des énergies renouvelables. En effet, pour répondre à la demande des consommateurs, il serait nécessaire de développer ce type d’énergie. Or tous les pays n’ont pas la surface ou le potentiel suffisant pour développer de nombreuses infrastructures de production d’énergie solaire ou éolienne. A l’inverse, des pays ayant ce potentiel ne souhaiteront pas nécessairement le développer. De plus, Wüstenhagen, Wolsink et al. (Wustenhagen, Wolsink et Burer 2007) signalent que les politiques publiques ne facilitent pas toujours ces investissements ; ou encore que certaines entreprises n’adoptent pas ces technologies alors qu’une demande existe. Ce phénomène donne notamment lieu à la création de communauté d’habitants investissant dans ces infrastructures pour produire de l’électricité à partir des énergies renouvelables (Yasushi, Makoto et Tetsunari 2007).
Les travaux de Wüstenhagen et al. clarifient l’intérêt de notre commanditaire. Notre sujet commande qui définit un dispositif technique à étudier, le CTSC, dans espace géographique précis, l’Axe-Seine, rapprocherait cette recherche de la notion d’acceptabilité territoriale de ces technologies. Or, nous ne pouvons nous inscrire dans cette démarche car dans l’Axe-Seine, le CTSC est peu diffusé . Par conséquent, étudier les perceptions d’un échantillon représentatif de la population de cet espace géographique ne permettrait de mettre au jour que des perceptions générales de ce dispositif technique. En effet, aucun projet de CTSC d’échelle industrielle ne concerne pour le moment les habitants de l’Axe-Seine.
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Table des matières
Introduction Générale
I les technologies de captage, transport et stockage du CO2 : fonctionnement d’un système sociotechnique
Introduction de la première partie
1 Le CTSC comme modalité de réponse à la problématique du réchauffement climatique : genèse et fonctionnement d’un dispositif technique
2 Utilisation effective ou projetée du CTSC : quelles attentes techniques pour ce dispositif en Europe du Nord ?
Conclusion de la première partie
II L’« L’Axe-Seine » : un espace géographique pertinent pour implanter les technologies de captage, transport et stockage du CO2 ?
Introduction de la deuxième partie
3 Quelles dynamiques spatiales dans l’espace Axe-Seine ?
4 L’espace et ses usages : quels enjeux dans le territoire de l’Axe-Seine au regard d’une potentielle implantation des technologies de CTSC ?
Conclusion de la deuxième partie
III Les technologies de captage, transport et stockage du CO2 dans « l’Axe-Seine » : quels imaginaires techniques associés à un dispositif en devenir ?
Introduction de la troisième partie
5 Le CTSC dans l’Axe-Seine : Conditions d’apparition et premières attentes relatives à un projet technique
6 2012-2015 : vers une transformation des promesses techno-scientifiques relatives aux technologies de CTSC ?
Conclusion de la troisième partie
Conclusion Générale