La permanence des mouvements migratoires dans la région du fleuve Sénégal
L’histoire de la Mauritanie est dominée par les relations parfois conflictuelles, souvent pacifiques, entre un fond de populations noires et des conquérants berbères, puis arabes, venus du Nord. La coexistence de populations arabo-berbères et négro-africaines au bord du Fleuve Sénégal est très ancienne. Déjà, les tribus Sanhadja entretenaient, au XIème siècle, des relations commerciales avec la région du Fleuve pour les besoins du commerce de traite et, au-delà, avec l’ensemble du TrabSudan, jouant un rôle capital dans son islamisation. La désertification et la multiplication des périodes de sécheresse, conjuguées à l’insécurité, ont été à l’origine des migrations et des déplacements de populations du Nord au Sud, aux confins sahélo sahariens. Les populations sahariennes (Maures) exerçaient depuis toujours une pression sur les populations sahariennes (haalpularen et soninké, principalement) pour le contrôle du Fleuve. La colonisation française, commerciale puis militaire, se traduisait d’abord par la séparation des deux rives du fleuve qui continuaient, cependant, d’entretenir des relations commerciales. A la fin du XIXe siècle, la rive gauche fut placée sous le joug des Français. Ces derniers reconnaissaient, sur la rive opposée, l’autorité des Emirats maures, qui percevaient des taxes sur l’exploitation des terres agricoles et le commerce de la gomme arabique. Toutefois, la conquête de la rive droite-mauritanienne était engagée, aboutissant, en 1905 à la proclamation d’un protectorat des « Pays Maure », la frontière avec la colonie du Sénégal étant fixée au milieu du Fleuve (thalweg) .La conquête de la Mauritanie traduisait par un important mouvement d’émigration vers la rive droite, moins peuplée et exploitée. Les relations entre les deux rives se renforçaient, les Maures assurant sur la rive gauche, le petit commerce et le transport de l’arachide et du sel. Ces relations étaient confortées par le développement des liens entre confréries religieuses. Les périodes de sécheresse accentuaient ces flux migratoires. Tout au long de cette période, la Mauritanie est intégrée à l’Afrique Occidentale Française et rattachée au Sénégal au plan administratif, avec lequel elle partageait la même capitale. La migration séculaire des populations noires vers le Sud s’expliquait autant par des raisons écologiques, tenant à l’avancée du désert, que par des impératifs économiques. Les grandes migrations correspondaient ainsi, dans la quête des nouveaux pâturages, à des périodes de sécheresse ou de bonne pluviosité. Des flux saisonniers conduisaient hommes et troupeaux d’une rive à l’autre. En saison sèche, les populations cultivaient les champs de décrue sur la rive droite, en saison des pluies, elles conduisaient leurs troupeaux sur la rive gauche. Ce contexte explique que les échanges entre les deux rives du Sénégal sont constants, se traduisant par des flux et reflux. Toutefois, les contacts permanents entre éleveurs sahariens et paysans sahéliens n’allaient pas toujours sans susciter des frictions, même si celles-ci ne sortaient pas, généralement, de l’ordinaire. Le conflit sénégalo-mauritanien et ses prolongements internes en Mauritanie s’inscrit donc dans une trame complexe de facteurs, dont les causes sont à rechercher dans l’histoire, la dégradation de l’environnement et l’évolution du système de production traditionnel, mais aussi dans la crise identitaire qui secoue les Etats après leur indépendance.
L’enjeu du partage du pouvoir
A l’indépendance du pays, la France remettait le pouvoir à un gouvernement dominé par les Maures, alors que l’encadrement administratif était composé principalement de négroafricains, qui travaillaient auparavant pour les autorités coloniales. La liberté de circulation entre les rives, ainsi que l’exploitation des terres et des eaux du Fleuve étaient maintenues. Toutefois, dans un souci de rupture avec le système colonial et de renforcement de son identité, la Mauritanie s’engageait dans une politique nationaliste. Les relations avec le Sénégal se dégradaient, tant au sujet de l’exploitation des terres que du tracé de la frontière. La Mauritanie renforçait ses liens avec le monde arabe et procédait à l’arabisation de l’enseignement. Celle-ci provoquait la résistance des communautés négroafricaines, attachés à la francophonie, pour contrebalancer le tropisme arabe et maintenir des relations avec les pays d’Afrique subsaharienne. C’est sur le terreau de la querelle linguistique que se greffaient les contestations politiques ultérieures. Le gouvernement cherchait à promouvoir l’éducation et former des cadres maures qui intégraient progressivement l’administration, réduisant d’autant la place qu’y occupaient les négro-africains et attribuait des postes dans la fonction publique selon un quota correspondant à la part de chaque groupe ethnique. Le mouvement nationaliste négro-africain se radicalisait, dans un contexte marqué par la mise en valeur et la pression pour l’appropriation des terres de la vallée du fleuve. Le colonel Maouya Ould Taya arrivé au pouvoir en décembre 1984, engageait une répression contre les groupes d’opposition, notamment ceux issus des communautés négroafricains, qui contestaient le partage du pouvoir dans le pays. L’opposition des populations de la vallée s’organisait en un mouvement clandestin qui dénonçait en 1986 les persécutions auxquelles celles-ci seraient soumises, ainsi que leur éviction des instances dirigeantes. La publication d’un texte incitant à la lutte armée et à la violence, jointe à une tentative de coup d’Etat fomentée par des officiers haalpularen, se traduisait par des purges massives au sein de l’administration et des forces armées, qui se poursuivaient jusqu’au printemps 1991. Certes, cette migration n’était pas sans rappeler le mouvement pendulaire d’éleveurs, d’agriculteurs et de pêcheurs, au cours de l’Histoire. Cependant, d’un point de vue juridique ces expulsions, n’étaient pas comparables aux migrations traditionnelles entre les deux rives du Sénégal car il s’agissait de déplacements forcés, les populations ayant été délibérément expulsées, parfois de manière planifiée. De nombreux fonctionnaires et militaires ont perdu leur travail, du fait de leur appartenance ethnique, de leur opinion ou sur la foi d’un simple soupçon. Les expulsés ont été spoliés de leurs bien (bétail, terres…) et leurs documents d’identité (actes de naissance, cartes professionnelles) auraient été systématiquement détruits, leur nationalité mauritanienne étant contestée par les autorités. Ce transfert de populations a permis de redistribuer les terres de décrue et périmètres irrigués à des Maures, en particulier ceux rapatriés du Sénégal. Toute porte à croire que les autorités ont voulu tirer profit du contexte pour brider les groupes nationalistes négro-africains et leurs revendications relatives à l’autonomie, au partage du pouvoir ou à l’appropriation des terres. La question du partage du pouvoir entre les communautés ethnolinguistiques du pays était encore soulevée, dans le débat politique interne, par des partis représentatifs des groupes négro-africains, qui estimaient que seule une formule constitutionnelle de répartition des responsabilités au sein de l’Etat serait de nature à éviter les tentatives hégémoniques et l’exclusion.
LA POLITIQUE D’ASSISTANCE DU HCR
La machine onusienne était saisie par le gouvernement sénégalais qui, devant l’afflux de nouvelles populations sur son territoire, lance un appel pour obtenir une aide internationale. Fin juin, le Bureau régional d’Afrique de l’Ouest du HCR fait une première estimation des besoins et réclame à son siège, à Genève, une somme d’environ 2 millions de dollars pour 51891 bénéficiaires. Elle a été l’organisme principal d’intégration des réfugiés de la vallée du fleuve Sénégal. Ainsi ils étaient présents tout au long du fleuve de Bakel à Podor. Le département de Dagana ou on a fait notre étude de terrain abritait 5607 réfugiés avec 46 sites derrière Matam et Podor44. Ainsi la situation qui nous intéresse de plus est celle du département de Dagana qui avait enregistré plus de cinq milles réfugiés. Toutefois les premières opérations d’urgence du HCR ont consisté à apporter des tentes pour abriter les réfugiés, des médicaments de première nécessité contre les maladies les plus courantes comme le paludisme à cause de la proximité du fleuve et le problème d’assainissement des sites, la parasitose, les maladies diarrhéiques et hydriques. Afin de mieux assurer le suivi médical, le HCR avait installé des cases de santé sur les sites les plus importants. Dans le domaine de l’éducation, des réfugiés capables d’assurer l’enseignement élémentaire ont été recrutés. Ils étaient chargés de la formation des petits enfants. Ce fut le cas du site de Ndiaw à l’entrée de Richard-Toll. Afin d’assurer leur sécurité alimentaire, le HCR a, de 1989 à 1995, apporté une aide alimentaire mensuelle en riz, lait, sucre, biscuit etc… Cependant la plus grande opération pour l’autosuffisance alimentaire des réfugiés demeure le volet agricole. Pour mener à bien cette mission, l’OFADEC qui a des assises dans l’arrièrepays et connaissant bien la vallée a été choisie. Cette organisation non gouvernementale a été créée en 1976 et a pour but de venir en aide aux populations les plus déshéritées. Elle encadrait les paysans de la vallée dans le cadre de son programme d’activité génératrice de revenus, le HCR a confié le volet agricole à l’OFADEC avec pour objectif de gagner des revenus et d’arriver à l’autosuffisance alimentaire. C’est ainsi qu’entre 1990 et 1992 dans toute la vallée, 20 PIV d’une superficie de 315 ha, ont été aménagés et exploités par 1400 familles dont 7ha à Dagana. Cependant la réticence des conseils ruraux à l’affectation des terres a été vaincue par l’implication des autochtones à l’exploitation des terres mises à la disposition des réfugiés. Ainsi 2/3 des terres aménagées reviennent aux réfugiés et 1/3 aux sénégalais. Un handicap à ce programme reste la faible taille des parcelles et l’insuffisance du suivi dans l’exploitation. Cette situation ne permet pas, selon les réfugiés, de rembourser les intrants, les motos pompes et le carburant mis à leur disposition. C’est ce qui explique toujours selon les réfugiés, l’échec de ce programme. Mais somme toute, il a permis aux réfugiés de se reconvertir dans l’agriculture. Toutefois on se souvient que les normes d’action qui légitiment le mandant du HCR se fondent sur deux notions fondamentales : la protection internationale et la recherche de solutions durable. Dans le cas de son intervention auprès des réfugiés mauritaniens, nous avons constaté que l’agence onusienne n’a pas réussi à leur garantir certains de leurs droits les plus élémentaires comme celui d’obtenir des papiers d’identité ou de circuler librement. Elle n’a pas non plus été en mesure de négocier auprès des autorités mauritaniennes leur rapatriement collectif ni d’obtenir des autorités sénégalaises leur naturalisation. A l’exception d’une assistance en matière de vivres, de santé, d’éducation et de projets générateurs de revenus, le HCR n’a donc pas, en pratique, réussi à mettre en œuvre sa politique de protection. Par contre elle a eu d’autres effets concrets sur le champ politique local, auxquels ni ses représentants ni ceux de l’Etat sénégalais ne s’attendaient. Bien que construite sur une rhétorique de la neutralité et du provisoire, elle a en effet contribué à l’émergence, sur le territoire sénégalais, d’un nouvel espace de gouvernance ou sont apparus de nouvelles autorités publiques, de nouveaux services publics et une nouvelle citoyenneté liée au statut de réfugié.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE : LES RACINES DE LA CRISE
CHAPITRE I : Les soubassements historiques et socio-économiques de la crise
CHAPITRE 2 : les réfugiés sur la rive gauche du fleuve
DEUXIEME PARTIE / LA QUESTION DES REFUGIES MAURITANIENS
DANS LA VALLEE DU FLEUVE SENEGAL DE 1989 A 1995
CHAPITRE 1 : L’ACTION DU HCR
CHAPITRE 2 : LE DESENGAGEMENT DU HCR
TROISIEME PARTIE : LA PROBLEMATIQUE DU RETOUR DES REFUGIES MAURITANIENS DE 1995 A 2018
CHAPITRE 1/ LA PREMIERE TENTATIVE DE RAPATRIEMENT OU LE RAPATRIEMENT PREMATURE
CHAPITRE II : L’ECHEC DE CE RAPATRIEMENT
QUATRIEME PARTIE : LA TRANSITION DEMOCRATIQUE
CHAPITRE 1 : L’IMPACT DU COUP D’ETAT DE 2005
CHAPITRE 2 : LA POLITIQUE D’INTEGRATION LOCALE DES REFUGIES MAURITANIENS DE 2012 à 2018
CONCLUSION GENERALE
OUVRAGES et CHAPITRES D’OUVRAGES
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