La question de l’art chez senghor

L’homme est défini comme homo sapiens et homo faber, c’est-à-dire un être doué de raison et capable de fabriquer des objets. C’est ainsi qu’il a toujours manifesté sa civilisation par des créations artistiques. C’est dire que l’art, a toujours été le vieux compagnon de l’homme. Car, il n’y a jamais eu de société sans art. C’est cette importance même de ce dernier, qui pousse la philosophie à s’interroger sur sa nature. Le mot « art » désigne, selon André Lalande, « toute production de la beauté par les œuvres d’un être conscient » . En d’autres termes, même si l’animal peut créer, comme l’araignée qui fabrique sa toile, cela ne peut en aucune manière être considéré comme une œuvre d’art, puisque ce dernier est déterminé par l’instinct. Par contre, l’homme, disposant de raison, est le seul animal capable d’avoir une notion du beau. Dans cette dynamique, nous pouvons considérer l’art comme toute création humaine dont le but est la création d’œuvre visant un idéal de beauté. Mais, comment définir le beau ?

Dans une œuvre d’art, le beau est ce qui ne renvoie à aucune utilité, à aucune fin. C’est comme en attestent ces propos de Théophile Gautier : « L’art n’a d’autre fin que lui-même, c’est-à-dire la beauté, et n’a pas à être soumis à la politique ou à la morale. Il n’y a de vraiment beau, écrit-il, que ce qui ne peut servir à rien » . Et un autre comme Kant soutiendra que le beau doit être un plaisir désintéressé. Il nous parle du sentiment du beau. Autrement dit, la satisfaction ou non, qu’un sujet peut éprouver devant un objet. C’est pourquoi il va parler du jugement de goût qu’il définit comme étant la faculté de juger du beau.

En effet, pour Kant, dire qu’un objet est beau, ne signifie pas que nous devons avoir une connaissance de ce dernier. Le jugement de goût n’est pas un jugement logique, mais subjectif, c’est-à-dire rapporté uniquement au sujet, et non lié à la connaissance de l’objet. C’est dire que le jugement subjectif est la représentation que le sujet se fait de l’objet, c’est le sentiment de plaisir ou de déplaisir que le sujet a vis-à-vis d’un objet. Il n’est fondé sur aucun concept, car différent du jugement qui consiste à dire d’un objet qu’il est beau du seul fait qu’il dépende de son existence. Il n’est aussi lié à aucun intérêt. Contrairement au jugement logique, le jugement de goût nous procure une satisfaction désintéressée.

L’idéologie de la Négritude

Une idéologie peut être définie comme « un faisceau d’idées- forces et de croyances; elle est l’expression du rapport des hommes à leur monde(…) une prise de conscience » . En parlant de la Négritude comme idéologie, nous faisons allusion au mouvement qui a pris naissance dans les années trente à Paris. En France, Senghor et les autres étudiants noirs étaient confrontés au racisme. Les Français traitaient les étudiants noirs non pas comme des citoyens, mais comme des sujets : « on nous traitait en sujets ou en citoyens de seconde zone ; plus profondément, on niait, (…), que nous eussions une civilisation » , nous dit Léopold Sèdar Senghor.

C’est la raison pour laquelle ces étudiants noirs avaient décidé de se réunir pour mener une révolution contre l’oppression de la peau noire à Paris. Nous pouvons évoquer le cas des noirs américains comme Langston Hugues, des Antillais comme Aimé Césaire entre autres. Ainsi, en 1934, Damas, Césaire et Senghor créent la revue l’Etudiant Noir qui peut être considérée comme le point de départ du mouvement de la Négritude. Ce mouvement des années trente est d’abord un combat pour défendre la culture africaine.

Cependant, il faut reconnaître qu’avant même ce mouvement de la Négritude, des noirs américains, comme William Eluard Dubois, luttaient déjà contre l’oppression de la peau noire en Amérique. Il s’agissait de la « renaissance nègre de Harlem des années 20 ». Celle-ci consistait à effacer la fausse conception que l’Européen avait de l’homme noir, c’est-à-dire que ce dernier était un « sous-homme (…) un homme- enfant, inconscient et taré, dont les facultés tant intellectuelles que morales ne sont pas développées et ne peuvent se développer. Et l’image s’est imposée à l’esprit du Nègre lui-même » .

Nous pouvons dire par là que la Négritude en tant que révolte contre le racisme s’est inspirée de ce mouvement. C’est pour cela que « le mouvement de la Négritude, dés son origine, avait pour mission de redonner à l’homme noir la totale dimension de sa personnalité et de sa dignité : sa condition d’authenticité, la prise de conscience face à son histoire, sa culture » . C’est dans cette mouvance que Senghor va affirmer : «Au sens général du mot, le mouvement de la Négritude- en tant que découverte des valeurs noires et la prise de conscience pour le Nègre de sa situation- est né aux États-Unis d’Amérique » .

Outre cela, force est de constater qu’en France c’est Césaire qui employa pour la première fois le mot négritude : « Commençons par rendre à Césaire ce qui est à Césaire. Car c’est le poète et dramaturge martiniquais qui a forgé le mot dans les années 1930 » . Si les Européens emploient le mot nègre pour minimiser l’homme noir, Césaire lui, l’utilise avec fierté, pour montrer la valeur de la race noire. La Négritude pour Césaire « est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de noir, de notre histoire et de notre culture ».

Aussi, par la colonisation, l’Afrique a perdu son identité culturelle, ses valeurs. C’est dans ce sens que Senghor cherche à réhabiliter la culture africaine. Il montre que le Négroafricain a toujours eu sa propre civilisation, une culture qui lui est spécifique. Il le confirme en ces termes : « les Négro-africains, comme toutes les autres ethnies de la terre, ont un ensemble spécifique de qualités, dont l’esprit-culture, dans une situation donnée, a produit une civilisation originale, unique, irremplaçable » . Ainsi, Senghor, pour mieux définir ce qu’est la Négritude, se fonde sur la culture africaine, plus précisément il prend fond sur l’art africain traditionnel. Ce qui signifie qu’en plus d’être une lutte pour la revendication de la culture africaine, elle est illustration des valeurs de la civilisation Nègre. C’est ce qui nous amène à considérer que la Négritude a une double signification : objective et subjective. Objective c’est-à-dire qu’elle met en exergue la civilisation africaine : « la négritude c’était traditionnellement, pour les savants, pour les ethnologues, ce que (…) Leo Frobenius appelait la « civilisation africaine » . C’est l’ensemble des valeurs culturelles du monde noir. La deuxième signification, subjective, est le mouvement fondé dans les années trente par les noirs révolutionnaires comme Senghor, Césaire, Damas. Elle est projet et action : projet dans la mesure où elle se base sur la négritude objective, donc traditionnelle pour participer à la civilisation de l’Universel, « la négritude est une volonté d’être soi-même pour s’épanouir » affirme Senghor. Elle est action, car elle se fonde sur la littérature et l’art pour concrétiser cette participation à la civilisation de l’Universel.

La Négritude pour Senghor est une idéologie qui consiste à libérer l’homme noir de la domination coloniale : « le nègre refuse désormais la servitude et rejette les préjugés qui pèsent sur sa race. Une conscience naît face à l’injustice, s’exprime face à l’aliénation » . Elle cherche également à promouvoir la culture africaine pour qu’elle puisse apporter sa participation à la civilisation planétaire. En plus, Il faut que le Nègre ait une place dans le monde entier et que sa culture soit reconnue comme en témoignent ces propos de Senghor : « devant les préjugés des uns, les lâchetés des autres, les railleries il fallait frapper fort pour admettre notre culture au banquet de l’Universel » .

Cela signifie qu’en parlant de Négritude, il ne s’agit pas tout simplement d’enracinement culturel, mais aussi d’ouverture en vers les autres cultures : « la véritable culture est enracinement et déracinement. Enracinement au plus profond de la terre natale : dans son héritage spirituel. Mais déracinement : ouverture à la pluie et au soleil, aux apports fécondants des civilisations étrangères » . La Négritude est un combat pour redonner à la culture africaine sa propre valeur, elle est aussi une civilisation de l’Universel. Il ne s’agit pas d’exclure les autres civilisations, mais de s’ouvrir à elles, pour que chaque peuple apporte une pierre à l’édifice mondiale. Il s’agit, comme le dit Ibrahima Diagne, « d’interculturalité » qui se définit « comme une dynamique relationnelle et communicationnelle entre le Soi et l’Autre et qui permet à des entités ou à des sujets de cultures différentes de négocier des transferts, de se constituer par les contacts, les échanges, les emprunts réciproques et multiformes » . La Négritude est donc ouverture au monde « elle est essentiellement relation avec et mouvement vers le monde, contact et participation avec les autres » . C’est pour cela qu’il faut préciser que la négritude a d’abord été un mouvement de lutte contre le racisme pour ensuite devenir un concept. Cela voudrait dire qu’en plus d’avoir été un mouvement, Senghor précise que cette lutte est dépassée dans la mesure où la Négritude va revêtir un sens nouveau. Elle devient ouverture et relation avec le monde.

De Poto-poto à l’École de Dakar

L’École de Poto-poto a été créée par Pierre Lods à Brazzaville. Son « origine remonte au moment où ce dernier surprend son jeune domestique Ossali à peindre avec du matériel, quelques tubes de peinture et de pinceaux, qu’il avait dérobés à son patron. (…). C’est à partir de cet incident que Lods fonde l’École de Poto-poto, en 1951 » . Et les élèves de cette école ne suivaient aucune règle dans leur création.

Lods « applique la méthode pédagogique du laisser-faire » , car pour lui, le Nègre est un génie créateur, il a déjà un don naturel en lui. C’est ainsi qu’il affirme : « Grâce à ce prodigieux et incroyable rassemblement de talents spontanés, je pus faire un choix précis et ne conserver que les peintres qui montrèrent, tout à coup, toutes les qualités naturelles de dessin, de composition, d’harmonie et d’imagination, ce qui me permit de n’intervenir que pour (…) leur distribuer le matériel et leur donner des indications indispensables sur l’emploi des couleurs, des pinceaux et l’utilisation du support, papier ou toile » .

Et ces idées de Lods renvoyaient à la conception senghorienne selon laquelle le Noir est déterminé par l’ « émotivité, sensibilité, instinctivité, et spontanéité, etc. » . C’est pourquoi Senghor fit appel à ce dernier pour qu’il puisse assister Papa Ibra Tall à la section « recherches plastiques nègres » de l’École des Arts de Dakar en « 1961 ». D’ailleurs, Papa Ibra Tall et Iba Ndiaye étaient les maîtres de l’École des Arts. Mais, leur type d’enseignement n’était pas à la portée de Senghor. C’est comme en attestent ces propos d’Abdou Sylla : « (…) malgré quelques innovations, ces deux peintres ne pouvaient, en raison de la formation reçue en Occident, que transposer au pays le type d’enseignement en vigueur en Occident » . C’est ce qui justifie la présence de Lods à l’École des Arts de Dakar. Car, comme nous l’avons tantôt dit, ce dernier a intégré cette école sous l’égide de Senghor. Il avait les mêmes conceptions que ce dernier sur l’art africain.

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Table des matières

Introduction
Première Partie: L’apparition des arts contemporains au Sénégal
Deuxième Partie : L’Esthétique de la Négritude
Troisième partie : Le mécénat de Senghor
Conclusion
Bibliographie

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