La question de la violence dans la pensée de Thomas Hobbes

Raison et passion

   La réponse à la question « qu’est-ce que l’homme » a été très différente d’un penseur à un autre, d’un domaine à un autre etc. À cette problématique, contrairement à d’autres penseurs tels que les philosophes rationalistes (Descartes, Kant, Hegel, etc.) qui considèrent l’homme comme un être fondamentalement raisonnable, Thomas Hobbes définit l’homme naturel comme un être de passions. Pour lui, l’homme, avant d’être raisonnable, est d’abord passionnel. C’est dans ce sens que Gérard Mairet soutient dans son Introduction au Léviathan que « Les humains ne sont pas éclairés d’emblée par la révélation ou par la raison, au contraire, ils sont mus par leurs affects et par leurs passions. »Ainsi, les passions sont antérieures à la raison. De même, David Hume, l’un des précurseurs de l’empirisme s’inscrivant dans la même perspective que Hobbes, soutient que le rôle de la raison dans les comportements humains n’est que secondaire et qu’il se limite à des tâches bien déterminées ; en tout cas, c’est que nous laisse croire John Rawls dans Leçons sur l’histoire de la philosophie morale lorsqu’il avance : « Sa démarche (Hume) consiste à montrer que la raison à elle seule est incapable de motiver notre conduite et qu’elle ne joue qu’un role secondaire qui se limite à corriger les fausses croyances et à identifier les moyens efficaces en vue d’accomplir des fins données.»  Donc, Contrairement à l’idée la plus répandue surtout avec l’apport des philosophes rationalistes (Descartes, Kant, Hegel) selon laquelle que l’homme est un être doué de raison, l’auteur du Léviathan et en général les philosophes matérialistes refusent de définir l’homme par sa raison mais plutôt, pour eux, l’homme doit être défini par ses passions puisque « En effet, n’éprouver aucun désir, c’est être mort, de sorte que n’avoir que de faibles passions est de la lenteur d’esprit […].» Toutefois, chez Hobbes, définir l’homme par ses passions ne veut pas dire qu’il est dépourvu de raison ; en termes plus clairs, de nier l’existence de la raison chez celui-ci. D’ailleurs, soutenir une telle position chez Hobbes, c’est méprendre la pensée de ce dernier. Car, pour l’auteur du Léviathan, dès l’état purement naturel, l’homme dispose de la faculté de raisonner et de parler. D’ailleurs, pour lui, la violence de l’état de nature ne relève pas d’une pure irrationalité. Cette dernière peut être originaire à la fois des passions et de la raison car comme le constate Dockès, « Pour arriver à la tragédie de l’état de nature, il faut un être capable de raison et capable de se laisser emporter par ses passions, et le flou sur ces deux états.» Pour Hobbes, la démarche à suivre n’est pas celle qui consiste à mettre face à face la raison et la passion afin d’établir leur opposition. De son point de vue, une telle démarche n’est pas la plus pertinente. En fait, la vraie démarche consiste à étudier de façon parallèle la raison et la passion afin de déterminer leurs vrais rapports. Pour mieux faire voir, le rapport qu’entretiennent les passions et la raison, il est important de mettre en évidence ce que Hobbes entend par la raison. Selon Hobbes, la raison n’est que calcul. Ce calcul porte sur les conséquences qui peuvent découler de nos actions. Il s’agit toujours de peser le bien et le mal, l’utile et le nuisible qui peuvent résulter de nos comportements. Or, les objets sur lesquels porte l’opération de la raison ne sont déterminés que par les passions, le désir que l’on éprouve envers tel ou tel objet. Notre jugement d’un objet ou d’une action est toujours déterminé par le désir que l’on éprouve envers cet objet ou cette action. Par conséquent, les passions sont antérieures à la raison ou du moins la raison est un produit des passions. D’ailleurs, Hobbes conclut que : En partant de tout cela, nous pouvons définir […] ce qui est signifié par ce mot de raison quand nous mettons celle-ci au nombre des facultés de l’esprit. Car la raison, en ce sens, n’est rien d’autre que le calcul […] des conséquences des noms généraux acceptés pour consigner et signifier nos pensées. Toute action guidée par la raison demande du temps ; autrement dit, tout comportement humain qui se veut parfaitement raisonnable ne peut s’effectuer dans l’immédiateté. Car, il s’agit de procéder d’abord par une analyse rationnelle des conséquences de chacun de nos comportements afin de saisir de façon très claire le mobile et la fin de notre comportement. Paradoxalement, une telle vérité semble insaisissable par l’être humain et une telle méthode nous mènerait à une analyse sans fin de causes infinies. Dès lors, vouloir agir de façon parfaitement rationnelle et raisonnable conduirait à l’inaction. Si nous prenons l’homme tel qu’il est et non pas tel qu’il devrait être, il est d’une parfaite évidence que les hommes sont obligés, le plus souvent, d’agir dans l’immédiat ; autrement dit, sans faire appel à la raison. Dès lors, le mobile de leurs actions ou comportements dans de telles situations ne peut être autre chose que leurs passions. Bref, la conception hobbesienne de l’homme naturel comme être passionnel peut se justifier sur le fait que nos comportements sont le plus souvent guidés par nos passions. Pour Hobbes, les passions sont les fondements de la raison qui n’est rien d’autre qu’un calcul d’intérêts déterminés par les passions. Mais si la raison provient des passions, quelle est l’origine de ces dernières ? S’agissant de l’origine des passions, Hobbes soutient que ces dernières découlent de la sensation et que cette dernière, à son tour, est un produit du corps. La sensation, quant à elle, est un mouvement des organes internes du corps au contact des objets qui leurs sont extérieurs. Mais aussi certaines actions telles que parler, marcher et les mouvements volontaires sont du même ordre et que, ces dernières procèdent toujours d’un motif et ont une finalité qu’ils soient réels ou imaginaires. D’ailleurs, pour Hobbes, l’imagination est la première source des mouvements volontaires. En vérité, la définition hobbesienne de l’homme comme être passionnel peut se justifier par la prédominance des passions sur la raison. Cette thèse hobbesienne de la prédominance des passions dans les comportements des hommes trouve son fondement, d’une part, sur la définition hobbesienne de la raison et de la passion ; et d’une autre, sur l’origine passionnelle de la raison et son impuissance face aux passions. Mais définir l’homme par ses passions et non par raison est-il suffisant pour le concevoir comme un être mauvais par nature ? Les passions sont-elles nécessairement négatives ?

Droit de nature et égalité naturelle : L’homme-loup

   L’état de nature est caractérisé par une égalité et une liberté naturelle de tous les hommes. C’est un état où les hommes sont tous égaux et ont le droit de faire tout ce qu’ils veulent sans aucune contrainte. À cet état, chacun cherchant à satisfaire ses besoins personnels, tous les moyens deviennent légitime pour atteindre son but parce que n’ayant soumis à aucune contrainte ni à aucune loi. C’est comme si à cet état, l’homme n’a que de droit sans devoir, sans obligation puisque même s’il existe des lois naturelles, elles sont silencieuses car il n’y a aucune puissance qui a la charge de veiller à leur application. De ce fait, à cet état, les actes des hommes ne reposent que sur leurs droits naturels. Or, par droit de nature, Hobbes entend : […] la liberté que chacun a d’user de sa propre puissance, comme le veut luimême pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa propre vie et, par conséquent, de faire, selon son jugement et sa raison propre, tout ce qu’il concevra être le meilleur moyen adapté à cette fin. S’il en est ainsi, force est de reconnaître que le droit de nature constitue même un véritable danger pour la préservation du genre humain car chacun ayant droit sur toute chose y compris sur le corps des autres humains et en toute liberté. Ce qui fait que les hommes mis ensemble ne peuvent s’empêcher de se détruire mutuellement. Et aussi dans cette situation, il n’existe aucune possibilité de justice collective mais plutôt chacun est son propre juge ; ce qui revient à dire qu’il n’y existe pas de justice car là où il n’y a pas de loi, il ne peut y avoir de justice. Or, l’existence d’une loi suppose l’institution d’une puissance commune capable de la faire respecter. De ce fait, là où il n’y a aucune puissance commune, il ne peut y avoir de justice collective et que donc, à cet état chacun est son propre juge. L’état de nature est un état hostile à toute possibilité d’épanouissement de l’homme. C’est pourquoi Hobbes le conçoit comme « un état de guerre de tous contre tous ». Quant à ce qui concerne l’égalité naturelle des hommes, Hobbes part de son anthropologie pessimiste pour fonder cette égalité dans leur nature violente. En d’autres termes, l’égalité naturelle se fonde sur la volonté et la capacité des hommes à s’entre-nuire. À l’état de nature, les hommes ont les mêmes capacités à commettre le meurtre car l’homme possède par essence la volonté de faire du mal ou tuer son semblable. Et, cette volonté humaine de nuire son prochain est en tous les hommes. Hobbes entend par volonté, un désir et un appétit qui poussent les hommes à faire du mal ou tuer son prochain. Par conséquent, de cette égalité naturelle naît une crainte mutuelle entre les hommes. C’est en ce sens que Hobbes écrit : « La cause de la crainte mutuelle dépend en partie de l’égalité naturelle de tous les hommes, en partie de la réciproque volonté qu’ils ont de nuire. Ce qui fait que ni nous pouvons attendre des autres, ni nous procurer à nous-mêmes quelque sûreté ». L’égalité naturelle entre les hommes peut se manifester à travers les facultés de l’esprit et également à travers les capacités physiques. Pour Hobbes, l’égalité est plus manifeste quant aux facultés de l’esprit qu’aux capacités physiques. C’est en ce sens, qu’il avance dès le début du chapitre XIII de son Léviathan : La nature a fait les humains si égaux quant aux facultés du corps et de l’esprit que, si bien qu’il soit parfois possible d’en trouver un dont il est manifeste qu’il a plus de force dans le corps ou de rapidité d’esprit qu’un autre, il n’en reste pas moins que tout bien pesé, la différence entre les deux n’est pas à ce point considérable que l’un d’eux puisse s’en prévaloir et obtenir un profit quelconque pour lui-même auquel l’autre ne pourrait prétendre aussi bien que lui : En effet, en ce qui concerne la force du corps, le plus faible a assez de force pour tuer le plus fort, soit par une manœuvre secrète, soit en s’alliant à d’autres qui sont avec lui confronté au même danger. Pourtant, Hobbes qui soutient que l’état de nature est un état solitaire, semble exprimer l’idée de possibilité de rassemblement ou d’associations entre les hommes à cet état. Car, il note qu’à cet état, l’homme peut chercher de secours chez les  autres en associant avec eux pour combattre un ennemi commun. À première vue, une telle position semble être une contradiction dans le raisonnement de Hobbes. Pour résoudre une telle difficulté, il s’agit de comprendre que les rassemblements des humains à cet état ne sont pas une fin en soi ; mais plutôt, un moyen pour se défendre. Ce n’est pas, par nature, que les hommes s’associent à cet état mais justement par souci de sécurité et de plus, toute association entre eux se voit vite détruite par les rapports de méfiance et de défiance mutuelles qu’entretiennent les associés. En fait, cette forme d’association a une durée très limitée car dans un tel état de guerre de chacun contre chacun qui repose sur une crainte mutuelle aucune alliance ne peut durer. En d’autres termes, il faut noter que les rassemblements des hommes à l’état de nature sont des alliances provisoires car ne se fondant pas sur des relations pacifiques et sur une confiance mutuelle entre les associés mais plutôt leurs rapports sont des rapports de méfiance et de défiance mutuelles.

La recherche de la paix : les lois de nature

   Pour Hobbes, c’est la raison qui montre la procédure à suivre pour parvenir à un consentement mutuel sur les principes qui doivent définir les rapports entre les hommes pour leur propre préservation. En effet, c’est par les lois de nature que les hommes parviennent à trouver un accord sur les principes qui doivent régir leurs rapports individuels. Hobbes entend par loi de nature : Une LOI DE NATURE (lex naturalis) est un précepte, ou une règle générale trouvée par la raison selon laquelle chacun a l’interdiction de faire ce qui détruit sa vie, ou qui le prive des moyens de la préserver, et de négliger de faire ce par quoi il pense qu’elle serait mieux préservée. Il ressort de ce propos que la loi naturelle permet le vivre ensemble en obligeant les humains à renoncer à tout ce qui détruirait leur vie. À première vue, cette définition de la loi de nature est proche du droit naturel à la préservation de sa vie par tous les moyens. Mais, en suivant de près la démarche de Hobbes, le constat qui s’impose est que l’auteur du Léviathan définit la loi de nature par opposition au droit de nature : si le droit de nature autorise à tout faire et comme on veut, la loi de nature contraint les humains à ne faire que ce qui est nécessaire pour une vie stable. C’est en ce qu’il affirme : En effet, et bien que ceux qui écrivent sur ce sujet aient l’habitude de confondre jus et lex ( droit et loi), il est néanmoins nécessaire de les distinguer, parce que le Droit consiste en la liberté de faire ou de ne pas faire, alors que la loi détermine et contraint dans un sens ou dans l’autre, en sorte que la loi et le droit diffèrent autant que l’obligation et la liberté se contredisent s’ils sont appliqués à un même objet. Paradoxalement, à l’état de nature, leur confrontation est inévitable. Ainsi, Hobbes identifie un certain nombre de lois qui mènent vers la sortie de l’état de nature. La première loi de nature nous enseigne à « Chercher la paix et la maintenir. » Du coup, cette loi devient fondamentale pour l’institution et la validité du contrat social. Elle s’impose à tous les hommes sans quoi aucune convention entre eux ne serait possible. Si les hommes sont contraints de chercher la paix par tous les moyens, pour sortir de l’état de nature et se préserver de la violence des autres, la seule voie qui s’impose est de trouver un accord mutuel et universel avec tous. Pour ce faire, un certain nombre de condition s’impose : d’abord le droit naturel de chacun à toute chose et sur tous doit être limité aux seules choses dont il est le propriétaire. Il est nécessaire d’établir une loi qui définit le droit de propriété qui limite le droit naturel à toute chose et sur tous. Ce droit de propriété s’oppose au droit naturel dans la mesure où ce qui appartient à tous n’appartient finalement à personne. Ensuite, pour se dessaisir du droit naturel à toute chose, chacun doit avoir une parfaite assurance que les autres ont consentis à faire de même. Le dessaisissement de ce droit doit être mutuel sinon aucun homme n’est tenu de se conformer aux engagements pris. La deuxième loi de nature nous recommande à « nous défendre nous- même par tous les moyens possibles». Par conséquent, la convention n’entraîne pas l’abandon du droit naturel à la préservation de sa vie car, comme le soutient Hobbes, c’est un droit inaliénable. Ainsi, la finalité des humains est d’intégrer la société car, c’est le seul moyen pour eux de se préserver de leur violence mutuelle. La troisième loi de nature recommande à ce que les conventions signées par le consentement de tous soient respectées par tous les hommes. Autrement dit, le respect de ces lois doit être mutuel. Pour Hobbes, ce n’est pas par obligation morale que l’on doit respecter les conventions établies par notre propre consentement mais plutôt pour notre propre préservation en évitant tout risque de retomber dans la misérable condition naturelle. En fait, les conditions de possibilité de ce contrat peuvent se résumer tout simplement à l’application de ces lois de nature qui ne sont rien d’autre que les commandements de la raison calculatrice.

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Table des matières

INTRODUCTION GÉNÉRALE
PREMIÈRE PARTIE : DE LA THÉORIE DES PASSIONS AU CONTRAT SOCIAL : LA VIOLENCE NATURELLE EN QUESTION
CHAPITRE I : L’HOMME NATUREL, UN ÊTRE PASSIONNEL
1.1°) Raison et passion
1.2°) Les differents types de passions : caracteristiques et roles
CHAPITRE II: L’ÉTAT DE NATURE : L’HOMME-LOUP
2.1°) L’etat de nature : une fiction methodologique
2.2°) Droit de nature et egalite naturelle : l’homme-loup
CHAPITRE III : DE LA NÉCESSITÉ DU CONTRAT SOCIAL
3.1°) La recherche de la paix : les lois de nature
3.2) Vers une pacification des rapports interindividuels: le contrat social
DEUXIÈME PARTIE : DE L’INSTITUTIONNALISATION DE LA VIOLENCE DANS LA PENSÉE POLITIQUE DE HOBBES
CHAPITRE I : LE LÉVIATHAN ET L’USAGE DE LA VIOLENCE
1.1°) La violence d’état : une violence regulatrice
1.2°) La monarchie absolue, le meilleur regime politique
CHAPITRE II: L’ÉTAT ABSOLU FACE AUX LIBERTÉS INDIVIDUELLES
2.1°) L’inalienabilite de la liberte naturelle
2.2°) De la compatibilite entre état absolu et liberte civile
CHAPITRE III : DE L’IMPOSSIBLE CONSTRUCTION D’UNE STABILITÉ ET D’UNE PAIX DURABLES
3.1°) Le leviathan, un dieu mortel
3.2°) La nature anarchique des rapports interetatiques
TROISIÈME PARTIE : QUELQUES LIMITES DE LA CONCEPTION HOBBESIENNE DE LA VIOLENCE : ENTRE REJET ET RADICALISATION
CHAPITRE I : DE L’ÉTAT DE PAIX À L’ÉTAT DE VIOLENCE
1.1°) La critique lockeenne
1.2°) La critique rousseauiste
CHAPITRE II : LES PARADOXES DE LA LÉGITIMITÉ DE LA VIOLENCE POLITIQUE
2.1°) L’inevitable inconvenient du regime monarchique : le probleme de la succession
2.2°) De l’incompatibilite entre la monarchie absolue et les libertes individuelles
CHAPITRE III : VERS UNE RADICALISATION DE LA PENSÉE POLITIQUE DE HOBBES
3.1°) La garantie de l’obeissance civile : loi ethique et loi juridique
3.2°) Le projet de paix perpetuelle et l’idee d’une societe des nations
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE

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