LE SERVICE D’HÉPATOLOGIE ET DE TRANSPLANTATION HÉPATIQUE PÉDIATRIQUE
LE FONCTIONNEMENT GÉNÉRAL
Le service d’hépatologie pédiatrique se trouve au sein du pôle pédiatrique d’un centre hospitalier universitaire. Ce service de médecine permet de poser le diagnostic et de prendre en charge le traitement de différentes maladies du foie de l’enfant. Il a pour particularité d’être un centre de transplantation hépatique. Les enfants peuvent être hospitalisés dans le service pour des durées variables. Leur venue peut être programmée, ou non, en fonction de l’évolution de la maladie. La plupart des patients n’habitant pas à proximité, l’hôpital propose des solutions d’hébergement pour les parents qui peuvent ainsi rester à proximité de leur enfant pendant la durée de l’hospitalisation.
L’ATRÉSIE DES VOIES BILIAIRES (AVB)
Une des principales pathologies prise en charge par le service est l’Atrésie des Voies Biliaires (AVB). De ce fait, je fais le choix de la décrire initialement puisqu’elle concernera les situations qui m’ont amenée à me questionner sur l’éthique et la psychomotricité. Les enfants atteints d’AVB présentent depuis la naissance un ictère persistant et une hépatomégalie , associés à une décoloration des selles. Face à ce tableau caractéristique d’une cholestase néonatale , ils sont adressés à l’âge de quelques mois dans le service pour que soit posé un diagnostic. D’après BERNARD O. (1994, pp. 65-72), l’Atrésie des Voies Biliaires est la plus fréquente des causes de cholestase chez le nouveau-né ; elle concerne la moitié des cas. Elle est caractérisée par une oblitération des voies biliaires d’origine inconnue, survenant en période périnatale. L’hépatomégalie importante et ferme associée à une décoloration complète et permanente des selles constituent des éléments cliniques du diagnostic qui ne pourra être confirmé que lors d’une exploration chirurgicale. En première intention de rétablissement du flux biliaire, l’intervention correctrice, dite « de Kasaï», doit être effectuée le plus tôt possible. Les chances de réussite de cette intervention sont incertaines. En cas de réussite, un suivi médical régulier reste nécessaire. Il arrive qu’une intervention de Kasaï ne soit pas réalisable ou bien qu’elle ne suffise plus plusieurs années après. En cas d’échec du rétablissement du flux biliaire, une transplantation hépatique est forcément nécessaire pour empêcher la destruction du tissu hépatique. Cette destruction provoque effectivement une insuffisance hépatocellulaire chronique qui serait à terme responsable du décès de l’enfant.
LE PARCOURS DE GREFFE
L’AVB est la principale cause de transplantation hépatique chez l’enfant, elle représente 48 % des cas (BERNARD O., 1994, p. 199). La transplantation n’est pas systématiquement envisageable. Dans l’attente de la greffe, la période est pleine d’incertitudes. Le foie peut décompenser, provoquant alors la décompensation des autres organes vitaux, pouvant entraîner le décès de l’enfant. Durant cette période d’attente, il y a une sorte d’ambiguïté entre le besoin évident de soins de confort sans pour autant pouvoir parler de soins palliatifs. Les soins curatifs mis en place permettent à l’enfant de se battre jusqu’à l’éventuelle décision de greffe.
LE BILAN PRÉ-GREFFE
Le bilan pré-greffe est constitué de nombreux examens et consultations, nécessaires pour évaluer les bénéfices et les risques avant que le patient ne soit inscrit sur liste d’attente de greffon. Lors du bilan, il s’agit d’éliminer les contre-indications opératoires mais aussi les contre-indications à la prise au long cours du traitement immunosuppresseur. Parmi les contre-indications formelles figure notamment le retard de développement psychomoteur sévère (Ibid, p. 203), d’où l’importance que revêt le bilan psychomoteur à cette étape du suivi d’un enfant.
L’ATTENTE DE LA GREFFE
À l’issue du bilan pré-greffe, si l’enfant est déclaré éligible à la transplantation hépatique, il est inscrit sur liste d’attente nationale d’attente de greffe. Cette liste est gérée par l’Agence de la Biomédecine, chargée de l’attribution des organes en garantissant le respect des critères médicaux et des principes de justice conformes aux lois bioéthiques. En fonction de son état médical, l’enfant peut être déclaré prioritaire. Il alors est déclaré en « Super Urgence » et reste, le plus souvent, hospitalisé dans le service et peut être envoyé à tout moment au bloc opératoire si un greffon lui est attribué.
L’INTERVENTION CHIRURGICALE ET LE SUIVI POST-GREFFE
Le greffon utilisé lors de la transplantation répond à des critères médicaux d’éligibilité précis en fonction du groupe sanguin, de la sérologie et du bilan hépatique. Il peut provenir d’un donneur décédé ou d’un donneur vivant intrafamilial.
À la sortie du bloc opératoire, l’enfant est transféré en service de réanimation pédiatrique pour bénéficier d’une surveillance médicale rapprochée. Il passe ensuite en service de chirurgie et enfin en service d’hépatologie. Ce temps est nécessaire pour vérifier la réussite de la greffe et pour que l’enfant récupère des suites de l’opération.
L’ACCOMPAGNEMENT PSYCHOMOTEUR EN SERVICE D’HÉPATOLOGIE
Deux psychomotriciennes interviennent sur le pôle pédiatrique de l’hôpital. Elles sont rattachées au service de rééducation pédiatrique de l’hôpital et ne dépendent pas directement du service d’hépatologie. Leur temps est donc divisé entre plusieurs services. En hépatologie, la psychomotricité est présente depuis la fin des années 1980. Comme il comprend un centre de référence de maladies rares, le service bénéficie aujourd’hui de 70 % de temps de psychomotricité. L’indication de suivi en psychomotricité est faite à la demande de l’équipe médicale pour une raison initiale qui sera affinée grâce aux conclusions du bilan psychomoteur et qui est amenée à évoluer compte tenu de la progression de la pathologie somatique grave.
L’INDICATION DE SUIVI EN PSYCHOMOTRICITÉ
Le suivi en psychomotricité se fait à la demande des médecins qui adressent les enfants pour différentes raisons. L’hospitalisation prolongée chez le très jeune enfant est à risque pour le développement psychomoteur et demande une vigilance particulière. Un bilan psychomoteur est réalisé systématiquement à leur arrivée. La psychomotricienne les rencontre toujours pour les évaluer et proposer en fonction une installation adaptée, de la guidance parentale et/ou des séances d’éveil sensorimoteur. L’indication de suivi en psychomotricité est également systématique pour les enfants en parcours de greffe. Dès le bilan pré-greffe, la rencontre avec l’enfant et sa famille permet de leur présenter la psychomotricité afin de préparer le suivi post-greffe. Il s’agit aussi d’évaluer toutes les acquisitions déjà en place avant la transplantation et les centres d’intérêt de l’enfant. Le suivi se met en place, après l’opération, dès le service de réanimation pour un accompagnement des répercussions psychocorporelles de la douleur et étayer le réinvestissement psychocorporel. Le suivi permet aussi la prévention des troubles de l’oralité et d’effectuer de la guidance parentale. Une demande ponctuelle peut émaner de l’équipe soignante ou des parents pour réaliser uniquement un bilan psychomoteur, pour accompagner une anxiété majeure liée à l’hospitalisation ou pour accompagner un soin douloureux. Les demandes de suivi en psychomotricité sont régulièrement rediscutées en staff médical et sont amenées à évoluer tout au long du parcours de l’enfant. La demande médicale initiale couplée aux données du bilan psychomoteur vont permettre de définir les intentions thérapeutiques globales pour chaque patient.
LE BILAN PSYCHOMOTEUR
Quelle que soit l’indication du suivi, celui-ci débute par un bilan psychomoteur, prérequis indispensable au suivi en psychomotricité. Conformément au décret de compétences , il est soumis à prescription médicale. Selon le modèle conceptuel de chaque professionnel, il peut varier dans la forme mais de façon globale il « a pour objectif de faire état du niveau de développement et de la qualité de la mise en œuvre des fonctions psychomotrices d’un sujet. Il se définit comme un examen, c’est-à-dire une observation minutieuse permettant de déterminer un diagnostic, et est composé de différentes épreuves. » (RAYNAL N., 2018, p.1) Ces épreuves sont les tentatives de réalisation de tâche grâce auxquelles pourra s’exprimer le fonctionnement psychomoteur du sujet. Cependant une telle évaluation reste empreinte de la subjectivité d’interprétation de l’évaluateur qui dépendra de son expérience et de son bagage théorique. Elle ne suffit pas et doit donc être assortie de mesures (ALBARET J-M., 2003, p. 67), permises par la cotation de tests standardisés. ZAZZO définit le test standardisé comme « une épreuve strictement définie, dans ses conditions d’application et dans son mode de notation, qui permet de situer un sujet par rapport à une population elle-même bien définie ». Ainsi, l’utilisation de tests standardisés répond à l’exigence d’objectivité dans le bilan psychomoteur. Dans le service, deux tests sont principalement utilisés : l’évaluation neuropsychomotrice et l’échelle de développement de BRUNET-LÉZINE.
L’ÉVALUATION NEUROPSYCHOMOTRICE AMIEL-TISON (1998)
La neuropédiatre AMIEL-TISON (1998) propose une évaluation neurologique de l’enfant applicable de la naissance à l’âge scolaire. Dans une approche préventive, cet outil évolutif permet d’explorer les fonctions neuromotrices, témoins de la maturation neurologique, pour repérer les écarts possibles tout au long du développement. Il permet alors de dissocier l’anomalie neurologique de sa conséquence fonctionnelle. Cet outil très complet est utilisé en psychomotricité. Il permet d’apprécier la spécificité dynamique du bébé en mettant en évidence ses dysfonctionnements, mais surtout en repérant ses compétences et en faisant émerger ses potentialités. Cette évaluation permet d’éclairer la dynamique de l’inter relation entre le bébé et ses partenaires, en tant que reflet du développement psycho-affectif.
L’évaluation se déroule en plusieurs temps :
• Observation spontanée : En décubitus dorsal, le psychomotricien note l’attitude globale, l’activité motrice spontanée, les mouvements anormaux ainsi que la qualité du cri et du sourire.
• Prise de contact et réactions à l’environnement : Il s’agit d’observer les réactions d’orientation visuelles et auditives et les capacités d’auto-organisation face aux stimuli proposés.
• Évaluation du tonus passif : L’examinateur recherche l’extensibilité musculaire des membres supérieurs, inférieurs et de l’axe corporel par mobilisation lente dans une situation la plus proche possible du tonus de repos.
• Examen dynamique : Pour évaluer le tonus actif, il s’agit de créer une situation qui provoque une réaction motrice de l’enfant pour observer son adaptation à différentes postures mettant en jeu les réponses de la pesanteur.
Dans le service d’hépatologie, la psychomotricienne utilise l’examen neuropsychomoteur auprès des plus jeunes patients afin de dépister les possibles atteintes neurologiques. Les médecins le demandent afin d’avoir un premier avis avant de solliciter l’avis d’un neuropédiatre extérieur.
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Table des matières
Introduction
Partie I. La psychomotricité au sein du service d’hépatologie pédiatrique
A. Le service d’hépatologie et de transplantation hépatique pédiatrique
1. Le fonctionnement général
2. L’Atrésie des Voies Biliaires (AVB)
3. Le parcours de greffe
3.1. Le bilan pré-greffe
3.2. L’attente de la greffe
3.3. L’intervention chirurgicale et le suivi post-greffe
B. L’accompagnement psychomoteur en service d’hépatologie
1. L’indication de suivi en psychomotricité
2. Le bilan psychomoteur
2.1. L’évaluation neuropsychomotrice Amiel-Tison (1998)
2.2. L’échelle de développement de la première enfance Brunet-Lézine Révisée (1951)
3. La psychomotricité dans un contexte hospitalier
C. Une situation à l’origine de mes questionnements sur l’éthique
1. L’histoire de Meryem
2. Les notions fondamentales d’éthique médicale
2.1. Morale ou éthique ?
2.2. Les dilemmes en éthique clinique
Partie II. Entre éthique et psychomotricité
A. La clinique psychomotrice sous l’influence des dilemmes éthiques
1. Un bilan psychomoteur avant inscription sur liste de greffe
2. Une séance d’éveil sensorimoteur
B. L’éthique
1. L’éthique clinique
2. Les soubassements de l’éthique
2.1. Les affects
2.2. L’altérité
3. L’ontologie de l’éthique selon Spinoza
2.1. Le corps et l’esprit
2.2. Le conatus ou la persévérance de l’être
C. Le savoir-être du psychomotricien apparaît au cœur des questions éthiques
Partie III. L’incidence des dilemmes éthiques sur le savoir-être en psychomotricité
A. Le contexte émotionnel
1. Une séance de toucher thérapeutique en réanimation
2. Les émotions du soignant auprès des cliniques des situations dites extrêmes
3. Les soins psychomoteurs dans ce contexte émotionnel
B. Psychomotricien, une posture empathique ?
1. Une séance d’apaisement psychocorporel en réanimation
2. De la posture au dialogue tonico-émotionnel comme outil thérapeutique
2.1. La posture
2.2. L’accordage tonique
2.3. Le dialogue tonico-émotionnel
3. De l’empathie en psychomotricité
3.1. L’empathie
3.2. Du dialogue tonico-émotionnel à l’empathie
3.3. De l’empathie dans le contre-transfert corporel
3.4. Posture d’empathie thérapeutique
Conclusion