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l’accompagnant « mercenaire »
C’est un accompagnant rémunéré et sollicité par des familles qui, pour diverses raisons (travail, obligations familiales, difficulté à gérer le malade), ne peuvent suivre leur malade lors de l’hospitalisation. Plusieurs caractéristiques distinguent le mercenaire des autres types d’accompagnant :
– il est rémunéré pour ses activités ;
– il peut suivre plusieurs malades en même temps, au quotidien ;
– habituellement son activité cesse à la fin de l’hospitalisation de ses patients, bien qu’il puisse ensuite être appelé à travailler avec un autre malade ;
– enfin, contrairement à l’accompagnant négocié, le mercenaire n’a aucun lien ni de parenté ni aucune relation antérieure avec le malade qu’il accompagne et sa famille.
Nous distinguons depuis les années 80 au sein de la catégorie de « mercenaires » deux sous-types :
– L’accompagnant «mercenaire» fixe bénéficie soit d’un contrat avec l’administration hospitalière (à Fann seulement) soit d’un autre signe de reconnaissance de son statut permanent (à Fann et à Thiaroye). Par exemple, il reste toujours à l’hôpital et dispose de son propre « quartier » dans une division. (31)
– Deuxième type d’accompagnant rémunéré, le mercenaire non-fixe, une catégorie moins nombreuse que celle des fixes. Il peut rentrer chez lui à la fin de l’admission et l’installation à l’hôpital d’un malade. Le personnel hospitalier et les autres mercenaires gardent son numéro de téléphone, ce qui lui permet d’être sollicité pour une nouvelle mission d’accompagnement à la demande des familles de malades. (31)
Les accompagnants « mercenaires » : contexte historique
L’institutionnalisation de l’accompagnement est venue en réponse à un besoin de relais entre la famille et l’équipe soignante pour la facilitation de la réinsertion familiale et sociale post-hospitalisation (32). Comme avantage supplémentaire, l’équipe soignante s’est trouvé un partenaire capable de participer à la satisfaction des besoins élémentaires du patient.
Du fait des restrictions budgétaires connues par le Sénégal entre 1980 et 2000, le système de santé s’est retrouvé avec un important déficit de personnel et de matériels hospitaliers. En même temps, les jeunes sénégalais ont de plus en plus du mal à trouver un emploi stable et bien rémunéré. Dans leur recherche d’emploi, beaucoup ont vu une opportunité à la clinique Moussa Diop: Un emploi d’accompagnateur « mercenaire » (31).
Ces accompagnants « mercenaires » négocient leur rémunération directement avec la famille du patient.
Le rôle de l’accompagnant « mercenaire »
Activité sécuritaire
L’activité sécuritaire – à savoir contrôler le malade, physiquement ou par des menaces et autres expressions verbales autoritaires, au nom de la protection de ce dernier ou des autres – prend une place importante parmi les tâches assignées au mercenaire. (31)
Activité médicale
Ces accompagnants « mercenaires » s’immiscent dans le champ thérapeutique appartenant aux aides-soignantes. Ils sont dans une participation assez invisible mais active aux soins. (31)
Activité de « care »
Cette activité ne relève pas de l’expertise médicale mais d’une prise en charge des besoins quotidiens du malade (31).
Activité de facilitation de la parole du malade
Le mercenaire participe à l’organisation du pénc, une réunion où la présence active du malade est privilégiée, au moins dans l’idéal. Il se charge d’annoncer le pénc et de rassembler les malades, à la demande de l’infirmier major et de l’assistante sociale qui organisent cette activité.
Lors de sa tenue, il peut organiser la prise de parole des malades participants voire l’ordre des thèmes abordés. Cette situation se traduit par le fait que les malades suivis par un mercenaire assistent très souvent au pénc par persuasion ou par contrainte et sont incités à prendre la parole alors que d’autres malades peuvent délibérément s’abstenir d’y assister ou de parler (31).
Activité de médiation et de relais
Les accompagnants professionnels peuvent aussi servir de médiateur entre les malades qu’ils ne suivent pas et leurs aidant- proches afin de mieux faciliter leur collaboration en cours d’hospitalisation. Ainsi, ils participent largement au soutien des patients hospitalisés. Ils se positionnent aussi comme des relais d’informations entre ces patients hospitalisés et les psychiatres.
De l’accompagnant mercenaire à l’accompagnant professionnel
La position et le statut des accompagnants « mercenaires » dans la hiérarchie hospitalière en tant que groupe professionnel bien identifié n’existent pas encore dans les structures hospitalières. Néanmoins, à l’hôpital Fann, les accompagnants « mercenaires » bénéficient depuis 2018 d’une reconnaissance administrative spécifique de cette structure qui s’est engagée à leur verser une motivation mensuelle.
Les accompagnants « mercenaires » sont-ils les témoins actuels d’un changement d’orientation thérapeutique de la clinique psychiatrique de Fann ?
Les familles qui ont eu la chance de trouver du travail, voire de prospérer, dans la nouvelle économie sénégalaise se trouvent dans l’incapacité de quitter cet emploi pour faire le travail de soin qui, selon la politique initiale de l’accompagnant, aurait été jadis attendue d’elles. Par contre, elles sont prêtes à engager un tiers pour les représenter à l’hôpital (33).
Dans le même temps, il existe un pool disponible de travailleurs au chômage ou sous-employés qui seraient désireux et capables d’accepter le travail d’accompagnant « mercenaire ». (33)
Gbikpi et Auguin (20) avaient mis en garde contre les dangers de rejet qui était accentué quand un accompagnant rémunéré était enrôlé à la place d’un membre de la famille « … la présence d’un accompagnant rémunéré était à la fois un symptôme et une affirmation des problèmes qui ont amené les patients à Fann en premier lieu. De son côté, Kilroy-Malrac (33) soutient que « reflétant un changement plus global, les médecins de la clinique actuelle sont beaucoup plus bio médicalement orientés et privilégient ainsi la médicalisation et la « pharmaceuticalisation » de la maladie mentale plutôt qu’une approche psycho-dynamique. »
Vu ainsi, l’« Ecole de Fann » semble tiraillée entre ce désir de préserver l’acquis de son passé glorieux et celui de s’adapter à la dure réalité de la crise économique au Sénégal (34).
La présence de l’accompagnant dit conventionnel à la clinique servait plus à maintenir les patients connectés à leurs familles qu’à alléger la charge de travail du personnel qualifié (dans un contexte de déficit de personnel). On assiste actuellement à un détournement de la politique initiale de l’assistance psychiatrique instaurée par Collomb qui consistait à compter de plus en plus sur les familles (33).
Des raisons objectives expliquent le désengagement noté chez les familles : crise économique, hausse du chômage, chronicité de la maladie mentale, augmentation des problèmes conjugaux et par conséquent de l’isolement des membres de la famille. Il s’y ajoute des changements de mode de vie qui participent à la fragilisation de la solidarité jadis vantée en Afrique. La montée de l’individualisme avec pour corollaire la nucléarisation de plus en plus prononcée de la famille en est une illustration.
Le rôle de soutien de la famille auprès du malade mental est de plus en plus reconnu dans les travaux scientifiques. Ceci entraine des sollicitations de plus en plus fréquentes des familles en milieu hospitalier. Forcées de compenser les insuffisances du système, elles doivent jouer le rôle de milieu thérapeutique, tout en recevant peu de soutien de la part des services hospitaliers et de l’Etat. Pour pallier le problème de la non disponibilité des familles, le défi à relever au niveau hospitalier consistera à trouver un équilibre leur permettant d’être présentes à l’hôpital à temps partiel tout en élaborant des modèles alternatifs pour leur implication dans les soins.
Les critères de non inclusion
Accompagnant « mercenaire » n’étant pas disponible pendant la période d’étude.
Méthode
Recueil des données
Les données ont été recueillies à partir d’entretiens semi directifs menés avec les accompagnants « mercenaires ». Un guide d’entretien a été élaboré par nos soins et figure en annexe 2.
Les AM ont d’abord été contacté (es) par appel téléphonique au cours duquel un rendez-vous a été fixé. Les entretiens ont été menés par une enquêtrice unique. Ils ont eu lieu dans un des bureaux de la CEP de Fann et étaient prévus pour une durée d’une heure. Ils se sont déroulés en français et /ou en wolof (langue la plus couramment parlée au Sénégal et maitrisée par tous les accompagnants « mercenaires »).Tous les entretiens ont été enregistrés par un dictaphone après avis favorable des interviewés.
Une brève présentation avait été préparée en guise d’introduction avant le démarrage des entretiens (voir annexe 1). Le ton, les attitudes de l’interviewé(e), les silences, les hésitations, les rires, les interruptions d’enregistrements ont été signalés. Lorsque les réponses de notre interlocuteur nous paraissaient imprécises, nous nous servions de techniques de relance et de reformulation afin de l’encourager à étayer ses réponses : « C’est-à-dire ?», « Vous m’avez dit que… », « Autrement dit, si je comprends bien… ». A la fin de chaque entretien, nous avons remercié l’accompagnant pour sa participation.
Analyse des données
Une fois chaque entretien réalisé et enregistré, un travail de transcription nous a permis de passer du témoignage disponible en audio à son inscription sous une forme écrite (voir annexe 4).
Les données recueillies ont fait l’objet :
1. d’une analyse individuelle de l’entretien de chaque AM (nommés par des lettres de l’alphabet allant de A à F) ;
2. d’une analyse thématique dont les résultats seront rapportés sous forme de résumés des entretiens selon trois axes: identité des AM, le métier d’AM, perspectives d’avenir. Pour chaque résultat, nous avons cité un verbatim illustratif. Les citations issues des entretiens sont précédées d’un code constitué de la lettre correspondant à l’entretien (de A à F) suivi du numéro de la ligne ou des lignes.
Exemple : A 3 correspond à la 3° ligne de l’entretien de l’AM A. Le verbatim des entretiens est en annexe 6.
Considérations éthiques
Nous avons donné des informations claires sur les objectifs poursuivis et avons recueilli de façon explicite le consentement des participants pour l’enregistrement vocal des entretiens dans le seul but de l’enquête. Nous avons pris soin de préciser que toutes les données seraient rendues anonymes afin de garantir la confidentialité.
RESULTATS ET ANALYSES DES RESULTATS
Analyse descriptive
Au total, nous avons pu sélectionner 6 AM correspondant à nos critères. La population d’étude est également répartie avec 3 hommes et 3 femmes.
La tranche d’âge la plus représentée se situe entre 40 et 43 ans, soit 83 % d’entre eux. La moyenne d’âge est de 41 ans et demi. Tous les AM présents au service ont des enfants.
Les hommes sont tous mariés et sur les 3 femmes que compte l’étude, deux sont divorcées.
Le niveau d’instruction des AM est très bas. Les accompagnants qui sont scolarisés n’ont pas dépassé le cycle primaire. Les femmes sont à une exception près, non scolarisées.
Analyse du contenu par thématique (analyse transversale)
Les données d’identification personnelle des AM Antécédents personnels et familiaux
Parmi les AM, deux ont déclaré avoir des antécédents familiaux psychiatriques.
D 4-5 : « J’ai une grande sœur qui est psychotique depuis plusieurs années, elle est suivie à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye ».
E 6-7 : « Je n’ai jamais eu de troubles psychiatriques mais j’ai un oncle paternel qui était psychotique ».
Conduites addictives
Une des AM a déclaré une addiction au café.
E9 : « J’ai une addiction au café ».
Mode de vie à l’hôpital
Le mode de vie des AM est diversement apprécié selon le genre et les stratégies d’adaptation de chacun. Pour les hommes, la présence quasi permanente au service, associée aux difficultés pour assurer leur alimentation, rend leur mode de vie à la clinique assez difficile.
A14-15 : « D’emblée, je commence par te dire que ce n’est pas facile du tout. C’est vrai que pour nous les hommes AM, nous disposons depuis plus de deux ans maintenant de notre propre chambre à l’intérieur de la clinique. Ce qui est une bonne chose mais pour le reste, c’est la croix et la bannière ».
B 7-8 : « Je passe la majeure partie de mon temps à l’hôpital. J’y vis, dors et je me débrouille pour la nourriture ».
C7-8 : « …j’habite à l’hôpital. Pour manger, je me débrouille car je n’ai pas de « tickets resto ». Je n’ai pas de loisirs ».
Quant aux AM féminins, elles sont moins présentes et ont des stratégies d’adaptation qui rendent la vie moins compliquée au sein du service.
E10-16 : « Je partage ma vie entre mon foyer, ma maison natale où habite ma mère et la clinique Moussa Diop. Contrairement aux autres AM, je ne reste pas à l’hôpital si je n’ai pas de malade à ma charge ; je préfère rentrer chez moi. Je mange à la cuisine de l’hôpital contrairement aux autres car je n’hésite pas à y aller avec mon bol pour qu’on me serve. Bien qu’à un moment donné on nous a refusé l’accès, j’y allais quand même et jamais on a refusé de me servir ».
F 13-16 : « Je suis à l’hôpital lorsque j’ai une patiente, sinon je suis à la maison. Lorsque je suis à l’hôpital, je partage avec la patiente sa cabine. La plupart du temps, je mange avec la patiente car c’est la famille du malade qui apporte le repas. Sinon, je me fais à manger ».
Parcours professionnels
Les parcours professionnels sont différents et variés.
B9-11 : J’ai commencé à faire de la mécanique après l’école puis j’ai arrêté après plusieurs années d’exercice dans ce domaine, pour faire une formation en menuiserie
D14-16 :J’ai d’abord été vendeuse de fruits de mer. J’ai travaillé par la suite pour une association française qui avait une pépinière à Mbour.
Tous les AM ont rejoint le métier dans le cadre d’une reconversion professionnelle.
B21-23: « Mais j’ai fini par être rapatrié en 2005 au Sénégal. Naturellement, j’ai pensé à la psychiatrie et j’ai rejoint le groupe d AM déjà sur place ».
C19-21 : « J’étais le chauffeur d’une infirmière actuellement à la retraite. Avant son départ, elle a rompu notre contrat et en échange elle m’a proposé une reconversion dans cette branche ».
F18-20 : « c’est moins difficile que le métier de femme de ménage que je faisais où je passais la journée à faire le ménage, la cuisine, le repassage, la lessive, les courses et j’en passe ».
Il ressort des entretiens que le choix du métier d’accompagnant découle d’une motivation première, du moins pour tous les AM ayant eu une expérience d’assistance à de personnes vulnérables.
D 19-20 : « Une motivation première. C’est un métier que je connaissais déjà pour avoir été l’accompagnante conventionnelle de ma sœur à Thiaroye. »
F25-25 : « Je n’ai pas hésité une seconde sur ce choix. Je voulais le faire. J’avais l’habitude de m’occuper de mon père donc c’était pour moi une continuité ».
L’AM (A) rapporte son choix à des convictions religieuses.
A43-44 : « C’était mon choix. J’y ai trouvé une autre façon d’aider mon prochain et de me rapprocher de mon Créateur. »
Pour le reste, il s’agit d’un choix par défaut.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. REVUE DE LA LITTERATURE
I.1 Spécificités du malade mental
I.2 La psychiatrie sociale
I.3 La création de l’accompagnant de malade : de l’asile aux communautés thérapeutiques
I.3.1 La psychiatrie en Afrique avant l’arrivée de Henry Collomb.
I.3.2 Introduction de la famille à l’hôpital par Collomb
a) A Fann
b) En Casamance (Kenia)
c) A Thiaroye
d) A Saint-Louis
e) Dans les autres pays d’Afrique :
Le Mali
Le Bénin
Le Niger
La Côte d’Ivoire
I.3.3 L’accompagnant de malade comme actuel outil thérapeutique
I.4 Typologie de l’accompagnant de malade en milieu psychiatrique sénégalais par Papa Mamadou Diagne et Anne M. Lovell
I.4.1 l’accompagnant familial
I.4.2 l’accompagnant négocié
I.4.3 l’accompagnant « mercenaire »
I.5 Les accompagnants « mercenaires » : contexte historique
I.6 Le rôle de l’accompagnant « mercenaire »
I.6.1 Activité sécuritaire
I.6.2 Activité médicale
I.6.3 Activité de « care »
I.6.4 Activité de facilitation de la parole du malade
I.6.5 Activité de médiation et de relais
I.7 De l’accompagnant mercenaire à l’accompagnant professionnel
I.8 Les accompagnants « mercenaires » sont-ils les témoins actuels d’un changement d’orientation thérapeutique de la clinique psychiatrique de Fann ?
II.1.1 Objectif général
II.1.2 Objectifs spécifiques
II. 2 Matériel d’étude
II.2.1 Le cadre de l’étude
II.2.2 Le type et la période de l’étude
II.2.3 La population de l’étude
II.2.3.1 Les critères d’inclusion
II.2.3.2 Les critères de non inclusion
II.3 Méthode
II.3.1 Recueil des données
II.3.2 Analyse des données
II.4 Considérations éthiques
III- RESULTATS ET ANALYSES DES RESULTATS
III.1 –Analyse descriptive
III.2 –Analyse longitudinale
III.3 –Analyse du contenu par thématique (analyse transversale)
III.3.1 Les données d’identification personnelle des AM
III.3.2 Les données d’identité professionnelle des AM
III.3.2.1. « Auto-perception » de leur métier
III.3.2.2. « Auto-perception » de leur image
A- Dans l’entourage familial
B- Au service
III.3.3 Perspectives d’avenir
IV – DISCUSSION
IV.1 Les limites de l’étude
IV.2 Les biais
IV.3 L’analyse des résultats
IV.3.1 Le profil de l’accompagnant « mercenaire»
IV.3.2 Compréhension du métier d’accompagnant « mercenaire »
IV.3.3 Perception du travail des accompagnants « mercenaires »
IV.3.4 Perspectives du métier d’accompagnant « mercenaire »
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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