La protéomique sans gel en biologie clinique
Les couplages chromatographiques
D’emblée ces méthodes de couplage présentent l’avantage de garder l’échantillon en milieu liquide, donc de pouvoir l’analyser secondairement, voire de l’aliquoter pour effectuer de nouvelles analyses et de réaliser d’autres couplages plus ou moins directs [22]. Parmi ces méthodes alliant la CLHP à la MS on peut citer le MudPIT (« Multidimensional Protein Identification Technology ») qui combine la CLHP bidimensionnelle (échangeur cationique fort et phase inversée) à l’ESI-MS à trappe d’ions; cette méthode a permis de produire la plus grande analyse protéomique à ce jour avec 1484 protéines identifiées dans une lignée de levure, mais encore sans applications cliniques [23]. Selon des principes proches, la toute nouvelle technologie Proteome Lab® (Beckman-Coulter) couple deux chromatographies sur colonne (chromatofocalisation en 1re dimension et phase inversée en 2e ) avec élution en continu des protéines et peptides de l’échantillon en fonction de leurs propriétés physico-chimiques (pI et hydrophobie) ; les molécules recueillies pourront aussi être analysées par le classique PMF en MS, ou encore par électrophorèse capillaire étant donné que des couplages avec ces appareils ont été prévus [24]. Comme une analyse différentielle est possible, des résultats en clinique sont prévisibles à court terme; en effet ces méthodes affichent clairement leurs ambitions dans ce domaine. Quant à la technologie ICAT (« Isotope-Coated Affınity Tag »), elle est fondée sur le marquage différentiel des protéines de deux séries d’échantillons par conjugaison de la biotine aux thiols cystéiniques par l’intermédiaire d’un linker léger ou lourd (enrichi en deutérium) ; les protéines différemment marquées sont mélangées et traitées par la trypsine; les peptides générés sont ensuite séparés sur colonne d’avidine (affinité en CLHP) et analysés par MS qui verra la différence d’abondance entre les deux échantillons pour les peptides liant la biotine (masse + 8 pour les peptides deutériés). Toutes ces méthodes hautement résolutives souffrent d’un défaut de capacité suggérant un préfractionnement des échantillons et le développement d’outils bioinformatiques plus performants [25].
La protéomique quantitative
Plusieurs méthodes de quantification s’appuyant sur un marquage isotopique différentiel des protéomes ont été développées. Les échantillons sont marqués par des isotopes stables et analysés de façon simultanée. La technologie ICAT® (« isotope-coatedaffinity tag ») est basée sur le marquage différentiel des protéines de deux séries d’échantillons par conjugaison de la biotine aux thiols cystéiniques par l’intermédiaire d’un groupe léger ou lourd (enrichi en deutérium). Les protéines différemment marquées sont mélangées et traitées par la trypsine ; les peptides générés sont ensuite séparés sur colonne d’avidine (affinité en CLHP) et analysés par MS [25]. Sur des principes proches, on peut aussi citer la technologie iTRAQ® (« isobaric tags for relative and absolute quantitation ») utilisable sur certains spectromètres de masse; cette méthode présente l’avantage de permettre la réalisation d’analyses multiples sans compliquer le spectre MS (tag isobarique). Ces méthodes d’analyse différentielle par marquage isotopique chimique nécessitent l’emploi de logiciels d’analyse bioinformatique performants, indispensables à l’intégration de l’ensemble des données, tout en diminuant les risques de mauvaise identification ou quantification, qui n’est souvent que relative. Une quantification absolue (quantité exacte) est pourtant requise en biologie clinique pour l’évaluation de candidats biomarqueurs et en pharmacie pour le contrôle de qualité des médicaments. Suivant le principe de dilution isotopique, une quantification exacte d’un composé peut être obtenue en MS en ajoutant dans l’échantillon à analyser une quantité connue d’un étalon interne chimiquement identique au composé à doser, mais alourdi par l’incorporation d’isotopes stables. Plusieurs méthodes de quantification exacte de peptides et protéines par IDMS (« isotopic dilution mass spectrometry ») ont été développées utilisant des peptides étalons marqués au 13C et/ou à l’15N [26]. Quelques années plus tard a été publiée la méthode iTRAQ (Isobaric Tag for Relative and Absolute Quantifi cation) utilisant des sondes isobariques non radioactives fixées par liaison covalente sur l’extrémité N-Terminale et les chaines latérales amines des protéines [27]. Il existe actuellement 8 sondes isobariques permettant la comparaison d’autant d’échantillons, analysés après marquage selon le même principe que l’ICAT. D’autres techniques de marquage métabolique in vivo par des isotopes simples (13C, 15N ou 18O) ont été présentées en parallèle [28]. L’approche SILAC (Stable Isotope Labelling by Aminoacids in Cell culture), est utilisée pour comparer les protéomes de cellules en culture : les cellules sont cultivées en présence d’acides aminés marqués par les isotopes précédemment cités, et ces résidus s’incorporent dans les protéines lors de la traduction [29].
Les biopuces à protéines et les analyses multiparamétriques
Les biopuces, initialement développées dans le domaine de la génomique, autorisent aujourd’hui l’analyse de plusieurs centaines de milliers de séquences en une seule expérience. Cependant compte tenu de la grande diversité et l’hétérogénéité des protéines, il n’est pas réalisable de transposer ce principe à l’étude du protéome dans sa globalité. Néanmoins plusieurs types de biopuces s’intéressant à un groupe spécifique ou une famille particulière de protéines sont actuellement proposés. La technique d’analyse protéomique haut débit SELDITOF (Surface Enhanced Laser Desorption/Ionization Time-Of-Flight) associe un fractionnement du protéome sur des puces à protéines (échange d’anions, cations…) à une détection par un spectromètre de masse en temps de vol [30]. Cette technique est spécifiquement dédiée aux études de protéomique clinique car outre son extrême sensibilité (détection jusqu’à la femtomole) elle permet l’analyse rapide de nombreux échantillons. Sa principale faiblesse réside en son impossibilité d’identification stricte des biomarqueurs, qui sont seulement caractérisés par leur masse moléculaire et leur affinité pour un type de biopuces. Il convient de différencier la technologie du SELDI-TOF, qui est une technique de protéomique pure utilisant les puces à protéines pour une fragmentation des protéines en plusieurs sous-protéomes, des analyses multiparamétriques (dites multiplexes) qui s’intéressent à un nombre certes important, mais prédéfini de protéines. Parmi ces techniques qui appartiennentnéanmoins au champ de la protéomique au sens large du terme, on distingue les technologies réalisées sur support solide de celles faites en milieu liquide [2]. Le principe général des analyses multiplexes en phase solide est la mise en évidence quantitative d’une interaction entre un ligand fixé sur une surface et un biomarqueur à doser [31]. Les protéines d’intérêt dosées par ces puces sont évaluées classiquement selon la méthode sandwich utilisée dans les tests ELISA. Pratiquement plusieurs types d’anticorps immobilisés au fond d’un puits de plaque ELISA ou sur la surface plane d’une puce, capturent leurs antigènes cible qui sont détectées dans un second temps grâce à un anticorps secondaire marqué. La révélation est ensuite réalisée par la méthode adaptée au marquage (chimioluminescence, fluorescence…) et lecture par des systèmes dédiés (scanner ou caméra CCD, Charge Coupled Device). Le système d’analyse en milieu liquide repose sur une approche de capture/détection comparable, à la différence que les anticorps de capture sont fixés sur des billes colorées, chaque couleur étant associée à la mesure d’un biomarqueur spécifique. Le dosage est effectué par une technique de type cytométrie de flux, dans laquelle un premier laser détecte le type de billes, et un second assure la quantification par lecture de l’intensité du marquage par l’anticorps secondaire.
La technologie la plus aboutie fonctionnant sur ce principe est le système Luminex®, permettant d’étudier jusqu’à 500 paramètres dans un volume d’échantillon de 50 μl [32].
APPLICATIONS
L’étude du complément protéique total d’un génome offre aux biologistes les clés des portes que le séquençage de 1’ADN ne peut pas les ouvrir. En effet, la génomique ne permet pas de saisir toute la complexité du fonctionnement cellulaire. Les données qui en découlent ne suffisent pas à déterminer:
➨ la raison pour laquelle un gène particulier est exprimé à un instant donné,
➨ la concentration relative des produits d’expression,
➨ l’importance des modifications post-traductionnelles,
➨ les effets de la surexpression ou de la sous-expression d’un gène,
➨ la présence de gènes de petite taille, ou encore les phénotypes dus aux phénomènes multigéniques.
Ainsi, élucider chacun de ces points requiert une analyse des produits des gènes, ARN messagers (ARNm) ou protéines. Toutefois, un ARNm n’a qu’une seule fonction: celle de porter temporairement une information. De plus, son expression ne conduit pas directement à l’expression des molécules dont dépend la vie cellulaire. Ainsi, seule la protéomique qui est une étude ciblée directement sur les protéines peut aller au-delà des limites de la génomique et vise à déterminer les niveaux et le mode d’expression des protéines, leurs éventuelles modifications post traductionnelles, les relations qui se nouent entre elles [33]. De façon très générale, la protéomique est utilisée en biochimie, en bactériologie-mycologie, en toxicologie, en immunologie, en hématologie, en cancérologie, en rhumatologie, en neurologie, en anatomie-pathologie, en pneumologie, en cardiologie, en monitoring-thérapeutique, en recherche.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR LA PROTEOMIQUE
CHAPITRE I : Rappels
I.1. Le Transcriptome
I.2. Le Protéome
I.3. Les différents types d’analysesprotéomique
CHAPITRE II : Les approches protéomiques
II.1. Electrophorèse en gel bidimensionnelle (2-DGE)
II.2. Identification des protéines par spectrométrie de masse (MS)
CHAPITRE III : La protéomique sans gel en biologie clinique
III.1. Les couplages chromatographiques
III.2. La protéomique quantitative
III.3. Les biopuces à protéines et les analyses multiparamétriques
DEUXIEME PARTIE : APPLICATIONS
CHAPITRE I : Applications de la protéomique dans le domaine biomédical
I.1. En Biochimie Médicale
I.2. En Bactériologie Médicale
I.3. En Toxicologie
I.4. En Immunologie
I.5. En Hématologie biologique
CHAPITRE II : Applications en recherche expérimentale
II.1. En Cancérologie
II.2. En clinique
II.3. En anatomopathologie
II.4. Monitoring thérapeutique-pharmacologie
II.5. Parasitologie
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES