LA PROTEINE PRION (PrP)
LA PROTEINE PRION (PrP), L’AGENT RESPONSABLE DES ESST ?
Nature de l’agent infectieux
Les caractéristiques communes des ESST seraient dues à l’agent responsable de ces maladies, classé parmi les Agents Transmissibles Non Conventionnels ou ATNC et dont la nature exacte reste encore hypothétique.
Alors que l’idée d’un virus semblait la plus logique, en 1967, T.Alper montre que le spectre de résistance des ATNC aux rayonnements est inhabituel : il correspond non pas à celui des acides nucléiques mais à celui des protéines ! De plus, jusqu’alors, aucune structure de micro-organisme, et notamment de virus, n’était visible avec les microscopes les plus performants. Il n’existait même aucune réponse immunitaire, comme si cet agent était invisible pour les défenses de l’hôte.
C’est en 1980 que Stanley Prusiner, de l’Université de Californie, montre que les dépôts amyloïdes présents dans les cerveaux de hamster, auxquels il a inoculé l’agent de la tremblante, sont constitués d’une protéine hydrophobe , qu’il nomme prion, acronyme de « particule protéiqueinfectieuse » ( Prusiner et al, 1982 et 1997). Il propose alors l’hypothèse de la nature exclusivement protéique des ATNC, allant à l’encontre du dogme selon lequel même les formes les plus simples de la vie, comme esl virus, impliquent une transmission de matériel génétique sous forme d’acide nucléique (ADN ou ARN) ! Cette hypothèse est pourtant celle qui est majoritairement retenue aujourd’hui par la communauté scientifique et la pathogénicité de la protéine Prion (PrP) seraitliée à l’acquisition d’une structure tridimensionnelle anormale de la protéine.
La protéine du prion cellulaire (PrPc) est en fait une protéine cellulaire N-glycosylée exprimée chez chacun et ancrée dans la membrane parun groupement GPI (glycosyl-phosphatidylinositol) (figure 2).
Elle est exprimée dans quasiment tous les tissus mais est particulièrement abondante dans les neurones, cibles majeures de la dégénérescence liéeaux ESST. Le rôle de la PrPc reste flou, mais elle serait impliquée dans la transmission dessignaux entre les cellules nerveuses et dans la protection des neurones contre les dommages causés par les oxydants (Mouillet-Richard et al, 2000 ; Brown, 2001)
Figure 2 : Structure tridimensionnelle de la protéine prion normale (PrPc) : alors que l’extrémité C-terminale est structurée, principalement par des hélices α, l’extrémité N-terminale est libre de se mouvoir ne solution. (Guilbert, 2001)
La forme pathogène de la PrP, encore appelée PrPsc(pour « scrapie » en anglais), a la même composition que la PrPc mais diffère par sa structure tridimensionnelle : elle est capable de se « reproduire » en induisant un changement de la structure de la protéine native. Ce processus a un caractère auto catalytique, aboutissant à une accumulation de PrPsc à partir de la PrPc, sous forme d’agrégats dits « amyloïdes », d’aspect filamenteux, détectables sur les coupes histologiques des malades. La PrPsc se distingue également par sa résistance partielle à la digestion par une enzyme, la protéinase K. C’est pourquoi on l’appelle aussi PrPres (res pour résistante).
Deux modèles ont été proposés pour expliquer la transconformation de la PrPc en PrPsc ( figure 3):
– le modèle auto catalytique (ou modèle de la matrice)
– le modèle de nucléation polymérisation
Figure 3 : modèles hypothétiques de conversion conformationelle de PrPc en PrPsc : le modèle catalytique et le modèle de nucléation polymérisation ( Guilbert, 2001).Il existe aussi une présomption quant à l’existence d’un facteur supplémentaire, la protéine X, ou d’une protéine « chaperonne », qui seraient nécessaires à la transconformation de la PrPc en PrPsc.A noter qu’il existe plusieurs souches d’ATNC : plu s de 20 ont été identifiés, mais leur structure exacte, tout comme celle du support de l’information génétique n’est pas encore connue. De telles connaissances seraient cependant utiles pour permettre d’identifier et de caractériser les éléments clés de la transconformation.
La dynamique du prion
Andréolettiet al (2000) ont montré que la PrPsc est détectable dèsl’âge de 2 mois dans les formations lymphoïdes annexées au tube digestif, comme les plaques de Peyer et les ganglions lymphatiques, des brebis très sensibles à la tremblante. Elle s’accumule ensuite dans l’ensemble du tractus gastro-intestinal vers 4 mois et gagne tous les tissus lymphoïdes (rate, ganglions lymphatiques) à 6 mois pour attein dre le système nerveux central vers l’âge de 9 mois. La phase clinique commence vers 18 mois .Ainsi, le processus de neuroinvasion par l’agent de la tremblante semble comporter deux phases :
– une phase de colonisation des organes lymphoïdes (rate, nœuds lymphatiques, amygdales, appendice), où le système immunitaire amplifie la réplication de l’agent. Les cellules dendritiques et les macrophages seraient les premiers à accumuler la PrPsc.
– une phase de transport axonal via le système nerveux périphérique. Ainsi, l’ATNC gagne la moelle épinière et progresse pour gagner ’encéphale où il se réplique de façon exponentielle, entraînant la mort neuronale.
Si le système immunitaire semble jouer un rôle dans le transport de la PrPsc, il existe cependant certaines formes d’ESST, comme chez les moutons à sensibilité moyenne ou chez les bovins atteints d’ESB, où l’on ne retrouve la P rPsc que dans le système nerveux central et où le système immunitaire ne semble pas ou peu impliqué (Andréolettiet al, 2000).
Enfin, Moudjou et al ont étudié la distribution de la PrPc chez le mouton : les tissus les plus riches au niveau quantitatif en PrPc sont le cerveau, puis des tissus non neuronaux comme les poumons, les muscles splanchniques, le cœ ur, l’utérus, le thymus et la langue (qui contient 20 à 50 fois moins de PrPc que le cerveau) . Les autres tissus comme le tractus gastro-intestinal sont pauvres en PrPc, le foie restant le tissu le moins riche.
Ainsi, les organes dans lesquels l’infectiosité est démontrée ( comme les amygdales, le thymus, la rate, les intestins) ne contiennent pas plus de PrPc que les tissus qui ne supportent pas l’infection (muscles squelettiques, cœur…). P ar conséquent, comme la « barrière d’espèce », il pourrait exister une « barrière de tissus » qui modulerait l’existence de l’infection.
Quoi qu’il en soit, de nombreux travaux tentent aujourd’hui de « pister » le prion pour établir son trajet dans l’organisme, ce qui permettrait de comprendre la cinétique de la maladie et de localiser plus facilement les éléments contaminants.
DIAGNOSTIC DES ESST
Les ESST n’entraînent aucune inflammation décelable dans le cerveau ou dans le reste de l’organisme (pas d’infiltration leucocytaire) et aucune réaction immunitaire n’est détectable. Le diagnostic sérologique n’est de ce aitf pas possible et il n’existe aucun test biologique autorisant une détection directe de l’agent infectieux. Seule l’apparition des signes cliniques, reflet d’une atteinte du système nerveux, permet une suspicion clinique. Sa confirmation repose sur la détection post-mortem des lésions histopathologiques et sur la détection de la forme anormale de la PrP.En pratique, la détection des lésions microscopique par histologie est effectuée sur des coupes d’encéphales, où l’on observe les lésions typiques des ESST (figure 4) :
– vacuolisation des périkaryons (corps neuronaux) etdépopulation neuronale
– spongiose du neuropile (zone d’enchevêtrement des axones)
– astrocytose ou gliose : prolifération (hypertrophieet hyperplasie) des cellules gliales ou astrocytes, qui forment le tissu de soutien du système nerveux central
– dépôts amyloïdes, observés après coloration au rouge congo.
Aucune lésion n’est détectable dans le tissu lymphoïde.
La détection de la PrPsc dans le tissu nerveux requiert des techniques d’immunohistochimie, utiles en phase clinique sur prélèvements du tronc cérébral et en phase pré clinique et clinique sur les tissus lymphoïdes prélevés sur les animaux infectés (Herrmann et al, 2002).
Enfin, la détection de la PrPsc dans le tissu nerveux par Western Blot (séparation par électrophorèse suivie d’une immunodétection) ou parELISA (immunodétection en plaques) donne des résultats en 7 à 8 heures. Ces tests rapides, qui nécessitent l’élimination préalable de la PrPc par digestion enzymatique ou dénaturation, sont notamment utilisés dans le dépistage systématique de tous les bovins de plus ed 30 mois à l’abattoir dans le cadre de la surveillance des cas d’ESB : les kits Prionics ® et Biorad ® utilisent respectivement le Western Blot et la technique ELISA.
Ces tests ont montré une efficacité équivalente à ellec de la technique de référence de la détection des ATNC, qui consiste à inoculer directement le matériel potentiellement infectieux par voie intracérébrale à un animal de aboratoirel (souris, hamster). Mais aujourd’hui, les recherches continuent pour élaborer un test utilisable en routine, permettant grâce à une haute sensibilité la détection de la PrPsc dans le sang, afin de repérer les malades non seulement en phase clinique, mais aussi en période d’incubation.
ASPECTS GENETIQUES DE LA SENSIBILITE AUX ESST
Il existe chez les ovins une variabilité génétiquede la résistance aux ESST, due en grande partie au polymorphisme du gène Prnp qui code pour la protéine prion. Cette variabilité est bien documentée et a fait l’objet de nombreux travaux depuis 1938 au Royaume Uni.Une vingtaine d’allèles du gène PrP sont connus à ce jour : (figure 5)Tous dérivent du même gène ancestral, de type A136R154 Q171, pour désigner les acides aminés codés par le gène aux codons 136, 154 et 171, par une mutation unique. Le symbole A désigne l’alanine, R l’arginine, Q la glutamine.L’allèle codé ARR confère une résistance à la tremblante : d’après une enquête épidémiologique menée à l’échelle européenne, les outonsm homozygotes ARR/ARR ne semblent pas atteints par la maladie et les hétérozygotes ne le sont que rarement. Au contraire, l’allèle codant pour la valine (V) en position 136, pour l’arginine en 154 et pour la glutamine en 171, noté VRQ, confère une grande sensibilité laà tremblante.Enfin, il semblerait que les ovins homozygotes ARR/ARR ne soient pas porteurs de la contamination en situation naturelle, alors que les animaux homozygotes VRQ/VRQ pourraient l’être très jeunes, comme on l’a noté précédemment.
Figure 5 : allèles connus du gène PrP ovin (Elsenet al, 2002)
On retrouve chez l’homme cette différence d’expression de la maladie liée au polymorphisme du gène PrP, dans le cas du Kuru et du nouveau variant de MCJ : l’hétérozygotie au niveau du codon 129 retarderait l’apparition de la maladie, voire protègerait de l’infection. Enfin, dans le cas du gène PrP bovin de l’ESB, peu de polymorphisme a été décrit et aucune sensibilité versen l’infection ou la durée d’incubation ne paraît être définie par des différences génétiques.
En 1997, Smits montrait la relation entre le changement de conformation de la PrP et l’existence de diverses souches ou variants de la PrP, chacune d’elles ayant une affinité pour des génotypes différents. Par la suite, Bosserset al (2000), en étudiant la conversion in vitro des différents variants de la PrPc, montra que la usceptibilité du mouton était déterminée non seulement par le génotype de l’animal cible mais aussi par le génotype du prion infectieux utilisé ou inoculé.La conversion de la PrP en PrPsc serait modulée parle polymorphisme de la PrPc et de la PrPsc. Ainsi, la transmission de la maladie nécessite de passer la barrière du polymorphisme, en plus de la barrière d’espèce.
La tremblante naturelle est donc le résultat de l’intéraction entre les éléments génétiques de l’animal (polymorphisme du gène PrP,expression variable du gène) et les variants génétiques de l’agent infectieux. Toutefois, les variations de codage n’expliquent pas à elles seules les différences de sensibilité entreles races et les individus. D’autres éléments génétiques ont aussi une influence sur le temps d’incubation et la susceptibilité. Il est possible que d’autres gènes agissent de même, sans oublier el rôle primordial en circonstances naturelles de la pression et de la durée d’infection, de l’âge des animaux, etc…Dans tous les cas, les connaissances actuelles permettent d’envisager, grâce à une approche génétique, une alternative aux stratégiesobligatoires d’abattage et de désinfection souvent décevantes, dans le but d’éradiquer la maladie. Les moyens mis en œuvre par les Unités de Promotion des Races (UPRA) françaises sont variables selon les races, celles-ci différant dans leur sensibilité à la tremblante et dans l’incidence de la maladie par la fréquence des différents allèles du gène PrP (par xemple, la race Manech Tête Rousse représente 2/3 des foyers de tremblante recensés enFrance).Mais l’utilisation et la sélection de reproducteurs homozygotes ARR/ARR, en particulier les béliers des centres d’insémination artificielle, grâce au génotypage à grande échelle des animaux pour leur gène PrnP, devrait donner rapidement une augmentation de la fréquence de l’allèle ARR et l’élimination de l’allèle VRQ, pouraboutir à une protection plus importante des élevages.
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Table des matières
1ère partie : LES ENCEPHALOPATHIES SUBAIGUËS SPONGIFORMES TRANSMISSIBLES AU COEUR DE L’ACTUALITE
I. LES DIFFERENTES FORMES D’ESST
I.1. La tremblante des petits ruminants
I.2. L’Encéphalopathie Spongiforme Bovine (ESB).
I.3. Des ESST humaines : la Maladie de Creutzfeldt-Jacob (MCJ) et le Kuru
II. LA PROTEINE PRION (PrP), L’AGENT RESPONSABLE DES ESST ?
II.1. Nature de l’agent infectieux
II.2. La dynamique du prion
III. DIAGNOSTIC DES ESST
IV. ASPECTS GENETIQUES DE LA SENSIBILITE AUX ESST.
V. LA TRANSMISSION PAR TRANSFUSION SANGUINE : OU EN EST-ON DES RISQUES ?
2ème partie : REALISATIONS EXPERIMENTALES CONTRIBUTION A L’ESTIMATION DU RISQUE TRANSFUSIONNEL : ANALYSE DE LA DISPOSITION DE LA PrP ADMINISTREE PAR VOIE SANGUINE CHEZ LA BREBIS
I. INTRODUCTION
II. OBJECTIFS
III. MATERIELS ET METHODES……
III.1. Analyse de la disposition de la PrP recombinante in vivo.
III.1.1. Expérience 1 : Analyse de la disposition de la PrP recombinante administrée par voie intraveineuse.
III.1.2. Expérience 2 : Evaluation de l’élimination pulmonaire et hépatique de la PrP recombinante.
III.1.3. Procédure expérimentale
III.2. Analyse de la stabilité de la PrP recombinante in vitro
III.2.1. Objectifs
III.2.2. Protocole expérimental
III.2.3. Procédure expérimentale
IV. ANALYSES
IV.1. Analyse pharmacocinétique des données plasmatiques
IV.2. Analyse statistique
V. RESULTATS
V.1. Analyse pharmacocinétique de la PrP recombinante in vivo
V.1.1. Expérience 1 : Analyse de la disposition de la PrP recombinante administrée par voie intraveineuse
V.1.2. Expérience 2 : Evaluation de l’élimination pulmonaire et hépatique de la PrP recombinante .
V.2. Analyse de la stabilité de la PrP recombinante in vitro.
VI. DISCUSSION
CONCLUSION
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