La protection des créations en réalité augmentée
Consécration et définition de la liberté de la recherche
La technologie est aujourd’hui indissociable de la science contemporaine, les logiciels simulent la réalité, confirment et infirment les théories scientifiques, recoupent les données etc. A tel point que si l’on a pu pendant un temps considérer que la technologie était enfant de la recherche scientifique car « la plupart des révolutions technologiques sont issues de recherches dont la seule motivation était le progrès de la connaissance. »59 force est de constater la technologie est aujourd’hui un moteur de la recherche. Par conséquent il nous apparait logique de traiter de la recherche technologique et scientifique comme une seule et même entité appelée liberté de la recherche.60 La liberté de la recherche est inscrite à l’article 13 de la Charte qui dispose que « Les arts et la recherche scientifique sont libres. [..] » Cette liberté n’est textuellement apparue qu’assez tardivement, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Sa consécration textuelle est la « conséquence des atteintes qui y ont été portées par le pouvoir et les scientifiques nazis d’une part, stalinien de l’autre. » Pas de surprise alors à ce qu’on la retrouve dans la loi fondamentale allemande en son article 5 et dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en son article 27. « Les pays restés démocratiques n’éprouvaient pas le besoin d’inscrire le principe que les tribunaux appliquaient déjà en tant que de besoin. » Précisé en 1966 par le PIDESC.
Cette liberté peut être envisagée sous deux aspects : tout d’abord l’activité de recherche, celle « des chercheurs dans leur laboratoire »61 mais également le produit et le but de cette activité, c’est-à-dire le savoir62. Un savoir qui peut lui-même être séparé en deux catégories : le savoir brevetable et le savoir non brevetable, l’invention et la découverte. Dans tous ses aspects la liberté de la recherche est en interaction directe avec la propriété intellectuelle. Les travaux de recherches – y compris ceux menant à une découverte – sont protégeables par la propriété littéraire et artistique sur laquelle nous reviendrons plus tard et l’invention par le brevet à la condition que cette dernière soit nouvelle, implique une activité inventive et soit susceptible d’application industrielle. La réalité augmentée en tant que technologie fait déjà l’objet d’une course aux brevets aussi fascinantes que surprenante63. Et si le brevet traduit une forme de récompense économique à celui qui aide à faire progresser la société, qui répond à ses besoins, alors, la liberté de la recherche dans sa finalité a nécessairement un objet lui-même économique. Ce faisant, et comme nous le verrons plus tard, il s’agit dès lors de considérer le marché comme une force qui génère et qui limite les droits fondamentaux.
Sous-section II. La RA un sujet de recherche. La réalité augmentée peut être étudiée pour elle-même, car elle amène des modifications comportementales et sociétales intéressantes comme en témoigne le cas de Pokémon Go et des divers comportements pour le moins surprenants qui ont pu en résulter. On a alors pu tristement assister à des individus tombant d’une falaise car trop concentrés sur leur écran71. La virtualité et le caractère divertissant semblent faire perdre certains repères essentiels – le bon sens diraient certains – respect des lieux de culte et de mémoire72, de la propriété privée, du code de la route73 etc… à certains utilisateurs. Des comportements qui amènent à se demander si la recherche et le développement de la réalité augmentée ne devrait pas être contrôlés. Un parallèle avec la bioéthique peut ici être fait. Si dans un premier temps la liberté de la recherche a pu être considérée comme illimitée, son développement exponentiel dans le domaine du vivant a conduit à en limiter son contenu. Les règles de bioéthique, fondée sur le principe du respect de la dignité humaine interdisent certaines pratiques sur l’être humain. Une interdiction rappelée par l’article 3-2 de la Charte des droits fondamentaux. La liberté de la recherche dans le domaine biologique et médicale souffre donc de limites qui ne sont pas nécessairement applicables en matière de réalité augmentée puisqu’il est difficile d’imaginer une atteinte à l’intégrité physique d’une personne par le biais d’un élément virtuel.
L’article 3-2 en question évoque également le respect de l’intégrité mentale dû à toute personne. Il est alors possible de voir ici le fondement d’une potentielle « technoéthique » c’est-à-dire un développement contrôlé de la technologie, en particulier de la réalité augmentée et de la réalité virtuelle qui viserait notamment à interdire – ou a minima contrôler – le développement d’applications qui pourraient altérer l’intégrité mentale des individus. Comme en matière de bioéthique qui « [concerne] en fait des techniques, pas l’acquisition de connaissances.» Il ne s’agit pas d’interdire la recherche fondamentale sur la réalité augmentée et ses impacts sur l’humain, mais de limiter l’utilisation des techniques qui en découleraient. Il est établi que le virtuel comporte de nombreux risques, notamment « pour le participant de voir sa propre image se modifier derrière les multiples aspects que ces nouveaux espaces permettent de donner à son corps entier »74. En effet « l’impact des nouvelles technologies, à la fois sur le cerveau (on consultera à profit, par exemple, les études réalisées en Europe du nord [sur] la modification de la structure neuronale) et sur les habitudes de la formation des enfants »75 est non négligeable. S’il appartient au participant d’établir lui-même « un cadre suffisant pour penser ces images comme étant virtuelles et non pas comme réelles afin de ne pas se trouver pris dedans avec un risque de dépendance liée au risque de la confusion du réel et de l’imaginaire »
Définition de la liberté d’entreprendre
Prévue à l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux qui dispose sobrement que « La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques nationales. » En France, la liberté d’entreprendre est issue de la Révolution, plus particulièrement de l’article 7 du Décret D’Allarde du 2 et 17 mars 1791 qui dispose « Il sera libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouve bon », ensuite conforté par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791. Malgré son âge, la liberté d’entreprendre n’était encore qu’une « nébuleuse aux contours mal définis »79 il a peu de temps. En effet à la question « Cette liberté d’entreprendre, de quoi se compose-t-elle ? » 80 la réponse est assez vaste puisqu’elle est composée « d’énormément de choses : c’est entreprendre, c’est exploiter, c’est aussi contracter […] c’est aussi rechercher » 81. C’est d’ailleurs ce qu’on peut déduire de l’arrêt Sky Osterrich82 qui précise qu’elle contient « la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, et la liberté contractuelle, ainsi que […] la concurrence libre. » au point 27 de l’arrêt.
Tant à l’échelle européenne qu’à l’échelle nationale, la liberté d’entreprendre se confond avec le libre exercice d’une activité professionnelle83 Le Conseil constitutionnel a confirmé dans sa décision du 30 novembre 201284, qu’elle comprend deux objets, à savoir : « non seulement la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité »85. Pour autant, comme tous les droits et libertés fondamentaux, « la liberté d’entreprendre n’a rien d’une vache sacrée. Elle doit souffrir comme toutes les autres de se voir limitée pour des motifs d’intérêt général et conciliée avec les autres impératifs de nature constitutionnelle. […] Encore faut-il aussi qu’elle soit perçue, là aussi comme toutes les autres, comme une garantie utile et le vecteur d’un mieux-être. »
Reconnaissance du caractère fondamental de la propriété intellectuelle
Bien que la charte des droits fondamentaux dans son article 17–2 dispose de façon très laconique que : « la propriété intellectuelle protégée » cela ne traduit en rien une quelconque évidence historique de la reconnaissance de la fondamentalité de la propriété intellectuelle. On retrouve la propriété intellectuelle dans le PIDESC en son article 15.1 qui prévoit le droit de « bénéficier de la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. ». La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 également, consacre le droit d’auteur en son article 27.2 en disposant que « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur.». Mais c’est à travers la jurisprudence que la fondamentalité du droit d’auteur a été affirmée. La CJCE le 12 septembre 2006124 a mis en exergue de la nature du droit d’auteur lors d’un arrêt portant sur l’épuisement communautaire du droit de distribution. la Cour affirme, au point 65, que « la restriction alléguée de la liberté de recevoir des informations est justifiée au regard de la nécessité de protéger les droits de propriété intellectuelle, tels que le droit d’auteur, qui font partie du droit de propriété. ». En rattachant le droit d’auteur au droit de propriété, la Cour affirme ainsi de façon latente sa qualité de droit fondamental.
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Table des matières
Résumé du mémoire.
Epigraphe
Remerciements
Introduction
Partie I. Le champ de protection de la réalité augmentée par les droits fondamentaux.
Titre I. L’encouragement du développement de la technologie par les droits fondamentaux
Chapitre I. Liberté de la recherche
Chapitre II. La mise en oeuvre de la liberté d’entreprendre.
Titre II. La réalité augmentée un moyen de création.
Chapitre I La mise en oeuvre des libertés d’expression et de création
Chapitre II La protection des créations en réalité augmentée : mise en oeuvre du droit d’auteur.
Partie II. Les limites au développement et à l’utilisation de la réalité augmentée, posées par les droits fondamentaux
Titre I. Les limites relatives aux droits fondamentaux des tiers
Chapitre I. Le respect de la vie privée et du traitement des données personnelles comme limites à l’utilisation de la réalité augmentée.
Chapitre II. Le droit de propriété comme limite à la création en réalité augmentée.
Titre II. Les limites relatives à l’Intérêt général et le respect de l’ordre public.
Chapitre I : l’ordre public comme limite à l’usage des droits fondamentaux
Chapitre II : l’ordre public comme limite à la renonciation aux droits fondamentaux
Conclusion :
Bibliographie
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