La professionnalisation des enseignants de langues étrangères vietnamiens

Au cours de ces dernières années, l’éducation et la formation connaissent des phénomènes d’industrialisation accrus notamment sous l’effet du développement des technologies de l’information et de la communication (TIC). Concernant le domaine de l’enseignement et de l’apprentissage de langues vivantes étrangères (LVE), ce phénomène est couplé à celui de l’internationalisation des normes de certification. Par conséquent, le champ des LVE au Vietnam est influencé par ces évolutions qui entraînent inévitablement des changements conséquents relatifs au processus de professionnalisation du corps enseignant.

Dans ce contexte de mutations, le gouvernement du Vietnam a déterminé des objectifs parfois très ambitieux de formation prenant en compte la demande croissante en éducation et en formation de la population vietnamienne, et la nécessité d’élever le niveau de qualification et de compétence de la main-d’œuvre. À titre d’exemple, ont été mis en œuvre deux projets nationaux qui concernent la formation doctorale dans le pays et à l’étranger en faveur du corps enseignant du supérieur (Projet 911) et le renforcement de l’enseignement-apprentissage de langues étrangères dans le système éducatif (Projet 2020). De fait les politiques de réforme éducative du pays durant ces deux dernières décennies s’inscrivent dans une logique de « standard » à l’instar des modèles de réformes occidentales. Il faut noter que le gouvernement vietnamien a dépensé une somme de plus de 532 millions d’euros pour la formation du corps enseignant universitaire et près de 352 millions d’euros pour la réforme du champ des LVE. Or, les résultats sont loin d’être satisfaisants.

Le métier d’enseignant 

Quelques caractéristiques du métier d’enseignant 

Piaget qui s’intéresserait à la formation des maîtres insistait sur le fait que, la pédagogie étant autant un art qu’une science, il convenait d’assurer aux futurs enseignants une authentique formation fondée sur la connaissance du fonctionnement et du développement des mécanismes cognitifs des enfants et sur des expériences conduites avec méthode, plutôt que sur de simples opinions et sur du « bons sens ». Tout cela devait conduire, selon lui, à faire de la pédagogie une « science appliquée » où les programmes s’appuieraient sur des données objectives plutôt que des « inflations sémantiques » (Champy et Etévé, 1995).

Pour Delamotte (1998), la question centrale dans un métier relève du savoir qui constitue la base des actions. En ce qui concerne le métier d’enseignant, l’art de la pratique éducative se codifie dans le cadre de la pédagogie assumée par les institutions d’éducation et de formation. Il souligne que cette pratique évolue avec les variables « institutionnelles » et les connaissances produites par la recherche. Il soulève ensuite la question relative à l’activité professionnelle qui s’organise autour d’une conception « vocationnelle » du métier ou bien autour d’une « technicité » des pratiques. Pour le premier cas, la professionnalisation situe le métier d’enseignant ou de formateur du côté d’une conception à la fois individuelle et collective du travail. Quant au deuxième cas, l’exercice du métier revendique le savoir spécifique (l’expertise) qui détermine les actions. En ce sens, enseigner est une activité dans laquelle et par laquelle on se réalise. Généralement, les enseignants comprennent et veulent comprendre leur vie comme une tâche et une entreprise. « Les métiers de l’éducation et de la formation sont caractérisés par des règles dont on attend qu’elles soient marquées par les engagements et les talents personnels » (Delamotte, 1998, p. 80). Cet auteur met l’accent sur le triptyque « le travail, l’œuvre et l’action » selon la typologie élaborée par Arendt (1958) :

Par le travail, l’homme produit des biens de consommation, dont la caractéristique est justement qu’ils sont éphémères, mais renouvelables. L’homme s’épuise à les produire. A côté de la production des biens de consommation, homme crée des œuvres. Celles-ci sont capables de durer, et elles durent en effet parce qu’elles incarnent le sens de l’être, au-delà des générations. Enfin, l’action met en avant ce qui, dans toute activité, concerne les agents. L’action est une activité située, qui doit toujours être rapportée aux acteurs en présence. Elle caractérise donc les initiatives qui se déploient dans l’histoire quotidienne. A la différence de l’œuvre faite pour durer, l’action est, non éphémère comme le bien de consommation, mais fragile. Tributaire de l’engagement des acteurs à la soutenir, l’action se pérennise par la constitution d’institutions. En ce sens, son domaine par excellence est la politique. (Delamotte, 1998, p. 80)  .

De plus, il estime que l’enseignement se situe entre œuvre et action et le considère comme étant proche des activités artistiques. Il réaffirme que tout comme l’art, l’acte de création est une recherche esthétique de l’artiste dont l’œuvre est projection du créateur. Mais, plus encore, si l’artiste existe, c’est parce que l’artiste trouve les autres en face de lui. En référence à Godbout (1992), il indique que la logique du don joue dans les rapports entre artiste et société.

Wittorski et Briquet-Duhazé (2008) partagent l’idée que l’activité enseignante est composite parce qu’elle « mêle le modèle de l’artiste (degré 0 de la formation, ineffable), le modèle du don, le modèle de l’artisan (compagnonnage, tours de mains acquis, métaphore du bricolage, science du concret) » (Bourdoncle, 1993, cité par Wittorski et Briquet-Duhazé, 2008, p. 19). Ces auteurs y ajoutent le modèle de l’ouvrier et celui de l’ingénieur et ils confirment que la profession à la française, opposée au modèle idéal-typique des chercheurs anglo-saxons (Merton, 1957 ; Hugues, 1996 ; Paradeise, 2003) prendrait plutôt des formes différentes. S’inspirant des travaux de Schön, ils indiquent que l’enseignant se réfère au modèle de ce premier plutôt qu’au modèle fonctionnaliste anglo-saxon et que le savoir enseignant est incorporé à l’action et non pas entièrement rationnalisé.

Quant à Piot (2009), à partir des travaux autour des métiers adressés à autrui, il insiste sur les éléments importants tels que le collectif de travail, l’environnement institutionnel et le contexte organisationnel. Selon lui, deux registres de compétences sont en tension, d’une part l’objet de service, qui renvoie à des contenus d’enseignement ou de formation, et d’autre part, des compétences communicationnelles, qui constituent le creuset des compétences de l’activité. Dans le champ de l’éducation et de la formation, les activités menées par le formateur requièrent une forte adhésion du sujet apprenant pour que ce dernier puisse faire des progrès, autrement dit, se transforme au fil de ses formations qu’elles soient initiales ou continues. Rejoignant les travaux récents sur la professionnalisation, Maubant et Roger (2012) rappellent deux visées essentielles portant sur « l’évolution des métiers tant du point de vue de l’identité professionnelle que des pratiques mises en œuvre ou des compétences à mobiliser et l’évolution de des formations professionnelles préparatoires à ces métiers » (para. 2). Pour Peraya (2015), cette transformation identitaire renvoie aux représentations de la profession et peut être désignée comme un processus d’acculturation au sein duquel s’améliore la pratique professionnelle et change les conceptions personnelles vis-à-vis du métier.

Les analyses qui prennent l’activité professionnelle comme objet c’est-à-dire les procédures, les tâches et les gestes professionnels, soulignent que la professionnalisation vise à améliorer les pratiques professionnelles, l’efficacité et la productivité du groupe d’acteurs participant au processus en jeu. De nos jours, le contexte socio-économique en forte mutation conduit à la transformation tant des groupes professionnels que des attentes sociales. C’est pourquoi il importe d’examiner de manière rétrospective la mise en œuvre des dispositifs professionnalisants et des situations de formation structurant leur pratique professionnelle, comme le notent Maubant et Roger (2012). « L’analyse des discours sur et pour les professions conduit à identifier quelques zones d’ombre et enjeux tant pour les professionnels eux-mêmes que pour la société dont l’évolution économique et politique accompagne dans un dialogue permanent les transformations des groupes professionnels et des pratiques qui les caractérisent » (Maubant et Roger, 2012, para. 8). Aujourd’hui, l’analyse de la pratique professionnelle, qui est au cœur de la professionnalisation, cherche fondamentalement à « concilier une analyse de discours sur et pour les professions avec une compréhension des pratiques professionnelles constitutives de celles-ci » (Maubant et Roger, 2012, para. 8).

Le groupe professionnel enseignant 

Metzger et Paquelin (2016) empruntent la définition de groupes professionnels de Gadrey (1994) selon laquelle les membres d’une profession sont caractérisés par deux ensembles de conditions :

– La détention de savoirs spécialisé et formalisés, résultant d’une formation supérieure, constituant la base des prestations intellectuelles qu’ils fournissent et une condition d’exercice de l’activité par laquelle ils gagnent leur vie. […]
– L’existence de « barrières à l’entrée » institutionnalisées […] pour ceux qui ne remplissent pas les conditions requises de formation ou de références professionnelles supposées garantir l’usage de méthodes de travail « professionnelles ». (p. 227-228) .

Ainsi les enseignants doivent-ils poursuive des formations ad hoc en vue d’acquérir des connaissances amples et solides et des compétences professionnelles susceptibles de répondre aux exigences institutionnelles. Suite aux travaux de certains chercheurs du courant interactionniste (Bucher et Strauss, 1961 ; Hugues, 1996 ; Paradeise, 2003), Wittorski et Briquet-Duhazé (2008) notent qu’un groupe professionnel, composé d’individus qui construisent leur trajectoire, n’est pas un « havre de paix » mais doit faire face à des « tensions en son sein » : il s’agit des « segments professionnels ». Pour eux, une profession suppose une compétition en tenant compte de conflits d’intérêts.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre I : Le métier d’enseignant
Introduction
1. Quelques caractéristiques du métier d’enseignant
1.1. Le groupe professionnel enseignant
1.2. Le cycle de vie professionnelle des enseignants
1.3. Savoirs professionnels et leurs dimensions
1.4. Le développement du savoir professoral
2. Différentes voies de la formation des enseignants
2.1. Former par développement des compétences professionnelles
2.2. Former par expérience et savoir expérientiel
2.3. De la dimension professionnelle à la perspective professionnalisante
2.4. De l’identité professionnelle à la culture d’enseignant
2.5. De la pratique réflexive au modèle du praticien réflexif
3. Les spécificités de l’enseignement de la langue
3.1. Les savoirs sur la langue et la culture
3.2. Le processus d’enseignement-apprentissage
3.3. Les enjeux de l’enseignement-apprentissage de la langue
4. Les mutations de l’enseignement supérieur
4.1. Les réformes dans l’enseignement supérieur
4.2. Les dispositifs d’accompagnement et de tutorat
4.3. Les nouveaux mandats d’orientation et d’insertion professionnelle
4.4. L’exigence des activités scientifiques
Synthèse du chapitre
Chapitre II : Professionnalisation et professionnalité
Introduction
1. Les deux notions clés du développement professionnel
1.1. Professionnalisation
1.2. Professionnalité
2. Processus de professionnalisation
2.1. Les conditions d’apparition d’une intention de professionnalisation
2.2. Les dimensions de la professionnalisation
2.3. Les dispositifs de professionnalisation
3. Le développement professionnel dans le contexte en mutation
3.1. Le concept de développement professionnel
3.2. Les moyens du développement professionnel
Synthèse du chapitre
Chapitre III : Industrialisation de l’éducation et de la formation
Introduction
1. L’industrialisation et ses marqueurs
1.1. Le projet éducatif industriel en Europe et ailleurs
1.2. La technologisation
1.3. La rationalisation
1.4. L’idéologisation
2. Les critiques contre l’industrialisme éducatif
2.1. Certains constats négatifs
2.2. Les dérives de l’industrialisation
3. La professionnalisation au sein de l’industrialisation
3.1. Le rôle des nouvelles technologies
3.2. L’impact de la rationalisation
3.3. Le passage vers le secteur de self-service
4. L’industrialisation et l’internationalisation du champ des LVE
4.1. L’industrialisation du champ des LVE
4.2. L’internationalisation du champ des LVE
4.3. Le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR)
Synthèse du chapitre
Conclusion générale

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