La profession de masseur-kinésithérapeute
Evolution historique et sociologique de la massokinésithérapie
L’émergence de la profession de masseur-kinésithérapeute fait suite à l’affranchissement progressif de la tutelle médicale bien que ce professionnel exerce encore aujourd’hui sur prescription médicale. Différentes instances (professionnelles, autorité publique indépendante à caractère scientifique, ministérielles, syndicats) régissent cette profession et vont intervenir dans l’évolution de celle-ci. Certaines préciseront et définiront la profession dans l’objectif de reconnaître sa spécificité tandis que d’autres l’engloberont ou la réintégreront dans un collectif (le groupe des professionnels paramédicaux) aux missions et compétences plus transversales. C’est finalement avec l’universitarisation de la formation des masseurs-kinésithérapeutes que la profession va assoir ses fondements scientifiques et affirmer son identité professionnelle et son autonomie.
Emergence, construction et évolution de la profession
La profession de Masseur Gymnaste Médical, comme profession ayant la possibilité d’exercer dans un but thérapeutique sur prescription médicale, est née dans le contexte de l’après-guerre en 1946 : « Lorsqu’ils agissent dans un but thérapeutique les masseurs-kinésithérapeutes ne peuvent pratiquer leur art que sur ordonnance médicale » (loi n°46.857 du 30 Avril 1946). Les pratiques telles que le massage mais aussi celles fondées sur le travail du mouvement, notamment pour la réadaptation des blessés de guerre, existaient antérieurement à la loi décrétant ces pratiques (Monet, 2003). Mais avant 1946, c’est le corps médical qui disposait de l’exclusivité des techniques à visée thérapeutique (loi du 30 novembre 1892). À partir de 1946, la loi identifie ce nouveau corps professionnel et lui confie « un monopole légal en matière de massage, qu’il soit thérapeutique, hygiénique sportif ou de confort et de gymnastique médicale » (Macron, 2015). C’est le début de la reconnaissance professionnelle du masseurkinésithérapeute dont l’exercice est lié à la prescription médicale.
La profession se structure avec la création en 1946 du Conseil Supérieur de la Kinésithérapie. Une place, toujours importante, est accordée au corps médical dans cette instance, composée en majorité de médecins et de masseurs-kinésithérapeutes en plus petit nombre. Cette instance jouera un rôle majeur dans la formation des Masseurs-kinésithérapeutes notamment dans l’agrément des écoles en Masso-Kinésithérapie. La kinésithérapie est alors définie par les techniques très variées qu’elle emploie « à savoir le massage, la gymnastique médicale, la rééducation fonctionnelle et la physiothérapie » (Macron, 2015). Ses missions sont de soigner, soulager, guérir à l’aide de la main et des mouvements.
La kinésithérapie est redéfinie par le Conseil National de l’Ordre de MasseursKinésithérapeutes comme la science du mouvement perturbé qui repose sur des techniques séculaires manuelles (manipulations, reboutement, massage, gymnastique…) et des techniques instrumentales basées sur des propriétés physiques (mécanothérapie, électro-physiothérapie…) (CNOMK, 2011). Les techniques de rééducation curatives dominent l’arsenal des méthodes dont dispose ce professionnel bien qu’elles puissent également s’orienter vers les individus sains pour le maintien en bonne santé. Ces techniques vont s’étoffer (massage, gymnastique médicale puis rééducation fonctionnelle) en s’affranchissant progressivement de la nécessité d’une présence médicale pour pouvoir être réalisées par le masseur-kinésithérapeute (Macron, 2015).
En 1953, les lieux d’exercice se diversifient. Le masseur-kinésithérapeute, qui exerçait en hôpital, a la possibilité d’exercer en centre de rééducation (JORF du 9 octobre 1953). En ce qui concerne les perspectives d’évolution de carrière, en 1968, le certificat de masseurkinésithérapeute moniteur permet à ce professionnel d’accéder à des fonctions d’enseignement et d’encadrement de la masso kinésithérapie (Décret juillet 1967 et Arrêté mai 1968). Cette fonction évoluera vers celle de Cadre de santé en 1995 dont l’activité pourra également s’orienter vers la gestion d’équipes de professionnels de santé dans les structures de soins (Arrêté du 18 août 1995). La formation en Masso-kinésithérapie, dans ses débuts, est de deux années pour passer ensuite à trois années (Décret Mars 1969).
Le domaine d’application de la masso-kinésithérapie va progressivement être confronté à la création de nouvelles professions paramédicales ou auxiliaires médicaux, dont celle d’Ergothérapeute (Décret novembre 1970) et de Psychomotricien (initialement appelé psychorééducateur, Décret février 1974), qui vont s’octroyer une partie du domaine de compétences de la masso-kinésithérapie. D’autres professionnels souhaitent exercer l’art de la rééducation.
L’identité professionnelle des masseurs-kinésithérapeutes est, dans l’histoire, plusieurs fois malmenée et notamment en 1973 avec le remplacement du Conseil Supérieur de la Kinésithérapie par le Conseil Supérieur des Professions Paramédicales (Décret septembre 1973). La profession de masseur-kinésithérapeute est ainsi rattachée à celles d’autres professionnels de santé. Si ces professions possèdent un certain nombre de points communs, elles ont aussi des problématiques différentes, et singulières qui ne seront pas mises en avant du fait de cette gestion collective des professions paramédicales. L’identité collective de ces professions s’en trouve donc renforcée mais a pour conséquence l’annihilation de leur identité professionnelle spécifique. Cette instance se transformera en 2007 en Haut Conseil des professions paramédicales (Décret mai 2007). Les masseurs-kinésithérapeutes appartiennent à la famille des paramédicaux et plus précisément celle des rééducateurs.
Le caractère hétérogène des pratiques, « l’absence de productions de standards de pratiques stables, homogènes » (CNOMK, 2011) ainsi que l’insuffisance des études en lien avec l’efficacité des pratiques des masseurs-kinésithérapeutes ne facilitent pas la légitimité scientifique de la profession. Les compétences diverses techniques et relationnelles (communication, éducation) de ce professionnel se sont construites par un apprentissage expérientiel afin de mieux répondre aux nouvelles demandes des patients et de la santé en général. La profession de kinésithérapeute, en France a produit peu de résultats scientifiques de recherche en kinésithérapie (Gatto, Roquet & Vincent, 2015).
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Table des matières
Introduction
Première partie LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE
1. La profession de masseur-kinésithérapeute
1.1. Evolution historique et sociologique de la masso-kinésithérapie
1.1.1. Emergence, construction et évolution de la profession
1.1.2. Une identité qui s’affirme
1.2. Une profession évoluant dans un contexte général socio-économique et spécifique à la santé
1.2.1. Un contexte économique et financier
1.2.2. L’ère de l’évaluation des pratiques professionnelles et du développement professionnel continu
1.2.3. Un contexte d’évolution des problématiques de santé publique
1.2.4. L’évolution du rapport au patient
1.3. Démographie et modalités d’exercice
1.4. Activité du masseur-kinésithérapeute
2. De la formation initiale de masseur-kinésithérapeute à la fonction de tuteur
2.1. La professionnalisation du masseur-kinésithérapeute en formation initiale : du technicien à l’ingénieur en santé
2.1.1. La formation professionnelle et la professionnalisation : le stage, l’approche par compétences, la réflexivité, le portfolio
2.1.2. Le rôle du tuteur dans le nouveau contexte de formation des masseurskinésithérapeutes
2.2. Les pratiques évaluatives des tuteurs
2.2.1. Qui sont les tuteurs ?
2.2.2. Les facteurs influençant les pratiques évaluatives des tuteurs
2.2.3. Mise en œuvre de l’évaluation par les tuteurs masseurs-kinésithérapeutes
Deuxième partie DU CADRE THÉORIQUE A LA QUESTION DE RECHERCHE La régulation et l’usage des feedback au service de la fonction tutorale
3. L’apprentissage professionnel accompagné
3.1. Le tutorat
3.1.1. Définition, rôle et missions du tuteur
3.1.2. La posture du tuteur
3.1.3. L’activité tutorale post situation professionnelle
3.2. Formation et compétences des tuteurs en général et des tuteurs masseurskinésithérapeutes en particulier
3.3. L’apprentissage de l’évaluation par le tuteur
4. La régulation des apprentissages dans l’évaluation formative
4.1. Notions théoriques sur la régulation
4.1.1. Définitions et objectifs de la régulation des apprentissages
4.1.2. Caractérisation de la régulation
4.1.3. Facteurs influençant la régulation tutorale
4.2. La régulation rétroactive à l’épreuve du terrain : les feedback du tuteur
4.2.1. La régulation tutorale de l’apprentissage pour une évaluation formative
4.2.2. Les feedback : définition, fonctions ; effets et enjeux
4.2.3. Classification des feedback
4.2.4. Régulation rétroactive et feedback dans le champ de la santé
5. Pour une étude de la régulation à visée formative : Problématique, objet et question de recherche, hypothèses
5.1. Problématique et reformulation de l’objet
5.2. Régulation tutorale formative des apprentissages : hypothèses de recherche
Troisième partie LE DISPOSITF MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE
6. Le terrain de recherche
6.1. Constitution et présentation de l’échantillon et des situations cliniques
6.2. Caractéristiques des tuteurs et stagiaires observées
6.3. Le protocole de recherche
6.3.1. L’entretien d’autoconfrontation
6.3.2. Le déroulement du dispositif de recherche dans notre étude
6.4. Transcription des données et convention adoptée
6.5. Un exemple de transcription complète de données des vidéos et des entretiens d’autoconfrontation
6.6. Entretiens de régulation et d’autoconfrontation
6.7. Limites de la méthodologie adoptée
7. Analyse des données : indicateurs et modalités
7.1. L’étude de la régulation de l’activité
Quatrième partie LES RESULTATS DE LA RECHERCHE
8. Interaction tutorale et régulation formative des apprentissages et de l’activité
8.1. Analyse des entretiens de régulation
8.1.1. Les pratiques tutorales dans l’entretien de régulation
8.1.2. Le discours des stagiaires dans l’entretien de régulation
8.1.3. Focus sur les moments de régulation de l’activité exprimée par le stagiaire
8.2. Analyse des entretiens d’autoconfrontation
8.2.1. Les entretiens d’autoconfrontation avec les tuteurs
8.2.2. Les entretiens d’autoconfrontation avec les stagiaires / tutorés
8.2.3. Les moments de régulation dans les entretiens d’autoconfrontation
9. Interprétation des entretiens
9.1. La régulation de la conception de l’activité
9.1.1. Les feedback et les marques discursives de régulation
9.1.2. Retour sur le vécu des acteurs et les éléments de contexte
9.1.3. Définition de la régulation, sollicitation et expression de la régulation
9.1.4. Proposition d’une typologie des régulations de l’activité
Conclusion
Bibliographie