Notre curiosité sur l’expertise sociale, qui s’est progressivement muée en objet de recherche, prend racine dans la réforme du DEASS (Diplôme d’État d’Assistant-ede Service Social) en 2004. Cette terminologie faisait son apparition dans le champ du travail social, notamment comme domaine de compétences pour les futurs Assistant(e)s de Service Social (ASS), intrigant le formateur en travail social que je suis actuellement, après avoir exercé comme ASS en psychiatrie adultes pendant onze années.
Parmi les termes contemporains que l’on voit apparaître et se développer dans différents champs et sur de multiples scènes, l’expertise occupe une place prépondérante. Se fier au spécialiste des spécialistes, au garant d’une forme de rationalité, défier le ‘’flou’’, rationaliser l’irrationnel, mesurer, quantifier. S’en remettre à celui qui sait, celui qui saurait, semble d’actualité, tout au moins ‘’à la mode’’. De multiples et variables sens et interprétations sur lesquels il conviendrait de s’accorder.
Le terme expertise se trouve associé à différents adjectifs et qualificatifs, tels que ‘’médicale’’, ‘’psychiatrique’’, ‘’comptable’’, ‘’immobilière’’, ‘’automobile’’, ‘’financière’’, ‘’technique’’. Il apparaît donc dorénavant également attaché à ‘’sociale’’ (2003), interrogeant dans cette « association » ses propres paradoxes, en termes de sens. Cela interpelle ceux qui seraient les professionnels de ‘’l’expertise sociale’’ : sociologues, travailleurs sociaux, représentants syndicaux entre autres, en (re)questionnant un champ, celui du travail social, lui-même en quête de sens. Regarder s’il existe une expertise sociale, et s’interroger sur son sens et son intérêt, permet également de s’interroger sur ‘’Á quoi sert le travail social encore aujourd’hui’’ ? La question a souvent été posée et traitée, mais mérite toujours d’être clarifiée au regard de l’évolution du contexte sociétal. Á notre sens, l’expertise sociale peut être envisagée, considérée, comme un enjeu directement lié à cette question.
ÉTAT DE L’ART et ENVIRONNEMENT DE RECHERCHE – Expertise sociale et dimensions spatiales : une approche multidimensionnelle et complexe
Pour saisir un environnement de recherche, l’état de l’art (comme partie intégrante de cet environnement – Quivy, Van Campenhoudt, 2011) comprend l’état de connaissances, les différents acquis et travaux réalisés dans le domaine traité. Dans ce travail de thèse, pour ensuite construire et proposer une grille d’analyse de l’objet étudié, il convient d’aborder l’expertise sociale, territoire(s) et espace(s), la question sociale, le travail social et la profession d’ASS, santé et santé mentale. De manière générale, l’état de l’art constitue donc un état des connaissances existantes, à un moment donné, sur un objet d’étude. Notre objet de recherche, pluriel et multiple dans ses points ainsi abordés, ne peut prétendre à l’exhaustivité des littératures afférentes.
Expertise sociale : objet ‘’inconnu’’ au centre du questionnement
Pour proposer par la suite une conceptualisation de l’expertise sociale, nous annonçons ici quelques contours indispensables en termes de repères sur l’essence, et les sens, de ces termes. Le terme expertise regroupe à la fois la connaissance et la compétence de l’expert, les ASS ont donc un savoir (connaissances) et un savoir-faire (méthodologie) auxquels pourraient s’ajouter un savoir être (posture), mais aussi un savoir agir, un vouloir agir, un pouvoir agir. La question de savoir-lier (Robin, 2016) tout cela, formerait la constitution d’une expertise, tout en constituant un positionnement professionnel.
Cette partie, comme ‘’état de l’art’’ sur l’expertise sociale, va permettre de répondre à la question ‘’De quoi parle-t-on ?’’, pour ensuite proposer quelques approches annonçant des liens entre ‘’expertise sociale’’ et ‘’travail social’’. « Le mot de complexité ne peut qu’exprimer notre embarras, notre confusion, notre incapacité de définir de façon simple, de nommer de façon claire, de mettre de l’ordre dans nos idées (…) Est complexe ce qui ne peut se résumer en un maître mot, ce qui ne peut se ramener à une loi, ce qui ne peut se réduire à une idée simple » (Morin, 1990). Tel en est-il de l’expertise sociale. Considérant également que « les mots sont des instruments que chacun de nous est libre d’appliquer à l’usage qu’il souhaite, à condition qu’il s’explique sur ses intentions », en reprenant ainsi Levi Strauss (1987) un détour par quelques définitions et clarifications conceptuelles s’impose alors.
Le Larousse encyclopédique (1993) propose comme définition pour l’‘’expertise’’, une « Constatation ou estimation effectuée par un technicien qualifié ». Communément, l’expertise est l’examen par une personne connue pour ses compétences, l’expert, d’un litige ou d’un point particulier, généralement technique, à propos duquel elle fait connaître son avis .
Dans un dictionnaire de Sociologie, Dadoy (1999) parle de :
– « Faire l’expérience de » ;
– « En droit, l’expert est un spécialiste dans un domaine donné, dont les connaissances de très haut niveau sont reconnues par les deux parties – En travail social, serait-ce l’usager d’un côté, l’administration et/ou l’institution et/ou la société et/ou le ‘’cadre’’ de l’autre ?!… – en litige et qui est appelé par un juge pour procéder à une expertise, c’est-à-dire pour examiner une question de fait selon les règles de l’art de sa spécialité, et donner un avis – Question de communication… – compétent, purement technique, qui aidera le juge à trancher le conflit », invitant ainsi à une réflexion sur le ‘’rôle d’interface’’ et le ‘’rôle d’expert’’. ‘’Expert’’ vient du latin « Expertus, qui a éprouvé […] versé dans la connaissance d’une chose par la pratique » (Dictionnaire Larousse Encyclopédique, 1993) « Qui a acquis une grande habileté par la pratique… être expert en la matière » (Dictionnaire Hachette, 2008). En complément, Akoun (1995) propose :
– « Du latin expertus éprouvé, qui a fait ses preuves » ;
– « Recours, par une instance politique, sociale, juridique, ou autre, à un particulier reconnu comme expérimenté dans un métier, un art ou une science, afin d’obtenir de ses compétences les renseignements dont il est besoin pour éclairer une décision à prendre. Les experts produisent un rapport technique qui n’accompagne aucun avis sur le choix à prendre ».
Ces différentes définitions et dimensions restent donc à interroger au regard des ASS, c’est ce que tentent de proposer les pages à suivre. En ce sens, De Robertis (2007), inspirée par Aballéa (1996) évoque que « L’expertise est à la base de toute profession. Un expert est celui qui ‘’habite dans un art, un métier qui s’apprend par l’expérience ; une personne qualifiée pour donner son avis sur une question de sa compétence ».
L’expertise peut-elle se penser en termes d’articulation de ses trois dimensions, en termes de compétences de « Savoir lier » (Robin, 2016) ? Comme le précise Dadoy (1999), « La compétence, convoquée dans les définitions liées à l’expertise, vient du latin competentia ‘’proportion, juste rapport’’, dérivé de competere ‘’aboutir au même point’’ ». Il s’agit ici d’aptitudes, de connaissances générales et professionnelles, théoriques et pratiques, et qui conditionnent un comportement, mais également de pouvoir et d’habilitation conférés à une personne par une autorité, tout autant que d’adaptation et d’efficacité par rapport à des normes et des objectifs fixés.
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Table des matières
INTRODUCTION GÉNÉRALE
PROBLÉMATIQUE
UNE MÉTHODOLOGIE QUALITATIVE CENTRÉE SUR LES DISCOURS
Note méthodologique phase 1 : dans une perspective de découverte
Note méthodologique phase 2 : dans une logique de compréhension
PARTIE 1 : ÉTAT DE L’ART et ENVIRONNEMENT DE RECHERCHE – Expertise sociale et dimensions spatiales : une approche multidimensionnelle et complexe
1.1. Expertise sociale : objet ‘’inconnu’’ au centre du questionnement
1.2. Géographie sociale : enjeux spatiaux et territorialisés
1.3. La fabrique de l’expertise sociale
Conclusion – discussion(s) de la partie 1 : expertise sociale et rapport à l’espace
PARTIE 2 : GRILLE ANALYTIQUE et TERRITOIRES
2.1. Grille d’analyse : proposition d’une typologie de l’expertise sociale, à la croisée de multiples ‘’rencontres’’
2.2. Présentation territoires d’études : Guérande / Trignac / Saumur
Conclusion – discussion de la Partie 2 : expertise sociale, entre résistance et reconnaissance
PARTIE 3 : CONCEPTUALISER L’EXPERTISE SOCIALE
3.1. … pour donner du sens au regard des objectifs et des moyens
3.2. … aux prises d’enjeux spatio-temporels
3.3. … comme mise en valeur de l’expérience et des capacités d’adaptation
3.4. … et considérer la communication comme reconnaissance du besoin de ‘’l’autre’’
Conclusion – synthèse de la partie 3 : l’expertise sociale ou l’art du ‘’savoir lier’’
PARTIE 4 : EXPERTISE SOCIALE, TERRITOIRES ET SANTÉ MENTALE : ingrédients et expertises
4.1. Santé mentale : quelques repères législatifs et réglementaires
4.2. L’expertise sociale incertaine : « Faire de la gymnastique », une question d’équilibre et de communication
4.3. L’expertise sociale plurielle, collective, partagée : passer de la coexistence à la complémentarité
4.4. L’expertise sociale citoyenne, expertise sociale d’usage : redonner du sens à l’accompagnement et sa place au citoyen
4.5. L’expertise sociale réflexive : assumer la complexité du réel pour être créatif
4.6. L’Expertise sociale située : territorialiser les complémentarités et le sens de l’intervention
Conclusion – discussion de la partie 4 : l’expertise sociale ou l’art du métissage
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES