La productivité économique partielle de l’eau d’irrigation
Du développement a la gestion de la ressource
Notre cas d’étude est loin d’ˆetre isolé. L’augmentation de la demande en eau, due a la croissance démographique et au développement economique, fait apparaˆıtre un peu partout sur notre plan`ete, des situations de surexploitation de la ressource en eau, ce qui place sa gestion au centre des préoccupations politiques actuelles. Les projections récentes montrent que la consommation globale en eau pourrait augmenter de 23% entre 1995 et 2025. La situation serait encore plus problématique pour les pays en développement, o`u l’on attend une augmentation de la demande de 28% sur la même période (Rosegrant et al., 2002). Par ailleurs, nous devrions observer une réallocation progressive des grands postes de consommation. On anticipe ainsi une croissance de la demande tr`es importante dans les secteurs non-agricoles : 75% dans le secteur domestique, 42% dans le secteur industriel, contre un taux de croissance de la demande agricole relativement modeste de 4%1. Ces projections montrent enfin que, dans de nombreuses régions, la disponibilité de l’eau pour l’irrigation sera de plus en plus remise en cause au profit des autres usages : domestique, industriel et environnemental.
La reponse traditionnelle `a la croissance de la consommation et de la demande potentielle a été d’augmenter l’offre avec la création de grands projets hydrauliques (barrages, déviation de grands cours d’eau, mise en exploitation des nappes phréatiques). En ce qui concerne l’agriculture, les Etats ont également été `a l’initiative de grands projets de développement de régions agricoles par le biais de l’aménagement de grands périm`etres irrigués, ou par la promotion de la petite irrigation. Le Mexique, nous le verrons, n’a pas dérog é `a cette r`egle. Cependant, les nouvelles sources d’eau douce sont de plus en plus ch`eres `a exploiter, limitant ainsi le potentiel d’augmentation de l’offre en eau. En Afrique, par exemple, l’investissement dans des projets, grands ou moyens, était estimé `a 8.300 US$/ha (FAO, 1992b). Cependant, les coˆuts moyens des syst`emes d’irrigation en Afrique Sub-Saharienne pourraient atteindre 18.000 US$/ha si les coˆuts indirects (routes, déplacement population, etc. ) sont inclus (Jones, 1995). La compétition croissante pour l’eau, l’augmentation des coˆuts de réalisation et de maintenance de telles entreprises, et une meilleure prise en compte des coˆuts environnementaux rendent donc l’augmentation de l’offre et les aménagements `a vocation agricole de moins en moins réalistes.
Face `a une exploitation per¸cue, souvent `a juste titre, comme non-soutenable de la ressource en eau, les efforts se focalisent depuis quelques années vers une gestion de la demande en eau. Il faut bien sˆur replacer cette évolution dans le contexte plus global d’une réorientation des politiques de développement donnant une importance croissante aux concepts de développement durable (Bruntland, 1987) et de gestion durable des ressources. Cette transition d’une politique de développement volontariste, d’aucun diraient de la mise en valeur mini`ere des ressources naturelles, vers une gestion de la demande est également `a relier aux étapes de développement d’un pays. De la mˆeme mani`ere qu’il peut ˆetre rationnel pour un producteur d’avoir un comportement minier sur les ressources dont il dispose (Pagiola, 1993), certains auteurs sugg`erent qu’il puisse ˆetre rationnel pour un pays de puiser dans son stock de ressources naturelles `a des fins de développement (Allan, 1996). Cependant, cette phase de développement non-durable peut le conduire, si ce mode se poursuit, `a une catastrophe écologique et en retour `a des situations de crises économiques.
L’efficience d’irrigation peut-elle être amélioré ?
Avec 85% de l’eau consommée, c’est a dire non utilisable pour d’autres usages, l’agriculture irriguée est la cible principale des nouveaux instruments mis en place. L’agriculture irriguée a été accusée d’ˆetre peu _ efficiente _ dans son utilisation de l’eau. L’efficience d’irrigation, définie comme le rapport entre eau déviée et eau réellement utilisée par les plantes, varie beaucoup en fonction des conditions agronomiques et climatiques et des techniques employées. Dans beaucoup de régions cependant, on annonce des efficiences d’irrigation de 40 `a 50%, i.e. moins de la moitié de l’eau déviée est donc utilisée par les plantes. C’est également le cas de la région qui nous concerne (CEAG, 1999). Cependant, ces dix derni`eres années, les concepts d’efficience de l’utilisation de l’eau, de pertes réelles en eau et d’utilisation agricole de l’eau ont été revisités avec une attention particuli`ere . Une distinction importante doit ˆetre faite entre l’efficience d’irrigation au niveau d’une parcelle ou d’une exploitation, et celle réalisée au niveau d’un bassin versant (Seckler, 1996 ; Molden et al., 2003). Alors qu’une exploitation peut effectivement n’utiliser que 50% de l’eau qu’elle capte, l’eau rejetée peut ˆetre utilisée par d’autres producteurs ou retourner vers les nappes phréatiques. Les efficiences calculées au niveau des bassins sont donc typiquement plus élevées que celles calculées au niveau des exploitations agricoles et les gains d’efficience espérés sont donc moindres que ceux annoncés avant ces mises au point.
Pour la question qui nous préoccupe cependant, trois remarques impor- tantes doivent ˆetre faites. Premi`erement, il faut faire la distinction entre des syst`emes o`u la demande est fixe, et celle o`u la demande est croissante. Dans notre cas, la demande des secteurs non-agricoles est fortement croissante, et les aquif`eres sont déj`a sur-exploités. Donc nous recherchons `a réallouer partie de la demande brute vers les autres secteurs, et `a réduire la demande agricole. Deuxi`emement, la réduction de la consommation brute par l’agriculture apporte certains bénéfices que nous n’évaluerons pas ici, mais qui méritent d’ˆetre mentionnés : diminution de la pollution potentielle par les produits chimiques agricoles, réduction du coˆut d’extraction et de traitement des eaux pour la consommation humaine, meilleur bilan énergétique en évitant les extractions multiples de la ressource eau. Troisi`emement, certaines innovations permettent des gains d’efficience tant au niveau bassin qu’exploitation agricole. Une distinction entre la transpiration des plantes (productive), et l’évaporation (improductive) permet d’entrevoir les options techniques `a notre disposition : le semis direct avec couvert végétal, par exemple, réduit l’évaporation et donc les pertes tant au niveau bassin qu’exploitation. Notre problématique se situera donc bien dans un cadre de réallocation de l’eau entre le secteur agricole et les autres secteurs. On recherchera donc bien `a limiter la demande en eau des producteurs.
Spécificité des eaux souterraines Nous nous intéresserons dans ce travail plus particuli`erement aux eaux souterraines. Comme dans le cas général, leur utilisation a été largement encouragée et aidée par le biais des subsides de l’Etat : subventions ou facilités de crédit pour les forages, diminution des coˆuts d’extraction par une réduction des tarifs électriques. Cette promotion reposait sur l’abondance apparente de la ressource et sur ses avantages spécifiques. Cependant, ces avantages comparatifs en font aujourd’hui une ressource trop populaire et les probl`emes d’épuisement des aquif`eres est devenu un phénom`ene commun (Shah et al., 2000).
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Table des matières
I Des problèmes, une problématique
1 Introduction
1.1 Du développement `a la gestion de la ressource
1.2 L’efficience d’irrigation peut-elle ˆetre améliorée
1.3 Spécificité des eaux souterraines
1.3.1 Une abondance apparente
1.3.2 Des avantages uniques
1.4 Caractéristiques de la ressource
1.4.1 Une ressource naturelle renouvelable ?
1.4.2 Un bien économique classique ?
1.4.3 Un bien en propriété collective
1.5 Historique de la gestion des eaux souterraines au Mexique
1.6 La région d’étude
1.6.1 Le milieu physique
1.6.2 Les eaux souterraines
1.6.3 Les puits
1.6.4 Le fonctionnement des puits collectifs
1.6.4.1 Environnement physique
1.6.4.2 R`egles internes
1.7 Conclusions
II. Problématique et orientations théoriques
2.1 Contours de la problématique
2.1.1 Question initiale
2.1.2 Quels impacts ?
2.1.2.1 L’efficacité
2.1.2.2 La productivité économique partielle de l’eau d’irrigation
2.1.2.3 L’efficience
2.1.2.4 L’équité
2.2 Quelles théories et quels instruments mobiliser ?
2.2.1 Les instruments de gestion de la demande en eau
2.2.1.1 La tarification de l’eau
2.2.1.2 Les quotas
2.2.1.3 Les marchés de l’eau
2.2.1.4 Conclusions sur les instruments de gestion
2.2.2 La gestion des biens en propriété commune
2.2.2.1 Introduction
2.2.2.2 Modélisation multi-agents
2.2.2.3 Théorie des jeux
2.2.3 La formation des prix sur les marchés oligopolistiques
2.2.4 La modélisation bio-économique
2.3 Conclusions
II Les puits collectifs et leur modélisation
3 Vers la représentation des puits collectifs : bases empiriques
3.1 Introduction
3.2 Méthodologie
3.2.1 Deux échelles imbriquées
3.2.2 L’échantillonnage
3.2.2.1 Stratification régionale
3.2.2.2 Echantillonnage des communautés et des puits gérés par des collectivités
3.3 Statistiques des puits visités
3.3.1 Critères de taille
3.3.2 La valorisation de l’eau : diversification des cultures
3.3.3 L’historique des puits
3.3.4 Les autres activités des groupes
3.3.5 Les règles au sein des groupes
3.3.5.1 Distribution de l’eau
3.3.5.2 Allocation de l’eau
3.3.5.3 Allocation des coûts d’extraction
3.4 Lecture synthétique du fonctionnement des puits
3.4.1 La pression théorique sur l’eau est forte
3.4.1.1 Une réduction forte et _ spontanée _ des cultures irriguées durant le cycle d’hiver (type 3)
3.4.1.2 Le groupe adopte des règles qui contraignent la consommation de chacun des membres du groupe (type 4)
3.4.2 La pression théorique sur l’eau est normale ou faible
3.4.2.1 Avec absence de flexibilité au sein du tour d’eau (type 2)
3.4.2.2 Avec une certaine flexibilité au sein du tour d’eau
3.5 Statistiques des producteurs au sein des puits collectifs
3.6 Les différents types de producteurs
3.6.1 Les petits producteurs pluriactifs
3.6.2 Les producteurs moyens avec des productions fourrageres
3.6.3 Les producteurs moyens céréaliers
3.6.4 Les producteurs _ en croissance
3.7 Conclusions
IV. Interactions stratégiques entre les producteurs : une premiere représentation stylisée
4.1 Introduction
4.2 Les interactions stratégiques induites par les règles de répartition des coûts d’extraction et les fonctions tarifaires
4.2.1 Un premier exemple simple
4.2.1.1 Mise en commun des profits et équilibre efficient
4.2.1.2 Paiement au prorata des surfaces emblavées et comportement non-coopératif
4.2.1.3 Paiement au prorata des consommations et comportements non-coopératifs
4.2.1.4 Tarification binôme et implication pour les interactions stratégiques entre producteurs
4.2.2 Efficience d’irrigation endogène
4.2.2.1 Modele coopératif
4.2.2.2 Influence du coˆut de l’électricité sur les décisions de production
4.2.2.3 Influence du coˆut du travail sur les décisions
4.2.2.4 Paiement au prorata des surfaces et comportements non-coopératifs
4.2.2.5 Influence du coˆut de l’électricité sur les décisions de production
4.3 Interactions pour la disponibilité de la ressource et risques de production
4.4 Conclusions
V. Décisions d’irrigation a la parcelle : quelles options pour le producteur, et quels degrés de liberté
5.1 Introduction
5.2 Les relations entre consommation en eau et rendements : les mod`eles utilisés dans la littérature économique
5.2.1 Fonctions de production estimées
5.2.2 Les mod`eles de simulation
5.2.3 Les mod`eles de bilan hydrique
5.2.4 Conclusion
5.3 Description de l’irrigation `a la raie
5.3.1 Pourquoi seulement l’irrigation `a la raie
5.3.2 Irrigation `a la raie : principes de base
5.3.3 Simulation de l’irrigation au niveau d’une raie
5.3.4 Les crit`eres d’évaluation hydrauliques : premiers éléments quantitatifs d’analyse des pratiques d’irrigation
5.3.5 Présentation du concept d’ _ option d’irrigation
5.3.6 Efficience d’application d’une irrigation en fonction de l’état du milieu
5.4 Relations Eau rendement travail
5.5 Conclusions
VI. Le modele d’exploitation et l’équilibre coopératif
6.1 Introduction
6.2 Structure du mod`ele d’exploitation
6.2.1 Le processus de décision
6.2.2 Structuration de la décision par rapport au risque
6.2.3 La prise en compte du risque dans la décision
6.2.3.1 Maximisation d’une fonction d’utilité
6.2.3.2 Les mod`eles de type _ safety-first
6.2.3.3 Conclusion : choix de représentation du risque
6.2.4 Fortune ou revenus transitoires ?
6.3 Les éléments de base du mod`ele d’exploitation
6.3.1 Les zones (z)
6.3.2 Les cultures (c)
6.3.3 Le ménage et sa composition
6.3.4 Les états de nature
6.4 Les contraintes
6.4.1 Les contraintes de terre
6.4.2 L’irrigation et ses contraintes
6.4.2.1 Les contraintes de disponibilité en eau
6.4.2.2 Les contraintes d’organisation : tour d’eau
6.4.3 Les contraintes interagissant avec la migration
6.4.3.1 L’impact de la migration sur les syst`emes de production
6.4.3.2 Les contraintes de travail
6.4.3.3 La disponibilité en travail familial
6.4.3.4 Les contraintes de financement
6.4.3.5 Les contraintes de crédit
6.4.3.6 Le coˆut global et individuel de l’eau d’irrigation169
6.5 Fonction objectif et prise en compte du risque
6.6 Modélisation de l’équilibre coopératif
6.7 Les données
6.7.1 Les prix des produits agricoles
6.7.2 Les autres coefficients techniques
6.8 Conclusions
VII. L’équilibre non-coopératif
7.1 Introduction
7.2 Modélisation MCP
7.2.1 Formulation en inégalités variationnelles
7.2.2 Conditions de Karush-Kuhn-Tucker (KKT)
7.2.3 Formulation d’un probl`eme de complémentarité
7.2.4 Equilibre non-coopératif et complémentarité mixte
7.3 Application au puits collectif
7.3.1 Présentation générale
7.3.2 Le mod`ele de puits non-coopératif
7.4 Conclusions
III Simulations et analyse des instruments
8 Analyse des instruments au niveau des puits collectifs
8.1 Introduction
8.2 Les groupes
8.3 La situation de base : l’équilibre non-coopératif
8.4 Les gains potentiels de la coopération
8.4.1 En termes de consommation en eau
8.4.1.1 La consommation du groupe
8.4.1.2 Les consommations individuelles
8.4.2 En termes de revenus agricoles des producteurs
8.4.2.1 Impact sur le revenu du groupe
8.4.2.2 Répartition du coˆut de la non-coopération
8.4.3 Les instruments de la coopération
8.4.3.1 Le changement de tarification interne
8.4.3.2 Les quotas internes
8.4.4 Evaluation intermédiaire de l’impact des r`egles collectives
8.5 La tarification électrique
8.5.1 Courbe de demande en eau des syst`emes irrigués
8.5.2 Les demandes individuelles
8.5.3 Effets sur les revenus agricoles agrégés
8.5.4 Effet sur la productivité partielle de l’eau
8.6 Changements de type de tarification
8.6.1 La tarification par paliers
8.6.1.1 Effets directs
8.6.1.2 Application pratique
8.6.2 La tarification uniforme avec remise fixe
8.6.2.1 Effets directs de la tarification
8.6.2.2 Un instrument de transfert ?
8.6.2.3 Application pratique et dangers potentiels ?
8.7 Les quotas électriques
8.7.1 Effets sur la consommation en eau
8.7.2 Effets sur les revenus
8.7.3 Effets sur la productivité partielle de l’eau
8.7.4 Application pratique et dangers potentiels
8.8 Promouvoir le changement technique
8.8.1 Quelles techniques ?
8.8.2 Introduction des techniques dans notre mod`ele
8.8.3 Effet du changement technique seul
8.8.4 Interactions entre changement technique et tarification électrique
8.8.4.1 Courbes de demande en eau
8.8.4.2 Effets sur les revenus
8.8.5 Conclusion sur le changement technique
8.9 Conclusions
9 Récapitulatif sur les instruments et premiers éléments d’une analyse agrégée
9.1 Introduction
9.2 Récapitulatif des effets des instruments
9.2.1 Aucun des instruments pris individuellement n’est satisfaisant
9.2.2 Travail institutionnel et changement technique
9.2.3 Vers une synergie entre les instruments ?
9.3 Agrégation au niveau d’un aquif`ere : premiers éléments numériques
9.4 Conclusion : encore quelques écueils de taille
10 Conclusion generale
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