La production d’écrits en français

Dès les premiers jours de classe, je me suis rendue compte que certains de mes élèves de CE2 rencontraient de grosses difficultés en situation d’écriture et que deux d’entre eux semblaient même en totale rupture avec l’écrit, refusant de se mettre à la tâche et ne parvenant à produire qu’une dizaine de mots au terme d’un long travail de remédiation. Ce problème a été le déclencheur de ma réflexion car la maîtrise de la langue écrite nécessite l’acquisition et la mobilisation de nombreuses compétences, dont les élèves ne mesurent que rarement l’intérêt. Ils considèrent en effet souvent les séances d’enseignement du français, qu’ils s’agissent de l’orthographe, de la grammaire ou de la production d’écrits, comme des temps d’activités purement scolaires, dépourvues de sens.

Je me suis donc demandé comment motiver mes élèves à entrer dans l’écrit, en leur proposant une activité d’écriture qui s’exercerait dans une situation de communication réelle. Du fait de mon parcours professionnel antérieur dans le journalisme, je me suis orientée naturellement vers le projet de leur faire réaliser un journal de classe. Cette initiative me permettait ainsi d’expérimenter sur le terrain la pédagogie de projet et d’en mesurer l’efficacité en menant en parallèle une démarche d’investigation, dont l’objectif serait de montrer en quoi la mise en place de ce projet pouvait transformer le rapport à l’écrit des élèves réfractaires.

Cadre institutionnel

L’écrit et l’école

Selon Jack Goody, « l’école et l’écriture sont inextricablement liées depuis leurs origines. » En effet, l’entrée dans le langage parlé s’opère en grande partie par imprégnation, grâce aux interactions quotidiennes. En revanche, l’entrée dans le langage écrit nécessite de s’y consacrer entièrement, de façon volontaire et consciente, puisque « l’écriture suppose une mobilisation de l’œil et de la main qui la rend incompatible [comme la lecture] avec toute autre activité » . L’acquisition et le maniement des signes graphiques requièrent ainsi, en tant qu’activité séparée, un lieu et un temps propres que lui offre l’institution scolaire. Par ailleurs, l’invention de l’écriture a permis de séparer les énoncés formulés de l’acte d’énonciation. Une fois transcris, les savoirs dont ces énoncés sont porteurs deviennent indépendants du sujet parlant et des circonstances dans lesquels ils ont été proférés. Ces savoirs acquièrent ainsi une existence propre que l’école, comme lieu séparé, peut transmettre. « [L’école] confronte les élèves au texte écrit, langage objectivé, matérialisé, visualisé, qui leur ouvre la possibilité de prendre à l’égard de ses énoncés la distance et le temps nécessaires à l’examen attentif et à la réflexion. Elleles invite à entrer dans ce rapport volontaire et conscient au langage qui est nécessaire à la production d’énoncés écrits. » L’école joue donc bien un rôle essentiel dans l’apprentissage de la langue écrite, à la fois en permettant aux élèves de s’y consacrer pleinement et en favorisant cette distance réflexive indispensable pour pouvoir produire des écrits, comme nous allons le voir par la suite. La maîtrise de la langue écrite tient ainsi naturellement une place prépondérante dans les nouveaux programmes de 2015.

La production d’écrits en français

Les élèves apprennent à produire des textes tout au long de leur scolarité, d’abord à l’oral en dictée à l’adulte, puis progressivement à l’écrit. Au cycle 2, ils « acquièrent peu à peu les moyens d’une écriture relativement aisée », « sont par ailleurs confrontés à des tâches de production d’écrits », « se familiarisent avec la pratique de la relecture de leurs propres textes pour les améliorer » et « développent une attitude de vigilance orthographique ». Les tâches d’écriture s’appuient ainsi sur quatre composantes essentielles : la maîtrise du code alphabétique et du geste graphomoteur, la production de textes, la révision des écrits produits et la mobilisation des connaissances acquises sur le fonctionnement de la langue.

Les nouveaux programmes insistent notamment sur la fréquence des situations d’écriture et la quantité des écrits produits, quel que soit le niveau. L’objectif de cette pratique est qu’à la fin du CE2 l’élève soit capable de « rédiger un texte d’environ une demi page, cohérent, organisé, ponctué, pertinent par rapport à la visée et au destinataire », mais également d’« améliorer une production, notamment l’orthographe, en tenant compte d’indications ».

Ces compétences à acquérir en matière d’écriture se révèlent fortement liées aux trois autres domaines de l’enseignement du français : le langage oral, la lecture et compréhension de l’écrit, l’étude de la langue. En effet, « la maîtrise progressive des usages de la langue écrite favorise l’accès à un oral plus formel et mieux structuré », mais écrire est également mis en avant comme l’un des moyens d’apprendre à lire et de consolider ses connaissances en grammaire, en orthographe et en vocabulaire. Cette approche transversale de l’écriture se retrouve d’ailleurs dans toutes les matières au programme.

Une approche transversale

La production d’écrits est nécessaire dans la plupart des activités scolaires et permet ainsi la transversalité entre différentes matières. Ainsi, lors des phases d’institutionnalisation qui viennent clore les séances de découverte, une production d’écrits collective est effectuée afin de construire une trace écrite des connaissances et compétences à retenir. Ce type de production s’appuie généralement sur une dictée à l’adulte et un étayage de l’enseignant qui vise à faire formuler les principales découvertes réalisées par les élèves lors de la situation problème.

Les élèves sont également amenés à produire des écrits en autonomie lors des phases d’entraînement, par exemple pour résoudre des problèmes en mathématiques ou répondre à des questions de compréhension de textes documentaires appartenant au domaine « Questionner l’espace et le temps ». Les tâches d’écriture sont aussi présentes lorsqu’il s’agit de formuler des hypothèses ou de réaliser un compte-rendu d’expérience en sciences. Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture fait également référence à l’écrit de façon transversale. Il indique en effet comme objectif de connaissances et de compétences que tout élève doit maîtriser en fin de scolarité obligatoire : « l’élève s’exprime à l’écrit pour raconter, décrire, expliquer ou argumenter de façon claire et organisée. Lorsque c’est nécessaire, il reprend ses écrits pour rechercher la formulation qui convient le mieux et préciser des intentions et sa pensée » . Il précise quelques lignes plus loin : « Dans des situations variées, il recourt, de manière spontanée et avec efficacité, à la lecture comme à l’écriture » . On voit donc l’importance accordée à la production d’écrits à l’école, mais tous les élèves sont-ils égalitaires face à la culture écrite ? Et d’où viennent les principales difficultés rencontrées dans l’apprentissage de la langue écrite ?

Etat des lieux théoriques

Les inégalités scolaires face à la culture écrite

La lecture de différents travaux de chercheurs montre que tous ne sont pas d’accord concernant l’égalité des élèves face à l’écrit. Certains défendent ainsi la thèse du handicap socioculturel, tandis que d’autres lui opposent celle de l’éducabilité universelle. Les premiers estiment qu’une partie des élèves, notamment dans les classes populaires, ne disposent pas des ressources culturelles et linguistiques suffisantes pour garantir une entrée normale dans la culture écrite. C’est le cas du sociologue Basil Bernstein pour qui, « au niveau du discours, les options syntaxiques sont réduites et le champ des choix lexicaux restreint » dans les classes populaires, en raison d’un aspect communautaire qui entraîne des utilisations de la langue beaucoup plus prévisibles (des phrases courtes, grammaticalement simples et syntaxiquement pauvres). En revanche, la culture individualiste des classes cultivées exigerait un effort pour « élaborer verbalement les intentions et les rendre plus explicites » et induirait donc des énoncés dotés « d’une organisation culturelle et d’une sélection lexicale de plus haut niveau » . Or, c’est bien ce type de performances linguistiques qui prépare au mieux aux écrits attendus au sein de l’institution scolaire. Jack Goody considère de son côté que c’est la plus grande proximité des usages langagiers des classes favorisées à la langue écrite qui leur donnerait un avantage en matière d’apprentissages scolaires, en prédisposant les jeunes à s’en approprier les normes. Il constate, en effet, une prise de conscience métalinguistique plus précoce dans un milieu familial lettré, grâce aux exigences en matière de correction de la langue orale imposées à l’enfant, qui insistent sur les règles de la syntaxe et font apparaître le langage comme objet d’attention intellectuelle. « La constatation est importante pour comprendre la réussite scolaire en général puisque les enfants de parents instruits seront avantagés lorsqu’il s’agira de maîtriser l’écrit, car leur discours est vraisemblablement plus proche de la forme écrite, du moins leur compréhension du discours plus contournée des gens instruits sera-t-elle facilitée. » .

Jean-Pierre Terrail relativise au contraire cette théorie du handicap socioculturel car « ce n’est pas parce que les élèves d’origine populaire ont moins de ressources que les “héritiers” qu’ils n’en ont pas assez pour s’assurer une entrée normale dans la culture écrite » . Et d’ajouter : « L’héritage des uns ne justifie pas l’échec des autres.»  Il estime en effet que, même si les écarts culturels peuvent induire des variations dans la nature des difficultés rencontrées lors de l’entrée dans le monde de l’écrit, aucune d’entre elles n’est insurmontable. C’est le principe de l’éducabilité universelle. Jean-Pierre Terrail parle, lui, du principe de l’égalité des intelligences, car « tous les êtres parlants disposent, en tant que tels, des mêmes moyens de compréhension et de connaissance. Les apprentissages lettrés peuvent être un peu plus longs ou un peu plus difficiles pour certains, au moment de les engager, tous les possibles intellectuels leur restent néanmoins ouverts » . Mais alors, quelles sont les sources des difficultés rencontrées par certains élèves face à la production d’écrits ?

Les difficultés par rapport à l’écrit

Elaborer un texte est une activité complexe qui exige des compétences et des connaissances particulières. « Le rédacteur doit être attentif à la fois à l’organisation générale de son propos (quel plan adopter en fonction du but du texte et de son destinataire ? comment commencer ? …), à l’agencement des phrases (comment enchaîner les informations nouvelles aux informations antérieures ?), à l’orthographe et à la syntaxe caractéristiques de la langue écrite. Ces contraintes doivent être gérées simultanément, au risque de provoquer une surcharge empêchant de considérer l’une de ces dimensions. » La tâche s’avère donc particulièrement ardue pour certains élèves dont la conscience phonologique semble défaillante et qui gèrent mal la correspondance graphophonétique. On retrouve ainsi dans leurs textes des graphies incomplètes ou approximatives, non correspondantes aux phonèmes (par exemple « cherive » pour « j’arrive » ou « vacomse » pour « vacances »). Le respect des normes de la langue écrite se révèle également un problème récurrent pour nombre d’écoliers car il implique que les élèves puissent être capables d’appréhender le langage dans sa fonction métalinguistique. En effet, « l’objectif de l’école est d’apprendre à parler et à écrire selon les règles grammaticales, orthographiques, stylistiques, etc. C’est tout un rapport au langage et au monde que les pédagogues entendent inculquer aux élèves […] : une maîtrise symbolique, seconde, qui vient ordonner et raisonner ce qui relève de la simple habitude, du simple usage, de la pratique sans principe explicite. L’école prône la reprise réflexive, la maîtrise explicite et consciente […] » . Or, c’est ce qu’échouent à faire les élèves en difficulté, qui n’arrivent pas à adopter cet usage distancié et réflexif du langage écrit, lequel permet de considérer les énoncés comme de simples objets à contempler et à manipuler, en dehors de toute interaction vivante.

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Table des matières

INTRODUCTION
PARTIE 1 : LA PRODUCTION D’ECRITS A L’ECOLE
1. Cadre institutionnel
1.1. L’écrit et l’école
1.2. La production d’écrits en français
1.3. Une approche transversale
2. Etat des lieux théoriques
2.1. Les inégalités scolaires face à la culture écrite
2.2. Les difficultés par rapport à l’écrit
3. Le journal scolaire comme outil de remédiation
3.1. La pédagogie de projet
3.2. Pourquoi un projet autour de la presse ?
PARTIE 2 : LE PROJET D’ECRITURE D’UN JOURNAL SCOLAIRE
1. Problématique et enjeux
2. Investigation
2.1. Terrain d’investigation
2.2. Protocole d’observation
2.3. Enquête sur le rapport à l’écrit des élèves
3. Déroulement du projet
3.1. Découverte de la presse écrite
3.2. Organisation du travail en groupe
3.3. Production des articles
3.4. Révision des écrits produits
3.5. Mise en forme des productions
PARTIE 3 : PRESENTATION DES DONNEES RECUEILLIES ET ANALYSE
1. Evolution des élèves observés
1.1. Représentations initiales et finales des élèves
1.2. Implication des élèves
1.3. Transformation du rapport à l’écrit
1.4. Amélioration de la production écrite
2. Analyse du travail de recherche
2.1. Réussites
2.2. Limites
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES

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