LA PROBLÉMATIQUE DU PLAFOND DE VERRE
LA PROBLÉMATIQUE DU PLAFOND DE VERRE
Cette section introduit la problématique du plafond de verre et ses effets sur l’ascension hiérarchique et économique des femmes dans les organisations. Paillé et Mucchielli (2003) mentionnent que «la problématique est en même temps une sorte de tension construite par le chercheur entre des pré-savoirs insuffisants et des phénomènes. Elle traduit une incompréhension et une orientation de la volonté de mieux comprendre » (p. 16). Mucchielli (1991), pour sa part, va plus loin en évoquant que les évènements dans la vie d’un individu, qu’ils soient historiques, culturels ou psychosociaux, font référence à des valeurs qui expliquent le sens des faits et que la seule façon de les comprendre, c’est par l’intermédiaire des faits eux-mêmes. Il évoque à cet égard Gusdorf en déclarant que « le fait humain est un ensemble de significations. L’inventaire des faits, en sciences humaines, écrit G. Gusdorf, est un relevé de significations » (p. 16).
Le rôle social et économique des femmes occidentales a pris plusieurs formes dans les dernières décennies. Au Québec, malgré des avancées évidentes pour la femme, la discrimination subtile, les obstacles durables et souvent invisibles sur lesquels se heurtent les femmes continuent à nécessiter d’être abattus afin que ces dernières puissent accéder aux plus hauts sommets du pouvoir, du prestige et de la rémunération. C’est pourquoi la métaphore « plafond de verre » (Buscatto et Marry, 2009; Cornet, Laufer et Belghiti, 2008; Halpern, 2008; Lee-Gosselin, 2009; Martin, 2006; Moreno-Galbis et Wolff, 2008; Powell, 1999; Sanchez-Mazas et Casini, 2005) est une image parfaite afin d’illustrer ce phénomène. Le terme plafond de verre, tiré de l’anglais glass ceiling, a été nommé pour la première fois vers la fin des années 1970, cependant, l’identité de son auteur réel demeure imprécise. Notons toutefois que les auteurs Cornet, Laufer et Belghiti (2008), Laufer (2004 et 2006) et Morrison et Von Glinow (1990) sont les auteures les plus fréquemment citées dans la majorité des écrits scientifiques depuis le début des années 1990.
À ce titre, Marchand (2008) indique dans son mémoire que ce confinement des femmes aux postes inférieurs dans la hiérarchie en évoquant la métaphore du glass ceiling, traduit par l’expression « plafond de verre », serait un concept« qui fut mis au monde par Morrison, White et Van Velsor (1987) dans le cadre d’une étude menée auprès de soixante-dix-sept femmes occupant des postes exécutifs ainsi qu’auprès de leurs associés masculins »(p. 15). Buscatto et Marry (2009) mentionnent également que : Introduite, à la fin des années 1970 dans la littérature américaine (Morrison et coll., 1987), puis française (Laufer, 2004), la métaphore du glass ceiling, ou du » plafond de verre » a eu un succès particulier. Elle a ouvert de nombreux chantiers de recherche, aidé à voir, à mesurer et à comprendre un phénomène qu’une croyance dans le progrès inéluctable de l’égalité entre les sexes tendait à occulter (p. 171 ).
Rappel historique des luttes et de l’avancement des femmes
La place des femmes, durant plusieurs siècles, a été déterminée strictement comme celle d’épouses, de mères et de responsables de l’intendance fmniliale (Arai et Lechevalier, 2004; Baudoux, 2005; Baudoux et de la Durantaye,l988; Brière et Guay, 2008; de Bry, 2006; Bureau international du travail, 1997; Landrieux-Kartochian, 2007; Laufer, 2004 et 2006; Martin, 2006; Perron, 2009; Pichler, Simpson et Stroh, 2008; Renaud et V allée, 2005). Dans la même veine, Aubert (1982), citant Simone de Beauvoir dans son désormais célèbre ouvrage « Le deuxième sexe » mentionne : L’histoire nous a montré que les hommes ont toujours détenu tous les pouvoirs concrets; depuis les premiers temps du patriarcat2, ils ont jugé utile de maintenir la femme dans un état de dépendance; leurs codes se sont établis contre elle; et c’est ainsi qu’elle a été concrètement constituée comme l’Autre. Cette condition servait les intérêts économiques des mâles; mais elle convenait aussi à leurs prétentions ontologiques et morales (p. 103).
Dans certains pays, encore aujourd’hui, la sortie de l’ombre des femmes a été jalonnée d’obstacles et de conquêtes à travers les époques. Selon Schweitzer (2009), les années 1880, 1920, 1970 et 2000 furent les temps forts de ces conquêtes. La première vague, dans les années 1880-1900, a été celle des premières enseignantes, médecins et avocates, professions étant, dans un certain sens, en continuité avec leur rôle de mère (Buscatto et Marry, 2009). Toujours selon Schweitzer (2009), femmes et hommes féministes se sont battus pour détenir certains acquis au niveau social et dans les milieux de travail, souvent dans la diffamation et l’ opposition de tous ceux qui souhaitaient les voir évoluer dans les métiers dits plus féminins, en particulier ceux reliés à 1 ‘enseignement et aux soins. Les prochaines pages vous feront part des vagues relatives à ces gains pour les femmes.
La première vague (1880) : le temps de l’exception Schweitzer (2009) indique qu’en 1880, c’est l’instruction et le savoir des femmes qui effrayait. D’ailleurs, il appert que les hommes essayaient jalousement de préserver les lieux de décision pour eux. Afin de légitimer leurs actions, les hommes prônaient des discours sur la nature des femmes en tentant de légitimer et de règlementer l’accès au pouvoir de ces dernières et leur accès aux professions supérieures. En ce sens, la philosophie éducative adoptée en Europe et au Québec, prônait de ne pas mélanger les sexes sur les bancs des écoles afin de préserver la comparaison des performances scolaires des garçons avec leurs soeurs, cousines et futures épouses. Toujours à cette époque, ce ne sont pas les dénis d’intelligence qui sont invoqués mais plutôt les rôles de mère et la morale qui pourraient être ternis par le mélange des sexes sur les bancs des universités ou sur les lieux de travail. À ce sujet, Schweitzer (2009), indique dans son ouvrage, que le recteur de l’université de Bruxelles aurait énoncé en 1878 qu’il est« possible que les femmes soient admises à pratiquer la médecine, mais [qu’] il n’est pas désirable qu’elles le soient» (p. 187).
Ainsi, deux arguments majeurs sont nommés, le premier étant que les femmes sont tout d’abord des mères et qu’une profession hautement diplômée va à l’encontre du rôle qu’elles sont appelées à remplir, et le deuxième argument étant qu’il y aurait des inconvénients majeurs à l’égard des hommes à réunir dans les mêmes cours des hommes et des femmes (Despy-Meyer, 1986 cité par Schweitzer, 2009). Ainsi, Hillenweck (2004, cité dans Schweitzer, 2009), affirme que ces femmes érudites, celles qui ont étudié, seraient menacées de célibat, étant asséchées par l’étude et le savoir, mais également trop indépendantes et sûres d’elles. Également, elles développeraient certainement un caractère agressif, autontmre et indépendant, ce qui les éviterait d’obéir, d’aimer et d’honorer les hommes de leur cercle social. En définitive, tel que le prétendent Baudoux et de la Durantaye (1988) « c’est également parce que, à la limite, la femme n’existe pas dans la psyché masculine, parce que les femmes sont en position d’outsider et que les hommes sont en position de dominateurs, qu’elles doivent se positionner vis-à-vis d’eux, ou refuser de le faire » (p.l7).
La deuxième vague (1920) :le temps de l’ouverture
La deuxième vague, en 1920, s’ouvre à la suite de la première Grande Guerre et ouvre la porte aux professions d’encadrement dans la fonction publique en Europe (Buscatto et Marry, 2009). Les épouses des mobilisés ou des soldats tués au front s’improvisent pharmaciennes, notairesses, patronnes d’entreprises petites et/ou moyennes et oeuvrent dans des métiers et professions nommément interdits. Notons qu’avant la guerre, ces femmes avaient pratiquement toujours travaillé aux côtés de leurs conjoints. Les discours antiféministes ne tenant plus la route, lorsque s’articulant autour des incapacités des femmes, ils se déplacent doucement sur les dangers de la concurrence sur le marché du travail (Schweitzer, 2009). Effectivement, on y parle de travail au rabais. Selon Aubert (1982), depuis le XIX’ siècle, les femmes ont été appelées à travailler dans le secteur industriel surtout au niveau des travaux de tissage et de filage. Ces femmes, réduites à la misère, acceptaient de prendre la place d’un homme à plus bas prix. C’est ainsi que les inégalités de salaire se sont instaurées de manière intangible entre les femmes et les hommes effectuant le même travail avec le même rendement, ce qui a contribué à accroître les tensions au sein de la classe laborieuse.
Afin d’expliquer ces inégalités, on alléguait le fait que les femmes ont moins de besoins ou encore le fait qu’elles soient soutenues par leur mari. Puisqu’une quantité importante de femmes se contentaient de salaires au rabais, c’est ainsi que 1 ‘ensemble du salaire féminin s’est aligné à ce niveau, soit celui le plus avantageux pour l’employeur. Ainsi, les employeurs, sachant qu’ils pouvaient toujours embaucher des femmes à n’importe quel prix, les ont préférées, car «elles font du meilleur travail et moins payé» (Aubert, 1982, p. 43). C’est ainsi que le long chemin de l’émancipation se tisse lentement. Mais, au-delà des différences conjoncturelles, Aubert (1982), constate que le travail féminin s’est toujours montré dépendant du pouvoir masculin, ce dernier apparaissant toujours comme l’élément moteur qui scelle le sort de l’autre. Le conflit mondial et ses énormes pertes masculines ont ainsi été des prétextes à solliciter l’ouverture aux femmes à des formations et à des professions jusque-là interdites, entre autres les écoles d’ingénieurs. Ainsi, en France, on a créé des lieux de formation « féminins » entre autres l’école polytechnique féminine ou encore les HEC jeunes filles, qui préservaient la mixité des sexes et ainsi, la concurrence entre les hommes et les femmes (Schweitzer, 2009).
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Table des matières
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ANNEXES
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
PREMIER CHAPITRE LA PROBLÉMATIQUE DU PLAFOND DE VERRE
1.1 Rappel historique des luttes et de l’avancement des femmes
1.1.1 La première vague (1880): le temps de l’exception
1.1.2 La deuxième vague (1920): le temps de l’ouverture
1.1.3 La troisième vague (1970) : le temps de l’égalité
1.1.4 La quatrième vague (2000) : la consolidation des acquis des femmes
1.2 État de la situation du phénomène du plafond de verre
1.2.1 Portrait statistique du phénomène
1.2.2 Présence des femmes dans les instances décisionnelles- Le rôle sociétal
1.2.3 Les inégalités hommes femmes. Quelques chiffres- La situation au Québec
1.2.4 Les inégalités hommes femmes. Un portrait de la région de l’Abitibi-Témiscamingue
DEUXIÈME CHAPITRE LA RECENSION DES ÉCRITS
2.1 Définition du plafond de verre
2.2 Facteurs et causes de 1 ‘existence et de la persistance du plafond de verre
2.2.1 Première catégorie de facteurs : les stéréotypes, la culture de l’entreprise, les facteurs organisationnels et environnementaux
2.2.2 Deuxième catégorie de facteurs: les facteurs de capital humain
2.2.3 Troisième catégorie de facteurs : les discriminations diverses
2.2.4 Quatrième catégorie de facteurs : la cooptation masculine, l’absence de réseaux et l’ absence de parrainage et de mentorat.
2.2.5 Cinquième catégorie de facteurs :les exigences de mobilité et de disponibilité
2.2.6 Sixième catégorie de facteurs : la maternité, les facteurs individuels, le mariage, 1 ‘intendance familiale et la conciliation travail-famille
2.2. 7 Septième catégorie de facteurs : le refus de jouer le politique
2.2.8 Huitième catégorie de facteurs: la peur de la séduction
2.3 Facteurs permettant de fracasser le plafond de verre
2.3.1 L’éducation
2.3.2 Changement de cultures organisationnelles et sociétales
2.3.3 La présence d’un mentor et la participation à des réseaux
2.3.4 L’impact familial, les modèles féminins et les attitudes et comportements des femmes
2.3.5 Volonté politique et cadre légal favorable aux femmes
2.3.6 Les mesures de flexibilité et d’aménagement du temps de travail afin de réconcilier vie professionnelle et vie privée
2.4 Point de vue critique sur 1 ‘état actuel de la littérature, synthèse de la recension des écrits et question de recherche
TROISIÈME CHAPITRE MÉTHODOLOGIE
3.1 Cadre de travail, proposition générale de recherche et objet d’étude
3.2 Paradigme de recherche et contributions anticipées de la recherche
3.3 La méthode du récit de vie
3.4 Considérations méthodologiques
3.4.1 Stratégie d’échantillonnage et justification du plan d’échantillonnage
3.4.2 Le choix des femmes interrogées
3.4.3 Le nombre de femmes interrogées
3.4.4 Recrutement des participantes à la recherche
3.5 Méthode de collecte de données
3.6 Méthode d’analyse des données
3.7 Sommaire des considérations de scientificité et de validité de la recherche
3.7.1 Le critère de crédibilité (validité interne)
3.7.2 Le critère de confirmabilité (validité de construit)
3.7.3 Le critère de plausibilité des résultats (fiabilité)
3.7.4 Le critère de transférabilité (validité externe)
QUATRIÈME CHAPITRE PRÉSENTATION ET ANALYSE DES RÉSULTATS
4.1 Les récits de vie
4.1.1 Marion la convoitée
4.1.2 Élisabeth la fulgurante
4.1.3 Huguette la battante
4.1.4 Flavie l’audacieuse
4.2 Résultats :les facteurs ayant favorisé l’éclatement du plafond de verre
4.2.1 Retour sur les méthodes d’analyse de données
4.2.2 Présentation et définition des facteurs ayant favorisé l’éclatement du plafond de verre
4.3 Synthèse des résultats et principaux constats
CINQUIÈME CHAPITRE DISCUSSION
5.1 Contributions théoriques de la recherche
5.1.1 Contributions théoriques relatives aux facteurs recensés dans la littérature
5.1.2 Contribution théorique relative à l’identification de facteurs émergents susceptibles de favoriser l’éclatement du plafond de verre
5.1.3 Proposition de catégorisation de facteurs susceptibles de permettre l’éclatement du plafond de verre
5.2 Limites de la recherche
5.3 A venues futures de recherche
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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