Depuis le début des années 50, des concentrations en nitrates de plus en plus élevées ont été mises en évidence dans des eaux de surface et souterraines. Ce chapitre a pour objectif d’expliquer les causes et les impacts de ces contaminations, de comprendre leur dynamique dans un hydrosystème et de présenter les actions et les outils qui ont été mis en place pour appréhender et contrecarrer ces contaminations.
Mise en évidence d’une contamination en nitrates dans les hydrosystèmes
Selon le Comité National Français des Sciences Hydrologiques (CNFSH), un hydrosystème est ”une portion de l’espace où, dans les trois dimensions, sont superposés les milieux de l’atmosphère, de la surface du sol et du sous-sol, à travers lesquels les flux hydriques sont soumis à des modes particuliers de circulation. L’hydrosystème est le siège de transformations car, en toutes ses phases, le cycle de l’eau a d’étroits rapports avec d’autres cycles physiques, géochimiques et biologiques de l’environnement terrestre.” Dans notre étude, nous appliquons cette notion d’hydrosystème en surface à un bassin versant, qui est un territoire délimité par des lignes de crêtes et dont les eaux alimentent un exutoire commun. A cela s’ajoute une composante souterraine : l’hydrosystème inclut en effet l’aquifère alimenté par le bassin versant en question, aquifère dont la surface est définie par les limites géologiques.
Les conséquences d’une contamination en nitrates dans les hydrosystèmes
Les conséquences environnementales
L’eutrophisation correspond à un apport en excès des substances nitrates et phosphates qui peut entraîner une prolifération des végétaux aquatiques, et notamment du phytoplancton qui est l’ensemble des organismes végétaux en suspension dans l’eau. Des proliférations de ces derniers, notamment des algues, ont été et sont encore mises en évidence un peu partout dans le monde dans des eaux de surface et sur les zones littorales : en France (Aminot et al., 1998), aux Etats-Unis dans la baie de Floride (Boyer et al., 2006), au Japon (Nagasoe et al., 2010), dans la mer d’Oman sur la côte indienne (Padmakumar et al., 2010), en Allemagne sur les côtes de la mer du Nord (Rahmel et al., 1995), en Australie (Donnelly et al., 1997)…
L’augmentation des concentrations en nitrates observée depuis quelques dizaines d’années dans les eaux des hydrosystèmes stimule la croissance alguale. Ainsi, en printemps-été, c’est-à-dire lorsque les conditions de température et de luminosité sont clémentes, des blooms alguaux, de la couleur des pigments des cellules phytoplanctoniques, peuvent apparaître dans des eaux de surface et sur les littoraux. Cette croissance alguale se limite aux couches d’eau superficielles. Ces blooms représentent deux dangers. Tout d’abord, certaines espèces d’algues libèrent des substances toxiques, les phycotoxines. Belin et Raffin (1998) en distinguent deux types :
– les phycotoxines directement libérées dans l’eau et donc toxiques pour toutes les espèces du milieu, qu’elles soient végétales ou animales
– les phycotoxines qui s’accumulent dans les organismes se nourrissant de phytoplancton. Ces organismes animaux ne sont pas affectés mais deviennent toxiques pour qui les consomme. Puis, le deuxième danger apparait lors de la phase de décomposition de ces algues en excès. En effet, dans les eaux douces notamment, cette dégradation végétale augmente la charge naturelle de l’écosystème en matières organiques biodégradables qui se dépose dans les profondeurs. Les bactéries qui s’en nourrissent consomment alors davantage d’oxygène. Lorsque les teneurs de cet élément deviennent très faible, le milieu devient anoxique et les organismes vivant dans cette eau peuvent mourir d’asphyxie.
Ces blooms algaux peuvent également avoir des impacts économiques importants sur les secteurs de la pêche, du tourisme et de la santé. Les efflorescences algales toxiques peuvent tout d’abord générer des interdictions de pêche ponctuelles et des problèmes de santé pour les populations locales. Puis, la présence de ces efflorescences peut entraver les activités touristiques aquatiques. Enfin, lors des phases de décomposition de ces algues, des gaz toxiques peuvent être émis et menacer la santé des populations à proximité. Un rapport de NCCOS (2005) chiffre ces conséquences économiques à 82 millions de dollars par an aux Etats-Unis, tandis qu’an Australie, un coût de 9,4 millions de dollars en 1991-1992 a été estimé pour ces nuisances engendrées par les blooms algaux.
Les conséquences sur la santé humaine
Les fortes teneurs en nitrates dans les eaux peuvent avoir des conséquences néfastes sur la santé humaine. En effet, le risque réside dans la capacité de l’organisme à transformer les nitrates en nitrites. Ces nitrites réduisent la capacité du sang à transporter l’oxygène en transformant l’hémoglobine en méthémoglobine (site www.eaubretagne.fr). Ce risque est très faible chez l’adulte mais non négligeable chez les nourrissons. Ces derniers, à moins de 4 mois, ont en effet :
– une faible acidité gastrique permettant la prolifération de bactéries capables de réduire les nitrates en nitrites
– et une moindre présence d’une enzyme régénérant l’hémoglobine à partir de la méthémoglobine.
Une consommation d’eau avec une concentration trop élevée en nitrates peut alors être à l’origine de cyanoses chez les nourrissons et de cancers de l’estomac et de l’intestin chez l’adulte (Croll et Hayes, 1988).
La législation en vigueur
Pour élaborer les normes destinées à garantir la salubrité de l’eau de boisson, les pays développés et en développement se sont basés sur la première et la deuxième éditions des Directives de qualité pour l’eau de boisson de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Cette organisation préconise ainsi pour les nitrates une concentration maximale de 50 mg.L-1 dans les eaux de consommation. Un travail de synthèse et de mise à jour de ces Directives a été amorcé en 2000 pour aboutir à une troisième édition reprenant cette concentration limite à 50 mg.L-1 de nitrate NO3 (ou 10 mg.L-1 d’azote nitrique N) (OMS, 2004).
Ainsi, aux Etats-Unis, la norme de potabilité concernant les nitrates est fixé à 10 mg.L-1 de N nitrique (USEPA, 2009). Une réglementation a également été mise en place en Europe pour endiguer la prolifération des nitrates dans les eaux de l’Union Européenne. En 1991, la Directive Nitrates (91/676/EEC,OJEC) fixe les limites de concentrations des nitrates dans les cours d’eau, les eaux souterraines et dans les eaux distribuées à 50 mg.L−1NO3. Ce seuil de potabilité et de qualité des milieux aquatiques est défini pour des raisons sanitaires et dans l’objectif d’un bon état écologique des milieux aquatiques. Une valeur guide de 25 mg.L-1NO3 est de plus recommandée afin de réduire les nitrates vers un taux acceptable pour le milieu. Cette Directive requiert que tous les états membres identifient les eaux souterraines qui contiennent ou pourraient contenir plus de 50 mg.L-1 de nitrates si des mesures préventives ne sont pas prises.
En 2000, la Directive Cadre sur l’Eau (2000/60/CE) reprend les principes de la Directive Nitrates et impose aux états membres de l’Union Européenne d’atteindre un bon état écologique de leurs eaux de surface et souterraines d’ici à 2015. Cette politique environnementale constitue un véritable enjeu pour l’ Europe car Nixon et al. (2003) montrent qu’en 2003, 20 % des eaux de l’Union Européenne ont des concentrations en nitrates supérieures à la concentration limite. 40 % seraient supérieures à la valeur de référence de 25 mg.L−1NO3. Pour atteindre en France ces objectifs fixés par cette Directive Cadre Européenne, une nouvelle loi sur l’ eau a été adoptée en 2006. Cette loi se dote d’outils (institutionnels, agricoles, plans d’actions etc.) pour reconquérir les milieux aquatiques et mieux gérer la qualité et la quantité de la ressource en eau.
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Table des matières
Introduction
1 La problématique des contaminations en nitrates dans les hydrosystèmes
1.1 Mise en évidence d’une contamination en nitrates dans les hydrosystèmes
1.2 Les conséquences d’une contamination en nitrates dans les hydrosystèmes
1.2.1 Les conséquences environnementales
1.2.2 Les conséquences sur la santé humaine
1.3 La législation en vigueur
1.4 Les sources des contaminations en nitrates
1.4.1 Les sources urbaines
1.4.2 Les sources agricoles
1.5 Le transfert des contaminations en nitrates dans les hydrosystèmes
1.5.1 Le cycle de l’azote
1.5.2 Les transferts de nitrates dans un hydrosystème
1.6 Etat des connaissances sur la contamination en nitrates des hydrosystèmes : les données observées
1.6.1 Les données agricoles
1.6.2 Le transfert des nitrates dans le sol
1.6.3 Le transfert des solutés à travers la zone non saturée
1.6.4 La dynamique de transfert des solutés dans la zone saturée
1.6.5 La dénitrification
1.7 Etat des connaissances sur la contamination en nitrates des hydrosystèmes : la modélisation
1.7.1 La classification des modèles
1.7.1.1 Les modèles déterministes
1.7.1.2 Les modèles stochastiques
1.7.2 La modélisation des contaminations en nitrates dans les hydrosystèmes
1.7.2.1 La modélisation des transferts de nitrates
1.7.2.2 La modélisation des transferts d’eau
1.7.2.3 Les couplages
1.7.3 Utilisation de ces modèles pour tester des scénarios et entreprendre des actions compensatoires
2 La modélisation de la contamination en nitrates des hydrosystèmes : nos outils disponibles
2.1 La modélisation des transferts d’eau et de masses dans les aquifères : NEWSAM
2.1.1 Les transferts d’eau
2.1.2 Les transferts de solutés
2.2 La modélisation des transferts d’eau dans un hydrosystème : MODCOU
2.2.1 Les transferts d’eau conjoints en rivières et souterrains : MODCOU
2.2.2 Le bilan hydrique : MODSUR
2.2.3 Les transferts d’eau à travers la zone non saturée : NONSAT
2.3 La modélisation de la contamination en nitrates dans un hydrosystème avec STICSMODCOU-NEWSAM
2.4 Evaluation de la modélisation de la contamination en nitrates de l’hydrosystème Seine avec STICS-MODCOU-NEWSAM
2.4.1 Evaluation des transferts d’eau
2.4.2 Evaluation des transferts de nitrates
2.5 Un outil intégré des hydrosystème en développement : Eau-dyssée
3 Les transferts d’eau et de solutés à travers la zone non saturée : observations et expérimentations numériques
3.1 Etat des connaissances sur la zone non saturée
3.1.1 Les données observées
3.1.1.1 Description de la zone non saturée
3.1.1.2 Les transferts d’eau et de solutés à travers la zone non saturée
3.1.2 La modélisation des transferts à travers la zone non saturée
3.1.2.1 La modélisation conceptuelle
3.1.2.2 La modélisation à bases physiques
3.2 Les transferts à travers la zone non saturée : expérimentation numérique avec MET IS
3.2.1 Validation de MET IS
3.2.1.1 Site d’Haussimont
3.2.1.2 Site de Thibie
3.2.2 Résultats des expérimentations numériques
3.2.2.1 La dynamique des transferts d’eau et de solutés à travers la zone non saturée
3.2.2.2 Influence du battement de nappe sur les transferts à travers la zone non saturée
Conclusion
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