La subjectivité
Comme nous l’avons brièvement montré au début, la question de l’altérité est fondamentale dans la pensée de jean Paul Sartre. Et si nous considérons avec un peu d’attention les différents moments de son œuvre, nous verrons que Sartre est sans doute un philosophe altruiste. En effet si la pensée de Sartre nous intéresse, ce n’est pas parce que la problématique de l’altérité l’a attendu pour avoir son droit de cité en philosophie, mais plutôt nous voulons montrer comment Sartre a abordée la question de l’altérité, et également la considération importante qu’il l’a concédée. Cependant, même si le questionnement sur l’altérité est bien antérieur à la pensée sartrienne, ce n’est qu’à partir de la philosophie moderne, plus particulièrement la philosophie subjective de Descartes que la question a été formulée. C’est la raison pour laquelle, c’est à partir de la philosophie subjective de Descartes et de la phénoménologie husserlienne que Sartre a constitué toute sa pensée philosophique. C’est pourquoi, avant d’entrer véritablement en profondeur dans la pensée sartrienne, nous allons d’abord nous arrêter un peu sur les différentes pensées de ces philosophes que nous venons de citer, comme on l’a bien souligné au départ, afin de pouvoir comprendre sur quel point ils ont inspiré jean Paul Sartre. D’abord, pour saisir dans toute sa portée la subjectivité sartrienne, nous allons donc commencer par la philosophie cartésienne du sujet, puis que, non seulement Descartes est considéré comme le fondateur de la subjectivité moderne, mais également Sartre a aussi avoué qu’il s’est inspiré de cette philosophie de Descartes. En réalité, c’est Descartes qui est le premier à introduire le problème du sujet en philosophie. Pour quoi donc accorde-t-on à Descartes le titre de fondateur de la subjectivité ? Et sur quel point a- t-il influencé jean Paul Sartre ? En effet, trouvant que la science de son époque est fondée sur des principes incertains, et la méthode sur laquelle elle se base pour accéder à la vérité de ses idées est erronée, Descartes entreprend, avec sa métaphysique d’offrir de nouveaux fondements à la science, et ces fondements ne sont solides que parce qu’ils ont été découverts de façon méthodique. C’est pourquoi, il est inadmissible de séparer la métaphysique de Descartes de la méthode utilisée. Descartes a donné une importance capitale à la méthode dans l’élaboration de sa philosophie, selon lui, on ne peut rien faire sans méthode. Celui qui veut vraiment éviter les erreurs dans la recherche de la vérité, doit obligatoirement procéder par méthode.
La réfutation du solipsisme
Le solipsisme est une philosophie selon laquelle la seule réalité qui soit directement accessible est notre propre existence à titre de sujet pensant. Nous allons donc voir avent toute chose ce que veut dire étymologiquement le mot solipsisme. Et là nous trouvons que le solipsisme vient du latin solus, seul et ipse, soi-même. C’est une attitude d’après laquelle il n’y aurait pour le sujet pensant aucune autre réalité certaine que lui-même. Le sujet pensant ne conçoit que sa propre existence, il ne cherche même pas à comprendre si autre chose existe. C’est pour quoi on l’assimile le plus souvent à l’égoïsme, qui désigne Nous prenons comme exemple la philosophie classique de Descartes, qui considère que « le sujet méditant ne retient que lui-même en tant qu’ego pur de ses cogitations, comme existant indubitablement et ne pouvant être supprimé même si monde n’existe pas ». Cette conception cartésienne du sujet, fait de sa philosophie, une philosophie purement solipsiste. A cet effet, nous allons essayer de suivre Descartes, particulièrement dans les Méditations métaphysiques, pour pouvoir bien saisir le sens exact de cette philosophie que l’on nomme le plus souvent solipsisme. Dès lors, tout au début de la première méditation, Descartes s’est bien tenu à préciser son intérêt : c’est de trouver une vérité indubitable en philosophie, après être sûr que tout ce qu’il considère comme vérité, de son enfance jusque-là n’est que fausse illusion. Toutefois, après cette prise de conscience que pendant tout ce temps qu’il a vécu, tout ce qu’il avait accumulé comme connaissance, n’est autre de fausses opinions, il a pris la ferme conviction de reconstruire complètement sa vie, pour pouvoir au moins découvrir pour la première fois de sa vie une première vérité en philosophie. A partir de là, ce qu’il considère comme l’unique solution pour résoudre ce problème, c’est, par le moyen du doute, de se défaire de toutes les fausses croyances qu’il avait reçues auparavant. Ainsi, le doute par lequel commence la réflexion consiste à supprimer notre croyance spontanée en l’existence du monde extérieur, dans la mesure où cette croyance se fonde exclusivement sur le témoignage de nos sens dont nous savons qu’ils peuvent être trompeurs. Mais si l’acte de douter signifie le fait de nier l’existence du monde extérieur, cela permet aussi au sujet de découvrir son existence comme substance pensante. Donc le doute se révèle comme une prise de conscience du sujet, car, en doutant, il découvre que même si l’existence des objets et du monde extérieur ne lui est pas sure, son existence lui-même se révèle indubitable. Plus il se démarque du monde extérieur, plus le sujet se rapproche de son existence, car le moyen par lequel il rejette l’existence des objets, lui permet en même temps de découvrir son existence, n’est autre que le doute. En fait, il ne s’agit pas ici de revenir sur les détails de ce qu’est exactement le doute cartésien, mais de montrer comment par l’épreuve du doute, Descartes est tombé au solipsisme. Car, dans son souci de trouver, au moins pour la première fois en philosophie, une vérité sure et certaine, Descartes affirme que la seule chose dont il ne peut pas douter de son existence, c’est en réalité l’acte de penser, c’est-à-dire le cogito. Et en dehors de ce cogito, tout est faux. Au moment où je nie l’existence du monde extérieur, je suis sûr et certain que ma propre existence est indubitable. Donc c’est à partir de là qu’on parle vraiment de solipsisme dans la philosophie cartésienne. En affirmant mon existence comme sujet pensant, je nie catégoriquement l’existence des objets extérieurs et des autres mois.
L’intersubjectivité
Descartes a bien fait, de faire de la subjectivité, le moment où le sujet se découvre intérieurement en tant que sujet pensant, l’étape inaugurale de la philosophie. Il ne peut y avoir de vérité autre, au départ, dit Sartre, que celle-ci : je pense donc je suis. Et toute théorie qui ne prend pas le cogito comme point de départ est vouée à l’échec, c’est une théorie qui veut supprimer la vérité. C’est la seule théorie qui procure à l’homme sa dignité, c’est en effet, à partir de là que les hommes se distinguent des objets. C’est ce que confirme Kant en disant que c’est la capacité de dire « je » qui élève l’homme au-dessus de tous les autres êtres. Donc, si c’est la capacité de s’affirmer en tant que sujet pensant qui est la condition sine qua none de la supériorité de l’homme sur les autres êtres, ce moment de la subjectivité est devenue crucial dans l’élaboration d’une pensée. Car, c’est à partir de là seulement que l’homme peut s’atteindre individuellement, indépendamment de toute contrainte extérieure, pour affirmer son existence en tant que sujet pensant, en tant qu’existence pure. En fait, la subjectivité est la preuve de l’indépendance de l’homme, en ce que, au mois en ce moment, le sujet pensant découvre immédiatement la certitude d’exister pour lui-même, certitude qui n’est conditionnée ni par l’existence du monde, ni par celle d’autrui. Cependant, même si Sartre reconnait à Descartes la subjectivité, et ne doute pas également de son importance dans l’élaboration d’une philosophie, il ne manque pas de signaler les limites de Descartes. Il a bien montré dans L’existentialisme est un humanisme, sa position par rapport à la subjectivité. Selon l’existentialiste, contrairement à Descartes, la subjectivité qu’il atteint à titre de vérité n’est pas une subjectivité rigoureusement individuelle, une subjectivité close et radicale. Autrement dit, une subjectivité qui enferme le sujet dans la solitude absolue. Mais bien au contraire, une subjectivité dans laquelle l’existence d’autrui est aussi découverte. En effet, même si la recherche de la vérité exige au préalable l’existence et la connaissance de soi du sujet, cela n’impliquerait pas la non-existence des autres. De ce point de vue, on a pu voir une démarcation catégorique de toute idée de solipsisme dans la pensée de Jean-Paul Sartre. Selon ce dernier il serait tout inadmissible en effet, d’assimiler le problème de la subjectivité à celui du solipsisme. En réalité, à travers le cogito, l’homme peut découvrir aussi les autres. Par le cogito, dit Sartre, contrairement à Descartes, nous nous découvrons en face de l’autre. C’est ce que signale Sartre à travers les propos suivants : « Ainsi, l’homme qui s’atteint directement par le cogito découvre aussi les autres, et il les découvre comme la condition de son existence. Il rend compte qu’il ne peut être (au sens où l’on dit qu’on est spirituel, ou qu’on est méchant, ou qu’on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une quelconque vérité sur moi, il faut que je passe par l’autre. L’autre est indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l’autre, comme une liberté posée en face de moi, qui me pense, et qui ne veut que pour ou contre moi. Ainsi découvrons-nous tout de suite un monde que nous appellerons l’intersubjectivité, et c’est dans ce monde que l’homme décide ce qu’il est et ce que sont les autres ». En effet, nous ne manquerons pas de noter que qu’à travers ces propos tirés de l’existentialisme est un humanisme, Sartre a résumé véritablement l’essentiel de sa conception de l’altérité, et également l’intérêt qu’il lui a accordé dans toute sa vie. Nous voyons donc à travers ces propos que, bien que sa philosophie soit une philosophie du sujet, c’est-à-dire, celle qui après avoir concédé au sujet toute la liberté possible, pense que toute la responsabilité de son existence dépend entièrement de son immanence, il n’a jamais occulté le rôle d’autrui dans la constitution même du sujet. Dans la philosophie sartrienne, autrui n’en joue pas de second rôle, car, d’après lui, le sujet qui s’atteint directement par le cogito, découvre en même temps l’existence des autres. Découvrir l’existence des autres, n’est rien d’autre que de comprendre que le jugement que je porte sur moi en tant que sujet pensant, doit être porté aussi sur autrui. Autrui est en effet celui qui, aussi bien que moi, détient la conscience parfaite de son existence. A partir de là, la vérité, même si elle découle de l’immanence du sujet, n’est valable que lors qu’elle est partagée par d’autres sujets. Il faut partir de l’immanence du sujet pour chercher la vérité, mais cette dernière a besoin de l’assentiment d’autrui pour être acceptée comme vérité universelle. Ainsi nous pouvons déjà enregistrer sur ce point que la philosophie sartrienne, contrairement à celle de Descartes et celle des autres solipsistes, est une philosophie de l’intersubjectivité. Ce qui intéresse Sartre avant tout ce sont les hommes.
La honte
Sartre a fait recours à la honte, non seulement pour prouver l’existence d’autrui, mais aussi pour expliquer la nécessité de sa présence dans la constitution du sujet. Toutefois, après avoir défini l’homme comme une conscience, Jean Paul Sartre ajoute également que, en effet, cette particularité de l’homme comme pure conscience, lui fait nécessairement un « être pour-soi ». C’est exactement ce qu’il confirme quand il dit dans la troisième partie de L’être et le Néant que : « nous avons décrit la réalité humaine à partir des conduites négatives et du cogito. Nous avons découvert, en suivant ce fil conducteur, que la réalité humaine était pour soi66 ». Qu’est-ce que cela signifie ? Pour répondre à cette question, nous jugeons nécessaire de nous arrêter un peu sur le sens et la signification que Sartre donne à « l’être pour soi ». Une telle étude pourra donc nous permettre, en réalité, de comprendre pour quoi Sartre se contente de faire de la réalité humaine un pour-soi. Dès lors, dans l’introduction de L’être et le Néant, il a déclaré que : « La première démarche d’une philosophie doit donc être pour expulser les choses de la conscience et pour rétablir le vrai rapport de celle-ci avec le monde, à savoir que la conscience est conscience positionnelle du monde. Toute conscience est positionnelle en ce qu’elle se transcende pour atteindre un objet, et elle s’épuise dans cette position même. » D’abord, chez Sartre, conscience, pour soi et réalité humaine renvoient à la même chose. Mais, de toutes façons, si Sartre insiste sur le fait que l’homme est un être pour-soi, c’est tout simplement grâce à ce qu’on appelle le pouvoir de néantisation que détient la conscience. La néantisation de la conscience nous renvoie à la disposition qu’a la conscience de ne pas être ce qu’elle est, mais plutôt ce qu’elle n’est pas. Ce qui donne raison à Cambell qui dit que la conscience n’est plus le soir ce qu’elle était le matin.68 Comme on l’a dit tout à l’heure, la conscience n’a pas d’objet, et la première démarche d’une philosophie doit être de montrer que la conscience est toujours conscience positionnelle du monde. Autrement dit, la conscience n’est toujours conscience que pour l’objet appréhendé. Toujours dans cette même perspective, Sartre ajoute dans la conclusion de L’être et le Néant que si toutefois le pour soi se diffère de l’en soi, c’est précisément dans la mesure où il n’est pas. Et en réalité ce que le pour soi ne veut pas être c’est l’en soi, qui est considéré comme la réalité des objets. Si l’être des objets est en soi c’est parce qu’ils n’ont pas de conscience. Or que : « L’être de la conscience est un être pour lequel il est dans son être, question de son être. Cela signifie que l’être de la conscience ne coïncide pas avec lui-même dans une adéquation plénière. Cette adéquation, qui est celle de l’en soi, s’exprime par cette simple formule : l’être est ce qu’il est ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LES PRINCIPES SARTRIENS DE L’ALTERITE
1. La subjectivité
2. La réfutation du solipsisme
3. L’intersubjectivité
DEUXIEME PARTIE : LE PROBLEME DE L’EXISTENCE D’AUTRUI
1. La honte
1. Le regard
2. La perception du corps
TROISIEME PARTIE : LES RELATIONS AVEC AUTRUI
1. Le conflit
2. La communauté
3. L’altérité comme condition de la liberté
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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