La problématique de la reconstitution en philosophie chez John Dewey

L’APPORT DE LA TRADITION PRAGMATISTE

       Kant disait qu’en cherchant à répondre à la question : qu’est ce que la vérité ? on risque, si l’on n’y prend garde «de donner le ridicule spectacle de deux personnes dont l’un trait le bouc (comme disaient les anciens) tandis que l’autre tient une passoire». En effet, il n’est pas facile de préciser le sens exact de cette question, puisque comme les sceptiques savaient déjà si bien le faire remarquer, pour lui donner une réponse convenable, c’est à dire vraie, il faudrait être d’accord auparavant sur ce qu’est la vérité. De toute définition du vrai, on peut se demander si elle est vraie et ainsi tomber dans la régression à l’infini. D’une manière générale, il est admis que la vérité se définit par l’accord d’une connaissance avec son objet : mon idée est vraie, lorsqu’elle correspond à la réalité qu’elle est censée représenter. Toutefois, cet accord et cette conformité peuvent être entendus de manières différentes. Et c’est précisément par sa manière propre de les concevoir que se définit le pragmatisme. Le pragmatisme est un mouvement de pensées qui a vu le jour aux Etats– unis entre le 19ème et 20ème siècle. On attribue généralement la paternité de cette doctrine à Charles S. Peirce. Mais penser que le pragmatisme s’est arrimé sur les idées de son fondateur, c’est admettre par la même occasion que James aura donné à cette doctrine, une orientation plus ou moins décisive qui tend à se démarquer des conceptions classiques sur la nature de la vérité. Et c’est une telle idée que semble décrire John Rajchman, en affirmant : «En l’espace d’une génération, Peirce et James ont introduit une philosophie que l’Europe elle même a reconnu comme spécifiquement américaine, la première philosophie américaine à se baptiser elle-même ; le pragmatisme, il y avait au cœur de cette philosophie, une conception de la vérité qui cherchait résolument à s’écarter des écoles qui se partageaient l’Europe. On lut beaucoup James, il s’acquit une vaste audience. Cette époque fut en Amérique, celle d’une philosophie publique»2 Il apparaît déjà ici que le pragmatisme est avant tout une philosophie qui contraste foncièrement avec le caractère professionnaliste de la pensée traditionnelle. Mais en prenant cette forme, la doctrine pragmatiste consacre surtout la liquidation de la notion de vérité en tant que valeur. Ce qui, par ailleurs, justifie les hurlements d’indignation des métaphysiciens et des moralistes qui s’échinent depuis des siècles sur le problème de la vérité. L’idée même de vérité a été remise en cause et, c’est pour cette raison que nous choisissons d’exposer sommairement la conception classique de celle–ci avant d’entrer dans l’exposé de la problématique générale du pragmatisme. La conception traditionnelle de la vérité consiste à définir le vrai par rapport à ce qui existe ; à ce qui est. La vérité c’est l’adéquation de l’entendement et de l’objet : l’être en tant qu’il existe en soi, indépendamment de notre pensée. La vérité n’est pas dans les choses mais dans l’esprit : c’est l’être rendu, devenu intelligible. La pensée se représente les choses telles qu’elles sont, ainsi que leurs rapports ; la réalité qui lui apparaît comme tout cohérent, organisé que soutient une armature logique qui est la vérité. Découvrir la vérité consiste précisément à découvrir et comprendre l’ordre de la réalité. Ainsi, pour Platon, existe–t–il un ordre éternel des réalités véritables que sont les idées, et la connaissance vraie n’est rien d’autre que la contemplation de cet ordre. On le voit, dans cette conception que l’on pourrait qualifier de «statique », la vérité consiste dans une propriété intrinsèque de l’objet qui lui appartient ou ne lui appartient pas une fois pour toute. Pour les rationalistes, selon James, la vérité règne et s’impose d’une manière absolue, étant une relation unique qui ne présuppose aucun acheminement mais jaillit tout droit par dessus la tête de l’expérience et que, à chaque bond atteint la réalité visée. Or, c’est justement ce caractère théorique et statique de la vérité que les pragmatistes, notamment James, ne peuvent accepter dans la conception rationaliste, à laquelle ils opposent une conception pratique et dynamique de la vérité. Une telle prétention, Richard Rorty la dépeint en ces termes, citant Hilary Putman : l’option que j’appelle «pragmatiste» est à peu près, mais non totalement, celle que Hilary Putman nomme «conception internaliste de la philosophie» dans Reason, Truth an History. Elle est selon lui celle de quelqu’un qui renonce au projet de se placer «au point de vue de Dieu» et d’atteindre le non–humain, soit à ce que je nomme ici le «désir d’objectivité».3 Rorty reprend ici l’idée selon laquelle le pragmatisme se détourne une fois pour toute des habitudes classiques chères aux philosophes professionnels, telles que l’abstraction, les solutions verbales, les apriori, les principes fixes et aussi l’esprit de système. En effet, la tradition philosophique occidentale se distingue du pragmatisme en ce qu’elle confère à la recherche de la vérité un caractère sacré. En somme la vérité y apparaît sous la forme d’un énigme dont l’élucidation requiert la division de l’univers en deux mondes que sont celui des sens et celui des réalités absolues. Accéder à ce monde ultime des premiers principes signifie, dès lors pour le métaphysicien, posséder l’univers lui–même et, du coup, se placer dans une retraite inaccessible et susceptible de garantir la tranquillité de l’esprit. A ce stade où s’estompe, pour ainsi dire, la soif de la vérité, les notions telles que celles de Dieu, de Raison, d’Absolu, etc., sont autant de principes qui cautionnent cette attitude asomatique. Mais celle–ci ne devait pas survivre aux attaques du pragmatisme qui vont profondément remettre en cause la nature même de la philosophie. Le pragmatisme produit, en effet, une philosophie plus soucieuse d’élaborer une conception de la vérité qui n’est plus sous l’emprise de la recherche d’un absolu mais qui conserve plutôt le caractère aléatoire de la vérité exactement comme dans l’espace de la recherche scientifique. Plus précisément, il semble que le pragmatisme s’assigne deux objectifs majeurs :
1- D’abord, telle une tendance anti–intellectualiste, il cherche à démasquer et à dénoncer les systèmes clos, l’attitude fixiste, les vérités ultimes, en démontrant, du coup, les fausses origines de l’attitude rationaliste qui affectent l’empirisme et l’idéalisme à plusieurs points de vue.
2- Ensuite, il tente de réorienter les scories de la philosophie classique dans une nouvelle perspective où théories et résultats se transforment en méthodes et instruments pour d’avantage de réflexion, d’interprétation et de travail, exactement comme Wittgenstein a finalement choisi de transformer les contenus du langage ordinaire en jeux, règles et formes de l’activité humaine. On peut noter ici divers aspects liés à ces deux objectifs et qui renvoient à une redéfinition, aussi bien de la vérité que de la réalité et de l’expérience. Ce qui nous permet ici d’avancer l’hypothèse selon laquelle l’accent est mis sur la nature sociale et conventionnelle des résultats et des instruments, tout en rappelant qu’il n’y a plus de vérités ultimes et définitives mais seulement des interprétations et réinterprétations qui sont autant de manière de décrire l’expérience. Ce que le pragmatisme tente de nous faire comprendre ici, c’est le fait que mêmes les hommes de science ont finalement reconnu que les lois scientifiques ne pouvaient être que de simples approximations, en définitives ; aucune théorie ne pouvant, à ce titre, se prévaloir de représenter une transcription adéquate de la vérité. D’où le faillibilisme inhérent au pragmatisme. James lui-même conçoit le rôle des théories scientifiques comme la récollection des faits passés, mais tout en prenant la précaution de préciser que celles–ci doivent juste servir à l’homme de piédestal car, ce qui semble être le plus important dans ce processus, c’est la capacité de pouvoir s’ouvrir à de nouveaux faits. Les origines de cette conception se trouvent dans l’idée même que le pragmatisme se fait de la connaissance et de l’esprit. Si l’on se réfère aux théories de l’évolution, la conscience ne peut être fondamentalement qu’un instrument d’adaptation au service de l’être humain. Dans cette perspective, le rôle de la conscience est fondamentalement un rôle d’adaptation au milieu. Elle apparaît, en effet comme un organe destiné à adapter les réactions de l’organisme aux impressions reçues de l’environnement. Elle est instrument de vie en ce sens qu’elle permet à l’homme d’échapper le mieux possible à la destruction. Elle est instrument de vie parce qu’elle est instrument d’action destiné à fournir rapidement des réactions utiles. «Vivre, c’est agir et prospérer sur cette terre», comme l’écrit James dans les Causeries Pédagogiques. L’homme, quelle que soit d’ailleurs sa nature, est avant tout un être agissant, l’intelligence lui a été donnée pour l’aider à l’adaptation de la vie à ce monde.En d’autres termes, ce qu’il y a de premier en l’homme, c’est l’action, (d’où le nom de pragmatisme de cette doctrine) et l’instrument de son action, c’est la conscience. On peut remarquer ici que James enseigne une nouvelle méthode dont la singularité est de dépouiller la philosophie de tout ce qui est affirmation gratuite, de tout ce qui est «chose première», premier principe, catégories, nécessité, etc., pour n’accorder d’importance qu’aux résultats, aux conséquences, bref aux faits. Ce qui revient à mettre essentiellement en lumière le côté pratique de l’activité humaine et à juger de la valeur des processus intellectuels d’après leurs effets dans la vie pratique et dans l’action. Cette nouvelle option conséquencialiste redéfinit la vérité dans l’aptitude des idées à fournir un certain «travail». Et c’est le terme même qu’emploie James. Nos vérités sont vraies d’une vérité expérimentale, vraies à titre d’instruments, et seulement à ce titre. Au passage, il faut remarquer que si les idées ne valent plus que par leur efficacité, il suit nécessairement de là que le pragmatisme ne se soucie pas de dissocier la pensée du savant de celle de l’homme de la rue. Car, toute idée devant être confrontée à l’expérience concrète en vue de déterminer ses conséquences pratiques sur la vie. Et ceci nous permet de soutenir l’idée que le pragmatisme remet en cause la caractère professionnel de la philosophie et semble, du coup, prendre l’aspect d’un anti-intellectualisme. En conséquence, l’on peut penser maintenant que la notion de vérité ne peut plus se prévaloir d’aucune garantie métaphysique au point d’échapper au faillibilisme de la méthode pragmatiste. Une idée devient vraie par elle–même dans le processus consistant pour elle à adapter une expérience passée à une expérience à venir. Et l’on peut définir cette adaptation comme une addition, un réarrangement, ou mieux encore un réajustement de l’ancienne expérience. L’idée selon laquelle il y aurait une vérité objective, une correspondance absolue entre la pensée et une réalité- cette idée n’admettant pas que la pensée soit quelque chose de pratique, d’instrumental, d’humain, bref un outil, mais plutôt quelque chose de non-utilitaire – est du coup rejetée. Mais il faut préciser que le pragmatisme ne renie pas la vérité en tant que telle. Il rejette plutôt une certaine conception absolutiste et subjective de celle–ci qui, en fait, n’a aucune relation avec l’expérience que nous vivons. La philosophie pragmatiste est donc une méthode de confrontation des vérités et des idées à l’expérience concrète et actuelle. La vérité n’est pas une propriété que se partagent les propositions du langage quotidien. Elle n’a pas non plus une essence mystérieuse qui serait le motif de toute recherche de la vérité. D’une manière générale le pragmatisme se définit comme une philosophie de l’expérience qui fait redescendre la pensée sur terre afin de prendre une part active dans le procès de la vie humaine. Ce qui revient, pour ainsi dire, à mettre la philosophie devant la scène poignante des préoccupations les plus urgentes de l’humanité. De ce point de vue, l’homme doit s’émanciper des conceptions classiques sur la nature de la vérité pour accorder une attention particulière à l’expérience quotidienne, à la vie pratique. En somme, il est clair que pour le pragmatisme, la fonction de la pensée ne se résume guère à copier ou à imaginer la réalité. Celle-ci réside plutôt dans l’aptitude de la pensée à se former des idées qui, à titre d’instruments, lui permettent d’établir une interaction vitale et constructive en vue de la réalisation de nos désirs et de nos intérêts. Autrement dit, la philosophie est, exactement comme chez Nietzsche, un effort qui vise à résoudre nos problèmes et à modifier nos croyances, si bien que nous puissions espérer l’avènement d’un monde meilleur. La pensée doit aider l’homme à changer le monde et non l’inverse. Ainsi «les philosophes pragmatistes ont donc compris qu’il n’y a pas lieu d’opposer les faits et les valeurs, ni de subordonner la morale à une généralité qui là soustrait aux intérêts humains et aux questions que les hommes doivent résoudre». Mais en dépit de tout ce que nous venons de dire sur les principales orientations du pragmatisme, on ne saurait véritablement comprendre cette doctrine si l’on ne prend pas la peine d’analyser, du moins sommairement les nouvelles conceptions de la réalité d’une part et celle de l’expérience de l’autre qui, en fait, soutiennent tout l’édifice pragmatiste. La carrière théorique de la notion de réalité est assez riche si l’on considère les divers emplois dont elle a fait l’objet dans l’histoire de la philosophie. Mais nous ferons ici l’économie d’en rappeler les diverses conceptions pour nous limiter simplement à celle qui fut élaborée par James et qui nous intéresse particulièrement. Ainsi pour James le mot réalité est un terme collectif dont la singularité est de pouvoir désigner indifféremment tout ce qui est susceptible d’advenir dans le monde. Et dans ce cadre, la vérité y apparaît comme un moyen dont le rôle consiste précisément, à décrire les rapports qui existent entre les choses qui structurent la réalité. Mais le plus important ici est de constater que James confère un statut évolutif à la réalité et rejette, du coup, la conception rationaliste d’une réalité fixe et immuable et qui, à plusieurs points de vue, n’est fondée sur aucune expérience possible et constitue, du reste, un préjugé. Et, c’est justement cela le plus grand obstacle auquel s’est confronté l’empirisme radical de James. Il faut en effet signaler que devant le désordre et le manque de cohérence de la réalité, le rationalisme a conçu un principe suprême situé en dehors de la réalité et chargé d’introduire la mesure et l’harmonie dans celle–ci. De la même manière, on voyait déjà dans l’idéalisme classique une tendance à vouloir fixer la réalité à l’aide des fameuses catégories. La conséquence logique du discrédit de la réalité nous conduit finalement à penser la théorie de la connaissance sous le rapport des dualismes objet connaissant / objet connu, corps / esprit, individu / société, etc. Mais James attire l’attention sur le fait que ni l’expérience, ni la réalité ne renvoient à un manque de cohérence, d’ordre et de relations Bien au contraire, l’expérience est pleinement structurée de relations, d’interactions et d’organisation. Ce qui justement lui donne tout son sens en faisant ainsi de la vérité une entité évoluant au sein même de l’expérience. Cette redéfinition de l’expérience aboutit finalement à réhabiliter les sensations et porte un sérieux coup à la conception atomiste de Locke et Hume relative aux sens. En effet, James décrit la nature des sensations en leur conférant un caractère fluctueux et continu et rejetant par la même occasion les conceptions de Locke et de Hume quant au contenu de la conscience d’une part, et sa nature de l’autre. La conscience est, selon James, une fonction et les idées prétendues éternelles et immuables sont loin d’être des abstractions mais plutôt des instruments de pensée destinés à des fins déterminées. Il faut aussi noter que la notion d’atomicité telle qu’elle s’élabore avec l’empirisme ne dérive pas de l’observation et encore moins, selon James, de l’expérience. En fait, elle conduit inévitablement à l’attitude sceptique consistant à définir les objets d’expérience comme de simples apparences opposées aux constructions et aux relations mentales. En conséquence il ressort ici que l’exposé de la doctrine pragmatique, celle de James en particulier, révèle une conception de la vérité encore plus, large et plus souple permettant justement d’échapper aux dualismes de la philosophie traditionnelle. L’idéalisme, quelles que soient d’ailleurs, ses différentes alternatives a échoué dans sa tentative d’interprétation l’univers sur le modèle des formes sacrées de la connaissance. Peirce, James et plus tard Dewey ont tous contribué à ruiner le statut privilégié de la raison. Au total, le pragmatisme représente un empirisme poussé jusque dans ses conclusions les plus minutieuses et se démarquant définitivement de tout ce qui est premier principe, catégories, nécessité, etc. Et c’est dans cette voie ouverte par Peirce et James que s’inscrit la pensée de Dewey qui approfondira plusieurs thèmes liés au pragmatisme en leur donnant une forme plus achevée. Mais pour autant que Dewey mérite cette place qui lui est attribuée, il faut tout de même qu’il nous livre l’essentiel de sa contribution à la critique de l’idéalisme classique

EVOLUTION DE LA PENSEE DE DEWEY

     Dewey naquit dans une ferme près de Burlington, dans le Vermont le 20 octobre 1859. Il a grandi dans une communauté dont la spécificité consistait en une tendance à laisser aux jeunes enfants une libre initiative dans la conduite des affaires de la vie quotidienne en leur apprenant, dès le bas âge, à ne compter que sur leurs propres ressources. A la fin de ses études à Burlington en 1875 et sous l’influence décisive de sa mère, Dewey alla s’inscrire à l’Université du Vermont. C’est, du reste, pendant cette période qu’il se familiarisera avec quelques unes des idées qui marqueront sa pensée. Gérard Deledalle décrit justement cette étape de la vie de Dewey en écrivant que «son passage dans cette université fut fécond. D’un cours ayant pour thème la psychologie de Huxley, Dewey sortit convaincu que le monde, comme l’organisme humain, est une «unité d’interactions», un «continuum». Des lectures qu’il entreprit, il retint alors que les idées sont fonction de l’environnement social, qu’elles sont en continuité avec lui.» Un peu plus tard, et sous l’impulsion du professeur Torrey de l’Université du Vermont, Dewey décida de reprendre ses études dans la toute nouvelle Université John Hopkins. A. John Hopkins, il subit des influences considérables dont les plus significatives furent celles de George Morris Sylvester, hégélien Allemand qualifié qui l’expose au modèle organique de la nature caractéristique de l’idéalisme allemand ; et de G. Stanley Hall, un des psychologues expérimentaux les plus réputés. Celui-ci lui apprit à tenir compte de la puissance de la méthodologie scientifique dans les sciences humaines. C’est, donc, au confluent de ces diverses tendances que la philosophie de Dewey acquit la teneur générale qui marquera toute sa carrière. Et, c’est aussi dans cette Université qu’il entreprit d’acquérir une grande culture philosophique et de rassembler des informations sur les mouvements intellectuels de son temps, en particulier l’impact des sciences de la nature sur les conceptions traditionnelles de la connaissance en générale. Deledalle n’a pas tord d’affirmer que «par Morris, Hegel procura à Dewey la satisfaction de ce «désir émotionnel intense», de cette «faim que seule une nourriture intellectuelle pouvait apaiser», la continuité entre l’objet et le sujet, la matière et l’esprit, le divin et l’humain. Stanley Hall amena Dewey à vérifier que seule une psychologie et une pédagogie qui respectent l’idée biologique (Huxley et plus tard Darwin) et métaphysique (Hegel) de continuité sont possibles». Le sens de cette affirmation de Deledalle que nous venons de citer semble être cautionné par Dewey lui-même dans la mesure où il écrit : «It is difficult to speak with exactitude about what happened to me intellectually so many years ago, but I have an impression that there was derived from that study a sense of interdependence and interrelated unity that gave form to intellectual stirrings that had been previously inchoate, and created a kind of type or model of a view of things to which material in any field ought to conform». De ce point de vue, les thèmes hégéliens de la reconstruction et de la réconciliation auront fortement attiré l’attention de Dewey. Mais il faut, tout de même, signaler qu’il s’écartera un peu plus tard de l’hégélianisme dont il aura, à tout le moins, retenu la notion d’unité des choses. En particulier, Auguste comte attire l’attention de Dewey sur la possibilité d’une approche scientifique des problèmes sociaux, mais aussi et surtout sur la relation nécessaire entre les idées et l’environnement social. Tandis que ses contemporains se livraient à des spéculations religieuses de toutes sortes, de telles réflexions absorbaient la majeure partie du temps de Dewey. Et pour certains, la curiosité de Dewey vis-à-vis des croyances et des institutions traditionnelles traduisait, en réalité, une profonde crise personnelle. D’une autre part, William James occupe une place significative sur la liste de ceux qui auront eu une influence décisive sur sa pensée. Les principes de psychologie de James, entre autres textes, qui mettent l’accent sur l’importance et la possibilité d’une approche biologique des faits psychologiques en témoignent largement. A l’université John Hopkins, il sera surtout en contact (Huxley) avec la théorie évolutionniste de Darwin qui lui ouvre la voie d’une approche naturaliste de la théorie de la connaissance. Darwin avait, en effet, renoncé aux explications «surnaturelles» de l’origine des espèces pour finalement prendre en compte la morphologie de la matière organique comme le produit du processus normal et temporel de l’adaptation des organismes vivants à leur environnement naturel. De même, l’approche de Dewey a conçu génétiquement la pensée comme le produit de l’interaction entre l’organisme et l’environnement, et la connaissance comme un instrument pratique sous forme de conseils et de contrôle de cette interaction. D’où le nom d’instrumentalisme qui désigne la philosophie de Dewey. En 1884, d’après l’obtention de son doctorat avec une thèse sur la psychologie de Kant, Dewey accepta un poste d’enseignant à l’université du Michigan où il passa une dizaine d’années moyennant un intermède d’un an à l’université du Minnesota en 1888. A Michigan, Dewey écrivit ses premiers livres qui sont autant d’indices révélant l’évolution de sa pensée. Deledalle écrit à ce propos que «les articles de Mind (1886) et certaines parties de sa psychologie (1887) sont idéalistes : Dewey est toujours sous l’influence de Morris. Outline of a Critical Theory Of Ethics (1891), marque un changement chez Dewey : l’intelligence n’est plus un jeu catégoriel, elle dirige l’action individuelle et sociale de l’homme».14 En 1994, Dewey accepta une chaire de philosophie à l’Université de Chicago. Cette période fut particulièrement déterminante dans la carrière de Dewey dans la mesure où il fonda et dirigea à l’université de Chicago un école expérimentale qui lui donna l’occasion d’appliquer directement ses idées relatives à la pédagogie. Une telle expérience eut la conséquence logique de lui fournir la matière de son premier ouvrage sur l’éducation. Mais les désaccords avec l’administration de l’université sur le statut de l’Ecole- laboratoire, conduisirent Dewey à démissionner de son poste en 1904. Cependant, ayant acquis entre temps la réputation de philosophie confirmé, il fut invité à joindre le département de philosophie de l’Université de Columbia où il passa le reste de sa vie professionnelle de 1905 à 1930. A New York, où Dewey dispensait des cours au Teacher’s College, il fut en contact avec les milieux universitaires du Nord–Est qui ont abrité les esprits les plus lumineux de la philosophie américaine. Cette atmosphère, qui a intellectuellement stimulé Dewey, a profondément enrichi et consolidé sa pensée. A Columbia, Dewey écrivit un grand nombre d’articles relatif à la théorie de la connaissance : The Influence Of Darwin on Philosophy (1910), Essay in Experimental Logic (1916), Creative Intelligence (1917). Son intérêt pour la pédagogie a également survécu grâce à son travail au Teacher’s College ; ce que justifie, du reste, la publication de How we Think (1910) qui est un ouvrage majeur de pédagogie, et Democracy and Education qui paraît être son travail le plus important dans ce domaine. Pendant la période passée à Columbia, la réputation de Dewey se fut amplement développée en tant que philosophe et théoricien de l’éducation mais aussi, et dans l’esprit du public, en tant que commentateur qualifié sur les questions contemporaines interpellant l’humanité. Ce qui justifie, d’ailleurs, ses engagements politiques et syndicaux ainsi que les nombreux voyages entrepris aux quatre coins du monde où Dewey était sollicité à cause de défaillances de systèmes éducatifs. Plusieurs de ses ouvrages, en cette période, furent recueillis lors de ses conférences : Reconstruction in Philosophy (1920), Human Nature and Conduct (1922), The Public and its Problems (1927) et The Quest. for Certainty (1929). D’autres travaux significatifs furent effectués par Dewey durant sa retraite, mais il importe surtout de signaler qu’à travers son œuvre et son enseignement il interpellait les philosophes et éducateurs du monde entier. Son intérêt ne se limitait pas à la seule sphère universitaire. Il œuvrait sans relâche pour l’amélioration de la condition humaine partout dans le monde.

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Table des matières

INTROUCTION GENERALE
CHAPITRE I : CRITIQUE ANTIMETAPHYSIQUE 
Introduction
I-1. L’apport de la tradition pragmatiste
I-2. Critique de l’idéalisme métaphysique chez Dewey
Conclusion
CHAPITRE II : DE LA RECONSTRUCTION EN PHILOSOPHIE 
Introduction
II-1. Evolution de la pensée de Dewey
II-2. Raison et Expérience : Nouvelles Conceptions
II-3. La philosophie comme reconstruction : expérimentalisme et instrumentalisme
Conclusion
CHAPITRE III : THEORIE ETHIQUE ET SOCIALE 
Introduction
III-1. Nouvelles Conceptions de la Morale
III-2. Démocratie et Education
III-3. Expériences Artistique et Religieuse
Conclusion
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE

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