LA THEORIE DE LA CONNAISSANCE DANS LA PHILOSOPHIE QRECQUE ET MEDIEVALE
Le problème de la connaissance apparaissait déjà en filigrane dans la philosophie grecque médiévale. C’est justement aux philosophes présocratiques qu’on doit attribuer les premières élaborations théoriques sur la connaissance. Déjà vers le Ve siècle AV J.C. Héraclite et Parménide tentèrent la recherche d’un principe unificateur du réel dont l’appréhension permettrait de libérer les hommes tout à la fois des apparences trompeuses de l’opinion. Leurs recherches vont s’effectuer non sans problème car elles se heurtèrent à l’attitude quotidienne qui ne prêtait foi qu’aux apparences et au scepticisme ordinaire qui défendait l’idée selon laquelle toutes les opinions se valent. Les sophistes, solidaires de ces attitudes à la fois relativistes et phénoménistes, déclaraient avec Protagoras que « l’homme est la mesure de toute chose », révélant ainsi la part irréductible du sujet dans toute connaissance. En se proposant de résoudre la crise introduite par les sophistes, Platon qui assume et développe l’enseignement de Socrate, sépare radicalement le monde des objets connaissables et l’univers sensible de la perception quotidienne. Selon le maître de l’Académie, la vraie connaissance a pour objet des êtres purement intelligibles dont les phénomènes du monde sensible ne sont que de pâles copies. Pour le disciple de Socrate, la possibilité pour l’homme d’accéder par la connaissance à ces êtres intelligibles ou Idées, révèle une parenté de l’âme et des objets du monde idéal. Donc pour Platon, la connaissance est une sorte de réminiscence, un retour de l’âme vers son état premier – celui d’une contemplation originelle des Idées antérieure à son ensomatose. La théorie des Idées, formulée dans plusieurs de ses dialogues, particulièrement dans la République et le Parménide, divise l’univers en deux mondes : le monde intelligible formé d’idées ou formes parfaites éternelles et invisibles et le monde sensible formé d’objets concrets et familiers. Pour Platon, tous les objets connus par les sens comme les arbres, les pierres, les corps humains ne sont que de vagues copies irréelles et imparfaites des Idées. Puisse que tous les objets appréhendés par les sens sont sujets au changement, comme le défendait du reste Héraclite « on ne descend pas toujours dans le même fleuve car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi. » ,un énoncé fait à un moment donné sur de tels objets peut s’avérer faux à un moment ultérieur. Selon le maître de l’académie, puisque ces objets ne sont pas du tout réels, logiquement les croyances résultant de leur expérience ne peuvent être que vagues et trompeuses. Dés lors, les principes de la mathématique et de la philosophie, découverts par la méditation sur les Idées, constituent le seul moyen d’accès à une connaissance digne de ce nom. Aristote va s’insurger contre les prétentions démesurées que son maître semble attribuer aux mathématiques. Il rejette la thèse de la primauté de l’intelligible sur le sensible et par voie de conséquence « le postulat de l’adéquation des mathématiques au réel ». Selon lui, les propriétés du cercle ont une perfection que l’on ne peut trouver nulle part dans la nature. Les mathématiques et le réel ne sont pas de même nature : les propriétés mathématiques sont éternelles contrairement au réel qui est constamment en devenir. Il soutient l’idée selon laquelle une véritable connaissance s’élabore toujours sur la base de l’expérience et de la perception sensible. Par la suite, grâce aux capacités d’abstraction de l’esprit et à l’instrument de la logique, la science peut s’accomplir en une connaissance véritablement déductive, qui procède des causes aux effets et accède finalement à une intelligibilité extra empirique, comme celle qui régit la « métaphysique ». La conception aristotélicienne de la science et l’idée que toute connaissance vient originellement de l’expérience vont irriguer toute la pensée scolastique médiévale, non sans susciter, au moyen âge, des oppositions fortes à l’instar de celle des nominalistes pour lesquels il n’y a de connaissance que du particulier ; les essences abstraites n’étant que des fictions de l’esprit sans répondant dans les choses. Il faut attendre le XVIIe siècle pour assister au déboulonnement de la conception d’Aristote qui sera principalement l’œuvre de Bacon et de Descartes.
LE PROBLEME DE HUME
Hume a abordé l’induction, non pas selon la perspective de sa caractérisation épistémologique ou de son efficacité pratique mais, surtout dans la perspective de sa justification rationnelle et logique : le passage des cas singuliers observés à l’attente d’occurrences futures similaires est un phénomène qui découle simplement de l’habitude et des croyances qu’elle suscite et qui n’est susceptible d’aucun fondement logique. L’illusion que celle-ci est possible résulte du fait que l’on confond la conjonction des évènements avec leur connexion et que l’on pense que l’établissement des causes et des effets découle de la nécessité interne de ce genre de lien entre les évènements.Pour Hume, le passage des observations particulières à une loi générale est illégitime, puis que cette opération ne possède aucune base logique. Il est certes possible de répondre à cette difficulté en trouvant, pour l’induction, un principe d’induction, comme Stuart Mill a tenté de le faire : mais il s’agit simplement d’un recul, car la justification d’un tel principe, en tant que principe empirique, se heurte exactement aux mêmes objections que le procédé inductif. Cette conclusion sceptique réveillera, comme on le sait, Emmanuel Kant de son sommeil dogmatique et le conduira à chercher dans les facultés de l’esprit humaine des formes à priori qui puissent garantir la validité universelle, objective, des lois scientifiques. Il rendra néanmoins à Hume qui « n’apporta aucune lumière en cette connaissance, mais il fit jaillir une étincelle avec laquelle on aurait pu allumer une lumière si elle avait rencontré une mèche inflammable dont on eût pris soin d’entretenir et d’augmenter l’éclat » Popper va s’inspirer fortement de la lecture de Hume. Il ne se contentera pas de reformuler le problème. Il prétend avoir trouvé une solution.Dans l’analyse humienne de l’induction, Popper distingue en premier lieu deux problèmes différents : un problème logique et un problème psychologique. Le problème logique de Hume formulé ainsi : « Sommes-nous justifiés à raisonner de cas (répétés) dont nous avons l’expérience pour d’autres cas (conclusion) dont nous n’avons pas l’expérience » consiste à savoir s’il est ou non justifier de raisonner à partir de la répétition de cas dont nous avons eu l’expérience : la réponse de Hume est négative quel que soit le nombre de répétitions prises en considération. Ainsi Hume va plonger, comme le fait remarquer Russel, la philosophie des sciences dans une situation impossible et la rend presque schizophrène. D’une part, la science fait des bonds spectaculaires et d’autre part on est dans l’incapacité de déterminer sur quoi logiquement la science peut reposer. Hume va désappointer bien des inductivistes devenus par la suite des rationalistes. C’est justement ce qui fait dire à Russel cité par Popper que « La philosophie humienne représente la banqueroute du raisonnable du 18e siècle. » Ainsi, Popper va réagir en vue de sauver la science de l’irrationalisme dans lequel il semble s’empêtrer. Le problème psychologique est celui de savoir pour quelle raison les hommes vivent avec la conviction selon laquelle les cas dont ils n’ont pas l’expérience se produiront dans le futur conformément aux cas dont ils ont eu l’expérience dans le passé. « En d’autre terme, pourquoi faisons-nous des prévisions auxquelles nous accordons grande confiance ». Comme nous l’avons évoqué plus haut, la réponse de Hume est donnée à travers les répétitions et l’habitude, laquelle organise notre expérience et nos attentes. Popper reprend ces distinctions en les reformulant de façon à poser en termes de connaissance objective ce qui chez Hume, était formulé sous l’angle de la croyance subjective. Le problème de l’induction devient dés lors le problème de la « validité (vérité ou fausseté) des lois universelles relatives à des énoncés expérimentaux donnés » 11 .Karl Popper partage avec Hume l’idée selon laquelle il n’est pas possible d’atteindre l’universalité d’un énoncé à partir d’une quelconque série finie d’observations, mais il s’inscrit en faux contre la démarche qui, chez Hume, consiste à fournir une explication psychologique des processus inductifs. C’est justement sur ce point que Popper s’oppose à la tradition épistémologique des derniers siècles an affirmant que la connaissance humaine ne procède pas par induction. Selon lui « le concept d’induction par répétition doit être dû à une erreur – une sorte d’illusion optique – bref il n’y a pas d’induction par répétition » Ainsi donc, les données du problème sont de cette façon entièrement reformulées. La science n’est pas inductive.A la lumière de la pensée de Popper on peut donc retenir que la conception étroitement inductiviste de la recherche scientifique est insoutenable pour plusieurs raisons : D’abord, il est loin d’être évident d’un point de vue purement logique que nous ayons le droit d’inférer des énoncés universels à partir d’énoncés singuliers, aussi nombreux soient-ils. Toute conclusion tirée de cette manière peut toujours, en effet, se révéler fausse : quel que soit le nombre important de cygnes blancs qui ont pu être observés, il n’est pas légitime de conclure que tous les cygnes sont blancs. Alors qu’il existe des règles de déduction, aucune règle semblable n’a été formulée par l’induction logique. L’inférence inductive ne semble donc pas applicable sur le plan strictement logique pour dégager des régularités universelles. Ensuite, une recherche reposant sur l’induction ne pourra jamais débuter. Le précepte, selon lequel on doit rassembler les données sans être guidé par une hypothèse sur les relations entre les faits étudiés, se détruit lui-même et personne ne s’y conforme dans la réalisation d’une recherche scientifique puisse qu’il faut déjà avoir une idée de ce sur quoi le chercheur portera son attention. En revanche il est nécessaire de hasarder des hypothèses et de les formuler ouvertement afin qu’elles orientent la conduite d’une recherche. Notons que l’invalidité logique de l’induction a conduit certains épistémologues à la notion d’induction probabiliste ou de logique probabiliste. Parmi eux, on peut en citer Carnap pour qui le raisonnement inductif doit abandonner toute prétention à établir la vérité d’une proposition et se contenter de lui conférer une certaine probabilité, appelée « degré de confirmation » ou « probabilité logique ». Les règles pour attribuer un degré de probabilité au proposition générale sur la base de la probabilité des propositions particulières doivent être à ses yeux strictement formelles ou analytiques. Moyennant quoi il n’a jamais abandonné le projet d’élaborer une logique inductive expliquant comment les preuves apportées par l’observation peuvent soutenir des hypothèses plus générales. Cette position sera l’un des principaux points d’achoppement entre Popper et Carnap.
LA THEORIE DE L’ESPRIT SEAU
La théorie de la connaissance qui procède du sens commun qualifiée par Popper de la « théorie de l’esprit seau » a été d’abord formulée par Parménide sous la célèbre assertion : « qu’il n’est rien en notre intellect qui n’y soit parvenu par la voie des sens ». Il s’agit donc d’une théorie sensualiste qui postule le primat de l’activité des sens pour l’acquisition des connaissances. Dés lors nos différents sens se positionnent comme étant nos principales sources de connaissances. Popper emploie la métaphore du seau parce que la théorie qui procède du sens commun défend l’idée selon laquelle « notre esprit est un seau vide à l’origine – ou plus ou moins vide – et les matériaux entre dans ce seau par la voie de nos sens (ou éventuellement par un entonnoir propre à le remplir ou à l’atteindre depuis le haut). Là, ils s’accumulent et se digèrent » Cette théorie de la connaissance est mieux connue dans les milieux philosophiques, nous dit Popper, sous le nom de la théorie de l’esprit comme table rase comparant ainsi notre esprit à une tablette vide sur laquelle les sens gravent leurs messages. Il résume bien la thèse primordiale de la théorie du seau : « nous apprenons la plus grande part, si pas tout, de ce que nous apprenons par le biais de l’immixtion de l’expérience par nos orifices sensoriels ; tant et si bien que toute expérience consiste en information reçue par la voie de nos sens. » Popper souligne dans Conjectures et Réfutations que cette conception appelle notre critique. Il fustige « l’observationnisme c’est à dire l’idée selon laquelle notre connaissance du monde repose sur le fait que nous l’observons en ouvrant les yeux et les oreilles et que nous prenons note de ce que nous voyons, entendons, etc. ; et cela constituerait toute la manière de la connaissance. C’est là un préjugé très profondément enraciné et cette idée est à mon sens un obstacle à la compréhension de la méthode scientifique. » La théorie de la connaissance qui procède du sens commun est fondatrice d’un vaste courant pédagogique qui, de l’antiquité à nos jours, continue dans une certaine mesure, d’inspirer certaines méthodes d’enseignement. Ce fait n’a pas échappé à Karl Popper et il souligne dans son ouvrage intitulé : la connaissance objective que cette théorie « joue encore son rôle dans les théories de l’enseignement. » Ce rôle est d’autant plus prégnant que les instructions officielles relatives à l’enseignement des sciences stipulaient : « qu’une leçon de chose sans la chose est le comble de l’aberration pédagogique ». Il apparaît à la lumière de ce qui précède que toute erreur, toute connaissance erronée, provient d’une mauvaise digestion intellectuelle qui altère ces éléments d’informations ultimes en les interprétant mal, ou en les associant à tort avec d’autres éléments. L’auteur de la connaissance objective va s’insurger contre les deux principaux leviers de la théorie du seau que sont : la parfaite vacuité de l’esprit à la naissance et la question liée à la certitude nonobstant leurs impacts sur le plan pédagogique.
LE PRIMAT DE L’ACTIVITE CONJECTURALE
Karl Popper n’a jamais cessé de récuser, en des termes invariables, la croyance si répandue et si fortement ancrée selon laquelle la science procède de l’observation à la théorie. Cette conception est si tenace au point d’ orienter la plupart des théories de l’enseignement qui accordent une place primordiale à la leçon dite d’observation dans le tiers temps pédagogique. Nous verrons plus loin que cette conception passée au crible de la pensée poppérienne ne convainc plus. L’auteur de la logique de la découverte scientifique proclame la prééminence absolue de la théorie sur l’observation. Dans son ouvrage Misère de l’ historicisme, il écrit : « A aucune étape du développement scientifique, nous ne commençons par quelque chose qui ne ressemble à une théorie, une hypothèse, une opinion préconçue ou un problème qui en quelque façon guide nos observations et nous aide à choisir parmi les innombrables sujets d’observation qui ceux qui peuvent être intéressants » L’observation n’est jamais totalement neutre. Elle est presque toujours entachée de subjectivité. L’observateur projette toujours quelque chose de son moi sur l’objet à observer. De ce fait, l’observation devient sélective. Elle exige qu’on ait choisi l’objet, circonscrit la tâche, qu’on parte d’un intérêt, d’un problème. Ainsi l’observation ne se résume jamais à des sensations ou des perceptions que l’observateur se contenterait de transcrire dans des comptes rendus écrits, elle est partiellement prédéterminée par les attentes et les problèmes qui hantent l’esprit du chercheur et qu’il tient lui-même d’une connaissance antérieure. Il n’y a pas d’observations qui ne soit au départ « imprégnée de théories » nous dit Karl Popper. La défense d’une conception éminemment conjecturale de la connaissance a conduit Popper à concevoir de façon particulière l’histoire de la science, à la penser non pas comme une progression continue des observations à la théorie qui garantisse la possession de la vérité, mais plutôt comme une articulation et une transformation évolutives de problèmes qui, à travers des essais et des erreurs résolus – dans le meilleur des cas – , suscitent de nouveaux problèmes et ainsi de suite. Il s’agit de cette façon de comprendre la croissance de la connaissance, et non pas de garantir son fondement. Selon Popper, le développement de la connaissance n’est pas un processus répétitif ou cumulatif, mais un processus d’élimination d’erreurs. De manière générale, quand on considère l’évolution de la science, on voit qu’elle procède par l’adoption provisoire d’énoncés généraux, de théories préconçues, répondant à des attentes innées, au lieu de découler d’une accumulation d’expériences. Ces théories ne sont donc pas fondées sur une démarche inductive, sur l’observation des cas particuliers. On ne doit donc pas concevoir l’activité scientifique comme une activité dans laquelle les hypothèses découlent, tant en ce qui concerne leur formulation que leur justification, de procédés inductifs qui vont du particulier au général. Ceci confirme Popper dans sa conviction selon laquelle l’élaboration de théories n’est pas explicable à partir de l’induction et que l’on ne peut réduire les concepts théoriques à leur fonction logique ou à leur base observationnelle. L’élaboration de bonnes théories devient le premier piédestal à franchir pour aller vers la conquête de toute connaissance.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE: Théorie générale de la connaissance
Chapitre I Historique et évolution
1 . 1 La théorie de la connaissance dans la philosophie grecque et médiévale
1 . 2 La théorie de la connaissance dans la philosophie moderne
1 . 2 . 1 Le problème de HUME
1 . 2 . 2 La réhabilitation de la métaphysique
Chapitre II 2 Critique de la connaissance qui procède du sens commun
2 . 1 La théorie de l’esprit seau
2 . 2 La théorie de la table rase
2 . 3 Le problème de la certitude
2 . 3 . 1 La régularité de la nature
2 . 3 . 2 La question du déterminisme
DEUXIEME PARTIE : La croissance des connaissances scientifiques
Chapitre III La méthode critique et rationnelle
3 . 1 Le primat de l’activité conjecturale
3 . 2 La révolution permanente
3 . 3 La controverse avec KUHN
Chapitre IV Le faillibilisme au secours de la didactique
4. 1 Approche philosophique
4 . 2 Approche pédagogique
4. 3 Dédramatiser l’erreur
CONCLUSION
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