Historique de l’écologie du paysage et naissance du concept
A l’origine, les concepts de continuité ou de réseau écologique proviennent d’une branche de l’écologie bien spécifique que l’on appelle l’écologie du paysage. Pour une meilleure compréhension il est préférable de s’attarder un peu sur les spécificités de cette discipline. L’écologie du paysage est une discipline récente au regard de l’histoire des sciences du vivant puisqu’elle s’est développée au début des années 1980 (Debray, 2011). Elle fait son apparition dans les années 70 suite à la prise de conscience collective de l’impact néfaste de certaines activités humaines sur l’environnement telles que l’agriculture intensive ou la création de grandes infrastructures de transport. Elle étudie alors les effets des modifications paysagères sur les écosystèmes et la biodiversité. Cela implique donc d’intégrer les activités humaines dans le système, et donc l’Homme. En ce sens, la discipline marque une rupture dans l’histoire de l’écologie (Forman, 1999) en ne s’intéressant plus uniquement aux écosystèmes peu anthropisés. L’écologie du paysage privilégie alors une approche pluridisciplinaire intégrant des notions de sciences humaines, de géographie et de mathématiques pour créer des concepts dynamiques tenant compte des actions de l’Homme. Ainsi, elle démontre que le maintien de la biodiversité dépend non seulement de la préservation des habitats mais aussi des espaces interstitiels qui permettent les échanges biologiques entre ces habitats (Burel et Baudry, 1999). Ces bases ont permis d’arriver aujourd’hui au concept de réseau écologique.
Les taches (ou réservoirs de biodiversité)
Selon les écologues paysagistes, les taches d’habitat sont des structures paysagères qui apparaissent ponctuellement et isolément dans un espace dominant caractérisé par une certaine uniformité d’occupation du sol et qualifié de « matrice » (Forman et Godron, 1986). Ses espaces sont généralement non linéaires et différents de leur environnement comme par exemple un bosquet au sein d’un espace agricole ou bien une clairière au milieu d’un massif forestier. Cette définition est quelque peu modifiée dans l’application en Aménagement du territoire puisqu’elle associe aux taches, ou réservoirs de biodiversité, des qualités et fonctions supplémentaires. Ces réservoirs, du fait de l’échelle de planification retenue, sont généralement de grande superficie et de bonne qualité écologique tout en ayant le rôle de supporter l’ensemble du cycle de vie des espèces considérées. Ce sont des réservoirs à partir desquels des individus présents se dispersent. Les autres éléments similaires mais ne remplissant pas tous les critères (exemple de taille trop restreinte ou trop dégradé) sont assimilés à d’autres catégories comme aux corridors, aux zones tampon ou d’extension. La science distingue plusieurs catégories à l’intérieur même des taches. Les zones dites intérieures ont peu d’interaction avec la matrice. Autour de celles-ci se trouve la lisière qui elle est un milieu de transition et d’échange avec la matrice et les autres taches. Cette différenciation de zones a elle aussi été reprise par les aménageurs qui les ont cependant fait correspondre à des objectifs :
o Les zones noyaux : Equivalentes aux zones intérieures, elles contiennent des habitats naturels ou semi-naturels de populations viables d’espèces et sont d’importance écologique. L’ensemble des outils juridiques internationaux de protection des milieux naturels ainsi que les espaces protégés par des politiques et programmes des pouvoirs publics nationaux et régionaux sont considérées comme zones nodales.
o Les zones tampons : Equivalentes aux lisières, elles protègent les zones noyaux et les corridors contre les influences extérieures potentiellement dommageables.
o Les zones de restauration : Le réseau a aussi pour objectif la reconquête de ces qualités perdues quand cela est techniquement réalisable et à un coût raisonnable. Ces zones possèdent des qualités écologiques inférieures aux zones noyaux mais sont susceptibles d’être améliorées pour pourvoir à terme devenir zones noyaux.
L’autoroute, une barrière au déplacement
Outre sa fonction première qui est de favoriser au maximum les déplacements humains, l’autoroute est une barrière pour le vivant. Les sciences écologiques montrent que ces infrastructures linéaires inhibent les échanges faunistiques en raison de leur caractère inhospitalier et de l’obstacle physique qu’elles constituent (Ménard et Clergeau, 2001). Ces infrastructures sont, selon l’espèce considérée, plus ou moins perméables au franchissement par la faune et se révèlent très souvent infranchissables. Les raisons en sont variées, allant de la difficulté de franchissement des grillages de protection et des terre-pleins centraux aux perturbations sonores, olfactives ou hygrométriques qu’engendre l’infrastructure en passant par les collisions elles mêmes.
L’autoroute, consommatrice de biomasse
Avec une emprise allant de 60 à 80 m de large une autoroute consomme intrinsèquement 7 hectares de terres en moyenne par kilomètre de voie (Couderc, 1980). D’autres facteurs, plus indirects, sont également consommateurs d’espace et peuvent faire augmenter la moyenne. Parmi eux trouve les voies d’accès, les aires de repos, les échangeurs, les pertes temporaires dues aux travaux et les urbanisations induites.
Appropriation du concept par les politiques françaises
Le concept de réseau écologique est né de l’écologie du paysage, une discipline récente qui est apparue dans le début des années 1980. Il aura fallu attendre une dizaine d’années pour qu’il soit intégré dans des politiques européennes. En 1991, le ministère de l’agriculture des Pays-Bas a créé le premier réseau écologique européen appelé EECONET (European Ecological Network) qui a grandement inspiré l’Union Européenne. En effet, 4 ans plus tard, en 1995, la Stratégie Paneuropéenne pour la protection de la diversité biologique et paysagère est adoptée. En 1995, une circulaire introduit une nouvelle contrainte pour les nouveaux projets autoroutiers: le 1% paysage et développement. Celle-ci impose que 1% des investissements soit dédié à des actions pour le paysage et/ou le développement autour des nouvelles infrastructures. Bien qu’elle ne cite pas explicitement les réseaux écologiques, cette loi permet tout de même de financer des actions en leur faveur. Le concept de réseau écologique apparaît pour la première fois dans le droit français en 1999 avec la loi Voynet d’orientation pour l’aménagement et le développement durable des territoires qui introduit le schéma de services collectifs des espaces naturels et ruraux. Concrètement, cette loi traduit la Stratégie Paneuropéenne dans le droit français sans réellement apporter de solutions et d’outils opérationnels. Toutefois, la reconnaissance du principe de réseau écologique a tout de même eu un effet multiplicateur sur les initiatives locales (Bonnin, 2006). Il faut tout de même souligner que l’absence de cadre institutionnel avant 1999 n’a pas empêché les initiatives locales sur le territoire français (Debray, 2011). En 2004, la France adopte sa Stratégie nationale pour la biodiversité avec un plan d’actions infrastructures de transports terrestres (actualisé en 2009 pour tenir compte des objectifs du Grenelle). Ce plan d’actions intègre notamment la problématique des conflits entre le réseau écologique et les infrastructures linéaires. La dernière et certainement la plus significative des intégrations législative du concept de réseau écologique est l’apparition de ce dernier dans le processus Grenelle. Initié en 2007 autour de tables rondes, il a débouché sur la création de deux lois. Dans un premier temps, la loi Grenelle 1 du 5 août 2009 définit et inscrit la Trame verte et bleue (terme français pour désigner le réseau écologique) comme l’objectif majeur de la politique environnementale. Elle est définie comme un outil d’aménagement visant le maintien de la biodiversité qui se décline sur trois niveaux d’échelles emboités :
o Le niveau national définit les orientations nationales, donne un cadre méthodologique ainsi que les modalités d’application.
o Le niveau régional est lui chargé de décliner la Trame verte et bleue à son échelle par l’intermédiaire d’une représentation cartographique : le SRCE (Schéma Régional de Cohérence Ecologique).
o le niveau local est l’échelon opérationnel qui doit prendre en compte les schémas régionaux dans ses différents documents et projets d’aménagement.
Dans un deuxième temps, la loi Grenelle 2 de juillet 2010 définit le cadre règlementaire en rendant opposable la Trame verte et bleue. Ainsi, depuis cette loi l’Etat, et les collectivités doivent prendre en compte la Trame verte et bleue au travers de leurs projets d’infrastructures linéaires,. Le processus d’appropriation du concept de réseau écologique en France s’est donc fait de façon progressive avec, dans un premier temps, une mobilisation spontanée du niveau local qui a ensuite été suivi institutionnellement par plusieurs lois.
Une méthode voulant mettre en évidence l’évolution
a) Des analyses spatiales et comparatives : Comme défini ci-avant, nous nous intéressons, pour mener à bien notre recherche, à deux éléments distincts que nous mettons en perspective :
o d’une part la fragmentation : Rappelons-le, la fragmentation est avant tout un phénomène spatial. C’est pourquoi, les analyses seront-elles aussi d’ordres spatiales et calculées à l’aide d’outils de représentation spatiale et de modèles mathématiques.
o d’autre part la qualité de la prise en compte : Dans ce cas ci il devra être fait une analyse qualitative des résultats. Or, nous étudions la fragmentation et ses données chiffrées ne peuvent à elles seules donner le résultat escompté. Il nous faudra donc pour cela comparer des données de fragmentations entre elles pour pouvoir qualifier de façon relative l’efficacité de la prise en compte.
La méthode de la recherche est donc comparative.
b) Mise en évidence de l’effet fragmentant : Nous cherchons dans la présente recherche à mettre en évidence l’évolution de la fragmentation du milieu forestier suite à la mise en place d’une infrastructure autoroutière sur un espace donné. Pour montrer l’évolution du phénomène il nous faut impérativement les valeurs de fragmentation à un état initial et à un état final (étude diachronique). Pour cela, nous calculons le degré de fragmentation du milieu forestier avant le début des travaux et après leur fin. Ainsi, en comparant les valeurs obtenues nous pouvons connaitre la part de la fragmentation due à la construction de l’infrastructure. Nous pouvons rajouter que plus les données d’occupation du sol disponibles sont près des dates de début et de fin de travaux et plus les résultats obtenus seront justes. En effet, cela minimise le risque de biais des données par d’autres sources de fragmentation comme la déforestation, l’urbanisation ou la construction d’autres infrastructures. Il pourrait être intéressant de se pencher plus longtemps sur le phénomène et de multiplier les temps d’observation pour voir si les effets indirects de l’implantation d’une autoroute (développement local notamment) n’accentuent pas d’avantage la fragmentation forestière. Mais, compte tenu des délais, nous ne nous y attarderons pas.
c) Mise en évidence de l’évolution de la prise en compte : Pour mettre en évidence l’évolution de l’efficacité de la prise en compte nous devons comparer différents projets autoroutiers s’étant déroulés dans des périodes distinctes. Ensuite, nous comparons leur part respective de fragmentation dans leur zone d’étude. Si les plus anciennes autoroutes ont un effet sur la fragmentation plus important que les autoroutes récentes c’est que l’effet de la prise en compte du réseau écologique forestier s’est amélioré.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 Le réseau écologique : naissance du concept et principe
1. Historique de l’écologie du paysage et naissance du concept
2. Définition du concept de réseau écologique
21. Définition
22. Ses composantes
a) Les taches (ou réservoirs de biodiversité)
b) Corridors/Zones de connexion biologique
c) La matrice paysagère
Partie 2 L’autoroute face aux réseaux écologiques : des conflits d’usage
1. Le réseau autoroutier
12. Evolution et structure du réseau autoroutier
13. L’autoroute, une barrière au déplacement
14. L’autoroute, consommatrice de biomasse
2. Appropriation du concept par les politiques françaises
3. La fragmentation de l’espace
31. Définition
32. Problèmes posés par la fragmentation
33. Effets positifs indirects (dans une certaine mesure) : l’effet lisière
4. Objet de la recherche
Partie 3 Présentation de la méthode
1. Méthode générale
11. Justification des choix d’objet d’étude
a) Choix de la fragmentation
b) Le sous-réseau forestier
12. Une méthode voulant mettre en évidence l’évolution
a) Des analyses spatiales et comparatives
b) Mise en évidence de l’effet fragmentant
c) Mise en évidence de l’évolution de la prise en compte
d) Schéma récapitulatif
2. Outils de mise en œuvre de la méthode
21. L’indice de la fragmentation utilisé
a) Choix de d’approche théorique
b) Les différents indices spatiaux
22. Choix des bases de données
23. Choix du logiciel de traitement des données
a) Zone prise en compte dans les calculs
3. Choix des zones d’études
31. Critères de sélection
a) Des situations biogéographiques proches
b) Le nombre de zones étudiées
c) Choix des classes temporelles
32. Exemple de zones d’études envisageables
4. Limites de la méthode
41. Limites liées à l’indice
42. Limite liée aux données
43. Limite d’échelle
Conclusion
Bibliographie
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