Point de rupture et problématique professionnelle
Le point de rupture de ce travail de recherche provient d’un cours sur le rétablissement en santé mentale, ainsi que de recherches complémentaires sur l’expérience de vivre avec une psychose. En introduction de son cours, l’intervenant chargé du sujet a présenté des témoignages de personnes ayant été diagnostiquées psychotiques. Tous évoquent le changement brutal qu’a représenté la survenue de la maladie psychique dans leurs vies : arrêt des études, perte de l’emploi, ou encore isolement social. La question s’est posée de savoir, dans une perspective ergothérapique, si le premier épisode de psychose ne correspondrait pas à une rupture occupationnelle. Cette notion correspond au fait de ne plus pouvoir participer aux occupations, aux routines réalisées dans son environnement, ou encore à une perte de rôles sociaux. Ce type particulier de transition occupationnelle se caractérise selon Whiteford par son aspect imposé, imprévu, et par la perte de contrôle de l’individu qui la vit. Whiteford indique que la perte occupationnelle provient de facteurs internes, tels que la maladie. Il souligne également son aspect temporaire ou momentané (1).
Cependant, il semble que chez les personnes psychotiques, des facteurs externes viennent s’ajouter et tendent à maintenir cette rupture occupationnelle, qui devient peu à peu une privation occupationnelle. En effet, la recherche montre que les personnes ayant des troubles psychiques sont particulièrement stigmatisées et discriminées dans leurs environnements. Des personnes atteintes de schizophrénie indiquent vivre une réduction des relations sociales, une tendance à être rendues responsables de problèmes survenant dans leur environnement, un changement de perception de leurs valeurs et de leur identité, des difficultés d’accès à l’emploi et au logement (2). Le rôle attribué à ces individus est celui de malade mental, avec tout ce que cela comporte de représentations négatives : folie, dangerosité, différence, etc. Cette stigmatisation externe influe sur ces personnes, qui se l’approprient, et tendent alors à s’auto-stigmatiser (3). Dès lors, l’alliance de la maladie mentale à la stigmatisation engendre des obstacles importants à la représentation de soi des personnes vivant avec une psychose. En situation de privation occupationnelle, au sein d’un environnement non-facilitateur, comment ces personnes se considèrent elles ? Qu’aspirent-elles à être, à devenir ? Qu’est-ce que l’identité occupationnelle chez les personnes psychotiques en général ?
Explicitation terminologique
Il faut maintenant préciser les termes de la problématique professionnelle.
La psychose
Créé en 1845, le terme « psychose » est traditionnellement opposé à celui de « névrose » (4), et est retenu dans le paradigme psychanalytique et psychopathologique. Jean Bergeret propose un modèle distinguant les psychoses des névroses et des astructurations (ou « états-limites »). Elles sont de trois types : schizophréniques, paranoïaques et mélancoliques. Toutes présentent les mêmes registres cliniques. Ainsi, la nature du conflit se situe entre le Ca et la réalité. La nature de l’angoisse latente est de type angoisse de morcellement, angoisse de mort et angoisse de destruction. Le mode de relation d’objet est plus ou moins fusionnelle, sans distinction entre soi et autrui. Les mécanismes de défenses principaux sont le clivage du Moi, le déni de la réalité et la projection. Cependant, la CIM-10, c’est-à dire la Classification Internationale des Maladies actuelle abandonne cette distinction entre névrose et psychose. Le terme « psychose » est « utilisé simplement pour indiquer la présence d’hallucinations, d’idées délirantes ou de comportements manifestement anormaux (p. ex une agitation ou une hyperactivité très importante, un ralentissement psychomoteur net, ou un comportement catatonique) » (CIM 10/ICD-10 Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement, p.3). De plus, le qualificatif « psychotique » n’est utilisé que par commodité (5). Ainsi, le terme de « psychose » renvoie à des symptômes à la fois positifs (délires, hallucinations), et négatifs (ralentissement psychomoteur, comportement catatonique). Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual), outil de classification et de statistiques des troubles mentaux, abandonne également la distinction entre la névrose et la psychose, et l’approche psychanalytique dès sa troisième version (DSM III) .
L’OMS donne toutefois une définition de la psychose. Les psychoses dont la schizophrénie sont caractérisées par une « distorsion de la pensée, des perceptions, des émotions, du langage, du sentiment de soi et du comportement. » L’organisme cite les délires et les hallucinations comme expériences fréquemment rencontrées par les individus porteurs de ce type de trouble, soit les symptômes positifs de la maladie. Il met en avant les difficultés que ce type de troubles engendre dans la vie quotidienne, notamment dans le monde du travail ou des études. Enfin, l’OMS souligne la stigmatisation et la discrimination dont sont fréquemment victimes les personnes psychotiques .
De plus, dans la recherche, le terme de « psychose » est bien présent. Il en va de même en France, où les manuels à destination des étudiants en psychiatrie en font mention (8). La nosographie française définit le trouble psychotique par la présence de troubles délirants ou de troubles dissociatifs. Ce trouble peut être aigu ou chronique. Parmi les troubles chroniques, sont distinguées les psychoses non dissociatives (ou groupe des délires chroniques), caractérisées par la présence de délire systématisé, et les psychoses schizophréniques caractérisées par la présence d’un syndrome dissociatif au niveau des émotions, des pensées et des comportements (8). Ainsi, il apparaît que le terme de « psychose » est peu précis, et ne renvoie pas à une pathologie ou à un ensemble de pathologies clairement identifiées. Il s’agit plutôt d’un qualificatif utilisé en présence de certains symptômes tels que les délires, les hallucinations, la désorganisation, et la dissociation. Ce terme est utilisé dans la pratique en France – en témoignent les manuels pour étudiants -, et dans la recherche.
L’identité occupationnelle
L’identité occupationnelle est un concept issu du Modèle de l’Occupation Humaine (MOH), théorisé en 1980 par Gary Kielhofner. Il s’agit d’un des premiers modèles spécifiques à l’ergothérapie, établi afin de guider la pratique professionnelle, selon une approche holistique. Multiculturel, centré sur l’occupation et centré sur la personne, le MOH permet d’adopter une pratique fondée sur les preuves(9). La notion d’identité occupationnelle doit être appréhendée au sein de ce modèle pour être comprise.
La dimension de l’être occupationnel est constituée de la volition, c’est-à-dire ce qui motive une personne dans ses choix en fonction de ses déterminants personnels (sentiment de compétence), ses valeurs et ses intérêts, de l’habituation, soit les habitudes et les rôles tenus par la personne, et de la capacité de rendement c’est-à-dire les composantes spécifiques de la personne, qu’elles soient objectives, comme les structures physiques et mentales, ou subjectives : la manière dont se perçoit la personne (« corps vécu »). La sphère de l’agir est composée de la participation occupationnelle, du rendement occupationnel, et des habiletés. Les habiletés sont des actions dirigées vers un but, pouvant être de type motrices, opératoires ou d’interaction et de communication. Elles constituent le rendement occupationnel, lequel constitue une étape, un élément de la participation occupationnelle. Celle-ci est la manière dont une personne va investir une occupation déterminée. La dimension de l’environnement est constituée de l’environnement physique, social et occupationnel. L’environnement est en interaction réciproque avec tous les éléments du MOH. En participant à plusieurs occupations, l’être occupationnel développe son adaptation occupationnelle, en fonction de la compétence et de l’identité occupationnelles (et toujours de l’environnement), conséquences des différents éléments de la personne, de l’agir occupationnel et de l’environnement. La compétence occupationnelle est la manière dont la personne agit dans ses routines et ses rôles, organise sa vie de manière satisfaisante pour elle, en accord avec son identité occupationnelle et les obligations sociales auxquelles elle est soumise. L’identité occupationnelle est la représentation qu’a la personne sur elle-même en lien avec ses occupations passées et présentes, en fonction de ses différents rôles occupationnels passés et présents et de ce qu’elle aspire à devenir. Identité et compétences occupationnelles sont déjà présentes chez la personne au début de la prise en soin ergothérapique. Le modèle les présente comme conséquences en tant qu’elles sont supposées devenir plus satisfaisantes pour la personne.
L’ergothérapeute appréhende la personne dans son environnement selon la dimension de la personne, sorte de portrait occupationnel réalisé à un instant déterminé. Cela lui permet de mieux comprendre la personne en tant qu’être occupationnel, et de pouvoir l’accompagner en travaillant avec elle sur ses occupations, dans la sphère de l’agir, en vue de l’adaptation occupationnelle.
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Table des matières
1 Introduction
2 Matériel et méthode
3 Résultats
4 Discussion
Bibliographie
Conclusion
Annexes
Annexe 1 : Tableau des résultats des bases de données
Annexe 2 : Tableau de synthèse d’analyse critique de la revue de littérature
Annexe 3 : Compte-rendu des modifications du questionnaire de l’enquête exploratoire
Annexe 4 : Matrice du questionnaire
Annexe 5 : Liste des groupes ou pages Facebook utilisées pour la diffusion du questionnaire de l’enquête exploratoire
Annexe 6 : Résultats de l’enquête exploratoire – Définition de l’identité occupationnelle selon les participants
Annexe 7 : Résultats de l’enquête exploratoire – Raisons de l’utilisation de certains modèles dans la pratique, plutôt que d’autres pourtant connus par les ergothérapeutes
Annexe 8 : Résultats de l’enquête exploratoire – Apports de la formation au MOH
Annexe 9 : Résultats de l’enquête exploratoire – intérêt de la prise en considération de l’identité occupationnelle et de l’utilisation du MOH dans la pratique selon les participants
Annexe 10 : Critiques du questionnaire
Annexe 11 : Matrice théorico-conceptuelle
Annexe 12 : Matrice de questionnaire
Annexe 13 : Liste des groupes et pages Facebook sur lesquels le questionnaire a été diffusé
Annexe 14 : Présentation détaillée des participants (notés « ergo ») à l’enquête
Annexe 15 : Résultats du questionnaire – Fréquences des façons de connaître un usager par les ergothérapeutes
Annexe 16 : Résultats du questionnaire – Fréquences de prise en compte des éléments de l’identité occupationnelle
Annexe 17 : Calcul et codage des fréquences de prise en compte des éléments de l’identité occupationnelle
Annexe 18 : Résultats du questionnaire : Degrés de prise en compte des éléments de l’identité occupationnelle (intensité)
Annexe 19 : Calcul des moyennes des degrés de prise en compte des éléments de l’identité occupationnelle
Annexe 20 : Matrice des données qualitatives – Manière de prendre en compte les éléments de l’identité occupationnelle
Annexe 21 : Degrés de connaissance du concept d’identité occupationnelle et degrés d’utilisation dans la pratique
Annexe 22 : Tableau de calcul des degrés de prise en compte moyens des éléments de l’identité occupationnelle pour chaque ergothérapeute
Annexe 23 : Comparaison entre prise en compte effective des éléments de l’identité occupationnelle et estimation d’utilisation du concept
Annexe 24 : Définitions de la psychose
Annexe 25 : Critique du questionnaire de recherche