Si les méthodes d’enseignement ne cessent d’évoluer, c’est en partie dû au fait que la didactique est une science en plein essor qui constitue un objet de recherche. De fait, il semble tout à fait légitime d’attendre des enseignants qu’ils prennent en compte l’état actuel de la recherche en didactique pour modeler leur pratique professionnelle. C’est d’ailleurs l’un des implicites derrière l’un des attendues du référentiel de compétences des métiers du professorat et de l’éducation : « S’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel ».
C’est pour cette raison que j’ai décidé, en fin de période 1 et avec une classe de CE1-CE2, de mettre en œuvre ce que l’on peut retrouver dans la littérature scientifique à propos de la didactique des sciences à l’école primaire. Christian Orange (2005) fait état de la place qu’occupe le problème dans l’enseignement des sciences. Il semble, en effet, que le rôle du problème dans les processus d’apprentissages, aussi bien en sciences que dans d’autres disciplines, soit aujourd’hui bien assimilé. A tel point que cette démarche de problématisation n’est plus aussi développée qu’elle ne devrait l’être dans les ouvrages de didactique. C’est pour cette raison que la problématisation est aujourd’hui encore un objet de recherche. Ce mémoire de recherche s’inscrit donc dans le cadre épistémologique et didactique de la problématisation développé au CREN (Fabre, 2005 ; Orange, 2005).
Problématiser semble au premier abord se traduire par le fait de confronter les élèves à un problème. Mais il serait réducteur de s’en tenir à cette définition. Orange détail le processus de problématisation comme étant la mise en tension du registre empirique et du registre des modèles explicatifs. Lhoste (2006) définit ces deux registres de la manière suivante : « le registre empirique contient des objets, des phénomènes et des expériences quotidiennes. Il contient les éléments que l’on peut vérifier par une observation, une mesure. Les éléments du registre empirique correspondent à « ce qu’il y a à expliquer » et nous pouvons dire qu’ils ne sont pas constitués une fois pour toutes. (…) Le registre du modèle est lui aussi construit par l’élève. Il contient les éléments liés à une organisation et/ou à un fonctionnement plus ou moins imaginé. Ces éléments constituent les tentatives de solutions proposées pour expliquer les éléments du registre empirique ». Ainsi, la mise en tension dont parle Orange est la succession d’allers-retours entre ce que pensent les élèves (représentations initiales (RI), concepts scientifiques, etc…) et ce qu’ils observent ou expérimentent. Ce passage d’un registre à l’autre va permettre de construire des nécessités. Prenons un exemple, et considérons le mouvement d’un membre supérieur. Les élèves seront capables d’observer différentes choses, comme le fait qu’il y a plusieurs parties (bras, avant-bras, …), qu’il y a des mouvements possibles, etc… Il s’agit du registre empirique. Ces observations vont amener les élèves à construire des nécessités. Par exemple, il est nécessaire d’avoir un dispositif permettant le mouvement des segments (l’articulation du coude). Il s’agit là du registre des modèles. Et c’est en construisant ces nécessités que l’apprentissage va se faire. Cela permet de construire des savoirs apodictiques, qui répondent donc à une nécessité, en opposition aux savoirs assertoriques qui sont amenés comme des vérités de fait.
C’est en me basant sur cette démarche de problématisation que j’ai cherché à mettre en œuvre avec ma classe de CE1-CE2 une séance de questionner le monde portant sur l’objet technique qu’est le thermomètre à dilatation de liquide. Je suis donc parti des représentations initiales des élèves concernant l’objet et me suis heurté à un premier obstacle. Tous n’avaient pas forcément de représentations initiales sur le sujet. J’ai donc poursuivi par la présentation de certaines productions d’élèves afin d’amener une discussion sur les contraintes nécessaires afin d’avoir un thermomètre opérationnel. L’objectif étant d’arriver à un thermomètre conceptuellement construit par les élèves se rapprochant de l’objet technique tel qu’il existe véritablement. Mais là encore une hétérogénéité a été observée parmi les élèves. Tous n’ont pas eu l’occasion de participer activement lors des échanges collectifs. L’hypothèse principale pour expliquer cette observation est encore une fois le manque de modèle pour certains élèves. L’objet du thermomètre à dilatation de liquide étant de moins en moins courant, il est possible que certains élèves n’aient aucune représentation d’un tel outil. Et le conceptualiser totalement semble hors de portée d’élèves de cycle 2.
Le processus de problématisation
Construire le savoir en construisant le problème
Comme brièvement défini dans l’introduction, « Problématiser, c’est […] développer un questionnement visant à identifier les données et les conditions du problème et à les mettre en tensions » (Orange, 2005). Le processus de problématisation permet ainsi aux élèves, d’acquérir des connaissances ciblées en cherchant une ou plusieurs solutions à un ou des problèmes. Cette relation entre connaissance, problème et solutions est décrite par Orange (2005) comme circulaire. En effet, trouver une solution à un problème va de fait permettre de construire de nouvelles connaissances, mais va parfois amener un nouveau questionnement et donc un nouveau problème. De même, la résolution d’un problème peut mener à un échec et donc potentiellement à un nouveau problème, mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas construction de nouvelles connaissances.
Ainsi, le processus de problématisation se focalise davantage sur la construction du problème plutôt que sur sa résolution. En effet, si l’on imagine deux personnes cherchant à résoudre un même puzzle, l’une par tâtonnement en se fiant au hasard, et l’autre en réfléchissant et en essayant de dégager des algorithmes permettant sa résolution. Alors, en admettant que ces deux personnes soient parvenues à résoudre le puzzle, et donc à la même solution, les connaissances et compétences mises en œuvre pour y parvenir ne sont en rien comparables. Les activités intellectuelles intervenant entre la perception d’un problème et sa ou ses solutions sont donc primordiales. Ce qui importe, ce n’est pas de savoir si l’élève est parvenu à la bonne ou à la mauvaise solution, mais de savoir comment il y est parvenu.
La problématisation comme outil de conceptualisation
Lors du processus de problématisation, les élèves construisent des savoirs apodictiques, répondants à une nécessité. (Bachelard, 1949). Si on reprend l’exemple de l’articulation du coude ci-dessus, les différentes observations mènent à la nécessité d’un mécanisme permettant à la fois de joindre et de mouvoir le bras et l’avant-bras. Cette démarche qui mêle registre empirique et registre des modèles est ce qui permet, selon Orange (2005), de donner aux savoirs leur « véritable valeur scientifique » et permet ainsi de construire le concept d’articulation. En reprenant la situation ci-dessus, j’avais émis l’hypothèse que conceptualiser l’objet qu’est le thermomètre semblait hors de portée des élèves de cycle 2. Or, il semble pourtant que le processus de problématisation permette justement aux élèves de construire des concepts. De plus, Ledrapier (2010), en s’appuyant sur des recherches effectuées dans les années 80 et 90, révèle que l’enfant est capable de conceptualiser, et ce même avant l’âge de 6-7 ans. De fait, si les élèves sont bel et bien capables de conceptualiser, le processus de problématisation ne semble pas avoir été un mauvais choix. Cependant, la question de savoir comment étayer les élèves en difficulté lors de cette séance persiste.
Induire la problématisation chez les élèves
De l’étayage…
En matière d’étayage, Bruner (1981) reste aujourd’hui encore une référence sur le sujet. Néanmoins, les six fonctions d’étayage (l’enrôlement, la réduction des degrés de liberté, le maintien de l’orientation, la signalisation des caractéristiques déterminantes, le contrôle de la frustration et la démonstration) semblent parfois compliquées à mettre en œuvre dans une démarche de problématisation. En effet, cette dernière place l’élève au centre de la construction du problème, il peut donc être difficile d’anticiper à l’avance la direction vers laquelle les élèves vont s’orienter pour la construction du problème. De fait, l’étayage est d’une part difficile à anticiper, et d’autre part risque de desservir l’élève en le privant de mener sa propre réflexion.
…aux inducteurs
Lors de la séance sur le thermomètre, la difficulté semble s’être présentée dès le début avec des élèves qui ne sont pas parvenu à rentrer dans le processus de problématisation. Concevoir un objet technique a dû sembler être une tâche trop compliquée. Pour éviter d’avoir de nouveau à faire à cette situation, il convient alors de chercher des inducteurs permettant aux élèves de problématiser. Fabre et Musquer (2009) ont justement cherché des réponses à ce problème et amènent la définition suivante : « Pour nous, l’inducteur de problématisation relève de ce qui, dans l’énoncé du problème, dans les interactions maître/élève ou dans le dispositif mis en place, est susceptible d’activer chez l’élève de tels schèmes anticipateurs. » Il est alors question de schème au sens où l’entendait Piaget, à savoir une organisation d’action ou de savoir-faire intervenant pour s’adapter à une situation. Par définition un schème n’est donc pas inné et doit être au préalable construit. Transposé aux élèves, cela signifie que pour induire la problématisation, il faut que ces derniers soient en mesure de mobiliser de compétences déjà construites. Or les élèves en question n’ayant que peu eu l’occasion de pratiquer des sciences à l’école avant cette tentative de problématisation, l’idée d’inducteurs semble être compromise. Il est alors maintenant question de construire ces schèmes qui permettront aux élèves de pouvoir mettre en œuvre la problématisation .
|
Table des matières
Introduction générale
Cadre théorique et problématique de recherche
1. Le processus de problématisation
1.1 Construire le savoir en construisant le problème
1.2 La problématisation comme outil de conceptualisation
2. Induire la problématisation chez les élèves
2.1 De l’étayage
2.2 …aux inducteurs
3. La démarche d’investigation
3.1 Une démarche scientifique parfois mal comprise
3.2 Deux registres pour deux esprits
3.3 La démarche d’investigation dans les programmes
4. Les interactions verbales comme dimension langagière des activités scientifiques
4.1 Le langage comme outil
4.2 Le langage comme indicateur
5. Problématique de recherche
6. Hypothèses
Méthodologie
1. Contexte et participants
2. Deux séquences d’apprentissage de « questionner le monde »
3. Matériel et procédure
Résultats
1. Résultats de la première séquence
2. Résultats de la deuxième séquence
3. La différence de niveau CE1-CE2
Discussion
1. Les limites
2. Prise de conscience et conscientisation
3. Les types d’interactions
4. Les autres dimensions du langage
5. Les différents biais
6. L’hypothèse en suspens
Conclusion
Bibliographie
Annexes