La prévision hydrologique opérationnelle

Contexte et problématique 

La prévision probabiliste des débits sur un fleuve collecteur d’affluents implique des problématiques variées, que nous proposons d’expliciter dans ce premier chapitre. Dans un premier temps, les notions essentielles qui se cachent derrière la « prévision hydrologique opérationnelle » sont introduites. Nous discutons ensuite des différentes sources d’incertitudes et listons les approches proposées dans la littérature pour permettre leur prise en compte, avant de présenter le principe de correction statistique. Nous abordons enfin un aspect dont la compréhension sera capitale pour la lecture du mémoire : le caractère multivarié des prévisions.

La prévision hydrologique opérationnelle 

Qu’est-ce c’est ? 

De manière générale, émettre une prévision consiste à prévoir la valeur que va prendre une certaine variable à un instant donné dans le futur, en se basant sur notre connaissance de l’état initial ainsi que sur son processus d’évolution. L’intervalle de temps entre cet instant futur et le moment où la prévision est émise s’appelle l’échéance (de prévision). Dans cette thèse consacrée à la prévision hydrologique, la variable qui nous intéresse est le débit, exprimé en m3/s, qui s’écoule dans une section de rivière donnée. Classiquement, une prévision hydrologique concernera plusieurs échéances successives, de manière à prévoir non pas une unique valeur mais une série temporelle, à un pas de temps qui correspond à la différence entre deux échéances successives. Par ailleurs, nous définissons l’horizon (de prévision) comme l’échéance maximale de la prévision. L’hydrogramme est la manière la plus fréquente de représenter une prévision hydrologique (Figure 1.1). On parle de prévision opérationnelle lorsque la production se fait en temps réel et sur une base régulière (hebdomadaire, quotidienne, etc.), en satisfaisant un certain nombre de contraintes comme un temps de calcul limité, ou encore la possibilité d’utiliser des données d’entrée en mode dégradé. La robustesse de la chaîne est alors une qualité requise (Pagano et al., 2014).

Pour quels usages ?

En hydrologie, les prévisions sont couramment utilisées pour la gestion de la ressource en eau et l’anticipation d’événements remarquables comme les crues ou les étiages. En France, la prévision des crues sur les grandes rivières est confiée à des organismes publics, les services de prévision des crues (SPC), qui sont appuyés par un service de coordination, le service central d’hydrométéorologie et d’appui à la prévision des inondations (SCHAPI). De ces prévisions découlent des actions prises par les pouvoirs publics, allant de la mise en vigilance de tronçons de rivières jusqu’à l’évacuation de zones inondables. D’autres organismes publics peuvent également être mandatés pour la prévision des étiages, desquels peuvent découler par exemple des mesures préventives sur les usages de l’eau. Pour des gestionnaires d’aménagements hydroélectriques comme CNR, prévoir les crues permet de faciliter l’exploitation des ouvrages en anticipant certains contrôles, en s’assurant de la disponibilité des ressources nécessaires et en anticipant leur déploiement sur le terrain. Par ailleurs, la prévision et la gestion des étiages sur un fleuve comme le Rhône doit permettre de répondre à de forts enjeux que sont les prélèvements pour l’irrigation et le refroidissement des centrales nucléaires. En situation courante (dite « énergétique »), les prévisions hydrologiques sont particulièrement utiles pour CNR. Elles permettent d’optimiser la production d’hydroélectricité en turbinant prioritairement sur certains créneaux (pour les aménagements avec capacité de stockage), d’assurer les obligations vis-à-vis de l’équilibrage du réseau électrique, et enfin de maximiser la vente sur les marchés de la production d’électricité.

Schéma général d’une chaîne de prévision

Une chaîne de prévision hydrologique sur un bassin fonctionnant avec un régime pluiedébit s’appuie sur deux maillons principaux : le forçage météorologique et le modèle hydrologique. Le premier alimente le second, qui est alors chargé de simuler les débits à l’exutoire en reproduisant le comportement hydrologique du bassin versant.

Le forçage météorologique. Dans un contexte de prévision opérationnelle, le forçage se limite souvent à deux variables : la précipitation et la température. Dès lors que l’horizon de prévision souhaité dépasse le temps de concentration du bassin, il n’est plus possible d’utiliser des observations, et par conséquent le forçage doit obligatoirement être une prévision météorologique. Dans ce mémoire, nous parlerons donc indistinctement de forçage météorologique ou de prévisions météorologiques. Classiquement, ces prévisions sont issues de modèles de prévision numérique du temps, qui sont développés et exécutés au sein de centres de prévisions météorologiques  . Le terme de modèles météorologiques sera utilisé à propos des modèles de prévision numérique du temps. Les systèmes opérationnels de prévision hydrologique mettent alors en place des accords avec ces centres pour recevoir, à des fréquences fixes, les forçages issus des modèles météorologiques.

Le modèle hydrologique. Il se présente sous la forme d’équations qui cherchent à représenter, de manière plus ou moins simplifiée, certains processus impliqués dans la génération des débits. Ces équations mettent en relation les forçages météorologiques et les débit par l’intermédiaire de variables d’état et de paramètres. Les variables d’état sont des grandeurs internes au modèle qui caractérisent un état du bassin (le taux d’humidité dans le sol ou la hauteur de neige, par exemple) ; elles varient donc au cours du temps. Les paramètres sont des grandeurs qui qualifient une caractéristique intrinsèque du bassin (son temps de concentration par exemple) ; par conséquent ils sont invariables dans le temps, et déterminés par des mesures ou, plus souvent, lors de la phase de calage. Un modèle hydrologique conçu à des fins de compréhension scientifique (du fonctionnement d’un bassin versant) présentera des variables d’état et des paramètres que l’on peut interpréter et relier à des processus physiques. En revanche, si l’objectif de modélisation est simplement de rendre compte des débits en sortie, alors leur interprétation physique n’est pas primordiale.

La modélisation hydrologique dans un contexte de prévision présente une particularité : il est nécessaire d’initialiser les variables d’état au moment de lancer le modèle hydrologique. Cette initialisation est généralement constituée de deux phases : le « warm-up » et l’assimilation .

La phase de warm-up consiste à exécuter le modèle sur une période qui précède la date de prévision, en utilisant comme forçage les observations météorologiques. Cela permet aux variables d’états d’être, au moment de lancer la prévision, représentatives de l’état initial du bassin versant. La période de warm-up doit être suffisamment longue (de plusieurs mois à une année hydrologique complète) pour que les variables d’état en fin de simulation soient indépendantes de celles utilisées au début.

Le warm-up permet donc d’aboutir à une représentation correcte de l’état initial du bassin, du moins tel que le modèle hydrologique le voit. Or on dispose souvent, au moment de lancer la prévision, de données observées récentes qui permettraient de compléter notre connaissance de l’état initial. Cela afin que la prévision produite ultérieurement par le modèle soit plus juste. La phase d’assimilation utilise (« assimile ») ces données observées pour mettre à jour l’état initial du modèle. Techniquement, cela consiste à ajuster la valeur de certaines variables d’état à la date d’émission de la prévision. Les derniers débits observés constituent un exemple de données régulièrement assimilées. Cela permet alors de s’assurer qu’il n’y ait pas de discontinuité entre les derniers débits observés et les premiers débits prévus, et donc de réduire les erreurs de prévision sur les premières échéances. Dans cette thèse, nous considérons que la chaîne de prévision hydrologique s’arrête à la prévision des débits. Ainsi, nous ne nous intéresserons pas à d’autres maillons à l’aval de la chaîne qui pourraient exploiter ces prévisions de débit (par exemple, un modèle hydraulique pour prévoir les hauteurs d’eau).

Les différents horizons de prévision

L’horizon d’une prévision hydrologique est directement lié à celui de la prévision météorologique qui viendra forcer le modèle hydrologique. Ces horizons sont différents selon l’usage que l’on souhaite faire des prévisions, tout en gardant à l’esprit que l’on ne peut pas attendre les mêmes performances d’une prévision à un horizon de quelques heures que d’une prévision pour les mois à venir. En météorologie, et plus particulièrement pour la prévision des précipitations, nous distinguons :

– la prévision immédiate (on utilise parfois le terme anglais, nowcasting) : de 0 à 3 heures. Celle-ci ne fait généralement pas appel à la modélisation atmosphérique, mais plutôt à des méthodes exploitant l’imagerie radar, qui est capable de décrire de façon quasi immédiate les caractéristiques des cellules pluvieuses existantes. Grâce à des techniques d’advection, on peut alors extrapoler l’évolution spatiale et temporelle de ces cellules.
– la prévision à courte échéance : jusqu’à 3 jours. L’objectif est de simuler l’évolution de phénomènes à l’échelle synoptique (environ 1000 km) tels que les perturbations frontales ou les systèmes convectifs de méso-échelle. Ces échéances de prévision font de plus en plus appel à des modèles météorologiques à aire limitée et à haute résolution (quelques km), capables de simuler les phénomènes convectifs.
– la prévision à moyenne échéance : de 3 à 15 jours. On cherche alors à simuler, grâce à des modèles globaux, la circulation atmosphérique à l’échelle supra-synoptique, l’objectif étant d’anticiper l’arrivée de dépressions ou d’anticyclones. À ces échéances, le caractère chaotique de l’atmosphère réduit fortement sa prédictibilité. La prévision déterministe n’étant alors plus guère performante, c’est le domaine des prévisions d’ensemble.
– la prévision saisonnière : jusqu’à plusieurs mois. Les modèles météorologiques ont atteint leur limite de prédictibilité, et par conséquent on cherche seulement à anticiper des anomalies par rapport à la normale climatologique, à l’aide de phénomènes basse fréquence (NAO ou ENSO  par exemple) détectés en des endroits du globe pouvant avoir une influence sur les conditions météorologiques du lieu concerné par la prévision.

Dans cette thèse, nous nous intéressons à la prévision des débits à un horizon de 5 jours (120 heures), ce qui correspond, dans le langage météorologique, à la prévision à courte/moyenne échéance.

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Table des matières

INTRODUCTION
1 Contexte et problématique
1.1 La prévision hydrologique opérationnelle
1.1.1 Qu’est-ce c’est ?
1.1.2 Pour quels usages ?
1.1.3 Schéma général d’une chaîne de prévision
1.1.4 Les différents horizons de prévision
1.1.5 Du déterministe au probabiliste
1.2 Prise en compte des incertitudes de prévision
1.2.1 Incertitudes sur les forçages météorologiques
1.2.2 Incertitudes sur la modélisation hydrologique
1.2.3 Incertitudes sur les conditions initiales du bassin
1.3 Le post-traitement statistique
1.3.1 Principe et grandes familles de méthodes
1.3.2 Pré-traitement et post-traitement
1.3.3 D’une distribution continue à un ensemble
1.4 Le besoin de travailler dans un cadre multivarié
1.4.1 Exemple et définitions
1.4.2 Reconstruire des prévisions multivariées cohérentes
1.5 Objectifs de la thèse
2 Zone d’étude, archives d’observations et de prévisions météorologiques
2.1 Zone d’étude
2.2 Archives d’observations
2.2.1 Archives de précipitation
2.2.2 Archives de températures
2.2.3 Archives de débits
2.3 Archives des prévisions météorologiques
2.3.1 Prévisions d’ensemble
2.3.2 Prévisions de précipitation par analogie
3 Outils de modélisation hydrologique
3.1 Typologie des modèles hydrologiques
3.2 Présentation des modèles utilisés
3.2.1 ARX
3.2.2 TOPMODEL
3.2.3 GRP
3.3 Présentation des modules communs aux 3 modèles
3.3.1 Modélisation du manteau neigeux avec Cemaneige
3.3.2 Calcul de l’ETP horaire
3.4 Stratégie de calage
3.4.1 Modèles couplés : calage itératif ou simultané ?
3.4.2 Faut-il caler en simulation continue ou en mode prévision ?
3.4.3 Fonction-objectif
3.4.4 Algorithme de calage
3.5 Diagnostic des performances
3.5.1 En simulation continue
3.5.2 En mode prévision
3.6 Synthèse
4 Outils de vérification
4.1 L’approche de vérification dans notre contexte
4.1.1 De l’intérêt d’évaluer les prévisions
4.1.2 De quelle grandeur fait-on la prévision ?
4.1.3 La forme des prévisions
4.1.4 La fiabilité et la finesse, deux attributs essentiels
4.2 Un score quantitatif et un outil de diagnostic
4.2.1 Le Continuous Ranked Probability Score (CRPS)
4.2.2 L’histogramme de rang
4.3 La stratification, avantages et écueils
Résumé de l’article/Abstract
4.3.1 Introduction
4.3.2 Observation and forecast data
4.3.3 General stratification framework
4.3.4 Application on the CRPS
4.3.5 Application on the rank histogram
4.3.6 Numerical example
4.3.7 Discussion
4.3.8 Conclusions
4.4 Extension aux prévisions multivariées
4.4.1 Fiabilité et finesse dans un cadre multivarié
4.4.2 Scores multivariés
4.4.3 Agrégation des quantités multivariées
4.5 Synthèse
CONCLUSION

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