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Le principe alphabétique
La découverte du principe alphabétique, comme nous l’avons évoquée, « consiste à prendre conscience que les graphèmes, à savoir les lettres ou certains groupes de lettres de l’alphabet, représentent des unités abstraites de la langue appelées phonèmes » (Ecalle & Magnan, 2010, p. 19 ; Bara, Gentaz & Colé, 2004). Cette citation illustre le principe que tout lecteur doit intégrer lors de son apprentissage de la lecture. En effet, il doit comprendre que chaque lettre ou groupe de lettres (tels que « ou », « ch », « an », « oi ») renvoie à un son. L’application du principe alphabétique correspond finalement à mettre en correspondance les lettres des mots écrits à des sons du langage oral (Ecalle & Magnan, 2010). C’est de cette façon que le lecteur procède à la construction d’une représentation mentale de la prononciation du mot à partir de son écriture (Bara et al., 2004 ; Ecalle & Magnan, 2010).
Pour parvenir à utiliser les associations entre graphèmes et phonèmes, l’apprenti-lecteur doit avoir conscience de la nature phonémique de la parole (Sanchez, Ecalle & Magnan, 2008), c’est-à-dire qu’il doit savoir que la langue orale est constituée d’une suite de sons (Bara et al., 2004) et qu’il est possible de la segmenter en différentes unités, plus petites que les syllabes. Le rapport publié en 2005 par l’Inspection générale de l’Éducation Nationale et par l’Observatoire National de la Lecture va dans ce sens : « Pour comprendre comment fonctionnent les associations graphèmes-phonèmes, les élèves doivent préalablement avoir pris conscience que la parole peut être segmentée en unités (mots, syllabes, phonèmes) » (p. 11).
La compréhension du principe alphabétique est considérée comme nécessaire à l’apprentissage de la lecture (Bara et al., 2004 ; Ecalle & Magnan, 2010 ; Hillairet de Boisferon, Colé & Gentaz, 2010 ; Negro & Genelot, 2009). Elle permet à l’apprenti-lecteur de pouvoir associer des graphèmes à des phonèmes suite à l’intégration de règles de correspondances entre ces deux unités. La maîtrise de ces associations est donc indispensable au déchiffrage des mots écrits (Bara et al., 2004 ; Cèbe & Goigoux, 2006 ; Ecalle & Magnan, 2010). L’importance de la connaissance des correspondances entre graphèmes et phonèmes a été montrée par Goigoux (2000, cité dans Bara et al., 2004). Il a comparé les performances de deux groupes d’enfants ayant suivi deux méthodes d’apprentissage relativement différentes : une méthode idéovisuelle et une méthode phonique. Dans le premier cas, les enfants mémorisaient l’orthographe des mots, ce qui leur permettaient, lorsqu’ils rencontraient ces mots dans des textes, de pouvoir accéder directement à leur représentation orthographique en mémoire. Dans le second, les enfants apprenaient les règles de conversion entre graphèmes et phonèmes. Les résultats de cette recherche montrent que les enfants du deuxième groupe étaient plus rapides et plus performants lors de l’identification des mots que les enfants du premier groupe (Goigoux, 2000, cité dans Bara et al., 2004). Ceci montre que la connaissance des associations grapho-phonologiques est essentielle pour une reconnaissance efficace des mots chez l’apprenti-lecteur.
Cependant, l’enfant ne découvre pas seul ces relations, il a besoin pour cela d’être aidé par un adulte, ou du moins par une personne qui sait lire (Bara et al., 2004). L’acquisition du principe alphabétique nécessite effectivement un apprentissage explicite (Demont & Gombert, 2004 ; Ecalle & Magnan, 2002 ; ONL, 1998). Ceci pourrait s’expliquer par le fait que le phonème est une unité abstraite (Demont & Gombert, 2004 ; Ecalle & Magnan, 2010 ; ONL, 1998), ce qui signifie qu’elle n’est pas naturelle pour l’enfant, comparativement à une unité plus large telle que la syllabe (Van Reybroeck, Content & Schelstraete, 2006). La découverte du principe alphabétique nécessite donc un accompagnement de la part de l’adulte qui facilitera sa compréhension.
La connaissance du principe alphabétique occupe donc un rôle essentiel dans l’apprentissage de la lecture. Ce principe, tout comme la conscience phonologique, constitue l’un des pré-requis de l’identification des mots, et plus exactement de leur déchiffrage. Ces pré-requis se construisent avant l’enseignement formel du Cours Préparatoire, dès l’école maternelle.
Préparer l’élève à l’identification de mots
L’enfant débute l’apprentissage explicite de la lecture lors de sa première année d’école élémentaire mais, pour de nombreux chercheurs (Ecalle & Magnan, 2010 ; Foulin, 2007 ; Negro & Genelot, 2009), ce que l’enfant apprend à l’école maternelle influence cet apprentissage. En effet, « l’enfant n’attend pas le cours préparatoire pour apprendre à lire » selon Ecalle et Magnan (2010, p. 5). Dans cette idée, les connaissances que l’enfant acquiert sur le langage oral, notamment à l’école maternelle, seraient susceptibles de participer à l’apprentissage de la lecture, étant donné le lien qui unit langage oral et langage écrit dans les langues alphabétiques (Ecalle & Magnan, 2010). De plus, l’enfant est entouré d’écrits dès son plus jeune âge (Negro & Genelot, 2009), il ne les découvre pas soudainement à son entrée au Cours Préparatoire. Il a donc pu acquérir quelques connaissances sur le langage écrit avant l’apprentissage formel de la lecture (Ecalle & Magnan, 2010), notamment par l’intermédiaire des lectures offertes de l’enseignant (ONL, 1998). Ainsi, certaines connaissances, acquises par l’élève dès l’école maternelle, peuvent servir de fondement à l’enseignement de la lecture.
Quelques pré-requis de la lecture et prédicteurs en Grande Section Maternelle du niveau ultérieur en identification de mots
Avant l’apprentissage formel de la lecture, l’enfant doit avoir acquis certaines connaissances et compétences, notamment grâce aux activités proposées à l’école maternelle. Des chercheurs se sont intéressés à ces pré-requis et ont montré qu’ils constituaient d’importants prédicteurs du niveau ultérieur en lecture. Nous présenterons dans cette recherche deux grands types de pré-requis : les habiletés phonologiques, parmi lesquelles se trouvent les consciences phonologique et phonémique, et les connaissances sur les lettres regroupant celles sur leur forme, leur nom et leur son.
Les habiletés phonologiques
La conscience phonologique est considérée par les chercheurs comme un pré-requis à la lecture, c’est-à-dire que l’apprenti-lecteur doit faire preuve de capacités « métaphonologiques » (Ecalle & Magnan, 2010), autrement dit d’une réflexion consciente sur la langue orale, pour entrer dans cet apprentissage (Bara et al., 2004 ; Cèbe & Goigoux, 2006 ; Sanchez et al., 2010). Le rôle de la conscience phonologique dans la reconnaissance de mots a effectivement été mis en évidence (Ecalle & Magnan, 2010 ; Negro & Genelot, 2009) et s’expliquerait par le fait qu’elle facilite la mise en place de la procédure alphabétique (Ecalle & Magnan, 2010), lors de laquelle le lecteur doit mettre en correspondance les graphèmes de l’écrit avec les phonèmes de l’oral pour ensuite combiner ces unités.
De plus, la conscience phonologique du jeune enfant permettrait de prédire ses compétences futures en lecture (Bara et al., 2004). Sanchez et al. (2010) ont réalisé une étude longitudinale en suivant des élèves de la Grande Section au Cours Préparatoire. L’un de leurs objectifs était d’observer un éventuel lien entre habiletés phonologiques et lecture. Ils ont utilisé pour cela des tâches de détection, d’extraction et d’inversion, en utilisant deux unités différentes : la syllabe et le phonème. Leurs résultats montrent une corrélation entre la conscience phonologique évaluée en Grande Section et le niveau de lecture testé au Cours Préparatoire, ce qui signifie que plus l’enfant témoignait d’une conscience phonologique à la fin de l’école maternelle, meilleures étaient ses performances en lecture l’année suivante ; à l’inverse, plus il éprouvait de difficultés dans la manipulation des unités de la langue en Grande Section, plus l’apprentissage de la lecture était difficile pour lui.
La conscience phonologique comprend notamment les habiletés métaphonologiques pour les syllabes et pour les phonèmes (Van Reybroeck et al., 2006). Intéressons-nous plus particulièrement à la conscience phonémique qui, d’après Negro et Genelot (2009), entretient un lien direct avec l’identification de mots.
La conscience des phonèmes apparaîtrait plus tardivement que celle des syllabes puisqu’il s’agit, comme nous l’avons dit, d’une unité plus abstraite. De plus, son développement se ferait en grande partie en parallèle de l’apprentissage de la lecture (Ecalle & Magnan, 2010 ; ONL, 1998 ; Sanchez et al., 2010). Néanmoins, cette conscience peut se développer grâce à des activités organisées dans ce but (Morais, Alegria et Content, 1987, cités dans Bara et al., 2004), comme celles préconisées par les instructions officielles de l’école maternelle, dont nous parlerons plus loin. L’enfant, avant l’enseignement explicite de la lecture, a donc l’occasion d’acquérir certaines notions de la conscience phonémique, ce qui contribuera à faciliter l’apprentissage de la lecture (Bara et al., 2004). Les compétences métaphonémiques représentent d’ailleurs un des déterminants majeurs de la réussite en lecture (Plaza & Cohen, 2003, cités dans Negro & Genelot, 2009). Par exemple, l’étude de Muter, Hulme, Snowling et Taylor en 1998 (citée dans Negro & Genelot, 2009) a montré que les performances de jeunes enfants à des tâches phonologiques portant sur l’identification et la suppression de phonèmes étaient étroitement liées aux habiletés de lecture de ces mêmes enfants à la fin de leur première année d’apprentissage formel. L’origine de ce lien concernerait le principe alphabétique. En effet, la conscience phonémique participerait à la compréhension de celui-ci (Ecalle & Magnan, 2010 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010), qui est, rappelons-le, essentiel pour l’identification de mot de l’apprenti-lecteur.
La conscience phonologique, et particulièrement la conscience phonémique, joue donc un rôle essentiel dans l’apprentissage du langage écrit. L’enfant pré-lecteur doit aussi, en plus de ces compétences liées au langage oral, posséder des connaissances plus spécifiques au traitement de l’écrit.
Les connaissances sur les lettres
Dans une langue alphabétique comme le français, les lettres constituent « les unités de base du traitement des mots écrits » (Foulin, 2007, p. 4) car elles représentent à la fois les phonèmes des mots de l’oral et de petites unités de signification appelées morphèmes (Foulin, 2007). C’est donc également sur la connaissance des lettres de l’alphabet que va s’appuyer l’apprentissage de la lecture (Negro & Genelot, 2009). L’enfant, à la fin de ses trois années pré-scolaires, doit en effet être capable de « reconnaître et écrire la plupart des lettres de l’alphabet » d’après les instructions officielles3 (p. 14). Cette connaissance se décline en plusieurs composantes puisqu’une lettre possède trois caractéristiques : un nom, un son et une forme (Cèbe & Goigoux, 2006 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010). L’enfant découvre ces trois aspects dès l’école maternelle (Cèbe & Goigoux, 2006). Nous allons donc nous intéresser à ces différentes connaissances pour comprendre le lien qu’elles entretiennent avec l’apprentissage de la lecture.
Connaître la forme des lettres permet au lecteur de les distinguer les unes des autres et de pouvoir les identifier. L’enfant pré-lecteur doit faire face à une première difficulté qui est de reconnaître une même lettre sous différentes écritures. Les programmes de 20084 évoquent la majuscule d’imprimerie et l’écriture cursive, auxquelles il faut ajouter l’écriture scripte, couramment utilisée. Le document d’accompagnement des programmes, « Langage à l’école maternelle », souligne cette difficulté pour le jeune enfant : « Dès l’école maternelle, l’élève est confronté à trois types d’écriture dans diverses situations et sur divers supports : lettres capitales ou majuscules, lettres scriptes, lettres liées en écriture cursive » (p. 91). La reconnaissance visuelle de la lettre n’est donc pas aisée pour l’enfant d’âge pré-scolaire. De plus, la langue française est fondée sur un système alphabétique et celui-ci comprend des lettres que l’enfant peut confondre. Par exemple, les lettres « b », « d », « p » et « q » se ressemblent quand elles sont écrites de cette façon. L’enfant doit avoir conscience que les lettres sont des « unités orientées » (Negro & Genelot, 2009, p. 3) pour éviter les confusions et les reconnaître correctement. Cette particularité de la langue constitue une seconde difficulté, dont l’enfant ne tient pas compte à l’école maternelle (Negro & Genelot, 2009). Une fois ces deux difficultés surmontées, l’élève sera capable de reconnaître toutes les lettres de l’alphabet. Il pourra ainsi identifier chacun des éléments d’un mot écrit, ce qui lui permettra de le reconnaître (Nazir, Jacobs & O’Regan, 1998, cités dans Foulin, 2007), grâce à sa connaissance des associations graphèmes-phonèmes et à sa capacité à combiner les sons.
Malgré l’importance que semble représenter la connaissance de la forme des lettres dans l’identification des mots, relativement peu de recherches ont été réalisées sur ce sujet. Par contre, de nombreuses études se sont intéressées au rôle de la connaissance du nom des lettres dans l’apprentissage de la lecture.
Les enfants d’âge pré-scolaire découvrent relativement tôt le nom des lettres puisque les enseignants d’école maternelle utilisent couramment la comptine alphabétique ou des abécédaires lors d’activités (Bus & Ijzendoorn, 1988, cités dans Ecalle & Magnan, 2010). Les enfants apprennent donc le nom des lettres de l’alphabet dès l’école maternelle (Ecalle & Magnan, 2010).
Selon Foulin (2007), la connaissance du nom des lettres serait un pré-requis à l’apprentissage du langage écrit : « Il semble légitime de considérer que la connaissance du nom des lettres prépare les enfants à apprendre à lire et à écrire » (p. 7). Ce savoir jouerait par conséquent un rôle important dans l’apprentissage ultérieur de la lecture (Ecalle & Magnan, 2010 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010), notamment pour l’utilisation de la procédure phonologique (Biot-Chevrier, Ecalle & Magnan, 2008 ; Demont & Gombert, 2004 ; Foulin, 2007) qui consiste, rappelons-le, à faire correspondre les graphèmes de l’écrit à des phonèmes de l’oral. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que la connaissance du nom des lettres permet de faire le lien entre oral et écrit (Biot-Chevrier et al., 2008 ; Ecalle & Magnan, 2010 ; Foulin, 2007 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010 ; Negro & Genelot, 2009) puisque l’enfant apprend à associer une lettre à un nom sonore (Negro & Genelot, 2009) ; le nom des lettres fournit ainsi une « identité phonologique » à ces unités écrites (Foulin, 2007, p. 5 ; Negro & Genelot, 2009, p. 13).
De plus, la connaissance du nom des lettres est extrêmement liée à la connaissance du son de celles-ci. En effet, la plupart des lettres de l’alphabet français contiennent dans leur nom le phonème qu’elles représentent (Ecalle & Magnan, 2010 ; Foulin, 2007 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010 ; Negro & Genelot, 2009) ; c’est le cas des voyelles, dont le nom est identique au son représenté (excepté pour le y), et d’une grande partie des consonnes (Ecalle & Magnan, 2010 ; Foulin, 2007 ; Negro & Genelot, 2009). Dans ce cas, connaître le nom d’une lettre permet d’extraire sa valeur phonémique (Biot-Chevrier et al., 2008 ; Ecalle & Magnan), c’est pourquoi la connaissance du nom des lettres favorise grandement la connaissance de leur son (Biot-Chevrier et al., 2008 ; Foulin, 2007 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010). Or, nous savons que cette dernière joue un rôle important dans l’acquisition de la lecture au début de son apprentissage (Ecalle & Magnan, 2010). Le lien entre ces deux types de connaissances sur les lettres permet également à l’enfant de découvrir les règles de correspondances graphèmes-phonèmes (Ecalle & Magnan, 2010 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010). Grâce au nom des lettres, l’apprenti-lecteur va pouvoir donner du sens à cette association, qui perdra par conséquent son caractère arbitraire (Ecalle & Magnan, 2010 ; Foulin, 2007 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010). Ceci facilitera donc la compréhension du principe alphabétique indispensable à l’apprentissage de la lecture (Ecalle & Magnan, 2010).
Le nom des lettres, parce qu’il entretient des liens étroits avec la valeur phonémique de celles-ci, permet de développer la conscience phonémique des enfants pré-lecteurs (Biot-Chevrier et al., 2010 ; Foulin, 2007 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010). Or, nous avons vu que celle-ci constitue un élément indispensable à l’apprentissage du langage écrit. L’étude de Biot-Chevrier et al. (2008) a mis en évidence la relation entre connaissance du nom des lettres et conscience phonémique. Les chercheurs avaient créé deux groupes d’enfants, en fonction de leur niveau de connaissance des lettres de l’alphabet (il faut noter qu’aucun des participants ne connaissait la valeur phonémique des lettres au début de l’expérience). Les résultats montrent que les enfants du groupe connaisseur du nom des lettres ont témoigné d’une conscience phonémique lors des épreuves, ce qui n’a pas été le cas des enfants de l’autre groupe. Connaître le nom des lettres constitue donc un avantage pour le développement de la conscience phonémique (Foulin, 2007).
Cet effet de la connaissance du nom des lettres sur celle de leur son et sur la conscience phonémique qui, à son tour, favorise l’apprentissage de la lecture montre que l’impact de cette connaissance sur cette acquisition présente un aspect indirect (Foulin, 2007).
En plus de représenter un des pré-requis, même indirect, de l’apprentissage de la lecture, la connaissance du nom des lettres constitue également un important prédicteur de cette acquisition (Foulin, 2007 ; Negro & Genelot, 2009). En effet, le niveau de connaissance des lettres évalué à la fin de l’école maternelle est corrélé au niveau de lecture des élèves en fin de première ou de deuxième année d’école élémentaire (Share, Jorm, Maclean & Matthews, 1984, cités dans Foulin, 2007), ce qui signifie que plus les élèves connaissent le nom des lettres lors de leur passage au Cours Préparatoire, plus ils auront de chances de réussite en lecture ; à l’inverse, ceux qui en ont une faible connaissance risquent de rencontrer de sérieuses difficultés lors de cet apprentissage, puisque l’identification de mots serait fortement ralentie (Foulin, 2007). C’est pourquoi une méconnaissance du nom des lettres de l’alphabet à la fin de l’école maternelle doit alerter l’enseignant. Le pouvoir prédictif de la connaissance du nom des lettres s’expliquerait par l’importance particulière de la reconnaissance des lettres pour l’apprenti-lecteur (Foulin, 2007). Certains chercheurs considèrent d’ailleurs qu’évaluer la dénomination des lettres équivaut, en terme d’efficacité, à utiliser une batterie de tests pour prédire le niveau ultérieur de lecture (Scarborough, 1998, cité dans Foulin, 2007), ce qui souligne l’importance de la connaissance du nom des lettres pour l’acquisition du langage écrit.
Néanmoins, connaître le nom des lettres ne suffit pas pour réussir l’apprentissage de la lecture. En effet, « les lecteurs débutants ne doivent pas seulement être capables de reconnaître les lettres, ils doivent aussi le faire vite » selon Adams (1990, cité dans Foulin, 2007, p. 5). La reconnaissance rapide et sans erreur des lettres constitue effectivement une étape essentielle de l’apprentissage de la lecture (Hillairet de Boisferon et al., 2010) puisque la rapidité d’identification de ces unités graphiques témoigne d’un certain niveau d’automatisation de la reconnaissance des lettres, qui induit à son tour une automatisation de l’identification des mots (Foulin, 2007).
Au même titre que la connaissance du nom des lettres, la dénomination rapide de ces unités représente un important prédicteur de l’apprentissage de la lecture. Selon Piquard-Kipffer (2003, cité dans Foulin, 2007), la rapidité de dénomination des lettres à la fin de l’école maternelle constitue même le meilleur prédicteur des performances de décodage à la fin des première et deuxième années d’école élémentaire. Ce pouvoir prédictif serait surtout remarquable au début de l’apprentissage de la lecture (Manis, Doi & Bhadha, 2000, cités dans Hillairet de Boisferon et al., 2010) car c’est à ce moment que l’identification des lettres est la plus importante pour la reconnaissance de mots (Cronin & Carver, 1998, cités dans Foulin, 2007). L’enseignant doit donc veiller à ce que ses élèves soient capables de reconnaître et de dénommer rapidement les lettres afin de les placer dans de bonnes conditions pour débuter l’apprentissage de la lecture.
Il existe donc des pré-requis à l’apprentissage de la lecture, certains ont même une valeur prédictive sur les performances ultérieures de l’élève. Nous n’en avons développé que quelques uns mais il en existe d’autres, tels que les habiletés morphologiques (Ecalle & Magnan, 2010) ou la mémoire de travail (Lecocq, 1991, cité dans Bara et al., 2004). Ces facteurs peuvent être travaillés avant l’entrée en école élémentaire, de manière à préparer les élèves à l’apprentissage qui les attend.
La préparation des élèves à l’identification de mots dès l’école maternelle
Ce que disent les instructions officielles
Les programmes de 2008
Les programmes en vigueur ont été instaurés par le Bulletin Officiel hors-série n°3 du 19 juin 2008. Les instructions officielles pour l’école maternelle accordent une place à la préparation de l’élève pour l’apprentissage de la lecture puisque l’un des six grands domaines d’activités des programmes, intitulé « découvrir l’écrit », comprend un sous-domaine nommé « se préparer à apprendre à lire et à écrire ». Ainsi, « par trois activités clés (travail sur les sons de la parole, acquisition du principe alphabétique et des gestes de l’écriture), l’école maternelle favorise grandement l’apprentissage systématique de la lecture et de l’écriture qui commencera au cours préparatoire » (p. 13). L’école maternelle joue donc un rôle essentiel dans la préparation des élèves aux apprentissages ultérieurs, notamment à celui de la lecture.
Dans ce but, deux axes de travail sont privilégiés : « distinguer les sons de la parole » et « aborder le principe alphabétique ».
Pour le premier objectif, « distinguer les sons de la parole », les programmes indiquent ceci : « Les enfants découvrent tôt le plaisir de jouer avec les mots et les sonorités de la langue. Ils scandent les syllabes puis les manipulent (enlever une syllabe, recombiner plusieurs syllabes dans un autre ordre…). Ils savent percevoir une syllabe identique dans plusieurs mots et situer sa position dans le mot (début, milieu, fin). Progressivement ils discriminent les sons et peuvent effectuer diverses opérations sur ces composants de la langue (localiser, substituer, inverser, ajouter, combiner…) » (p. 13). Le jeune enfant témoigne donc d’une conscience phonologique dès l’école maternelle, c’est-à-dire qu’il a conscience que la parole peut être segmentée en unités plus ou moins larges et qu’il est capable de manipuler ces différentes unités.
Le deuxième axe de travail des enseignants pour préparer les élèves à la lecture concerne le principe alphabétique. Les programmes indiquent à ce sujet : « Les enfants se familiarisent avec le principe de la correspondance entre l’oral et l’écrit ; à cet égard, la fréquentation d’imagiers, d’abécédaires qui isolent les mots et les présentent avec une illustration mérite d’être encouragée. Grâce à l’observation d’expressions connues (la date, le titre d’une histoire ou d’une comptine) ou de très courtes phrases, les enfants comprennent que l’écrit est fait d’une succession de mots où chaque mot écrit correspond à un mot oral. Ils découvrent que les mots qu’ils prononcent ou qu’ils entendent sont composés de syllabes ; ils mettent en relation les lettres et les sons. La discrimination des sons devient de plus en plus précise. Ils apprennent progressivement le nom de la plupart des lettres de l’alphabet qu’ils savent reconnaître, en caractères d’imprimerie et dans l’écriture cursive, sans que la connaissance de l’alphabet dans l’ordre traditionnel soit requise à ce stade. Pour une partie d’entre elles, ils leur associent le son qu’elles codent et le distinguent du nom de la lettre quand c’est pertinent. Les enfants découvrent ainsi le principe alphabétique, sans qu’il soit nécessaire de travailler avec eux toutes les correspondances » (p. 13). Les activités proposées à l’école maternelle permettent donc aux jeunes enfants de découvrir le principe alphabétique et ceci à partir de la Grande Section.
Pour résumer, d’après les programmes, l’enfant, à la fin de la période pré-scolaire, sera en mesure de « différencier les sons, distinguer les syllabes d’un mot prononcé, reconnaître une même syllabe dans plusieurs énoncés, faire correspondre les mots d’un énoncé court à l’oral et à l’écrit, reconnaître et écrire la plupart des lettres de l’alphabet, mettre en relation des sons et des lettres » (p. 14). De cette façon, l’élève sera prêt pour l’apprentissage de la lecture qui lui sera enseigné lors de la première année d’école élémentaire.
Le document d’accompagnement des programmes « Langage à l’école maternelle »
Pour permettre aux enseignants d’appliquer au mieux les instructions officielles, le ministère de l’Éducation Nationale a notamment publié en 2011 un document d’accompagnement intitulé « Langage à l’école maternelle ». D’après celui-ci, l’école maternelle doit permettre à chaque élève de « considérer la langue […] comme un matériau à modeler […], à interroger et à « décortiquer » » (p. 77). Ce document d’accompagnement préconise des ateliers en petits groupes sous l’autorité de l’enseignant pour débuter chaque nouvel apprentissage et propose des pistes pour mettre en œuvre des activités visant dans un premier temps la conscience phonologique puis dans un second temps le principe alphabétique.
Pour éveiller la conscience phonologique des élèves, l’enseignant va principalement utiliser des comptines. Elles vont permettre aux enfants de marquer le rythme, notamment en frappant dans leurs mains. A partir de ces comptines, ou même d’un simple énoncé oral, l’enseignant peut mettre en place un jeu vocal : « des jeux d’écoute, de reconnaissance, de répétition de rythmes variés » (p. 79) et de transformation de mots. Les enfants peuvent ainsi travailler sur deux types d’unités linguistiques : la syllabe et le phonème, même si ce dernier est difficile à repérer pour les jeunes enfants.
C’est par le travail sur la syllabe que l’enseignant doit débuter les activités sur les sonorités de la langue, parce qu’elle est plus facile à isoler que le phonème. Pour développer la conscience syllabique des élèves, l’enseignant peut procéder de plusieurs manières : il peut faire le choix de leur demander de frapper dans leurs mains pour compter le nombre de syllabes constituant un mot ou de sauter à chaque nouvelle syllabe prononcée. L’enseignant peut proposer à ses élèves de décomposer des mots familiers en syllabes et de les compter, de catégoriser les mots en fonction du nombre de syllabes qu’ils contiennent, d’observer la longueur des mots de l’oral et enfin, il peut proposer aux élèves de représenter par écrit les différentes syllabes d’un mot, en utilisant par exemple une gommette pour symboliser une syllabe. Une fois que les élèves sont capables de segmenter la parole en syllabes, l’enseignant va chercher à faire jouer les élèves avec ces éléments. Il peut utiliser pour cela des jeux de langage et fournir une aide en accentuant la prononciation de certains mots. En répétant après l’enseignant, les élèves vont remarquer des régularités et être capables de localiser des syllabes dans un mot. Ils pourront ensuite manipuler ces unités en en supprimant certaines, en en assemblant plusieurs ou en inversant deux syllabes. L’enseignant, lors de ces activités, peut demander si le nouveau mot obtenu existe réellement. Le document d’accompagnement « Langage à l’école maternelle » propose ainsi de nombreuses pistes pour développer la conscience phonologique des élèves. Après le travail réalisé sur les syllabes, il conseille aux enseignants de mener le même type d’activités mais cette fois centrées sur une unité plus petite et moins facile d’accès pour les élèves : le phonème. Les activités doivent se succéder dans un certain ordre : les élèves doivent dans un premier temps répéter ce qui est énoncé par l’enseignant ; dans un second temps, il leur est demandé de repérer des invariants dans les différents énoncés de l’adulte ; ensuite les activités proposées par l’enseignant doivent viser la distinction de sons proches par les élèves (il est par exemple essentiel de ne pas confondre les sons /v/ et /f/ ou /d/ et /t/) et peuvent s’appuyer sur des virelangues, c’est-à-dire des suites de mots difficiles à prononcer car elles contiennent justement des sons proches (exemple : « les chaussettes de l’archiduchesse sont-elles sèches, archi-sèches ? »). C’est par la suite, dans un quatrième temps, que les élèves vont pouvoir manipuler ces petites unités, il s’agit d’inverser deux phonèmes, d’en supprimer ou d’en ajouter un à un mot ou de remplacer un phonème par un autre ; à partir de là, l’enseignant pourra demander aux élèves de trouver des mots contenant un certain phonème ; enfin, les dernières activités consisteront pour les élèves à trouver la place d’un phonème au sein d’un mot (au début, au milieu ou à la fin du mot). L’utilisation d’images est conseillée pour aider les élèves à trouver des mots contenant le phonème demandé.
Les activités dont le but est de développer la conscience phonologique des élèves ont lieu quotidiennement lors des séances de langage, notamment à partir de jeux sur la langue. Celles-ci doivent être structurées et répétitives pour favoriser le traitement du langage oral du jeune enfant, tout en gardant l’aspect ludique essentiel aux activités proposées au cycle 1.
L’école maternelle, d’après les programmes qui la régissent, doit également faire découvrir aux élèves le principe alphabétique. Tout d’abord, le jeune enfant commence par distinguer les signes graphiques, les lettres, des dessins, notamment grâce à son prénom, affiché à de nombreux endroits dans la classe. De plus, c’est à partir de celui-ci que l’élève va découvrir le sens de la lecture, de gauche à droite. L’enseignant a donc tout intérêt à s’appuyer sur les prénoms des élèves pour les guider vers l’apprentissage de la lecture. Le document d’accompagnement souligne d’ailleurs : « l’enseignant, quand il écrit le prénom d’un enfant devant lui pour personnaliser une trace ou signer un dessin, commente ce qu’il écrit : décomposant le prénom en syllabes, isolant la syllabe qu’il écrit, énonçant le nom de la lettre et sa valeur sonore, commentant la forme des tracés » (p. 82). Ainsi, toute activité d’écriture de la part de l’enseignant mérite d’être verbalisée devant l’élève, de manière à l’éveiller au traitement du langage écrit.
Comme pour développer la conscience phonologique, l’enseignant va principalement s’appuyer sur les chants et les comptines, pour faire naître chez ses élèves la prise de conscience de la relation entre langage oral et langage écrit. Pour arriver à ce résultat, il est nécessaire que l’enseignant suive avec son doigt sa lecture de mots lorsqu’il participe à une comptine que les enfants ont apprise. Les élèves découvrent alors que les mots qu’ils utilisent dans la comptine correspondent aux mots écrits que le maître lit sur sa feuille et établissent donc une relation entre oral et écrit. D’après le document d’accompagnement, l’enseignant doit également guider ses élèves vers une comparaison entre quantité d’oral et quantité d’écrit correspondant. Par exemple, il peut faire remarquer qu’une courte comptine occupe peu de place sur une feuille alors qu’une comptine plus longue en prend davantage.
Le document d’accompagnement préconise également de prendre appui sur les activités d’écriture pour amener les élèves à comprendre le principe alphabétique. Au début, les élèves sont amenés à copier leur prénom ou un mot qu’il leur est familier. Ils sont ensuite encouragés à écrire d’eux-mêmes. Ces activités d’écriture permettent « d’individualiser les lettres » (p. 84) et provoquent des interrogations de la part des élèves à propos des unités de l’écrit et de l’écriture des mots. Ces activités doivent faire l’objet d’une verbalisation pour favoriser la compréhension du principe alphabétique. La reprise des tentatives d’écriture des élèves avec chacun d’eux s’inscrit dans cette démarche, tout en permettant de définir avec lui l’écriture correcte du ou des mot(s) qu’il a voulu écrire. De plus, l’utilisation de l’écriture cursive, qui apparaît en fin d’école maternelle, apporte une unité aux mots écrits, dont les lettres sont liées. Ceci favorise la mise en évidence des correspondances entre mot écrit et mot oral. Les activités d’écriture participent ainsi à la découverte du principe alphabétique.
Par ailleurs, la compréhension de ce principe passe nécessairement par l’apprentissage du nom des lettres de l’alphabet. Il est important de noter que ce n’est pas la seule chose que l’enfant apprend à propos des lettres : « dès le plus jeune âge, il est recommandé d’identifier chaque lettre par ses trois composantes : son nom, sa valeur sonore et son tracé » (p. 83). Ainsi, l’enseignant d’école maternelle transmet à ses élèves des connaissances diverses sur les lettres, en associant à leur nom leur valeur phonique habituelle et leur forme graphique. Ces connaissances participeront à la compréhension du principe alphabétique des élèves.
L’enseignant peut donc se servir du document d’accompagnement « Langage à l’école maternelle » pour mettre en œuvre les contenus des programmes officiels de 2008. Pour préparer les élèves à l’apprentissage formel de la lecture qui débute lors de la première année d’école élémentaire, le maître s’appuie sur deux axes de travail qui sont « distinguer les sons de la parole » et « aborder le principe alphabétique ». L’école maternelle fournit ainsi à ses élèves des moyens pour faciliter leur entrée dans l’écrit.
Les entrainements proposés aux élèves
Pour préparer les élèves, les enseignants axent principalement leur travail sur la phonologie. Ils peuvent, en plus des modalités visuelle et auditive, utiliser la modalité haptique.
Les entrainements phonologiques
Des entrainements destinés à développer la conscience phonologique des jeunes enfants leur sont proposés à l’école maternelle (Cèbe & Goigoux, 2006). Le développement de cette conscience, et plus particulièrement celui de la conscience phonémique, constitue un « moyen de préparer les enfants à l’apprentissage » de la lecture (Bara et al., 2004, p. 5). Ces entrainements s’appuient sur des tâches de segmentation, d’identification et de fusion de deux types d’unités : de syllabes dans un premier temps et de phonèmes dans un second temps (Van Reybroeck et al., 2006). En plus de ces activités purement phonologiques, les entrainements peuvent accorder une place à l’apprentissage des associations graphèmes-phonèmes (Bara et al., 2004 ; Van Reybroeck et al., 2006).
Les entrainements favorisent la prise de conscience de la structure phonologique de la parole (Van Reybroeck et al., 2006) et l’apparition de capacités de manipulation des unités phonologiques chez les enfants pré-lecteurs (Ecalle & Magnan, 2010). De cette façon, ils contribuent à l’apprentissage de la lecture, tout en réduisant les problèmes que l’enfant pourrait éventuellement rencontrer lors de cet apprentissage (Ehri, Nunes, Willows, Schuster, Yaghoub-Zadeh et Shanahan, 2001, cité dans Foulin, 2007). L’efficacité de ces entrainements augmente lorsqu’ils combinent plusieurs compétences. En effet, les activités portant à la fois sur la conscience phonologique et la connaissance des lettres, principalement de leur nom, influencent davantage l’apprentissage de la lecture que celles où ces deux facteurs font l’objet d’un enseignement distinct (Bara et al., 2004 ; Biot-Chevrier et al., 2010 ; Foulin, 2007 ; Hillairet de Boisferon et al., 2010). Bara et al. (2004) considèrent que les performances seront meilleures si on ajoute à ces deux éléments l’apprentissage des associations graphèmes-phonèmes.
D’après Ehri et al. (2001, cités dans Hillairet de Boisferon et al., 2010), l’impact de ces entrainements phonologiques varie en fonction de plusieurs facteurs : tout d’abord la nature des tâches utilisées a son importance puisque certaines sont davantage liées à la réussite en lecture, c’est le cas de la segmentation de mots en phonèmes et de la fusion de ces unités ; de plus, les bénéfices de ces entrainements sont plus importants quand ils ont lieu avant l’enseignement explicite de la lecture, donc à l’école maternelle, et d’autant plus lorsqu’ils sont réalisés en petits groupes de 5 ou 6 enfants, privilégiant ainsi les interactions ; il est intéressant de noter également que l’entrainement est plus efficace lorsqu’il est réalisé par le chercheur l’ayant mis en place que par l’enseignant n’ayant pas suivi une formation spécifique pour cela.
L’exploration haptique
Les entrainements préparant l’enfant à l’apprentissage de la lecture peuvent s’appuyer sur différentes modalités pour atteindre cet objectif. Outre les modalités visuelles et auditives généralement utilisées, l’adulte peut choisir de privilégier une autre modalité qui est le toucher, la manipulation, ce que l’on appelle « modalité haptique » (Bara et al., 2004, p. 11). L’idée d’utiliser ce sens dans les activités scolaires est justifié puisque les enfants utilisent beaucoup le toucher pour découvrir le monde qui les entoure. La modalité haptique, associée aux deux autres sens, est donc « particulièrement bien adaptée aux enfants d’âges préscolaire » (Bara et al., 2004, p. 14), d’autant plus qu’ils sont actifs lors de la manipulation et que celle-ci présente un caractère ludique (Bara et al., 2004).
Les entrainements s’appuyant sur la modalité haptique voient leurs effets sur l’identification de mots augmenter (Bara et al., 2004). En effet, Bara, Gentaz, Colé et Sprenger-Charolles (2004) ont comparé les performances d’enfants d’âge pré-scolaire ayant suivi un entrainement à la fois visuel, auditif et haptique ou bien un entrainement seulement visuel et auditif. Dans le premier, les enfants avaient l’occasion de manipuler des lettres en relief, ce qui n’était pas le cas des enfants du deuxième groupe. Les résultats mettent en évidence que les performances en décodage de pseudo-mots ont davantage augmenté dans le groupe d’enfants ayant suivi le premier type d’entrainement que dans l’autre groupe. L’effet de la modalité haptique s’expliquerait notamment par l’une de ses caractéristiques : elle est très séquentielle (Bara et al., 2004), contrairement à la vision qui privilégie une perception plus globale. Elle permet ainsi d’analyser plus finement les objets de l’environnement et d’en faciliter la mémorisation, ce qui permet, dans le cas d’un entrainement sur les lettres, d’augmenter leur niveau de connaissance (Bara et al., 2004). Selon ces auteurs, la modalité haptique possède des caractéristiques communes avec la vision et l’audition et, de cette façon, favorise la relation entre l’aspect visuel de la lettre et l’aspect auditif qui lui est rattaché. Ceci facilite la compréhension du principe alphabétique (Bara et al., 2004), c’est pourquoi l’exploration tactile peut représenter un réel atout pour la préparation des élèves à l’identification de mots. A ce titre, nous allons nous intéresser à une méthode d’apprentissage de la lecture qui combine différentes modalités sensorielles, dont la modalité haptique, il s’agit de la Planète des Alphas.
L’exemple de La Planète des Alphas
La Planète des Alphas est une méthode d’apprentissage de la lecture créée en 1999 par Claude Huguenin et Olivier Dubois. Elle s’appuie sur un conte fantastique imaginé par les auteurs, celui de la Planète des Alphas, qui a donné son nom à la méthode. Les Alphas sont de petits personnages qui ont la forme des lettres et qui produisent chacun un son spécifique. Par exemple, « monsieur a » aime tenir sa canne à l’envers (la canne correspond en fait à la boucle terminale du « a » puisque les Alphas représentent des lettres écrites sous leur forme minuscule scripte) et rit au nez des personnes qui lui demandent pourquoi : « Ha ! Ha ! Ha ! ». Chaque Alpha est présenté ainsi, en mettant en évidence ses particularités graphiques et en expliquant le son qu’il produit (la méthode préfère d’ailleurs la notion de « chant » à celui de son). La méthode donne ainsi du sens aux correspondances graphèmes-phonèmes. Ces personnages, parce qu’ils matérialisent la relation entre des sons et des lettres, incarnent le principe alphabétique selon les auteurs. Ce concept abstrait est transposé dans le monde imaginaire de l’enfant grâce à l’histoire qui lui est racontée. Ces personnages en forme des lettres de l’alphabet (et du graphème « ch ») sont des objets (botte, toupie, robinet…), des animaux (limace, perroquet, serpent…), ou des aliments (cornichon) que l’enfant est capable de reconnaître sans difficulté, à l’exception de trois personnages imaginaires créés spécialement pour représenter les lettres « g », « x » et « z » et des voyelles, qui ont seulement l’apparence des lettres (cf. annexe 1). Le nom de chaque Alpha commence par le chant qui lui est spécifique : par exemple, le perroquet symbolise le chant « pppp » et le monstre le chant « mmmm ». L’enfant peut ainsi retrouver le son associé à chaque Alpha en le dénommant, il associe alors inconsciemment une lettre à un phonème.
Outre l’identification des Alphas, la méthode met également l’accent sur la fusion phonémique. Les enfants ont l’occasion, lors de la lecture du conte, de découvrir que lorsque la fusée (dont le chant est « fff ») tombe sur « monsieur o » (qui exprime des « oooh » admiratifs), cela produit le son « fffo ».
Néanmoins, la connaissance des Alphas en tant que personnages ne peut suffire à l’enfant pré-lecteur pour entrer dans l’apprentissage du langage écrit puisque les livres ne contiennent pas ces symboles. C’est pourquoi la méthode prévoit un passage de l’état d’Alpha à l’état de lettre : les personnages se mettent « tout nus » pour se transformer et échapper à la vilaine sorcière du conte.
Cette méthode a pour but de développer la conscience phonémique des enfants et de favoriser la découverte du principe alphabétique. Pour ce faire, elle s’appuie sur de nombreux outils, à la fois visuels (un livre illustré, un poster présentant tous les personnages), auditifs (un CD fournit une version longue du conte) et tactiles (des figurines représentant les Alphas). Cette méthode ludique combine donc l’utilisation de trois sens, dont le toucher : « On sait à quel point le phonème est abstrait et combien les enfants ont besoin de s’approprier les concepts par le «toucher» en les manipulant » (Huguenin & Dubois, 2008, p. 23 du guide pratique de l’enseignant). Les auteurs préconisent des ateliers en petits groupes pour réaliser ces activités de manipulation.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 : Cadre théorique
Introduction
I. La lecture
1.1. Qu’est-ce que lire ?
1.2. L’identification de mots
1.2.1. Les modèles développementaux
1.2.1.1. Présentation générale
1.2.1.2. Les trois principales procédures d’identification de mots
1.2.2. Les modèles interactifs
1.2.3. Le principe alphabétique
II. Préparer l’élève à l’identification de mots
2.1. Quelques pré-requis de la lecture et prédicteurs en Grande Section Maternelle du niveau ultérieur en identification de mots
2.1.1. Les habiletés phonologiques
2.1.2. Les connaissances sur les lettres
2.2. La préparation des élèves à l’identification de mots dès l’école maternelle
2.2.1. Ce que disent les instructions officielles
2.2.1.1. Les programmes de 2008
2.2.1.2. Le document d’accompagnement des programmes « Langage à l’école maternelle »
2.2.2. Les entrainements proposés aux élèves
2.2.2.1. Les entrainements phonologiques
2.2.2.2. L’exploration haptique
2.2.3. L’exemple de La Planète des Alphas
Partie 2 : Recherche
I. Méthodologie
1.1. Participants
1.2. Matériel
1.3. Procédure
1.3.1. Le recueil de données
1.3.2. Les retranscriptions
II. Résultats
2.1. La grille d’analyse
2.2. Analyse des deux séances observées
2.2.1. La partie « La Planète des Alphas »
2.2.2. La partie « Caractéristiques des lettres »
2.2.3. La partie « Phonologie »
2.2.4. La partie « Écrit »
2.2.5. La partie « Vocabulaire utilisé »
III. Discussion
3.1. Interprétation
3.2. Limites
3.3. Bilan
Bibliographie
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