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Les limites de la participation de l’apporteur en industrie à la vie sociale
L’Acte uniforme s’est efforcé de mettre l’apporteur en industrie sur le même pied d’égalité que l’apporteur en numéraire et l’apporteur en nature. Seulement, il n’a pas pu poursuivre sa logique jusqu’au bout. C’est ainsi que contrairement aux autres types d’apports, l’apport en industrie s’est retrouvé exclu de toute participation au capital social (A) et l’apporteur en industrie privé de la possibilité de déclencher la procédure d’expertise de gestion (B).
L’exclusion de l’apport en industrie du capital social
Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, il existe trois types d’apports : les apports en nature, les apports en numéraire et les apports en industrie. Les uns ne sont pas exclusifs des autres. Pour la constitution de la société, les associés ont forcément recours à l’un de ces types d’apports. C’est donc dire que sans apport, il n’y a pas de société. C’est le sens de l’article de l’article 4 de l’AUSCGIE, « la société est constituée par deux (2) ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une activité des biens en numéraire ou en nature, ou de l’industrie, dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter… ».
Les apports confèrent à leurs titulaires la qualité d’associés avec comme corollaire les droits et obligations qui y sont attachés. Cependant une distinction s’opère entre les associés en capital et les associés en industrie. Bien qu’associé, l’apporteur en industrie est écarté de toute participation au capital social qui représente le montant des apports en capital faits par les associés à la société.
L’article 62 de l’AUSCGIE dispose en effet que : « le capital social représente le montant des apports en capital faits par les associés à la société et augmenté, le cas échéant, des incorporations de réserves, de bénéfices ou de primes d’apports, d’émission ou de fusion ». C’est donc dire que le capital social est formé par la somme des apports en numéraire et en nature faits à la société au moment de sa constitution. On s’aperçoit, dès lors, que l’apport en industrie y est ignoré. Cette exclusion « fragilise et marginalise »325 les apports en industrie dans la mesure où aux termes de l’’article 61 de l’AUSCGIE chaque société doit avoir un capital social.
La question se pose, alors, de savoir s’il est légitime d’exclure les apports en industrie du capital social ? Il n’est possible, à ce stade des développements, d’apporter une réponse tranchée à l’interrogation tant la question fait l’objet de controverses sur lesquelles nous reviendrons. Pour autant, il nous parait nécessaire d’évoquer sommairement les raisons qui ont pu motiver l’exclusion des apports en industrie du capital social326.
Traditionnellement, deux arguments ont été avancés pour justifier cette exclusion. D’un coté, il a été soutenu que les apports en industrie étant insaisissables et personnels, les intégrer dans le capital social priverait les tiers d’une partie consistante de leur gage c’est-à-dire la garantie de remboursement des créanciers que constitue le capital. De l’autre, il a été argué l’absence d’évaluation des apports en industrie comme étant un obstacle à leur intégration au capital. Autrement dit, il serait fastidieux, voire impossible d’introduire les apports en industrie dans le capital social en l’absence de toute estimation chiffrée de ces derniers. Or, à l’état actuel du droit positif OHADA aucune disposition ne prévoit un tel mécanisme.
Aujourd’hui, le constat est que les apports en industrie sont exclus du capital des sociétés par le législateur communautaire. Cette exclusion étant d’ordre public, les associés ne peuvent ni dans les statuts, ni dans un contrat d’apports déroger cette interdiction. Par contre, cette exclusion peut constituer un obstacle à l’exercice d’autres droits par les associés.
En conditionnant l’exercice de la procédure de l’expertise de gestion à la détention d’une portion du capital le législateur OHADA exclut, probablement sans s’en rendre compte, l’apporteur en industrie du droit d’invoquer cette procédure. Ce faisant, il handicape une catégorie d’associés par rapport à d’autres (1). Pour contourner cette difficulté, l’apporteur en industrie doit pouvoir se prévaloir de la procédure de l’expertise judiciaire traditionnelle (2).
Pour une vision d’ensemble de l’exclusion de l’apport en industrie du capital social, V. supra p. 234.
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L’exclusion de la procédure de l’expertise de gestion : un handicap pour l’apporteur en industrie
Si le droit de poser des questions écrites et celui de consulter les documents et pièces sociaux sont communs à tous les associés en capital et en industrie, il y en a un qui exclut de son champs l’apporteur en industrie. C’est la faculté donnée aux associés de demander à la justice la désignation d’un expert aux fins de clarifier une ou plusieurs opérations de gestion. Il s’agit de l’expertise de gestion. Elle peut être exercée par un ou plusieurs associés. Qu’elle soit individuelle ou collective, l’expertise de gestion doit émaner d’associés représentant au moins le dixième du capital social327. Or, la détention d’une portion du capital social est l’apanage des seuls apporteurs en capital. L’associé en industrie ne pouvant pas participer au capital social328, il en résulte que le recours à l’expertise de gestion ne lui est pas permis. La dénégation de l’exercice de l’expertise de gestion à l’apporteur en industrie est un sérieux handicap pour lui parce que quelque soit la défiance qu’il peut avoir à l’égard des dirigeants sociaux par rapport à des opérations particulières, il n’a de recours si ce n’est auprès de ces mêmes dirigeants -à travers le droit d’information et le droit de communication qui ne portent que sur des sujets très généraux tels que la liste des actionnaires, les statuts, les comptes sociaux, les rapports des commissaires aux comptes, etc.-. L’expertise de gestion, par contre, permet aux associés de recueillir des informations précises sur des opérations particulières accomplies par les dirigeants. Elle est généralement utilisée par les associés minoritaires pour se faire confirmer la régularité de certaines décisions de gestion des dirigeants, soit pour se ménager des preuves préalablement à l’engagement de procédures judiciaires à l’encontre des dirigeants. Le législateur OHADA aurait été mieux inspiré en trouvant une formule -par exemple détention d’un nombre déterminé d’actions ou de parts sociales- qui permettrait à l’apporteur en industrie d’exercer l’expertise de gestion. Pour le moment, il n’en est rien. Et alors, comme le dit un adage africain : « à défaut de sa mère, on tète sa grand-mère ».
La voie de contournement : l’expertise judiciaire traditionnelle
Malgré l’impossibilité pour l’apporteur en industrie d’avoir recours à l’expertise de gestion, toutes les voies ne lui semblent pas être fermées pour obtenir des dirigeants les éclaircissements sur des opérations précises de leur gestion. Le code de procédure civile et commerciale de plusieurs Etats de l’OHADA lui offre cette opportunité. A cet égard, l’article 167 du code de procédure civile et commerciale (CPCC) du Mali, à l’instar des dispositions du nouveau code de procédure civile (NCPC) français329, dispose que : « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admises peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ». Le fait que « tout intéressé » puisse engagé une telle procédure devrait résoudre le problème de la détention d’une portion du capital social et à fortiori celui de la qualité d’associé. De par ces dispositions, l’apporteur en industrie aura la latitude d’entamer une action judiciaire visant à contrôler la gestion des dirigeants sociaux. Cette prescription légale est confortée par la doctrine française qui admet la possibilité pour les associés d’un groupement de recourir à l’expertise judiciaire traditionnelle330. En sus, la jurisprudence abonde dans le même sens que la doctrine, après quelques hésitations. En effet, les juridictions, après avoir dénié à un associé le droit de recourir à l’expertise judiciaire ouverte par le code de procédure civile contre des dirigeants de la société, considérant qu’il s’agissait là du dévoiement d’une disposition à caractère général dès lors qu’il existait la procédure spéciale d’expertise de « minorité » prévue par le L’exercice des droits de l’apporteur en industrie ne l’exonère pas de l’accomplissement de ses obligations.
LES OBLIGATIONS DE L’APPORTEUR EN INDUSTRIE
L’article 37 alinéa 2 de l’Acte uniforme dispose que : « chaque associé est débiteur envers la société de tout ce qu’il s’est engagé à lui apporter en numéraire, en nature ou en industrie ». Les associés sont, donc, tenus vis-à-vis de la société d’exécuter leur engagement. Il en résulte pour l’apporteur en industrie deux catégories d’obligations. Les unes sont consécutives à sa qualité d’apporteur et l’obligent à réaliser l’apport promis à la société. Ces obligations sont concrétisées, d’une part, par une obligation d’action, à savoir l’obligation d’apport et d’autre part par une obligation d’abstention que sont l’obligation de non-concurrence et l’obligation d’exclusivité. Elles doivent être honorées à l’égard de la société (section 2). Mais ce n’est pas tout, en sa qualité d’associé, l’apporteur en industrie est également débiteur de l’obligation de contribuer aux pertes sociales ainsi que de l’obligation aux dettes de la société. Ces obligations sont mises à sa charge pour régler le passif de la société vis-à-vis des tiers (section 1).
LES OBLIGATIONS DE L’APPPORTEUR EN INDUSTRIE A L’EGARD DES TIERS
La contribution aux pertes (paragraphe 1) et l’obligation aux dettes sociales (paragraphe 2) sont les obligations mises à la charge de l’apporteur en industrie à l’égard des tiers.
La contribution aux pertes de l’apporteur en industrie
Les titres sociaux confèrent à l’associé, le cas échéant, l’obligation de contribuer aux pertes sociales. Il y a pertes quand à la clôture d’un exercice comptable, le compte de résultat fait apparaitre un résultat négatif. Il ne suffit pas que la société enregistre des pertes pour que les associés soient tenus d’y contribuer. Les pertes constatées avant liquidation font l’objet d’un traitement comptable. La contribution aux pertes intervient en principe à la liquidation de la société. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
Premièrement, l’actif brut est supérieur ou égal au passif, mais inferieur au capital initial. Dans cette hypothèse, les associés contribuent aux pertes en récupérant moins que ce qu’ils avaient apporté. Il s’agit ici de la reprise partielle des apports qui ne concernent en principe que les apports de capitaux, l’apport en industrie étant exclu du capital social, sauf pour l’apporteur en industrie à reprendre sa liberté.
Deuxièmement, le passif est supérieur à l’actif. Dans cette hypothèse, la contribution aux pertes se réalise de deux manières en fonction de la forme sociale. Dans les sociétés à risque limité, les associés contribuent aux pertes à hauteur de leur participation au capital social alors que dans les sociétés de personnes, les associés contribuent aux pertes en engageant tout leur patrimoine. L’article 50-3 al 1er in fine met à la charge de l’apporteur en industrie l’obligation de contribuer aux pertes« les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à l’attribution de titres sociaux ouvrant droit au vote et au partage des bénéfices et de l’actif net, à charge de contribuer aux pertes ». Comme pour la participation aux résultats sociaux, l’apporteur en industrie contribue aux pertes de la société. Les associés peuvent convenir des modalités de répartition de la contribution. Celle-ci peut se faire proportionnellement ou inversement proportionnelle aux apports333, à condition de respecter l’interdiction des clauses léonines. En revanche les clauses de dispense partielle sont valables334.
Par ailleurs le législateur impose un parallélisme entre la répartition des bénéfices et la contribution aux pertes en plafonnant la part contributive de l’apporteur en industrie à 25% des pertes totales335. Ainsi qu’il s’agisse de participation aux bénéfices ou de contribution aux pertes, l’associé en industrie n’en prend que les 25% au plus. Ce qui se comprend, mais qui n’est pas forcement heureux puisque l’apporteur en industrie fait l’objet d’un statut légal particulier, voire discriminatoire comparé à celui des autres apporteurs en capital.
La contribution aux pertes de l’apporteur en industrie engendre des difficultés quant à ses modalités d’exécution. Faudrait-il considérer la privation de l’apporteur en industrie de la rémunération de son activité, en l’absence de distribution de dividendes comme contribution aux pertes ? Une réponse négative semble être de mise dans la mesure où cette solution n’a pas reçu l’adhésion de la doctrine qui considère que la seule privation de sa rémunération de l’apporteur en industrie ne saurait valoir contribution aux pertes et qu’une telle disposition porte même atteinte à la prohibition des clauses léonines336. Ou encore faudrait-il mettre à la charge de l’apporteur en industrie le versement d’une certaine somme d’argent ? C’est cette dernière solution qui semble prévaloir. Ou du moins, c’est elle qui a reçu l’adhésion de la doctrine337. Par ailleurs, nous avons vu que le partage des bénéfices engendre des difficultés que nous retrouverons dans notre quête de détermination de la part contributive de l’apporteur en industrie (A) mais aussi dans la limitation de sa participation par rapport aux apporteurs en capital (B).
La détermination de la part contributive de l’apporteur en industrie
L’apporteur en industrie est un associé à part entière. A ce titre, il est tenu de contribuer aux pertes de la société. C’est une obligation d’ordre légal dont le principe est posé par l’article 54 al. 1er de l’Acte uniforme (1). Comme tout principe, la solution résultant de l’article suscité connait des exceptions. Ici, la contribution de l’apporteur en industrie aux pertes est exigée sous réserve de ne pas violer l’interdiction des clauses léonines (2).
La solution de l’article 54 al. 1er de l’Acte uniforme
Le principe de la détermination de la part contributive des associés est posé par l’article 54 al. 1er de l’AUSCGIE. Aux termes des dispositions de ce texte « sauf clause contraire des statuts ou dispositions contraires du présent Acte uniforme, les droits et obligations de chaque associé, visés à l’article 53 ci-dessus, sont proportionnels à ses apports, qu’ils soient faits lors de la constitution de la société ou au cours de la vie sociale ».
L’analyse des dispositions de l’article 54 al. 1er révèle l’édiction d’un principe général : celui de la répartition proportionnelle de la part contributive des associés aux apports qu’ils ont faits à la société. Cela signifie que l’associé ne contribue aux pertes de la société qu’à la hauteur des apports qu’il a personnellement mis à la disposition de celle-ci.
Il est intéressant de remarquer que la règle retenue n’adosse pas la participation des associés à leur contribution au capital social. Ce qui permet d’éviter le problème de la quantification des apports en industrie étrangers à la notion de capital338. En outre, la règle ne soulèverait pas de difficultés d’interprétation en cas de variation de la répartition du capital en cours de vie sociale pour la simple raison que ce soit au moment de la constitution de la société ou en cours de vie sociale, la part de l’associé ne varie pas. Elle reste toujours « proportionnel à ses apports ».
Toutefois, la règle n’est que supplétive. Elle est donc tributaire de la volonté des associés. Ces derniers pourraient, dans l’acte fondateur de leur groupement, convenir d’une répartition autre que celle proportionnelle aux apports. Il en est de même de la possibilité accordée à l’Acte uniforme de prévoir d’autres modalités de répartition. L’admission d’une répartition statutaire autre que la proportionnalité aux apports est en réalité une invite aux parties à régler le sort de chaque associé en fonction de son importance dans la société, ce qui peut aboutir à une répartition arbitraire339. Les clauses de répartition des parts contributives sont si variées qu’il est admis de prévoir des clauses de dispense partielle à la contribution aux pertes340. Par contre, il y a une limite que la règle ne saurait aucunement franchir.
L’interdiction des clauses léonines
L’interdiction des clauses léonines est l’exception que la loi apporte au principe général permettant d’aménager la contribution aux pertes des associés.
En droit français, la détermination de la part contributive des associés dans les pertes est soumise à la détention d’une portion du capital social. Cela soulève le problème de l’évaluation de la contribution de l’apporteur en industrie puisque celui-ci es exclu du capital.
L’interdiction des clauses léonines est posée par l’alinéa 2 de l’article 54 de l’AUSCGIE : « sont réputées non écrites les clauses attribuant à un associé la totalité du profit ou l’exonérant de la totalité des pertes, ainsi que celles excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes ».
Est-il nécessaire de revenir sur la sanction de cette règle, si ce n’est pour dire que la controverse qui a été entretenue pendant longtemps tendant à sanctionner les clauses léonines par la nullité de la société n’est plus d’actualité341. Désormais, c’est la loi elle-même qui précise que les clauses léonines « sont réputées non écrites ». Ce qui revient à dire que dans l’hypothèse où de telles clauses seraient prévues, elles seront considérées comme n’avoir jamais existé. A cette occasion, c’est la règle de principe qui s’applique dans son entièreté et dans toute sa plénitude.
Pour ce qui est de la portée de la règle à l’égard de l’apporteur en industrie, nous nous y arrêtons. La question a particulièrement intéressé la doctrine française qui s’est interrogée si, en cas de pertes constatées, l’obligation qu’a l’apporteur en industrie d’y contribuer implique nécessairement qu’il doive verser une certaine somme à ses partenaires apporteurs en capital pour reconstituer le capital, par hypothèse, entamé ? En réalité, il s’agissait de savoir si l’apporteur en industrie pouvait bénéficier d’une dispense de contribution aux pertes sur ses biens personnels dès l’instant qu’il a continué à travailler pour la société sans percevoir de rémunération ?
En France, deux périodes doivent être distinguées. La période d’avant réforme de 1978 et la période allant de l’adoption de la loi du 4 janvier 1978.
Avant la réforme de 1978, l’ancien article 1855 du code civil ne condamnait comme constituant des clauses léonines que la stipulation affranchissant de toute contribution aux pertes « les sommes et effets mis dans le fonds de la société par un ou plusieurs associés ». Les apporteurs en industrie n’apportant ni « sommes », ni « effets » les analystes ont alors estimé que les clauses affranchissant l’industrie de toute contribution aux pertes n’entraient pas dans le champ des pactes léonins342. Mieux et allant plus au fond, ils faisaient valoir qu’il n’y avait pas en réalité exemption de contribution : la contribution était effective et suffisante du fait de la privation de rémunération subie par l’apporteur en industrie qui avait continué, cependant, à libérer son apport343. Les dispositions de l’article 1855 sont désormais caduques. Elles ont été remplacées par celles de l’article 1844-1 al. 2 c. civ. Ce texte qualifie de clause léonine« la stipulation (…) exonérant (un associé) de la totalité des pertes, celle (…) mettant à sa charge la totalité des pertes ». Cette acception de l’interdiction des clauses léonines est exactement celle du droit OHADA dont l’article 54 al. 2 reprend mots pour mots le contenu de l’article 1844-1 al. 2. Il en résulte que les analyses qui seront faites à l’occasion de l’interprétation du texte français seront valables pour le droit OHADA.
Aujourd’hui, le fait pour l’apporteur en industrie de travailler sans percevoir de rémunération peut-il valoir de sa part contribution aux pertes ?
Partant des nouvelles dispositions de la loi française et celles de la législation communautaire africaine qui posent l’interdiction des clauses léonines en des termes généraux344, l’on a pu conclure que « l’apporteur en industrie, bien que son apport soit étranger au capital, doit être exposé non seulement à « perdre » son propre apport, en l’absence de bénéfices, mais également à contribuer de ses deniers à reconstituer le capital social entamé ». Pour les tenants de cette thèse doctrinale, le contraire conduirait à faire l’amalgame entre les pertes de l’apporteur en industrie et celles de la société345. D’ailleurs en droit communautaire OHADA, la controverse n’a pas lieu d’être dans la mesure où la loi oblige l’apporteur en industrie à contribuer aux pertes. L’article 50-3 al. 1er de l’Acte uniforme précise que :« les apports en industrie ne concourent pas à la formation du capital social mais donnent lieu à l’attribution de titres sociaux ouvrant droit au vote et au partage des bénéfices et de l’actif net, à charge de contribuer aux pertes ». Le législateur, par ces dispositions, place l’apporteur en industrie au même diapason que ses homologues apporteurs en capital en l’obligeant à contribuer aux pertes sociales. Des aménagements conventionnels sont, tout de même, autorisés ; cela dans le respect du plafond légal prévu par l’Acte uniforme.
Les limitations de la contribution aux pertes de l’apporteur en industrie
L’apporteur en industrie, nous l’avons vu, contribue aux pertes sociales. C’est la loi qui lui impose cette obligation. C’est également la loi, sous réserve de l’interdiction des clauses léonines, qui autorise les associés à aménager, à leur convenance, la part contributive de chaque associé dans le pacte social (1). C’est enfin, la loi qui plafonne la contribution aux pertes de l’apporteur en industrie (2).
Les aménagements conventionnels de la part contributive de l’apporteur en industrie
L’article 54 al. 1er de l’AUSCGIE réservant la stipulation de clauses contraires, les parties peuvent aménager librement la solution de principe. Dans cette perspective rien ne les oblige à adopter la même base de répartition pour les pertes.
Pour déterminer la part contributive de chacun dans les pertes, les associés peuvent tenir compte par exemple de leur responsabilité respective dans la marche des affaires sociales. Ainsi, lorsque l’apporteur en industrie apparait comme l’élément-clé, le principal responsable de la conduite des affaires sociales, rien ne s’oppose à ce qu’il supporte une part prépondérante des pertes de la société346. A l’inverse, si sa mission est purement technique ou se limite à un travail d’exécution, on pourrait lui tailler sur mesure, par exemple fixer à sa contribution un seuil de pertes : quelque élevé que soit ce seuil, la condition ainsi posée n’équivaudrait pas à une exonération. Toutefois, la question se pose de savoir qu’adviendra-t-il lorsque les parties adoptent une base de répartition des bénéfices autre que celle de la solution de principe, tout en gardant le silence sur la part contributive de l’associé en industrie aux pertes.
En droit positif OHADA, et s’inspirant notamment de la solution qui avait prévalu en droit français de l’époque347, il semble raisonnable, en raison du lien établi entre bénéfices et pertes par l’article 54 al. 1er, « les droits et obligations de chaque associé (…) sont proportionnels à ses apports », d’arrimer la contribution aux pertes à la base de répartition des bénéfices. En d’autres termes, lorsque dans les statuts, on alloue à l’apporteur en industrie par exemple dix pour cent (10%) des bénéfices, il faudrait se résoudre à admettre, à l’absence de stipulation statutaire de sa contribution aux pertes que celle-ci soit aussi de dix pour cent (10%) des pertes. Toute autre modalité de répartition serait, à notre avis, injuste et certainement illégale. En effet, on ne conçoit qu’un même apporteur en industrie dispose d’une part bénéficiaire inversement proportionnelle à sa contribution aux pertes. La logique et le bon sens voudraient que la part de l’apporteur en industrie dans les bénéfices soit équivalente à sa part contributive aux pertes.
Le législateur OHADA, lui-même a emprunté cette démarche quand il s’est agi d’élaborer les règles limitant les droits et obligations de l’apporteur en industrie au quart des bénéfices ou des pertes348.
Une autre question, peut-être constitutive d’une hypothèse d’école, peut venir à l’esprit. C’est l’hypothèse où les parties conviendraient dans les statuts de ne pas fixer la part contributive aux pertes de l’apporteur en industrie et de confier cette question soit à l’un d’entre eux, soit à un tiers. Certes, cette éventualité est concevable, mais elle n’est pas sans difficultés. Les problèmes pourraient provenir du désaccord entre associés sur le choix du tiers ou si le tiers choisi ne parvenait pas à remplir sa mission. Dans de telles hypothèses, les parties devraient pouvoir recourir à la détermination de la base de répartition prévue par l’article 54 al. 1er de l’AUSCGIE c’est-à-dire la proportionnalité des droits et obligations de l’associé à ses apports.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
PREMIERE PARTIE LE RETABLISSEMENT DE L’EQUILIBRE ENTRE LES APPORTS TITRE 1 : LA REVALORISATION DES REGLES DE REALISATION DE L’APPORT EN INDUSTRIE
CHAPITRE 1 : LA CLARIFICATION DES REGLES DE REALISATION DE L’APPORT EN INDUSTRIE
CHAPITRE 2 LA PREDOMINANCE DES STATUTS DANS L’APPLICATION DE L’APPORT EN INDUSTRIE
TITRE 2 : LA REVALORISATION DU STATUT JURIDIQUE DE L’APPORTEUR EN INDUSTRIE
CHAPITRE 1 : LES DROITS DE L’APPORTEUR EN INDUSTRIE
CHAPITRE 2 : LES OBLIGATIONS DE L’APPORTEUR EN INDUSTRIE
DEUXIEME PARTIE : LA PROMOTION DE L’APPORT EN INDUSTRIE
TITRE 1 : LA LEVEE DE L’OSTRACISME DE L’APPORT EN INDUSTRIE
CHAPITRE 1 : L’ADMISSION DE L’EVALUATION DE L’APPORT EN INDUSTRIE
CHAPITRE 2 : LA CAPITALISATION DE L’APPORT EN INDUSTRIE
TITRE 2 : L’ACCROISSEMENT DU ROLE DE L’APPORT EN INDUSTRIE DANS LES
SOCIETES COMMERCIALES
CHAPITRE 1 : LA PROMOTION DE L’APPORT EN INDUSTRIE DANS LES SOCIETES PAR
ACTIONS
CHAPITRE 2 : LA CREATION DE SOCIETES SANS CAPITAL SOCIAL ET L’ADOPTION DE
MESURES INCITATIVES
CONCLUSION GENERALE
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