Santé et précarité
Santé : définitions
Au XIXème siècle, la santé était conçue comme « un capital », (1) autrement dit comme un état de ressources. Cette définition accordait une valeur mécanique à la santé, un continuum s’échelonnant de la maladie vers la santé optimale. La santé était aussi décrite à cette époque comme « une absence de maladie ». Ce principe a été remis en cause avec la définition de l’OMS en 1946 (2) qui définit la santé comme « un état complet de bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». La santé d’un individu prend ainsi en compte l’individu dans sa globalité et non pas seulement dans une dimension médico-centrée. Selon l’OMS, la santé est influencée par des déterminants sociaux qui sont « les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent ainsi que les systèmes mis en place pour faire face à la maladie ».(3) Ils regroupent des facteurs environnementaux, comportementaux et biologiques. Ces déterminants sont importants à prendre en compte car ils influencent sur l’accès au soin, la prise en charge, ainsi que le rapport au système de soins du patient. Le professionnel de santé doit en tenir compte pour prendre pleinement en charge ses patients et ainsi les considérer, avant tout comme des individus, et non comme des « objets de soins » dans la relation médecin-malade. Cette attention particulière du professionnel permettra une meilleure coopération avec le patient et facilitera son adhésion aux soins.
A cette définition, s’ajoute la charte d’Ottawa de 1986 (4) qui redéfinit la santé comme « ressource de la vie quotidienne qui permet, d’une part, de réaliser ses ambitions et satisfaire ses besoins, d’autre part, d’évoluer avec le milieu ou s’adapter à celui-ci. » Dans cette définition, on retrouve le concept que la santé résulte d’une interaction constante entre l’individu et son environnement. D’un point de vue sociologique, Éric Fuchs (5) décrit lui le concept de « santé sociale » comme la relation entre l’individu et son environnement social, et des capacités de celui-ci à les développer. Ce sont ces capacités qui seront fragilisées lors des différents processus de précarisation. Les définitions de la santé sont donc multiples et ont évolué au cours de l’histoire. Cependant, il est admis notamment sur le plan juridique, que le meilleur état de santé possible constitue « l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale. ».(2) La santé est un concept universel, un droit qui doit-être accessible à tous sans condition.
La précarité, un problème de santé publique
La mise en lumière de la précarité comme problème de santé publique s’inscrit dans un contexte de mutations socio-économiques depuis les années 1980. Dans le monde du travail, le développement de nouvelles activités (activités de services, sous-traitance), la désindustrialisation et la mondialisation entraînent une précarisation de l’emploi. Ainsi, on observe une majoration du chômage et une dégradation progressive des conditions de travail avec le développement de formes particulières d’emploi. En parallèle, les inégalités sociales entre les personnes se creusent. (6) Dans son rapport sur la pauvreté et la précarité économique en 1987, J.Wrezinski définit la précarité comme « l’absence d’une ou plusieurs sécurités notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. ».(7) Cette définition, nous montre le caractère pluridimensionnel de la précarité, elle est difficile à mesurer car sa définition est complexe. En effet, il n’existe pas un seul type de précarité mais plusieurs types de précarité. Différents domaines peuvent être affectés (éducation, logement, santé, emploi), ils peuvent être à l’origine d’un ou plusieurs types de précarité. A contrario, les effets de ces précarités ont eux aussi des répercussions sur la vie des personnes (lien social, qualité de vie, relation au travail…) et sur leurs droits (droits politiques et civiques, sociaux, culturels, économiques). Les critères les plus souvent utilisés pour mesurer la précarité sont : l’emploi ; la famille, le ménage, le niveau de revenu ; le logement, le niveau scolaire, la santé par la PUMA, le statut en matière d’immigration, l’intégration et la participation sociale. Ces critères peuvent évoluer dans le temps. On parle ainsi de la précarité comme un processus de fragilisation dynamique, qui s’inscrit dans un continuum entre un état de stabilité et grande pauvreté. Cette notion peut être réversible et transitoire, et ne conduit pas forcément à la grande pauvreté. Ainsi, en 1998 le Haut Comité de Santé Publique reprend la définition du Père Wresinski et affirme que « La précarité ne caractérise pas une catégorie sociale particulière mais est le résultat d’un enchaînement d’événements et d’expériences qui débouchent sur des situations de fragilisation économique, sociale et familiale ». Si ces facteurs de fragilité persistent et se cumulent dans le temps, sur plusieurs domaines de l’existence, il y a un risque de grande pauvreté et d’exclusion sociale.
La pauvreté et l’exclusion inclus dans la précarité
D’une manière globale, la précarité peut entraîner la pauvreté qui peut elle-même mener à l’exclusion sociale.
Le Dr Pierre Larcher, propose la métaphore du Trampoline pour expliquer « le cumul progressif de précarités de causes diverses aboutissant d’abord à la pauvreté, puis à l’exclusion ». En effet, un individu est soumis à des sollicitations constantes avec différents interlocuteurs sociaux. Les interactions entre les personnes doivent être rapides et satisfaisantes, ainsi avec un faible élan, on ne cesse de rebondir sur un trampoline. Il décrit que « pour que le rebond soit de bonne qualité, il faut que tous les élastiques qui le relient à son cadre soient présents et en bon état, sur chacun de ses côtés. De la même manière, toutes les sécurités que se bâtit un individu au fil de sa vie sans même qu’il en ait conscience, contribuent à lui donner l’élasticité qui lui permettra de rebondir dans les péripéties de l’existence ». Et donc, si un des domaines (emploi, logement, relation sociale, revenus ou santé physique et mentale) est altéré, l’élastique lâche. Si plusieurs élastiques lâchent progressivement, le trampoline va moins bien rebondir et il y a un risque de déchirure fatale, c’est une menace qui fera basculer définitivement dans la pauvreté.(9) La pauvreté est l’état de celui qui est pauvre, définie par une insuffisance de ressources (matérielles ou immatérielles). La grande pauvreté est une forme extrême de précarité. Elle affecte souvent plusieurs domaines de l’existence, devient persistante dans le temps et souvent irréversible.
Cette pauvreté, peut aboutir à l’exclusion sociale. Selon Isabelle Parizot, l’exclusion sociale n’est pas une vision duale entre « les inclus » et « les exclus », pour elle « il s’agit de tenir compte des processus de rupture des liens sociaux qui risquent de conduire les individus aux marges de la société et en l’occurrence au système médical. » (11) Cependant, l’exclusion sociale est un processus car ce n’est pas un état figé, l’évolution des conditions sociales peut changer au cours du temps.(12) L’exclusion social inclut souvent 3 grandes dimensions : économique, non reconnaissance des droits (sociaux, civils et politiques), relations sociales.(13) Les conséquences sur le plan psychique de cette exclusion peuvent conduire à un sentiment d’inutilité sociale, de dévalorisation de soi. Si cette souffrance s’accentue, elle peut conduire à un renoncement vis-à-vis du système de soins, ainsi qu’à des comportements à risque comme les addictions par exemple.
Les inégalités sociales de santé
Les inégalités sociales de santé (ISS) en France sont évoquées depuis une cinquantaine d’années, depuis la réalisation d’une enquête longitudinale menée par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 1954, dont le but était l’étude de la mortalité différentielle. Dans cette enquête, on retrouve notamment une différence d’espérance de vie de sept ans entre les ouvriers et les cadres supérieurs, alors même que ces deux catégories bénéficient d’un emploi, d’un logement et d’une insertion sociale. (14) Les inégalités sociales (ISS) de la santé et la précarité sont intimement liées mais ne se confondent pas. Les ISS font référence à la relation étroite entre la santé et l’appartenance à un groupe social. Tandis que, la précarité est un facteur aggravant ces ISS. Les patients en situation de précarité présentent un risque accru de morbidité, souvent du fait d’un plus important renoncement aux soins, par rapport aux patients présentant une meilleure situation sociale. Les personnes précaires cumulent les facteurs de risque et présentent des pathologies à un stade plus avancé que les autres. (5) Pour l’anthropologue Didier Fassin, « les inégalités sociales de santé sont le résultat des inégalités produites par les sociétés et qui s’expriment dans les corps ». Autrement dit, les inégalités sociales de santé sont l’aboutissement des processus par lesquels la situation sociale d’un patient impacte sa santé. Elles apparaissent dès l’enfance et peuvent survenir tout au long de la vie. Le Black Report, paru en Angleterre en 1980, fut l’un des premiers à révéler que la position d’un individu dans la structure sociale est étroitement associée à son état de santé. (15) En d’autres termes, que l’état de santé s’améliore progressivement au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie sociale, de manière continue, depuis le bas de l’échelle sociale jusqu’au sommet. Ainsi, les personnes jouissant d’un statut social élevé sont en meilleure santé que celles situées juste au-dessous, et il en est ainsi, jusqu’aux personnes situées au bas de l’échelle sociale. Selon l’OMS, les déterminants de santé sont les facteurs sociaux, économiques, personnels et environnementaux qui déterminent l’état de santé des individus ou d’une population. Combinés ensemble, ils créent différentes conditions de vie qui impactent la santé et aboutissent à l’émergence des inégalités sociales de santé.(16) Dans une liste non exhaustive, on pourrait évoquer l’environnement, l’emploi, le revenu, l’accès à l’éducation, le système de soin… En plus de ces inégalités sociales, les populations les plus défavorisées doivent faire face à des difficultés d’accès au système de santé.
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Table des matières
Introduction
A. Santé et précarité
1. Santé : définitions
2. La précarité, un problème de santé publique
3. La pauvreté et l’exclusion inclus dans la précarité
4. Les inégalités sociales de santé
5. Accès au système de soins des personnes précaires
B. COVID-19 et précarité
1. Impact du virus sur des populations déjà fragilisées
2. Inégalité d’exposition au virus
3. Disparité dans la vulnérabilité face au virus
Objectif de l’étude
Méthodes
A. Choix de la méthode
B. Evolution de la population cible
C. Déroulement de l’étude
1. Méthodologie générale
2. Modalité d’information et de recrutement des participants
3. Analyse des données
4. Aspects réglementaires
Résultats
A. Présentation des participants et leur rôle pendant la pandémie
B. Description des résultats
1. Les populations précaires face à une épidémie nouvelle : l’alerte des bénévoles et professionnels
2. Des actions spécifiques aux populations vulnérables : lutter efficacement contre l’épidémie
3. La douloureuse expérience des personnes précaires face à l’épidémie de Covid-19
4. Une période complexe pour les intervenants : entre dévouement et difficultés à faire face
5. Des problématiques singulières aux personnes précaires
6. Des avancées essentielles pour l’avenir
Discussion
A. Principaux résultats
B. Apport de cette étude
1. Quand la pandémie accroit les inégalités : faire face aux besoins en évitant la stigmatisation des plus précaires
2. Enjeux socio-politiques de la pandémie : le logement au cœur du dispositif
3. Solidarité envers les plus précaires : du bénévolat à la médiation en santé
4. Réflexions sur les actions mises en place, quelles leçons à retenir pour l’après COVID ?
C. Validité de l’étude
1. Forces
2. Biais de notre étude
Conclusion
Bibliographie
Annexes