Quelques traits principaux peuvent seuls convenir également à toute la nation allemande, car les diversités de ce pays sont telles qu’on ne sait comment réunir sous un même point de vue des religions, des gouvernements, des climats, des peuples mêmes si différents.
Au dix-huitième siècle, l’Allemagne n’est pas encore une nation unie. Les plus de trois cents états allemands sont très différents en ce qui concerne la politique, les lois, la religion .
Les traités de Westphalie (1648) avaient reconnu la supériorité du principe territorial en Allemagne : chaque chef de territoire y était non seulement « souverain et pape chez lui », mais il pouvait entretenir des relations diplomatiques avec l’étranger et conclure librement des alliances, à condition que ce ne soit (en principe) pas contre l’Empire ou contre l’Empereur. Les Allemands appelaient cette organisation « Kleinstaaterei ». Elle permit à Voltaire d’opposer « la monarchie française, première des monarchies » à l’anarchie allemande, première des anarchies.
D’autres pays s’ajoutent à ces centaines de petits états, des pays qui ne font pas nécessairement partie, d’un point de vue politique, du territoire allemand, mais qui sont, au moins partiellement, sous l’influence de la culture allemande. Ce territoire s’étend de l’Alsace jusqu’en Russie et des pays scandinaves jusqu’en Suisse. Même linguistiquement, les souverainetés se différencient, car l’allemand « standard », à cette époque, est une langue très jeune qui a à peine cent ans et qui se limite principalement à l’écrit. Dans les universités, on enseigne toujours en latin et les grandes cours donnent souvent la préférence à la langue française. Ainsi Frédéric II , roi de Prusse, avouait : « Je ne suis pas fort en allemand.» En effet, les dialectes germaniques peuvent être à tel point éloignés les uns des autres que les Allemands ne se comprennent pas entre eux.
Afin de mieux comprendre le contexte historique, il paraît indispensable de revenir sur les événements ayant marqué l’époque, car l’Allemagne du dix-huitième siècle est un territoire bouleversé par les guerres dont la plus importante est certainement celle de Sept Ans. Mis à part les Habsbourg, dont sont issus la plupart des « empereurs romains germaniques », les autres souverainetés importantes dans l’empire sont la Prusse, le Hanovre, qui appartient au roi d’Angleterre, et la Saxe, dont le prince est également roi de Pologne. En 1740, meurent à la fois le roi en Prusse FrédéricGuillaume Ier et l’empereur romain germanique Charles de Habsbourg, ce dernier ayant imposé que le trône revienne à sa fille Marie-Thérèse.
Alors que l’héritière de l’Empire doit se battre contre les princes apparentés pour préserver son trône, Frédéric II profite de sa faiblesse politique pour envahir la Silésie sans faire au préalable une déclaration de guerre. Avec l’aide de la France, son alliée, la Prusse gagne la bataille décisive de Mollwitz, et Marie-Thérèse doit, dans un accord secret, céder une grande partie de la Silésie à son adversaire (1742). La Prusse se retire de la guerre, mais inquiétée par les succès autrichiens contre la France, occupe plus tard la Bohème. Cette deuxième guerre de Silésie se termine avec le traité de Dresde (1745).
Approches méthodologiques
Les documents
Le problème essentiel auquel se heurtent les études théâtrales est ancré dans la nature même du spectacle : son évanescence. S’y ajoute le problème d’ordre méthodologique que le caractère fugitif de l’art théâtral le rend si difficile à documenter. La représentation s’envole dès qu’elle naît. On ne peut la conserver entre les couvertures de livres érudits.
A l’aide des nombreux documents à sa disposition, le chercheur tente de rassembler les preuves subsistantes, ces témoignages de tous genres qui ne cessent de lui rappeler qu’il essaie de rattraper un art fugitif. Mais les témoins, sont-ils vraiment fiables, ou ne s’agit-il pas plutôt de documents imprégnés par les idées et les goûts personnels de leurs auteurs ? A l’image de son art, le milieu théâtral est presque toujours difficile à cerner. Routine disciplinée dans un perpétuel changement de lieux, de collègues et de public. Concurrence rude et solidarité remarquable dans les troupes. Ce ne sont que deux exemples. Le monde théâtral se définit par la coexistence d’éléments qui semblent pourtant contradictoires, les frontières entre la réalité et la représentation sont floues, sur les planches, certes, mais de plus en plus aussi hors scène. Les gens du théâtre sont des personnes publiques, ils protègent d’autant plus leur vie privée. Ce qu’on connaît de leur quotidien est souvent seulement ce qu’ils ont bien voulu exposer. Avant d’entamer la recherche thématique, il est alors particulièrement important d’attirer l’attention sur les différents genres de documents, leur richesse et les pièges qu’ils présentent pour le chercheur.
Le périodique théâtral
Vers le milieu du dix-huitième siècle surgit un grand nombre de périodiques théâtraux qui nous fournissent des informations précieuses sur le théâtre d’autrefois. Tous les sujets en rapport avec le monde du spectacle semblent y être exposés : la composition des troupes, les règlements théâtraux, des traités sur le jeu du comédien, des critiques de pièces montrées, extraits, résumés ou l’intégralité de textes dramatiques, etc. La bibliographie de Bender, Bushuven et Huesmann permet certainement le mieux d’aborder la richesse de ces documents. Le lectorat des revues, journaux et almanachs se composait de professionnels, d’amateurs et de connaisseurs de théâtre, ces derniers constituant probablement l’immense majorité des lecteurs. L’apparition du connaisseur de théâtre, en allemand Theaterkenner, étant expression d’une nouvelle approche au théâtre, nous devons y consacrer quelques réflexions. Ruth B. Emde cite la définition de Johann George Sulzer pour expliquer la différence entre le Kenner (connaisseur) et le Liebhaber (amateur).
Le connaisseur se tient au milieu entre l’artiste et l’amateur. [L’amateur] ressent uniquement l’impact de l’art, étant satisfait de ses œuvres, et étant friand de leur délectation. […] On est un amateur, si on a une émotion vivante pour les objets que l’art traite; [on est] un connaisseur quand s’ajoute au goût, purgé par un long exercice et l’expérience, la compréhension de la nature et du caractère de l’art; […] On nécessite pas mal de choses, pour mériter d’être appelé connaisseur. [… Le connaisseur] ne voit aucune œuvre comme objet d’amateurisme, mais comme un ouvrage destiné à un but bien précis, et ainsi il juge dans quelle mesure elle pourrait ou devrait avoir un impact. [… il] distingue exactement, ce qui [dans l’évolution des « différents temps et peuples »] est à attribuer aux banales sensations naturelles et ce qui doit être attribué aux mœurs passagères et à la mentalité changeable. C’est pourquoi il doit être un connaisseur des hommes et des mœurs. […] Si vous voulez savoir si une œuvre est artistique, demandez à l’artiste; mais si vous exigez de savoir si elle est estimable concernant le but final de l’art, soit pour l’utilisation publique, soit pour l’utilisation privée, alors demandez au connaisseur.
La particularité des connaisseurs du théâtre, c’est qu’ils sont à la fois le principal lecteur et le principal auteur des périodiques. L’hétérogénéité des lecteurs, passant du simple admirateur au professionnel par différents degrés de connaisseurs, explique également la grande diversité des publications. Les amateurs y trouvent des textes explicatifs, des critiques ou des anecdotes et les connaisseurs des approches pédagogiques autant que des épanchements intellectuels sur des problématiques théoriques et l’analyse artistique. Quant aux professionnels, la lecture des périodiques leur permettait de se tenir au courant de l’actualité de leur métier et de surveiller la concurrence. Certains Prinzipale ou théâtres, étant eux-mêmes parfois à l’origine de nouvelles revues, comme cela était par exemple le cas pour le théâtre de Hambourg, instrumentalisent les revues théâtrales, en y faisant de la publicité pour leurs prochaines représentations ou pour promouvoir leur idée du théâtre. En effet, la Hamburgische Dramaturgie qui prend une place exceptionnelle dans l’histoire théâtrale de l’Allemagne, est de nos jours, certainement le périodique de l’époque le plus connu. Sur demande des initiateurs du projet, Lessing doit y documenter les progrès du premier Théâtre national, tout en donnant au public un manuel pour la bonne lecture du spectacle. Dans ce cas, l’approche est alors d’ordre pédagogique, le but déclaré étant d’éduquer le public pour le préparer à ce théâtre sérieux allemand pour lequel il n’est pas encore prêt. En général, on peut dire que tous les périodiques se veulent ou pédagogiques ou instructifs ou bien divertissants, mais pas nécessairement tout à la fois. Le choix de Lessing comme rédacteur paraît tout-à-fait logique, autant pour les critères d’époque que pour les nôtres : il est un auteur et théoricien de renommée. Toutefois, la plupart des périodiques sortent de la plume de personnes, dont la prétention de pouvoir instruire les autres ne semble pas toujours avoir été légitime.
Malgré une certaine résonance positive dans le monde théâtral, nous ne pouvons dire que les publications sont bien accueillies par les acteurs de l’époque. Pour cela, ils doivent y lire trop souvent la critique de leur propre jeu, ce qui les fâche d’autant plus s’ils estiment que le journaliste n’est pas qualifié pour les juger. Le critique de théâtre désormais lui-même visé, réagit en se thématisant lui-même dans les périodiques.
|
Table des matières
Introduction
Première Partie : Approches méthodologiques
1) Les documents.
– Le périodique théâtral.
– Les Mémoires.
– Les autres documents.
2) Approche linguistique
Deuxième partie : Les débuts du théâtre allemand jusqu’en 1760
– Magister Johannes Velten.
– La direction de Madame Velten.
– Sophie Julie Elenson.
– Friederike Caroline Neuber.
– Sophie Charlotte Schröder (Ackermann).
– Le come-back de la Neuberin.
Troisième partie : Le statut social des gens de théâtre
1) La sédentarisation
– Le voyage comme élément caractéristique du métier d’acteur.
– Une nouvelle forme d’itinérance.
– Un nouvel enjeu.
– Le quotidien sur place.
– Les contacts sociaux des acteurs.
– L’impact du lieu.
2) Qui devient acteur ou actrice ?
– La vie de famille et l’orientation professionnelle en dehors du milieu théâtral.
– L’enfance et l’orientation professionnelle dans les familles de comédiens.
– Le mariage comme échappatoire pour l’actrice.
– Les débuts des acteurs issus d’autres milieux.
3) La situation juridique
– Qu’est-ce que le droit théâtral ?
– L’influence de la sédentarisation.
– Les spécificités juridiques concernant l’actrice.
– La naissance des Theatergesetze.
– L’évolution des Theatergesetze.
– L’application des Theatergesetze.
– Le droit théâtral imposé par l’Etat.
– La censure.
– Le contrat de l’acteur.
– L’occupation appropriée et le système des Rollenfächer.
Quatrième Partie : Des réalités du théâtre professionnel
1) Le quotidien au théâtre
– De l’annonce du spectacle à l’achat du billet d’entrée.
– Les horaires et la durée des spectacles.
– De l’arrivée au théâtre jusqu’au début du spectacle.
– La représentation et l’après-spectacle.
2) Le théâtre comme entreprise
– Le caméralisme.
– Le principalat.
– Le « stock system ».
– Le salaire.
3) Les métiers au théâtre permanent
– Le Lichtputzer.
– Le Theaterdiener.
– Le souffleur.
– Les métiers moins visibles pour le spectateur.
– Les métiers relatifs au costume.
– Les métiers relatifs au décor.
– Le Regisseur et l’Inspizient.
– Les métiers liés à l’écriture dramatique.
– Le métier d’acteur.
– La génération de Lessing (1729 – 1781) et Ekhof (1720 – 1778).
– L’influence de Schröder (1744 – 1816).
– D’Iffland (1759 – 1814) à Goethe (1749 – 1832).
– Les Règles pour comédiens de Goethe.
– Friederike Bethmann-Unzelmann et Karoline Jagemann.
Conclusion
Télécharger le rapport complet