La postérité du De hortis Hesperidum

LA POSTERITE DU DE HORTIS HESPERIDUM 

Au mois d’août 1505 parut à Venise, dans l’officine d’Alde Manuce, un volume in octavo où une partie importante de l’œuvre en vers de l’humaniste Giovanni Pontano était publiée pour la première fois . Ce volume contenait, en plus du recueil des Hendécasyllabes, des Églogues, d’une série d’épigrammes tirées du Parthenopeus et d’autres, dérobées par l’éditeur à une version du De tumulis qui circulait sans autorisation de l’auteur, une série de poèmes didactiques auxquels l’humaniste semblait avoir accordé, sa vie durant, la plus haute place au sein de son œuvre poétique. L’Urania et le Meteorum liber avaient bénéficié de sa part d’un soin qui s’était prolongé jusqu’aux premières années du seizième siècle. Tous deux circulaient et étaient commentés au sein de l’académie napolitaine et jusqu’à Rome, où ils semblaient bien avoir recueilli la faveur de certains . Ils étaient tous deux le produit d’une curiosité pour l’astrologie bien attestée dans les cercles intellectuels proches du pouvoir aragonais, celle qu’avaient favorisée des savants tels que Grégoire Tiphernate, Théodore Gaza ou des poètes comme Lorenzo Bonincontri .

À côté de ces deux œuvres dont l’ensemble couvre près de la moitié de l’édition aldine, on trouve un poème dont la tradition est beaucoup plus discrète, les origines incertaines et les influences encore non documentées. Il paraît dans le volume d’Alde sous le titre De hortis Hesperidum siue de cultu citriorum ad illustrissimum Franciscum Gonzagam marchionem Mantuae. Il s’agit d’un poème géorgique divisé en deux livres de 607 et 581 vers et consacré à la culture des variétés d’agrumes connues à Naples au début du Cinquecento. L’apparente humilité de cette matière, de surcroît ardue et technique, a pu déconcerter les lecteurs habitués aux altitudes de la poésie astrologique. Ce poème ne promettait en effet ni l’élégance légère des vers de circonstances ni l’épaisseur d’enseignement des chorographies astrales. Il se présente néanmoins comme un poème érudit, mêlant l’éloge, la narration, les mythes et d’autres digressions à un exposé agraire de nature didactique bien ordonné et bien documenté. C’est Francesco Tateo qui, en 1960, dans un chapitre du livre Astrologia e Moralità in Giovanni Pontano, remarquait l’embarras de certains lecteurs du De hortis Hesperidum face à cette double nature, ce caractère inclassable qui pouvait être pris en bonne ou en mauvaise part : un poème sans doute raffiné mais qui trahit pour certains un essoufflement de l’inspiration chez le vieil humaniste .

Pourtant, ce poème a joui d’une certaine influence au sein des genres mineurs de la littérature européenne, que ce soit pour l’élégance de ses images ou pour la scrupuleuse organisation de ses préceptes de culture. Il ne semble pas avoir soulevé de difficulté de classement au départ ni déconcerté ses premiers lecteurs, qui disposaient de raisons suffisantes pour l’intégrer harmonieusement à la liste des œuvres de l’humaniste. Le De hortis Hesperidum fut réédité six fois au cours du XVIe siècle . Ces éditions dérivaient toutes de la princeps publiée par Alde Manuce en 1505 et elles en reproduisaient la composition. Le poème se trouvait inséré au sein des carmina heroica, entre les œuvres scientifiques de Pontano et ses églogues, suivant l’habitude propre à la Renaissance de classer les œuvres en fonction de leur mètre et de leur genre. Les trois éditions aldines, ainsi que l’édition piratée de Filippo Giunta, feront figurer en premier lieu l’Urania, suivie du Meteorum liber puis du De hortis Hesperidum ; suivront les sept cortèges de l’églogue Lepidina. Cet ordre sera respecté dans la grande édition des carmina de 1531 et dans le tome 4 des Opera omnia de l’édition bâloise. Le poète Jacopo Sannazarro, qui fut le disciple de Pontano et son exécuteur testamentaire, attribue la même place au De hortis Hesperidum dans la liste qu’il dresse des œuvres de son maître, où chaque distique correspond à un poème :

Qui nunc nascentis canit incunabula mundi,
Aureaque aetherea sidera fixa domo
Utque imbres, lapidesque pluant, ut nubibus ignes
Exsiliant, salsas ut mare uoluat aquas
Hesperidumque hortos, excussaque poma draconi
Rusticaque ad primos munera missa toros,
Delicias, Lepidina, tuas, resonansque vicissim
Pastorum argutis carmen arundinibus: 

« Maintenant, il chante les enfances de l’univers et les étoiles d’or figées dans leur séjour aérien ; comment pleuvent averses et pierres, comment des nuages le feu s’élance, comment la mer forme ses rouleaux d’eau salée. Il chante les jardins des Hespérides, les fruits arrachés au dragon, les présents rustiques qu’on apporte à tes noces pour faire tes délices, Lépidina, toi qui fais retentir ton chant au son des pipeaux bavards des bergers. » .

Le poème géorgique de Pontano semble ainsi trouver une place naturelle dans la déclinaison de ses œuvres, une déclinaison à laquelle Pietro Summonte, un autre disciple de Pontano qui fut, pendant l’exil de Sannazaro en France, son exécuteur testamentaire, apporte également son crédit en répartissant les tâches de publication entre Venise et Naples selon une dichotomie équivalente : les œuvres didactiques pour Venise, les œuvres lyriques pour Naples . En introduction du deuxième livre de sa Syphilis, Girolamo Fracastoro évoquait également comme un tout la triade didactique de Pontano qui l’inspirait par son genre – que le sujet du De hortis Hesperidum puisse paraître moins élevé que celui des deux autres poèmes ne semblait pas lui effleurer l’esprit . Cette unité de l’œuvre didactique consacrée par le projet éditorial qu’annonce Summonte, que sa conception soit due ou non à Pontano à l’origine , se retrouve aussi dans l’unique copie manuscrite de De hortis Hesperidum, une copie qui émane des cercles proches de l’auteur et qui fait, quant à elle, figurer la géorgique de Pontano en tête des poèmes astrologiques . Mais même quand le genre géorgique devait, au sein de cette déclinaison, être considéré comme inférieur à l’inspiration astrologique, celle-ci présentait aussitôt l’avantage d’épouser la théorie des styles : le style sublime était incarné par les poèmes astrologique et météorologique, le style moyen par le De hortis Hesperidum, le style bas par les Églogues. Aussi n’est-ce pas sans intention que Francesco Asolani joua sur cet ordre invariant dans sa lettre-préface à Antonio Mocenigo dans l’édition aldine des carmina de 1518, en mentionnant les Églogues avant le De hortis Hesperidum et en faisant du premier un exemple de style naturel et de l’autre l’illustration d’un discernement exceptionnel. Il comptait mettre en lumière la variété des talents de l’humaniste et le contraste entre les différents degrés du style où Pontano avait excellé :

Age vero nonne a summa hac heroici carminis amplitudine sic in pastoralibus Lepidinae pompis, eclogisque demittitur ? Vt ad id unum carminis genus, quod de Moscho, et Theocrito quoque dictum accepimus, a natura productus uideatur. At contra mediocreis illos numeros quibus agricolationis praecepta Hesiodus tradidit quis acriori iudicio in usum recepit, aut maiore cum laude excoluit, quam diuinus Pontanus ? Horti Hesperidum hoc ipsum satis declarant in quibus quidem describendis eo maiore apud latinos commendatione dignus existimari debet, quo plures post Maronem fuerint, qui infeliciter eiusmodi rerum naturae partem carminibus suis illustrandam susceperint, ut fortasse hunc ipsum clarissimus ille uates cupisse uideatur, cui relinqueret commemoranda quae georgico suo carmine praetermississet. 

« Mais, dis-moi, ne descend-il pas de cette manière depuis ces sommets du genre héroïque dans les cortèges pastoraux de sa Lepidina et dans ses églogues ? De sorte que c’est vers ce seul genre poétique-ci, que nous disons tenir de Moschus et de Théocrite aussi, qu’il nous semble avoir été entraîné par sa nature. Mais pourtant, qui a jamais usé de ces rythmes moyens, grâce auxquels Hésiode confia ses préceptes d’agriculture, avec un goût plus pénétrant ? Qui les cultiva jamais avec un plus grand mérite que le divin Pontano ? Ses jardins des Hespérides le montrent bien assez et, pour les avoir ainsi représentés, il faut le tenir digne parmi les Latins d’une distinction d’autant plus grande qu’ils furent plusieurs après Virgile à entreprendre sans succès d’illustrer par leurs chants dans ce registre un aspect de la nature, de sorte qu’on pourrait croire que Pontano lui-même ait été appelé de ses vœux par cet incomparable poète, auquel il laissait le soin d’illustrer ce qu’il avait passé sous silence dans ses Géorgiques. » .

L’HEXAMETRE DU DE HORTIS HESPERIDUM

La courte fortune européenne de Giovanni Pontano a célébré en son latin un renouveau stylistique dont on vantait tantôt le caractère virgilien, tantôt simplement l’élégance et la grâce . Il est certain que le De hortis Hesperidum a pu bénéficier de toute l’expérience de l’humaniste puisque ce poème a été composé à la fin de sa vie et, en partie au moins, après que celui-ci eut figé certains secrets de sa pratique de l’elocutio dans le dialogue-traité Actius, écrit entre 1496 et 1499. Le poème semble donc constituer un échantillon de premier choix pour étudier le style poétique de l’auteur, sa versification et son vocabulaire. Dans notre étude sur l’hexamètre du De hortis Hesperidum, nous allons examiner les particularités qui ont conduit ses contemporains, parmi lesquels un styliste de l’envergure de Paolo Cortesi, à distinguer le vers de Pontano comme particulièrement élégant et virgilien.

PROSODIE

La prosodie du De hortis Hesperidum montre combien Pontano est attentif à l’usage antique. Les synérèses que l’on trouve dans le poème tirent toutes leur modèle des poètes de la latinité d’or. Ainsi, j’ai relevé la diphtongaison des deux dernières voyelles de anteit dans un trochée final (Hesp. 1,62) d’après Ovide (Met. 11,65 ; 13,366). De même, Pontano a cette habitude, qui est répandue à la Renaissance, de placer aureo en guise de trochée final (Hesp. 1,509 ; 2,565 mais aussi Uran. 1,616 ; 3,535 ; 3,1313 ; 4,728). Il s’appuie alors sur l’exemple de Virgile (Æn. 8,372 ; 10,116) et d’Ovide (epist. 6,49). L’adverbe dehinc est compté pour une longue en Hesp. 1,506 et 2,486 selon un usage répandu qui concurrence depuis Virgile la scansion iambique du mot (Pontano scande dehinc iambique en Uran. 2,22 ; cf. Virgile, Æn. 1,131 et 256 contre Æn. 3,464 et 5,722 ; les auteurs tant antiques que modernes semblent connaître les deux scansions, mis à part Juvencus). « Dii » est compté pour une longue en tête de vers (Hesp. 2,490) selon l’usage commun à la Renaissance qui ne trouve d’ailleurs que Tibulle (eleg. 2,1,17) en guise de recommandation antique . De même pour Diis (Hesp. 2,142).

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Table des matières

INTRODUCTION
DESCRIPTION DE L’ŒUVRE
La postérité du De hortis Hesperidum
La réception du De hortis Hesperidum
Topique des jardins d’agrumes : naissance d’un motif européen
Conclusion
Description du poème
Le livre 1
Le livre 2
Argument détaillé
L’hexamètre du De hortis Hesperidum
Prosodie
Élisions
Autres types de rencontres vocaliques
Forme métrique des 4 premiers pieds
Histoire du texte
L’histoire de l’édition aldine
La dédicace à François II Gonzague
Autres indices de datation
Le problème du début de la rédaction
Conclusion
Les témoins
Le manuscrit d’Avellino
L’orthographe de C
Les erreurs de l’édition aldine corrigées d’après C
Omissions
Les variantes
ÉTUDE
Réinventer un genre poétique : la géorgique au Quattrocento
Oubli et renaissance d’un genre
Un exemple du genre géorgique au Moyen Âge : l’Hortulus de Walafrid Strabo
Pietro Crescenzi et Paganino Bonafede
Reflets de la littérature géorgique dans des textes d’un autre genre
La silve Rusticus
Les agronomes et les poètes ruraux en Toscane à la fin du Quattrocento : Giambullari, Tanaglia, Foresi, Scala
Deux contemporains d’importance : Lazzarelli et Giustolo
Le renouvellement du genre géorgique dans le De hortis Hesperidum
Conception du poème didactique : éloquence et poésie du savoir
Les « digressions » dans le De hortis Hesperidum
Le dédicataire
Le dédicant
Le De hortis Hesperidum dans l’histoire des jardins
Les Agrumes
Le genre
Les variétés
Les préceptes
Le terrain
L’irrigation
Protéger du froid
Fosses et repiquage
Marcotte et semis
Greffe
Autres préceptes : fumure, cueillette
Usages des agrumes
Vers une agrumiculture d’ornement
Les jardins historiques
Le rôle des Aragonais
Jardins d’agrément et art topiaire dans le De hortis Hesperidum
Le De hortis Hesperidum et la pensée de Giovanni Pontano
Horticulture et sodalités
Res rustica et mode de vie aristocratique
Ager amoenus
Le salut par les Lettres
I. I. PONTANI DE HORTIS HESPERIDUM
Livre 1
Livre 2
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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